Assa Traoré : « Allions nos forces »


Entretien inédit | Ballast

Avant, elle n’é­tait pas mili­tante, nous dira-t-elle. Avant que son petit frère, Adama Traoré, ne res­sorte sans vie de son inter­pel­la­tion par la gen­dar­me­rie de Beaumont-sur-Oise, en juillet der­nier. Le corps sera ren­du inac­ces­sible à sa famille durant plu­sieurs jours et aucune auto­ri­té d’État ne pré­sen­te­ra de condo­léances à la famille. Avant, Assa Traoré n’é­tait pas consciente de la pro­fon­deur du racisme en France, nous dira-t-elle encore. Elle nous accueille à son domi­cile, en ban­lieue pari­sienne, nous offrant des gâteaux et du thé. Depuis le 19 juillet 2016, Assa Traoré, sa famille et de nom­breux sou­tiens ano­nymes, mili­tants et artistes, sont entrés en lutte pour, selon les mots de la pre­mière, « la jus­tice et pour la véri­té ». Deux autres de ses frères, Youssouf et Bagui, sont à l’heure qu’il est empri­son­nés : leur juge­ment tom­be­ra dans quelques jours. Le regard d’Assa Traoré est ferme et la fatigue recou­verte par une déter­mi­na­tion mar­quante : celle de por­ter la voix de ces « bavures » qui, en France, ont tué 445 per­sonnes depuis 50 ans.


Adama est deve­nu un « sym­bole », avez-vous dit. De quoi ?

De la France. Une cause locale est deve­nue une cause natio­nale, puis inter­na­tio­nale. Sa mort a tou­ché énor­mé­ment de per­sonnes — le sou­tien, de par­tout et depuis le pre­mier jour, a été consi­dé­rable. Les Français attendent beau­coup de cette « affaire ». Ces sou­tiens nous ont don­né beau­coup de force. Sa mort fut atroce ; tout le monde attend que jus­tice soit faite. C’est un com­bat qui nous concerne évi­dem­ment au pre­mier plan, mais il implique tous ceux qui, bien au-delà de la famille Traoré, ont encore envie de croire en la jus­tice. Le nom d’Adama est entré dans l’Histoire. Ce drame a réveillé beau­coup de men­songes et a mis en lumière de nom­breuses véri­tés quant au sys­tème judi­ciaire et au com­por­te­ment des forces dites « de l’ordre » vis-à-vis des citoyens les plus jeunes issus des quar­tiers populaires.

On vous aurait accu­sé de trop par­ler, de faire trop de bruit autour de sa mort…

« C’est un com­bat qui implique tous ceux qui, bien au-delà de la famille Traoré, ont encore envie de croire en la justice. »

Resituons un peu les faits. La maire de Beaumont, Nathalie Groux, a por­té plainte contre moi, au pré­texte que je l’aurais dif­fa­mée dans l’émission « Clique » de Mouloud Achour. Elle vou­lait deman­der un vote au conseil muni­ci­pal afin d’obtenir des dizaines de mil­liers d’euros aux habi­tants de Beaumont. J’ai donc tenu, en tant que citoyenne, démo­cra­ti­que­ment, à me rendre à ce conseil : à notre arri­vée, nous avons été accueillis par de nom­breux poli­ciers et gen­darmes pour fil­trer l’entrée et fouiller les sacs. J’y suis entrée mais ils ont expli­qué qu’il n’y avait plus de place après moi. L’opposition s’est levée en disant que si la famille Traoré et les habi­tants de Beaumont — venus en nombre — ne pou­vaient assis­ter à cette séance, elle la lève­rait. Ce qui a été fait. Le ton est mon­té. Une poli­cière a recon­nu avoir pani­qué et a, sans qu’on ne sache pour­quoi, com­men­cé à gazer les habi­tants. Je suis sor­tie pour apai­ser les choses. Le calme est reve­nu et nous sommes ren­trés chez nous — j’ai tenu à par­tir la der­nière. Dans mon quar­tier, des jeunes Beaumontois étaient en train de débrie­fer ce conseil muni­ci­pal (on était très cho­qués) lorsque près de cin­quante poli­ciers sont arri­vés. J’ai accou­ru pour dire aux jeunes (une ving­taine, je les connais­sais tous) de ne sur­tout pas bou­ger et, même, de lever les mains face aux forces de l’ordre. Je suis ensuite allée à leur ren­contre leur deman­der les rai­sons de leur pré­sence ici ; ils ont aus­si­tôt dit « Chargez ». Pour quelle raison ?

Des tirs de FlashBall sont par­tis. Ils ont fon­cé sur les jeunes, les ont tabas­sés et ont pris Samba, un de mes petits frères. Ils frap­paient les autres mais pas lui, qu’ils ont tiré vers le milieu de la route… pour le frap­per ensuite, à plu­sieurs. En voyant ça, je me suis avan­cée pour l’aider mais Samir, un mili­tant, m’a arrê­tée en me disant qu’ils allaient éga­le­ment me tabas­ser. J’ai eu peur de voir mon petit frère dans cette situa­tion. Adama avait pris le corps de trois gen­darmes sur lui ; j’y ai repen­sé, bien sûr, mais ça m’était égal de prendre des coups. Mon autre frère a été embar­qué. J’ai dit aux jeunes de ren­trer chez eux. Je suis allée voir le com­man­dant pour lui rede­man­der les rai­sons de leur pré­sence ici : était-ce en rai­son de ce qui avait été dit au conseil muni­ci­pal ? ou en rap­port avec les appels de la maire à ce que les habi­tants « de souche » soient armés ? J’ai deman­dé si nous n’a­vions plus le droit de par­ler, main­te­nant ? Leur pré­sence n’é­tait pas com­pré­hen­sible. Ils m’ont répon­du que des jeunes avaient lan­cé des mor­tiers. Peut-être, mais quand ? Moi, je n’ai rien vu. Et les per­sonnes pré­sentes en bas de l’immeuble n’y étaient pour rien non plus. « Si vous n’êtes pas contente, vous n’aurez qu’à por­ter plainte », m’a-t-on répon­du. Et puis est venu le second conseil municipal…

[Maya Mihindou]

… Combien de jours après ?

Six. Et, ce jour-là, on est venu cher­cher deux de mes frères, Youssouf et Bagui : un à son domi­cile et l’autre sur son lieu de travail.

Pour « outrage et faits de vio­lence », c’est bien ça ?

Ils auraient frap­pé neuf poli­ciers muni­ci­paux ! Et les gen­darmes affirment avoir tous été témoins. Il leur a fal­lu six jours pour consta­ter que mes frères auraient, devant tout le monde, lors du pre­mier conseil, frap­pé neuf poli­ciers avant de ren­trer tran­quille­ment chez eux ; six jours pour les arrê­ter, le jour même du second conseil ! Ça sent le men­songe à plein nez. Essayez de frap­per un poli­cier : vous en aurez aus­si­tôt dix autres sur vous. Surtout qu’ils ont tel­le­ment gazé que mon frère Bagui est aus­si­tôt par­ti aux urgences : il n’était donc, à l’heure poin­tée par l’accusation, même pas sur les lieux ! Nous indi­que­rons tout ceci lors du jugement.

Vous êtes en mesure de four­nir un papier de l’hôpital ?

« Ils veulent nous mettre la pres­sion, nous désta­bi­li­ser, donc détruire notre cel­lule fami­liale : on prend deux frères, on porte plainte contre la sœur. »

Oui, bien sûr. Nous sommes confron­tés à un sys­tème anti-démo­cra­tique. Mes frères sont actuel­le­ment tous les deux en pri­son. Bagui a deman­dé à un gen­darme pour­quoi ils étaient arrê­tés alors qu’ils n’avaient rien fait ; on lui a répon­du : « Ta sœur fait trop de bruit, qu’elle se taise. » C’est notre avo­cate qui nous a rap­por­té ce pro­pos. Bagui m’a fait savoir qu’il allait en pri­son pour Adama et qu’il ne fal­lait sur­tout pas lâcher le com­bat. Nous avons orga­ni­sé une marche le 5 novembre et nous allons deman­der la mise en exa­men des gen­darmes qui ont pro­vo­qué l’asphyxie d’Adama. Ils veulent nous mettre la pres­sion, nous désta­bi­li­ser, donc détruire notre cel­lule fami­liale : on prend deux frères, on porte plainte contre la sœur. Ils doivent se dire que ça va nous cal­mer : non. On va conti­nuer. Mais j’espère que cette lutte ne s’arrêtera pas à nous ; Adama est deve­nu un sym­bole, ce qui signi­fie que d’autres devront pour­suivre cette lutte. Je suis cer­taine que bien des morts sont sem­blables à la sienne, mais per­sonne n’en sau­ra jamais rien. Nous sommes quand même face à deux méde­cins — ce ne sont pas des cui­si­niers ! — qui pré­sentent des résul­tats dif­fé­rents ! Un pre­mier « expert » a affir­mé qu’Adama est mort de causes car­diaques et d’une infec­tion très grave ; la seconde autop­sie révé­lait qu’il n’é­tait pas mort pour des rai­sons car­diaques, qu’il n’avait pas d’infection, qu’il avait été asphyxié. Ils sont très vite venus nous dire sous la forme d’une faveur — au pré­texte que nous sommes musul­mans et que nous enter­rons rapi­de­ment nos morts — qu’ils s’é­taient per­mis de contac­ter Air France pour faire par­tir le corps direc­te­ment au Mali ! Ils étaient même prêts à nous don­ner des pas­se­ports. On était cho­qués ! Nous devions nous recueillir, ici, auprès du corps d’Adama…

Rappelons aus­si les deux faux PV de la gen­darme1. Heureusement, un pom­pier a fait entendre qu’Adama était encore menot­té, le pouls déjà très faible : il a dû insis­ter pour que les gen­darmes lui enlèvent les menottes — mais c’était trop tard. Adama est mort comme un chien, par terre. Il n’est pas mort avec digni­té. Il fait pour­tant par­tie d’une famille digne. Nous avons alors enten­du, comme des rumeurs, qu’il y avait un pro­blème avec Adama : nous avons appe­lé tous les hôpi­taux — rien — ; nous avons contac­té la gen­dar­me­rie — elle nous a dit qu’Adama allait très bien mais qu’il était trop tard pour que nous puis­sions le voir. L’un de mes frères est venu pour lui appor­ter à man­ger et les poli­ciers ont pris le repas ! À ce moment, la ten­sion était pal­pable. Beaumont est une toute petite ville, s’il se passe quelque chose, ça a une réper­cus­sion sur tout le monde : il y avait beau­coup trop de va-et-vient, des voi­tures de gen­darmes par­tout… Beaucoup de gens se sont ras­sem­blés devant la gen­dar­me­rie et, à 23h30, un de mes frères a exi­gé de voir Adama. Ils ont fait ren­trer la mère et l’un de mes frères, pour leur deman­der : « Si on vous dit quelque chose, est-ce que vous n’allez pas mal le prendre ? » « Non », ont-ils répon­du. Personne ne pou­vait pen­ser à la mort.

[Maya Mihindou]

« Adama, il est mort. » On l’a donc appris plu­sieurs heures après. Mon frère a sau­té sur un des gen­darmes ; plu­sieurs se sont mis sur lui, l’ont frap­pé, gazé, et ma mère avec. Ils les ont faits sor­tir puis ont gazé la foule à l’extérieur. C’était hor­rible. Ils ne l’ont pas emme­né à l’hôpital… Pourquoi ? Les gen­darmes sont des mili­taires : ils ont cette for­ma­tion. Ils doivent sau­ver des vies, pas en ôter. Adama a reçu le poids de trois corps armés, soit 250 kilos sur lui ! C’était un petit appar­te­ment et mon frère n’était pas un sur­homme. Il ne savait pas tra­ver­ser les murs. Ils auraient pu le maî­tri­ser sans pla­quage ven­tral — d’autant que cette pra­tique est inter­dite dans cer­tains pays, et même en Outre-mer : c’est un débat que nous comp­tons ame­ner sur la place publique. La France devra en répondre. Adama a fait savoir qu’il ne se sen­tait pas bien, avant même d’entrer dans leur véhi­cule — l’hôpital est pour­tant juste à côté de la gen­dar­me­rie : faites le che­min, vous ver­rez ! Dans le véhi­cule, il a piqué de la tête et uri­né sur lui… Comment, après tout ça, ren­trer chez nous et faire comme si de rien n’était ?

Vous avez jus­te­ment décla­ré que vous aviez pleu­ré une jour­née mais qu’il fal­lait par­tir au front dès la seconde. Était-ce un même mou­ve­ment fami­lial ? Étiez-vous, depuis le départ, la « meneuse » ?

« Adama est mort dans des locaux qui appar­tiennent à l’État. Ce n’est pas rien, symboliquement. »

Il n’y a même pas eu besoin de se par­ler. Nous sommes une grande famille. Digne et unie. Ils n’avaient pas mesu­ré ça ; je crois qu’ils n’ont pas anti­ci­pé nos réac­tions et l’ampleur de notre mobi­li­sa­tion. Ça leur a échap­pé. J’ai gran­di avec Adama et les autres ; mes aînés avaient déjà leur appar­te­ment. Je l’ai presque éle­vé. M’avancer en « porte-parole » s’inscrivait sim­ple­ment dans cette conti­nui­té, mais nous par­ta­geons tous le même objectif.

Votre frère Lassana a décla­ré à Quartiers libres que la famille Traoré avait par­ti­ci­pé à la construc­tion de Beaumont…

… Mon père était dans le bâti­ment. Il vivait à Bobigny puis a eu un chan­tier, en tant que chef, sur Beaumont ; c’est comme ça que nous nous sommes ins­tal­lés ici, en 1989. Beaumont est une belle ville, presque un vil­lage, qui s’est mal­heu­reu­se­ment dégra­dée avec le temps. Les forces de l’ordre manquent de savoir-vivre : elles tutoient, parlent mal, tapent.

Vous affir­mez que nous vivons sous un gou­ver­ne­ment qui cau­tionne ce type de mort. En un mot, com­ment l’État s’est-il comporté ?

Adama est mort dans des locaux qui appar­tiennent à l’État. Ce n’est pas rien, sym­bo­li­que­ment. Le mutisme d’État a fait de son décès une cause d’État. Notre lutte ne se borne pas aux gen­darmes. Cazeneuve parle de « sujet » pour qua­li­fier « l’affaire Adama », tout en ne pro­non­çant pas son pré­nom. Tant que rien ne change, les forces de l’ordre auront le pou­voir légal de tuer, puisqu’elles ne sont pas punies. Mes deux frères incar­cé­rés sont des pri­son­niers poli­tiques. Des grands hommes sont en pri­son pour la jus­tice et pour la vérité.

Vous avez inter­pel­lé direc­te­ment François Hollande : vous pen­siez qu’il pour­rait vous répondre ?

Je vou­lais sur­tout que le monde entier puisse voir que notre pré­sident res­tait muet.

Imaginons un gou­ver­ne­ment plus « juste » : quelle aurait été sa réaction ?

Il aurait adres­sé ses condo­léances. C’était la moindre des choses. Le mépris ne vise pas seule­ment notre famille, mais toutes les per­sonnes qui nous soutiennent.

Vous allez deman­der la mise en exa­men des gendarmes.

Oui. Nous atten­dons le nom du juge.

C’est le même avo­cat qui suit votre dos­sier depuis le début ?

Oui. Yassine Bouzrou est notre avo­cat prin­ci­pal, avec Noémie Saidi-Cottier — nous nous sommes dit qu’il était bien d’avoir aus­si une femme à nos côtés. Maître Bouzrou dégage quelque chose de très droit et ras­su­rant : nous avons le même but.

Vous avez fait entendre qu’il ne suf­fi­sait pas d’être spec­ta­teur de cette lutte, mais acteur. Comment les gens peuvent-ils s’impliquer concrètement ?

« Tant que rien ne change, les forces de l’ordre auront le pou­voir légal de tuer, puisqu’elles ne sont pas punies. Mes deux frères incar­cé­rés sont des pri­son­niers politiques. »

On fait des mee­tings, on échange, on parle, et c’est bien. Mais après ? Après les débats, après les articles, nous devons nous lever et par­ti­ci­per aux marches. Il faut cher­cher à rame­ner plein de monde. Rassembler les gens, tou­cher plus lar­ge­ment l’opinion. À Paris, j’ai croi­sé des gens qui ne connais­saient pas les quar­tiers, qui pen­saient sur­tout par théo­ries : on doit avan­cer et tra­vailler ensemble.

Un cer­tain nombre de mili­tants ont connu la bru­ta­li­té poli­cière durant Nuit Debout ; ils ont alors pris la mesure des reven­di­ca­tions des quar­tiers popu­laires en la matière…

Oui. C’est dom­mage qu’il ait fal­lu autant de temps. Dans ces quar­tiers, les citoyens sont de qua­trième ou cin­quième zone. Ils vivent l’humiliation ; psy­cho­lo­gi­que­ment, ça détruit des per­sonnes. Les Parisiens ont donc décou­vert que les coups poli­ciers pou­vaient bles­ser… Rémi Fraisse en est mort. Avec les mani­fes­ta­tions du prin­temps, il y a eu une prise de conscience consi­dé­rable : allions nos forces, à par­tir de main­te­nant. Combattons côte à côte.

[Maya Mihindou]

Vous par­lez même d’une « révo­lu­tion » à mener.

Vous êtes assis dans mon salon. Vous êtes un homme, je suis une femme ; je suis noire, vous êtes blanc : il a fal­lu des révo­lu­tions pour que nous soyons ici ensemble. Le cli­mat en France se dégrade : le racisme s’assume com­plè­te­ment et des jeunes comme mon frère peuvent mou­rir dans les mains des gen­darmes. Il fau­dra une révo­lu­tion pour que ça change — et on devra la faire ensemble. Il n’y aura pas de paix sans justice.

Cette conscience poli­tique était ancrée en vous depuis long­temps ou est-elle liée à la mort de votre frère ?

« Vous êtes un homme, je suis une femme ; je suis noire, vous êtes blanc : il a fal­lu des révo­lu­tions pour que nous soyons ici ensemble. »

Je n’avais pas de sen­si­bi­li­té mili­tante. Je tra­vaille à Sarcelles avec beau­coup de jeunes ; je croyais mal­gré tout en la jus­tice. Je ne pen­sais pas qu’elle était à ce point machia­vé­lique. On devrait res­pon­sa­bi­li­ser les jeunes au plus tôt, les confron­ter au mili­tan­tisme, le leur apprendre : ça fait grandir.

Vous avez plu­sieurs fois pris posi­tion contre les « vio­lences » de cer­tains citoyens dési­reux de « ven­ger » la mort de votre frère, comme stra­té­gie de lutte. Pourquoi ?

Je ne suis pour aucune forme de vio­lence. La vio­lence appelle la vio­lence : la pre­mière des vio­lences a été celle de l’État, on l’oublie trop sou­vent. Les vio­lences de ces « jeunes » s’expliquent par le fait que per­sonne n’a répon­du à cette pre­mière vio­lence. Je ne rejette pas ces per­sonnes et je tiens à leur expli­quer qu’on peut mener le com­bat autre­ment. Ces vio­lences iso­lées sont une perte de temps. La révo­lu­tion ne peut pas se faire avec une petite par­tie de la popu­la­tion ; il faut agir intel­li­gem­ment. On doit tous se lever ensemble — les inci­dents ici et là font plus de bruit néga­tif qu’autre chose.

Vous évo­quiez l’en­cou­ra­ge­ment de la maire de Beaumont à ce que les citoyens « de souche » s’arment. Comment a‑t-elle pu en arri­ver là ?

« La vio­lence appelle la vio­lence : la révo­lu­tion ne peut pas se faire avec une petite par­tie de la population. »

La maire nous a tota­le­ment mépri­sés depuis la mort d’Adama. Elle a d’abord dit à Lassana qu’elle n’avait pas le temps, qu’elle par­tait en vacances, qu’elle ne savait pas quand elle ren­tre­rait… Elle a dépo­sé plainte contre moi. Elle a par­lé, en effet, de ces citoyens « de souche » — que je ne suis donc pas. Devrais-je mettre un gilet pare-balles pour mar­cher dans la rue ? Nathalie Groux incite au port d’armes, à la vio­lence et à la haine raciale, et ce sont mes frères qu’on met en pri­son ! Les Beaumontois ont été outrés par ses pro­pos. C’est une maire qui n’a jamais été proche de sa population.

Vous avez mon­té une asso­cia­tion de sou­tien. Quels en sont les prin­ci­paux objectifs ?

L’accès au droit et à la jus­tice. Nous avons des droits mais ne savons pas les uti­li­ser. Ils nous marchent ain­si des­sus, léga­le­ment. Imaginez une per­sonne qui parle mal le fran­çais. Il faut être conseillé et aiguillé dès les pre­miers moments. Mon tra­vail d’éducatrice en pré­ven­tion spé­cia­li­sée a joué : avec les jeunes, s’il y a une demande, il faut y répondre tout de suite. On ne veut pas s’enfermer dans les ques­tions policières.

À quoi res­sem­ble­rait la police après la révolution ?

Si la police et les gen­darmes fai­saient cor­rec­te­ment leur tra­vail, je n’aurais rien à redire. Bien au contraire.


Photographies de vignette et de ban­nière : Maya Mihindou


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  1. L’une des gen­darmes a rap­por­té, dans son pro­cès ver­bal (PV), une ver­sion dif­fé­rente des faits avan­cés par ses trois autres col­lègues, qui affir­mait qu’Adama avait « fui » lors de l’in­ter­pel­la­tion de son frère. « Adama Traoré s’est inter­po­sé à l’interpellation de son frère, et a com­mis des vio­lences envers le gen­darme X », peut-on lire dans son pre­mier PV.[]

REBONDS

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