Entretien inédit pour le site de Ballast
Chaque année, au mois d’octobre, de nombreux pays américains commémorent le « Columbus Day » : la « découverte » de ce continent, autrement dit le début du génocide des peuples autochtones. Cette année, les Sioux de Standing Rock et leurs nombreux alliés ont obtenu que la construction du DAPL (Dakota Access Pipeline) soit détournée de son tracé original. Cet oléoduc devait traverser leurs terres et se poursuivre sur 1 900 kilomètres, au péril de la contamination des eaux et des sols. « Protecteurs » et non « protestataires », selon leurs termes, ils mènent depuis avril dernier un combat non-violent d’une ampleur inégalée, soutenus par des centaines de nations, de communautés autochtones d’Amérique du nord, mais également par d’autres du monde entier — des Samis de Finlande aux Maoris de Nouvelle-Zélande. Nous tenions à interroger la militante Eryn Wise, coordinatrice média pour le Conseil international de la jeunesse autochtone et le camp de Sacred Stone, présente sur le front de cette lutte qui oppose la détermination des Sioux aux grenades à concussion et aux canons à eaux.
Bien que les occasions n’aient pas manqué depuis les années 1970, c’est la première fois qu’autant de communautés autochtones se rassemblent. En quoi cette lutte est-elle particulière ?
C’est le premier rassemblement de peuples autochtones d’aussi grande envergure, d’une telle taille et d’une telle ampleur — ceux de Wounded Knee et Little Bighorn n’étaient rien à côté de celui-ci. Je pense que c’est parce que les gens ont enfin le pouvoir et la capacité de dire non. Nous avons tellement été opprimés, et depuis si longtemps, que les gens se rendent enfin compte que le temps de la peur est derrière nous. Contrairement aux générations qui nous ont précédés, nous refusons de vivre en alerte ; nous allons lutter. Toute l’histoire de ce mouvement tient en ceci : nous entendons reprendre le pouvoir sur nos vies. En substance, nous disons : « On nous a tout pris et, à présent, nous défendons nos langues, notre terre, nos ressources sacrées ; nous en reprenons le contrôle car vous nous les avez dérobées, vous en abusez et vous ne les méritez pas. »
Quels sont les liens profonds qui rattachent la communauté Lakota (sioux) à cette terre pour laquelle elle se bat ?
« Nous soutenons les luttes des autres peuples autochtones car nous avons en commun les responsables de nos souffrances. »
Ces terres renferment des sanctuaires sacrés et ses ressources le sont également pour les Lakota. Il est vital de se rendre compte que si d’autres peuples n’ont pas de liens avec leur culture et leur terre, nous, autochtones, en possédons. Presque tout le monde a perdu ce lien, et c’est bien ce qui nous exaspère… Sans parler du comportement de certains festivaliers qui portent des coiffes indiennes traditionnelles à Coachella ou qui se prétendent guérisseurs, alors qu’il n’en est rien… Nous, nous n’avons pas perdu cette connexion avec notre identité en tant que peuple. Nous nous battons pour protéger notre mode de vie et nos langues depuis des siècles — le combat actuel ne fait pas exception à la règle. Nous, peuples autochtones, sommes conscients de la nécessité non seulement de protéger la Terre, mais également l’eau car elle donne vie au monde entier ; c’est la force vitale qui anime toute chose. Cette eau est sacrée ; nous venons tous de l’eau, nous y avons baigné dans la matrice. Les femmes s’en rendent particulièrement compte en tant que « donneuses de vie », conscientes du devoir de protéger cette ressource que nous portons dans la chair. Pour ces raisons, nous nous définissons comme des protecteurs : nous protégeons au lieu de protester.
Les autochtones seraient les gardiens de la Terre. On retrouve ce récit dans d’autres pays, comme en Australie. Vous sentez-vous liés à ces luttes ?
Nous comprenons évidemment les luttes indigènes du monde entier : ce sont des membres de notre famille, éparpillés. Nous partageons tous la même vision de la colonisation. Nous connaissons le prix de se voir dépossédés de son mode de vie, de ses terres et de son foyer par la force ; nous savons ce qu’il signifie de mener ces combats. Nous voyons des gens mourir de la même façon. Nous voyons perpétrer sur nos enfants le même lavage de cerveau, les persuadant qu’ils sont autres que ce qu’ils sont, c’est-à-dire jamais assez bien aux yeux de ceux qui détiennent le pouvoir. Par exemple, à chaque marée noire tragique en Amazonie, lorsque nos frères et sœurs lancent un appel à l’aide, nous savons ce qu’ils vivent. Car, ici, la police nous tire dessus et nous brutalise quand nous demandons simplement de l’aide. Et aucune aide ne vient. Nous soutenons les luttes des autres peuples autochtones car nous avons en commun les responsables de nos souffrances. Historiquement, ce sont les mêmes qui ont fait le tour du globe pour tirer profit de la générosité des peuples. L’Histoire déroule systématiquement le même scénario : des indigènes accueillent des étrangers totalement perdus, incapables de survivre, puis ces étrangers profitent des indigènes et les tuent ou les réduisent en esclavage. Ayant cette souffrance en commun, nous luttons les uns pour les autres.
Comment faire entendre à la modernité occidentale cet attachement « terrien » qu’elle a souvent du mal à saisir ?
Si je devais faire comprendre l’importance de la terre — aux Blancs, en particulier —, je leur dirais qu’ils nous ont dépossédés de tout et que la terre est la dernière chose qui fasse partie de nous. Nos racines s’enfoncent profondément dans cette terre. On peut essayer de nous assassiner et de nous enterrer mais nous sommes faits de cette terre, nous en surgirons encore et encore. Ils oublient que nous sommes des graines et que nous continuerons inlassablement de pousser. Mais, en toute franchise, je ne fais pas d’éducation : je n’ai pas à me sentir obligée d’expliquer à quiconque les raisons de ma lutte pour défendre l’eau, ma terre, mes langues et mon peuple. Je lutte car cela me tient à cœur. Ceux qui nous oppriment ont le droit de détruire ce que bon leur semble et de se servir d’une arme… et personne ne bouge le petit doigt ! Ils luttent pour ce qu’ils veulent. Alors s’ils n’ont pas à rendre compte de leurs actions, je n’ai pas à expliquer pourquoi cela est si important pour moi d’avoir une eau propre lorsque je me lèverai demain matin.
Le mouvement s’est-il inspiré d’autres mouvements similaires, comme ceux du Chiapas au Mexique ou des Nunavut du Canada ?
« Je n’ai pas à expliquer pourquoi cela est si important pour moi d’avoir une eau propre lorsque je me lèverai demain matin. »
Ils ont des points communs avec Sacred Stone, mais aucune résistance ne sera identique à une autre. Ici, nous avons créé un espace qui n’a rien à voir avec ceux créés auparavant — particulièrement parce que ce sont les peuples autochtones de ce territoire-ci qui s’expriment et luttent. Nous luttons avec nos propres prières, nos propres chants et nos propres cérémonies. J’aime à penser que les gens se diront que nous formons une entité à part entière, que nous avons notre propre voix, que nous menons notre lutte distincte de celles des autres peuples autochtones. Mais, vu de l’extérieur, c’est simple de tout mettre dans le même sac, de dire « Oh, tiens, encore une tribu qui fait ça, encore un groupe de natifs en lutte » ! Mais ce combat est celui des Sioux (Lakota, Dakota et Nakota) de la réserve de Standing Rock, qui se mobilisent — et c’est aussi le combat de tous leurs alliés. Je ne sais pas s’il existe un autre camp de résistance dans le monde qui bénéficie du soutien permanent de 500 représentants ! Plus de 300 communautés (sur les 566 reconnues au niveau fédéral) ainsi que des représentants d’Amazonie, du Pérou, d’Australie, des Maoris de Nouvelle-Zélande, du Japon, des Samis de Finlande… Tous sont présents tous les jours sur le camp afin de lutter avec les Sioux de Standing Rock.
Votre combat est devenu emblématique pour beaucoup, aux quatre coins du monde. Comment expliquez-vous cette solidarité de l’époque avec Standing Rock ?
Nous sommes à un moment de l’existence — il aura tout de même fallu plus de 500 ans pour y parvenir — où les gens réalisent, lentement mais sûrement, à quel point les gouvernements ont bousillé les « Indiens d’Amérique ». Désormais, grâce à Internet, on ne peut plus ignorer la réalité de ce qu’il s’est passé ici et prétendre que rien n’est arrivé, même avec le silence des médias. Les regards qui se tournent vers Standing Rock réalisent que d’immenses injustices ont été commises. Il ne s’agit pas d’une vérité que nos professeurs d’histoire auraient simplement choisi de taire ! C’est encore présent. Je le vois, je le sens, je vois ces enfants tués et nos anciens se faire tabasser. Dès lors, certains réalisent qu’ils ont un devoir en tant qu’humains — qui n’est ni affaire de croyance ni de race —, celui de faire preuve de solidarité. Il y a de belles choses. Certains se pointent ici parce qu’ils se rendent compte que c’est une chance unique dans leur vie de voir des gens debout pour lutter, réclamer ce qui a été spolié. Beaucoup viennent seulement pour voir. Sincèrement, être ici est incroyable. Plus encore pour des personnes qui n’ont pour culture que Noël ou Thanksgiving. Ceux qui viennent pensent, pour la plupart, rester une semaine… et restent finalement des mois — moi incluse. Il y a quelque chose de sacré, ici. Les gens réalisent ce que signifie le vol de territoires.
Le capitalisme cherche à faire des profits avant toute chose et se confronte à votre expérience d’un monde où le sacré, la communauté et la solidarité sont présents…
C’est exactement ce que je dis : quelle est votre relation spécifique avec la terre sur laquelle vous marchez ? Quand vous buvez de l’eau, interrogez-vous sa provenance ? Pensez-vous aux kilomètres qu’elle a parcourus et du processus qui la fait couler de votre robinet ? Chaque jour qui passe, observez-vous les oiseaux, sentez-vous le sol sous vos pieds ? Le capitalisme et la colonisation ont détruit les gens. Les individus sont tellement centrés sur eux, tellement absorbés par ce qu’ils possèdent, par l’accumulation de biens, qu’ils ne réalisent pas qu’il y a beaucoup de choses gratuites, mille fois plus belles que ce qu’ils pourront jamais s’offrir. Quand on réalisera que la relation à la Terre est beaucoup plus importante que le reste, on prendra des mesures pour trouver d’autres moyens de préserver la planète.
Colonisation, épuration ethnique et génocide : les indigènes ont été décimés. Mais, d’une certaine façon, les oppresseurs eux-mêmes sont construits par cette histoire…
« Si on a pu détruire entièrement un groupe de personnes, je ne peux pas croire qu’on puisse conserver son humanité, sa capacité à trouver de la beauté. »
Absolument. Comment peut-on détruire des communautés indigènes entières, tuer des langues, faire s’éteindre des peuples entiers — c’est ce qui s’est passé —, comment peut-on faire ça et ne pas perdre quelque chose en retour ? Pas seulement son humanité et sa spiritualité, mais aussi sa connexion aux êtres vivants. Si on a pu détruire entièrement un groupe de personnes, je ne peux pas croire qu’on puisse conserver son humanité, sa capacité à trouver de la beauté dans ce qui nous entoure, à l’apprécier, si on a pu être désinvolte au point de n’accorder aucune valeur à la vie humaine. Beaucoup de gens ne réalisent même pas l’ampleur de ces massacres. Certains disent : « Je ne l’ai pas fait. Ce n’étaient pas mes ancêtres. » Okay, peut-être que ce ne sont pas tes ancêtres, ici, aux États-Unis, qui ont commis un génocide, mais ils ont indéniablement su comment liquider d’autres peuplades autour du monde… Nombreux sont ceux qui ne veulent pas se confronter à leur propre histoire. Bien qu’elle nous blesse autant, nous sommes capables de regarder la vérité en face : nous savons ce qu’il nous est arrivé. Nous pouvons prononcer le mot génocide sans sourciller et sommes encore capables de trouver des raisons de vivre, de rire et d’aimer. Et ce malgré l’affirmation de nos oppresseurs — qu’il ne s’est jamais rien passé et qu’ils n’y ont jamais pris part… Qu’ils le reconnaissent ou non, leur histoire est bien celle-là ! Toute personne vivant aux États-Unis qui n’est pas native du continent, ou qui n’a pas été amenée ici de force sur des bateaux d’esclaves, ou qui fuyaient l’oppression en Europe (et même eux), eh bien, leurs ancêtres ont à répondre de quelque chose…
Nous affirmons que les mauvaises actions qu’une personne commet se répercuteront sur sa famille — sinon sur la génération suivante, un jour. Ceux qui ont détruit tant de communautés, violé tant de femmes, tué tant d’enfants, détruit tant de foyers, ceux-là auront à le payer. Les personnes qui vivent ici, aux États-Unis, ne comprennent pas pourquoi elles n’ont pas de culture propre, pourquoi elles n’ont aucune notion de la langue qu’elles parlent ou ne savent rien à propos de leur terre natale : c’est leur malédiction. Ils ont tout volé aux autres ; c’est pourquoi ils sont perdus à jamais. Parce que les gens au pouvoir ont tout volé aux autres peuples, ils ont à subir la malédiction de ne jamais retrouver le chemin de leur foyer. Peut-être que c’est ça, leur culture, désormais. Leur identité. Voler aux autres et s’approprier ce qui n’est pas à eux. Si tel est le cas, peut-être devraient-ils se consacrer à comprendre qui ils sont et à se confronter à leur histoire.
Les combats des activistes du passé, tels que John Trudell ou Russell Means, étaient assez clairs quant au lien théorique et pratique entre capitalisme et oppression des minorités : le mouvement peut-il en appeler seulement à la bonne volonté des gens, sur le long terme ?
S’il y a le moindre espoir pour le futur de l’espèce humaine, pour la planète, c’est justement en appelant à son humanité et en rappelant aux gens qu’elle est là, bien présente. Certains pensent que nous sommes ridicules à nous mettre devant les lances à eau, massues, gaz lacrymogène, fusils et carabines. Certains pensent que nous sommes ridicules de nous tenir là, debout, à prier. Mais il s’agit d’une prière entonnée par des milliers de nos ancêtres, qui dit que, quoiqu’il advienne, nous trouverons la manière de survivre. Cette prière a été reprise dans les temps les plus sombres, lorsque les pires choses arrivaient. Les Blancs ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour nous détruire, tout ce qu’ils ont pu imaginer. Et nous sommes toujours là. Je crois vraiment au pouvoir de nos prières, qui en appellent à l’humanité. Maintenant, est-ce que je veux riposter, leur rendre la pareille ? Oui. Vous savez, ils ont brisé le poignet de ma sœur deux fois en moins d’une semaine. Je veux les détruire. Mais ce n’est pas comme ça qu’on peut gagner un combat. On ne peut pas continuer à les combattre de la manière dont ils nous combattent. Parce que ça ne marche pas, parce que nous n’en avons pas la force, parce que nous n’avons pas les moyens de les battre avec leurs propres armes. Mais nous avons des prières plus fortes, et un pouvoir plus grand dans nos prières.
« Certains pensent que nous sommes ridicules de nous tenir là, debout, à prier. Mais il s’agit d’une prière entonnée par des milliers de nos ancêtres. »
Si nous n’étions pas si forts, alors comment aurions-nous pu survivre à tout ce qu’ils nous ont fait subir ? Aux États-Unis, on pense que la seule réponse à tout, c’est la guerre, la violence, les armes. C’est une pandémie. Il y a tellement de gens sur cette planète qui pensent que la seule façon d’être entendu est de répandre la peur, de brandir des armes de destruction massive… C’est une réaction tellement « égotique ». Vous savez, nous sommes des gens humbles. Nous ne sommes pas là pour autre chose que la terre. Nous ne sommes pas là pour virer quiconque de nos terres — et pourtant, on le devrait. Nous ne sommes pas là pour dire aux gens qu’ils sont moins que la somme de leur totalité, nous ne sommes pas là pour blesser les gens. Nous sommes là pour protéger l’eau, même au bénéfice des gens qui nous ont blessés par le passé.
De l’extérieur, on voit beaucoup de jeunes activistes, et beaucoup sont des femmes. Historiquement, le AIM (American Indian Movement) était un mouvement patriarcal — les anciens devaient être consultés sur tout. Est-ce une transformation, ou peut-être l’expression contemporaine du mouvement, qui est en train de naître à Standing Rock ?
Nous demandons toujours la permission aux anciens pour tout ce que nous faisons, ça ne change pas : c’est ainsi que fonctionne notre culture. On ne montre jamais les femmes aux avant-postes des plus grandes batailles — et pourtant, il s’agit bien toujours de femmes. Nous sommes une société matriarcale. Même si les guerriers sont là, les progrès du féminisme et la mise en avant publique des femmes — surtout de notre génération — expliquent qu’on en voie davantage. Mais nous avons toujours été là, et on va nous voir encore plus. Nous avons toujours dirigé ces mouvements : la tête pensante derrière nombre d’actions. Mais aujourd’hui, nous revendiquons des droits, avec notre intelligence et notre force, parce que ça exaspère la société patriarcale de nous voir à la tête de mouvements. Ça les fait vraiment flipper de voir que les femmes n’ont aucune peur et sont aussi puissantes que les hommes. Quand j’étais à Washington avec Ladonna, personne ne croyait que deux femmes pouvaient être à la tête d’une manifestation de 5 000 personnes dans le parc national. Et pourtant ! Nous devons protéger notre Mère, parce qu’elle a donné vie à la Terre. C’est notre devoir.
Revenons à la campagne, au terrain : de Wounded Knee à Standing Rock, la réponse de l’État est toujours la même : la force brute, avec usage de canons à eau et de grenades de dispersion. Quelle sera votre réponse si l’escalade continue ?
Nous continuerons à prier. Nous ne serons jamais en mesure de les vaincre si nous combattons avec les tactiques qu’ils emploient. La loi n’est pas de notre côté. Nous ne serons jamais en mesure de dégainer un revolver face à un officier de police qui nous tire dessus, de le tuer et de pouvoir dire : « Oh, c’était de la légitime défense, ils étaient en train de nous tuer. » Ils essaient de nous tuer en direct à la télévision, avec des milliers de gens qui regardent, et personne n’intervient. Aucun d’entre nous n’est prêt à risquer sa vie et sa liberté pour seulement leur ressembler — ce n’est pas ainsi que nous fonctionnons en tant que peuple. Nous n’avons pas besoin de nous trouver derrière une arme pour obtenir un simulacre d’être. Nous pouvons prier pour eux et protéger notre terre et l’eau à notre manière, celle que nous ont enseignée nos ancêtres. Je ne veux pas ressembler à la haine qui est venue se repaître de moi. Ils ont utilisé les canons à eau ; c’est immonde : ils ont utilisé ce que nous révérons, l’eau… Je refuse de laisser cette eau refléter leur vice. Le fait même que nous existions encore est un acte de résistance. Nous pouvons nous battre avec les moyens pacifiques que nous connaissons. Ils viennent avec toutes les armes de leur arsenal et les utilisent contre nous, et nous nous tenons devant eux, les mains levées et priant pour eux. Parfois sur nos genoux, pour eux. Et puis ils rentrent chez eux en pire état que lorsqu’ils sont arrivés le matin : ils doivent répondre en eux-mêmes de ce qu’ils nous font. Peut-être cela aura-t-il un tel impact qu’ils arrêteront ? Peut-être pas.
Que dites-vous des tentatives de délégitimation menées par les actionnaires des entreprises concernées, par l’État et les médias, qui vous décrivent comme « violents », « déraisonnables »… ? Cela a‑t-il affecté la « crédibilité » de votre combat — et quel crédit pensez-vous d’ailleurs avoir auprès de « l’opinion publique » ?
« Nous ne serons jamais en mesure de les vaincre si nous combattons avec les tactiques qu’ils emploient. La loi n’est pas de notre côté. »
Honnêtement, je me moque de l’opinion publique. Nous n’avons jamais été vus historiquement comme des personnes. Nous n’étions même pas autorisés à élever nos propres enfants avant 1990. L’Australie n’a reconnu les Aborigènes comme autre chose que des animaux qu’à la fin des années 1980. L’opinion publique ne me calcule même pas. Ce n’est pas une opinion qui a été créée à la lumière de ce que je suis en tant qu’être humain. L’opinion publique est… Je m’en fous. Beaucoup de gens s’en foutent. Les médias ont été contre nous depuis le départ. Je lis tous les jours ce qu’ils écrivent, comment ils se réjouissent du nombre de blessés… L’opinion publique est le reflet d’une communauté brisée. Si les gens croyaient vraiment tout ce que racontent les médias — les arrestations hyper médiatisées —, ils ne viendraient plus. Et ils n’arrêtent pas de venir ! En foule. Tout le monde sait que les médias sont du baratin, qu’ils ne sont pas du côté du peuple mais des entreprises qui les paient. Ces entreprises sont contre nous, ce pays est contre nous, et je m’inquiète de savoir si nous n’allons pas vers l’échec. Nous devons voir au-delà d’eux et trouver une direction et un sens à ce qui importe vraiment.
Obama a suggéré une déviation de l’oléoduc : seriez-vous satisfaits avec pareille position ?
Nous ne voulons pas d’une déviation : nous voulons la fin de l’oléoduc. S’il n’affecte pas cette communauté-ci, il affectera une autre communauté ailleurs, leur eau, leur sol… Les oléoducs ne sont pas la réponse. Les énergies fossiles ne sont pas la solution à la « crise de l’énergie ». Nous sommes déjà dans une crise de l’eau potable, il ne faut pas détruire plus encore la Terre.
L’élection de Trump a‑t-elle tué tout espoir que vous auriez pu avoir en une aide de la part « des politiques » ?
Il ne sera pas le premier Blanc à nous interdire de faire ce que nous voulons. Il y en a tellement eu d’autres que nous avons affrontés. Le septième président américain Andrew Jackson a écrit l’Indian Removal Act de sa propre main, avec les mots suivants : « Tuez l’Indien, sauvez l’homme. » Que Trump soit une brute ne me fait pas peur. Les brutes sont généralement hyper-susceptibles, enclines à s’emporter contre ceux qui leur répondent. Le pouvoir du peuple est tellement plus grand que celui d’une seule personne. Et le peuple ne soutient pas Donald Trump. Plus nous voyons de néo-nazis blancs aux États-Unis, plus il y en a qui sortent du bois aux cris de « fierté blanche », ou de « Notre heure est venue ! », « Personne ne fait attention à nous ! », « Regardez tout ce que nous avons dû endurer à cause de ceci ou de cela », et plus ils réalisent qu’ils sont une minorité… et plus ils vont devenir agressifs. Cela va aller croissant jusqu’à ce que nous récupérions ce qui nous revient de droit.
Traduit de l’anglais par la rédaction de Ballast.
Photographies de bannière et de vignette : Celine Guiout | www.celineguiout.com
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