Contre les licenciements abusifs ; avec Madame Gueffar !


Appel collectif initié par Fakir

« Le 17 décembre der­nier, Madame Gueffar était licen­ciée, après qua­torze années à net­toyer les trains en gare d’Agen. Les mili­tants locaux d’Attac, de la FSU, de Solidaires ain­si que des citoyens ont mon­té loca­le­ment, à Agen, avec la CGT-che­mi­nots, un comi­té de sou­tien et une caisse de soli­da­ri­té. Les dépu­tés socia­listes du coin ont pro­tes­té auprès d’Onet, tout comme le maire UDI auprès de la SNCF. Simple ques­tion d’humanité — mais sans suc­cès jusqu’ici. Nous croyons que ce cas, par sa bru­ta­li­té, peut et doit dépas­ser le cadre d’Agen : il témoigne, par sa vio­lence, de la néces­si­té d’une loi Travail. Mais d’une loi Travail qui vien­drait ren­for­cer les droits des sala­riés, et non les fra­gi­li­ser. Dans la masse des injus­tices, il faut par­fois s’arrêter sur un visage, écou­ter une voix. C’est pour­quoi nous sommes tous une galaxie de sites, de médias alter­na­tifs et de groupes, mili­tants ou non, à publier cet article simul­ta­né­ment. C’est pour­quoi nous fai­sons appel à tous les gra­phistes, faki­riens ou non, pour nous pondre des pro­po­si­tions d’affiches autour de Madame Gueffar et d’Onet. C’est pour­quoi nous orga­ni­se­rons un trac­tage, le même jour, devant les gares du pays. Vous pou­vez vous ins­crire et signer la péti­tion. Qui aime les Madame Gueffar nous suive ! » Ballast relaie donc cette mobilisation.


gueffarvign« Ça fait plus de qua­torze ans que je tra­vaille à la gare d’Agen, je fais le net­toyage des trains. J’ai tou­jours fait bien mon tra­vail, j’ai tou­jours été pré­sente, je m’ab­sente jamais. J’ai tou­jours fait mon tra­vail comme il faut, même quand le contrôle il passe, ils sont tout le temps contents de mon tra­vail. Et un après-midi, j’ai tra­ver­sé les voies pour gagner du temps, et, après, je me suis ren­due compte que j’ai fait une erreur. Cet après-midi là, il y avait beau­coup de trains à faire et je vou­lais faire tous mes trains. Et c’est après que je me suis ren­due compte que j’a­vais fait une erreur. J’ai tra­ver­sé pour gagner du temps. J’ai reçu une lettre recom­man­dée, c’é­tait le 7 décembre, j’ai fait un entre­tien avec M. Loubet, le patron de l’en­tre­prise, et il m’a dit qu’il va réflé­chir et le 17 décembre j’ai reçu un licen­cie­ment. J’étais cho­quée, j’é­tais pas bien du tout, j’ai rien com­pris, j’é­tais per­due. Alors je suis ren­trée chez moi en pleu­rant. » Depuis 2002, Rajae Gueffar net­toie les trains en gare d’Agen, et depuis 2008 pour Onet, numé­ro 1 du net­toyage en France, qui a repris le mar­ché. « Quand elle a com­men­cé, se sou­vient un ancien chef de gare, il y avait quelques ano­ma­lies au niveau de son tra­vail, mais qui ne por­taient pas sur la sécu­ri­té. Et puis c’est deve­nu une de celles qui tra­vaillent le mieux, un être humain, avec des hauts et des bas, mais fiable. » Le 9 novembre 2015, Madame Gueffar tra­verse les voies par le par­quet plan­cher, et non par le sou­ter­rain. La sanc­tion tombe : non pas un aver­tis­se­ment ni une mise à pied, mais direc­te­ment le licen­cie­ment. C’est un choc pour Madame Gueffar, qui tremble, qui ne dort plus, ne mange plus, a ven­du sa voi­ture, doit démé­na­ger, a per­du dix kilos, tourne aux anxio­ly­tiques. Mais c’est un choc éga­le­ment pour les che­mi­nots du coin : « On a enva­hi notre CE régio­nal, à Bordeaux, pour por­ter son cas, raconte Francis Portes, retrai­té che­mi­nots et CGT. Je leur ai dit, aux gars : « Que tous ceux qui ont déjà tra­ver­sé les voies au moins une fois lèvent la main ». Ils l’ont tous levée ! Même les cadres diri­geants ! » Contactée, la SNCF botte en touche : « Nous n’avons pas d’expression sur ce sujet-là. C’est le choix d’une entre­prise qui s’appelle Onet. »

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Chez Onet, Philippe Lhomme – direc­teur délé­gué au réseau France – épluche pour nous le dos­sier de Madame Gueffar. Il passe en revue les cour­riers adres­sés depuis son embauche, il y a quinze ans : « Sacs sur le quai », « prise de poste à 9 heures », « tenue de tra­vail », « port de la tenue », etc. Depuis 2008, depuis qu’Onet est son employeur, une seule lettre de reproche : « Explication sur un train non fait » (18/11/08). Et dans tout ce tas de papiers, le seul man­que­ment à la sécu­ri­té, une « tra­ver­sée de la voie », remonte à plus de dix ans (26/04/04). Bref, guère d’antécédents. Philippe Lhomme, lui, se fait grave : « J’ai eu un acci­dent mor­tel. Un agent, un père de cinq enfants, qui s’est retrou­vé cou­pé en deux. On n’a pas com­pris, il a ripé, il est pas­sé sous le train. Faut le vivre, après, aller l’annoncer à la famille. » D’où son mot d’ordre, qu’il répète à l’envi : « On ne peut pas avoir de demi-mesure en matière de sécu­ri­té. » C’est ce qui nous sur­prend, pré­ci­sé­ment, cette absence de « demi-mesure » : « Imaginez qu’on lui mette une mise à pied, nous répond Philippe Lhomme, et un mois après, elle passe sous un train. Là, quelles accu­sa­tions on subi­rait de sa famille, de ses col­lègues ! » En fait, en la licen­ciant, Onet lui a sau­vé la peau ! « Le pic­to rouge était allu­mé, elle a failli perdre sa vie ! », dra­ma­tise-t-il. Et de pour­suivre : « Comment ima­gi­ner une mise à pied, alors qu’il n’y a rien qui l’arrête ? – Pourquoi dites-vous que « rien ne l’arrête » alors que, jus­te­ment, depuis son embauche, elle n’a reçu aucun aver­tis­se­ment pour la sécu­ri­té, aucune mise à pied ? Humainement, vous ne pour­riez pas la réin­té­grer ?  Mais com­ment réin­té­grer quelqu’un qui met sa vie en jeu ? ». À croire qu’elle a cou­ru devant un TGV ! »

« Dans la masse des injus­tices, il faut par­fois s’arrêter sur un visage, écou­ter une voix. »

Le DRH, lui, Antoine Recher, est moins sen­ti­men­tal : « Madame Gueffar peut faire appel de cette déci­sion, je la com­pren­drai. Remettons-nous en aux juges. » On essaie, encore, de faire vibrer la corde d’humanité : « Pas sur le plan juri­dique, mais si on vous dit que cette femme, qui est votre sala­riée depuis des années, va très très mal, que quand on la voit elle tremble, qu’elle a deux fils au chô­mage, vous ne pou­vez pas envi­sa­ger une solu­tion moins dure, plus indul­gente ? » – Qu’elle se pré­sente aux prud’hommes, et peut-être que ça lui don­ne­ra droit à des indem­ni­tés. » Comme si elle atten­dait seule­ment un chèque : « J’aimais mon tra­vail… Maintenant, l’avenir, je vois pas. » De retour à Agen, on ques­tionne à nou­veau les che­mi­nots. Notamment sur le pic­to au rouge : « Mais il peut res­ter au rouge toute la jour­née ! Il suf­fit que le signal demeure en posi­tion d’ouverture. » Et Samira de pour­suivre : « J’ai bos­sé au poste 4, à l’aiguillage : j’en ai vu, des agents d’Onet, qui traî­naient sur les voies sans avoir deman­dé la pro­tec­tion. Mais pas Madame Gueffar. Et là, d’un coup, on lui tombe des­sus. » Et un train est-il pas­sé juste après ? « Il fau­drait avoir une copie du rap­port d’incident, estime Victor Guerra, pour la CGT, mais ça m’étonnerait, parce que sinon, le méca­no serait inter­ve­nu. Là, y a rien. C’est un licen­cie­ment abu­sif : on aurait com­pris un blâme, ou une mise à pied, pas plus. Surtout pour quelqu’un qui a quinze ans de boîte. Qu’ils fassent ça à un agent de la SNCF, et tout le sec­teur est blo­qué, plus un train ne passe. Mais chez les sous-trai­tants, les sala­riés sont en situa­tion de fra­gi­li­té. » Un cadre de la SNCF confirme : « Ça méri­tait une sanc­tion, une petite mise à pied, d’un jour ou deux, avec rete­nue du salaire, pour mar­quer le coup, et bas­ta. Là, c’est com­plè­te­ment exces­sif, tota­le­ment dis­pro­por­tion­né. »



En sou­tien :

Pétition
Caisse de solidarité

Ballast

« Tenir tête, fédérer, amorcer »

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