269 Libération animale : « Désobéissons massivement à la loi » 2/2


Entretien inédit pour le site de Ballast

Deuxième et der­nier volet de notre entre­tien avec Tiphaine Lagarde, copré­si­dente et porte-parole de l’or­ga­ni­sa­tion. L’Histoire radote : la loi n’est jamais qu’un rap­port de force, sta­tué à un temps T ; c’est uni­que­ment par la déso­béis­sance et le refus d’une mino­ri­té gagnant la majo­ri­té que toutes les luttes pour l’é­man­ci­pa­tion l’ont empor­té, jus­qu’à deve­nir des normes col­lec­ti­ve­ment accep­tées — de l’a­bo­li­tion de l’es­cla­vage au droit de grève des tra­vailleurs, du droit à l’ob­jec­tion de conscience à celui d’a­vor­ter, du vote des femmes à l’é­ga­li­té des mino­ri­tés. Mais les ani­maux res­tent les pre­mières vic­times de l’ordre ins­ti­tué (70 mil­liards d’a­ni­maux ter­restres et plus de 1 000 mil­liards de pois­sons sont tués chaque année à des fins com­mer­ciales) : l’or­ga­ni­sa­tion anti­spé­ciste se dresse contre l’État et l’in­dus­trie agro-alimentaire.


Lire la pre­mière partie


Nous avons inter­viewé Martin Page, auteur de l’ouvrage Les Animaux ne sont pas comes­tibles. Il estime qu’il faut par­ler aux « car­nistes » avec « bien­veillance », qu’il faut les « infor­mer » et les « accom­pa­gner » : la péda­go­gie ne semble pas être le che­val de bataille de 269 Libération ani­male, non ?

269 Libération ani­male ne parle plus, du moins direc­te­ment, aux car­nistes depuis long­temps… Si nous avons, à nos débuts, pra­ti­qué un acti­visme de rue ayant pour des­ti­na­taire pre­mier les car­nistes, nous nous en sommes détour­nés assez rapi­de­ment. Comme nous vous l’a­vons dit, les acteurs que nous devons influen­cer ne sont pas seule­ment les citoyens, mais aus­si les États et les grandes socié­tés spé­cistes. L’activisme pra­ti­qué à nos débuts (intru­sions dans les res­tau­rants et super­mar­chés, hap­pe­nings « choc » dans l’espace public…) ne repo­sait pas sur une forme de culpa­bi­li­sa­tion, mais plu­tôt de res­pon­sa­bi­li­sa­tion des citoyens. Comment peut-on chan­ger une socié­té si on ne par­vient pas à faire com­prendre que les pro­blèmes d’inégalité sont de la res­pon­sa­bi­li­té de cha­cun ? Déresponsabiliser, c’est encou­ra­ger le pas­si­visme, s’en remettre à d’autres que soi et entra­ver toute pos­si­bi­li­té pour les citoyens de deve­nir des sujets « poli­tiques ». Lorsque des mili­tants déversent du faux sang devant le rayon bou­che­rie d’un super­mar­ché, j’estime que le geste est d’une redou­table effi­ca­ci­té — il n’est pas culpa­bi­li­sant mais réins­taure la véri­té habi­le­ment cachée par les indus­triels. Nous nous sen­tons injus­te­ment cou­pables lorsque nous pre­nons des res­pon­sa­bi­li­tés qui ne nous appar­tiennent pas. Affirmer que le consom­ma­teur est exempt de toute res­pon­sa­bi­li­té, c’est avoir une vision très faus­sée du sys­tème spé­ciste… Ce qui est vrai, c’est que le consom­ma­teur n’est pas l’unique res­pon­sable d’une consom­ma­tion car­née à grande échelle. Le pro­blème de ces actions est qu’elles ont ten­dance à pré­sen­ter les non-véganes comme les uniques res­pon­sables d’un héri­tage cultu­rel spé­ciste, qui leur a été pour­tant trans­mis. Le sys­tème spé­ciste est avant tout « ins­ti­tué ». Nous avons été condi­tion­nés par lui.

« Si l’ANC avait écou­té les bons conseils des modé­rés, Nelson Mandela serait mort en pri­son et le pays aurait som­bré dans le chaos. »

Notre approche des car­nistes est aujourd’hui indi­recte. La conscien­ti­sa­tion, qu’elle soit soft ou culpa­bi­li­sante, reste un pro­ces­sus limi­té. L’action directe atteint les car­nistes, mais par un autre biais. On accuse les gens de faire de la « dis­so­nance cog­ni­tive » et d’être inco­hé­rents lorsqu’ils/elles disent aimer cer­tains ani­maux mais en man­ger d’autres, et d’en­cou­ra­ger l’exploitation ani­male en géné­ral. On oublie de rap­pe­ler que les ins­ti­tu­tions et la socié­té en géné­ral repro­duisent la nor­ma­li­sa­tion du spé­cisme — dépla­çons donc notre cri­tique vers les ins­ti­tu­tions qui nor­ma­lisent le spé­cisme. En visi­bi­li­sant les indus­tries comme des acteurs oppres­sifs, on peut tou­cher nos conci­toyens d’une autre manière, plus effi­cace. La stra­té­gie d’appel à la ver­tu (ou à la sen­si­bi­li­sa­tion) des car­nistes est intrin­sè­que­ment culpa­bi­li­sante : cette posi­tion libé­rale et indi­vi­dua­liste fait por­ter tout le poids de la res­pon­sa­bi­li­té sur la demande des consom­ma­teurs de viande, de pro­duits lai­tiers et d’œufs, plu­tôt que sur l’offre des entre­prises sub­ven­tion­nées par l’État. L’action directe agres­se­rait le public et rebu­te­rait les mili­tants eux-mêmes par sa radi­ca­li­té et son carac­tère éli­tiste. Dans cette socié­té du spec­tacle où faire image a pris le pas sur faire sens, l’étiquette d’antispéciste radi­cal vous dis­qua­li­fie d’emblée en effroyable égor­geur de car­nistes. Si avoir un com­por­te­ment trop « radi­cal » signi­fie s’indigner visi­ble­ment, alors oui, je le suis ! Brandir ce mot comme un épou­van­tail, c’est en outre oublier les leçons de l’Histoire : les démo­cra­ties doivent le jour à la radi­ca­li­té des idées et des peuples qui les ont défendues.

Vous sem­blez repro­duire la vieille oppo­si­tion socia­liste entre réforme et révo­lu­tion. 269 Libération ani­male a par­fois des mots durs à l’encontre des mili­tants « modé­rés », des par­ti­sans léga­listes de la cause. Ne vau­drait-il pas mieux faire publi­que­ment silence sur les diver­gences internes au mou­ve­ment ani­ma­liste afin de se concen­trer sur l’ennemi com­mun ?

Mais avons-nous réel­le­ment le même enne­mi ? Combien de mili­tants ani­ma­listes rai­sonnent en terme de « sys­tème » ? très peu… Les par­ti­sans léga­listes ne visent par leurs actions que les consom­ma­teurs, les non-véganes. Est-ce ain­si que l’on peut espé­rer faire tom­ber un sys­tème oppres­sif ? Les mili­tants puisent des sources de réjouis­sance dans les ouver­tures de res­tau­rants véganes et l’aug­men­ta­tion du nombre de mètres car­rés dédiés aux pro­duits véganes dans les super­mar­chés. Certains mili­tants désap­prouvent ces orien­ta­tions stra­té­giques inof­fen­sives et veulent faire, je l’ai dit, de l’antispécisme une lutte de jus­tice sociale. Ces conflits internes témoignent de diver­gences de fond qui nous isolent, de fait, au sein de la grande famille de la « pro­tec­tion ani­male » — dans laquelle nous nous recon­nais­sons de moins en moins. Nous ne sommes pas là pour récol­ter des dons ou nous faire des amis mais pour gagner en effi­ca­ci­té : il y a urgence. Pire que les car­nistes, il y a les modé­rés, qui nous exhortent à l’im­mo­bi­lisme, à res­pec­ter le carac­tère sacré de la loi, à agir par les voies « accep­tables » de la poli­tique et à nous mon­trer « aimables et dociles ». Que ces nom­breux adeptes de la modé­ra­tion et du com­pro­mis viennent nous four­nir les preuves que cette stra­té­gie a, un jour, por­té ses fruits… Nous leur recom­man­dons vive­ment la lec­ture de l’ex­cellent ouvrage de Barrington Moore, Les Origines sociales de la dic­ta­ture et de la démo­cra­tie, qui pointe du doigt les atro­ci­tés engen­drées par l’ex­cès de modé­ra­tion. Facile d’ap­pe­ler au chan­ge­ment en dou­ceur lors­qu’on n’est pas soi-même du côté des oppri­més, lors­qu’on ne porte pas le numé­ro 4234 et qu’on vit ses der­nières heures dans la bou­ve­rie cras­seuse d’un abat­toir ! Pour ne citer qu’un exemple, il suf­fit de se sou­ve­nir com­ment les défen­seurs de l’a­par­theid en Afrique du Sud recom­man­daient une « évo­lu­tion gra­duelle » de la situa­tion et appe­laient la popu­la­tion noire à la modé­ra­tion. Si l’ANC avait écou­té les bons conseils des modé­rés, Nelson Mandela serait mort en pri­son et le pays aurait som­bré dans le chaos. N’en déplaise à cer­tains esprits fri­leux, on peut être prag­ma­tique et abso­lu­tiste ! Opposer les deux est un non-sens total et reflète le manque d’ex­pé­rience de ceux qui tiennent ces pro­pos réducteurs.

Tiphaine Lagarde et Ceylan Cirik, par Maxence Emery, pour Ballast

D’aucuns opposent 269 et L214. Le tra­vail « grand public » des seconds a tout de même per­mis de tou­cher des mil­liers de citoyens : on ne compte plus le nombre de nou­veaux végétariens/véganes depuis la dif­fu­sion de leurs vidéos clan­des­tines… N’êtes-vous, tout de même, pas complémentaires ?

Si, bien évi­dem­ment. Nous n’avons jamais dit le contraire — même si nos pro­pos sont très sou­vent mal inter­pré­tés. La for­mi­dable per­cée de la ques­tion ani­male dans le débat public, grâce aux vidéos de L214, a eu l’immense mérite de créer un ter­reau favo­rable pour l’avènement d’un véri­table sou­lè­ve­ment et mou­ve­ment de décons­truc­tion du spé­cisme. Malheureusement, il n’y a pas eu de sur­saut mili­tant. Comme l’a écrit le prix Nobel de lit­té­ra­ture Isaac Bashevis Singer, l’exploitation des ani­maux a quelque chose de com­pa­rable à une domi­na­tion tota­li­taire. Pourquoi les mots « oppo­si­tion », « enne­mi », « pou­voir » sont-ils ban­nis ? Quant aux cam­pagnes condui­sant à sup­plier les indus­triels spé­cistes afin d’obtenir des amé­lio­ra­tions sur les condi­tions d’exploitation ani­male, je les pense contre-pro­duc­tives. L’exemple des éle­vages de poules en cages est par­ti­cu­liè­re­ment signi­fi­ca­tif : c’est en France l’une des stra­té­gies exploi­tées par l’association L214, concer­nant les œufs, alors qu’il est démon­tré par diverses études que les éle­vages de poules sans cages sont loin d’être une « avan­cée » pour les ani­maux1.

Vous êtes une for­ma­tion d’avant-garde, mino­ri­taire et consciente de cela. Guevara esti­mait que le Parti devait mar­cher devant, tout en res­tant à por­tée de vue afin de ne jamais se cou­per du peuple : êtes-vous des mino­ri­taires par dépit ou des mino­ri­taires fiers de l’être ?

« Le chan­ge­ment est tou­jours venu d’une mino­ri­té qui a pro­vo­qué le débat et for­cé la socié­té à réfléchir. »

Nous ne devons pas attendre d’être 20, 30 ou plus de 50 % de véganes dans la popu­la­tion pour exi­ger l’a­bo­li­tion. Le chan­ge­ment est tou­jours venu d’une mino­ri­té qui a pro­vo­qué le débat et for­cé la socié­té à réflé­chir. Si nous étions des mil­liers dans les rues, devant les abat­toirs et les indus­tries qui exploitent les ani­maux, il nous fau­drait peu de temps pour avoir un réel impact. Si nous déso­béis­sions mas­si­ve­ment à la loi — ce qui a été le cas pour les suf­fra­gettes pour le droit de vote, les droits civiques pour les per­sonnes noires, l’a­bo­li­tion de l’es­cla­vage aux États-Unis et de nom­breux autres mou­ve­ments sociaux —, nous serions un véri­table mou­ve­ment poli­tique. Nous pour­rions alors faire sur­gir un débat public sur l’i­dée d’a­bo­lir toute vio­lence envers les animaux.

Le Monde liber­taire a publié deux volumes sur l’anarchisme et les ani­maux. Dans le second, on peut lire que « Le mode de vie végé­ta­lien n’est cer­tai­ne­ment pas une alter­na­tive viable dans nos socié­tés », et que la « frange la plus auto­ri­taire du mou­ve­ment végane » pose problème… 

Ces pro­pos sont révé­la­teurs des rela­tions com­pli­quées qui existent entre anar­chisme et anti­spé­cisme. Cela peut sem­bler éton­nant quand on sait que ce sont des per­sonnes issues des mou­vances anar­chistes qui ont, les pre­mières, com­men­cé en France à théo­ri­ser l’é­ga­li­té ani­male. Même si de nom­breux pen­seurs anar­chistes ont témoi­gné d’un inté­rêt cer­tain pour la ques­tion ani­male, il y a chez eux un refus de pen­ser la souf­france ani­male en termes de rap­ports sociaux et poli­tiques de domi­na­tion, d’ex­ploi­ta­tion et d’op­pres­sion — et une inca­pa­ci­té plus géné­rale à remettre en cause l’i­déo­lo­gie régnante : l’hu­ma­nisme. Les anar­chistes res­tent très atta­chés à un cer­tain natu­ra­lisme et incluent la condi­tion ani­male dans une pro­blé­ma­tique éco­lo­giste insus­cep­tible de pen­ser les ani­maux comme des indi­vi­dus. Élisée Reclus en est l’exemple par­fait. Saluant l’œuvre de pro­tec­tion accom­plie en plu­sieurs cas par l’homme, il ne s’oppose tou­te­fois pas à la domes­ti­ca­tion de l’animal. Les pen­seurs anar­chistes n’érigent pas l’animal en sujet de droit car c’est bien l’homme qui est res­pon­sable, et qui a non pas le pou­voir (que com­bat l’anarchisme), mais la « capa­ci­té ». Reclus sou­ligne ain­si que « Parmi les humains, les oppres­sés peuvent résis­ter à la ligue des oppres­seurs. […]. Mais que peuvent les ani­maux ? Ils ne se mettent point en grève et on ne sau­rait attendre l’amélioration de leur sort que de l’accroissement gra­duel de l’intelligence et de la bon­té chez leurs éle­veurs et maîtres. » Il n’envisage pas la lutte contre l’exploitation ani­male comme un pro­jet d’émancipation des indi­vi­dus non-humains. Et Reclus, qui était végé­ta­rien, refu­sait d’imposer cette pra­tique à tous : « Il ne s’agit nul­le­ment pour nous de fon­der une nou­velle reli­gion et de nous y astreindre avec un dog­ma­tisme de sec­taires. »

Crédits : 269 Libération animale

Je ne com­prends pas ce rejet de l’antispécisme par les milieux anar­chistes. L’antispécisme n’est pas une démarche tom­bée du ciel afin d’im­po­ser une norme ali­men­taire : il est le reflet d’une pra­tique sociale. On trouve les pré­mices d’une vraie réflexion anti­spé­ciste dans la pen­sée de Louis Rimbault : « Les végé­ta­liens sont des anar­chistes en actions, qui ne coopèrent en rien que ce soit, par notre méthode de vie, aux forces sur les­quelles reposent le prin­cipe d’État ou de simple auto­ri­té. » L’accent mis sur les indi­vi­dus devrait d’ailleurs rap­pro­cher anar­chisme et anti­spé­cisme. Pour l’hu­ma­nisme, les indi­vi­dus humains doivent être consi­dé­rées en tant qu’­hu­mains, alors que l’an­tis­pé­cisme met l’ac­cent non pas sur les sta­tuts socia­le­ment octroyés à cha­cun d’entre nous, mais sur la réa­li­té de cha­cun de nous, sur ses inté­rêts réels et concrets. L’objectif de l’anarchisme n’est pas seule­ment de socia­li­ser les pro­duc­tions capi­ta­listes pour les conti­nuer, ce n’est pas qu’un com­bat quan­ti­ta­tif : c’est une lutte qua­li­ta­tive éga­le­ment, pour une socié­té aux valeurs dif­fé­rentes. Pourquoi ce rejet, ou ce manque d’intérêt ? Il y a une grande hypo­cri­sie de toute une par­tie du mou­ve­ment anar­chiste qui pré­sente l’antispécisme comme un pro­duit de la déca­dence du capi­ta­lisme. C’est de la mau­vaise foi intel­lec­tuelle2. En réa­li­té, on n’a pas cher­ché à recon­naître la pos­si­bi­li­té d’un anti­spé­cisme anar­chiste (donc anti­ca­pi­ta­liste et illé­ga­liste) et amo­ral ; on pré­tend démon­ter tout anti­spé­cisme en le rédui­sant à un anti­spé­cisme capi­ta­liste, léga­liste et mora­liste3.

« L’élevage repose sur le fait de vio­ler l’intégrité phy­sique d’un indi­vi­du (muti­la­tion, cas­tra­tion, vio­lences sexuelles, repro­duc­tion for­cée, insé­mi­na­tion arti­fi­cielle, etc.) ; de le pri­ver de sa liber­té (l’enfermer, l’attacher, etc.) et de le tuer dès qu’il est suf­fi­sam­ment engrais­sé ou moins productif. »

Un dis­cours bien réduc­teur fait croire que tous les anti­spé­cistes veulent que les éle­veurs tra­di­tion­nels passent à l’in­dus­trie mon­dia­li­sée. Tout anti­spé­ciste ne réduit pas le pro­blème de la pro­duc­tion indus­trielle au spé­cisme, c’est-à-dire oublie le pro­blème spé­ci­fique du capi­ta­lisme ! Le pro­cé­dé qui vise à cri­ti­quer la pro­duc­tion indus­trielle pour mieux sau­ver l’é­le­vage est un pro­cé­dé mal­hon­nête. Ce n’est pas parce que la pro­duc­tion indus­trielle de viande est pire que l’é­le­vage tra­di­tion­nel que la pra­tique de l’é­le­vage tra­di­tion­nel est jus­ti­fiée ! L’élevage repose sur le fait de vio­ler l’intégrité phy­sique d’un indi­vi­du (muti­la­tion, cas­tra­tion, vio­lences sexuelles, repro­duc­tion for­cée, insé­mi­na­tion arti­fi­cielle, etc.) ; de le pri­ver de sa liber­té (l’enfermer, l’attacher, etc.) et de le tuer dès qu’il est suf­fi­sam­ment engrais­sé ou moins pro­duc­tif. L’animal-mar­chan­dise est cen­tral dans tout un pan du capi­ta­lisme. L’importance éco­no­mique de l’ex­ploi­ta­tion des ani­maux implique que nombre de capi­ta­listes ont inté­rêt à exa­cer­ber le mépris que notre monde déve­loppe pour les non-humains — les sys­tèmes actuels d’ex­ploi­ta­tion tirent, de fait, des pro­fits (maté­riels, mais aus­si idéo­lo­giques) du spécisme.

Parlons fran­che­ment de vio­lence. Une notion assez com­plexe à défi­nir, selon l’endroit d’où l’on parle : vous êtes juriste, donc au fait des atten­dus de l’État, mais éga­le­ment acti­viste, et hos­tile à ce der­nier… Qu’est-ce donc, être violent ?

Au-delà de la défi­ni­tion com­mune que l’on donne au terme « vio­lence », il s’agit de savoir qui, dans notre socié­té, pos­sède le pou­voir de défi­nir ce qui est violent et ce qui ne l’est pas, qui maî­trise cette facul­té de répar­ti­tion de nos actes en deux caté­go­ries. Bien sûr, la vio­lence, défi­nie de façon adé­quate, est un mal. Dans l’idéal, elle devrait n’avoir aucune part dans la façon dont les indi­vi­dus inter­agissent. Notre pro­pos n’est pas de faire l’apologie de la vio­lence mais de savoir si, de manière prag­ma­tique, des stra­té­gies pré­sen­tées comme « vio­lentes » peuvent conduire à davan­tage d’efficacité. Un pre­mier constat s’impose : si nous légi­ti­mons majo­ri­tai­re­ment son usage au sein de luttes humaines (de pré­fé­rence « loin­taines », géo­gra­phi­que­ment par­lant, exo­ti­sa­tion de la vio­lence oblige4), nous la condam­nons sys­té­ma­ti­que­ment lorsqu’elle s’exerce au pro­fit des indi­vi­dus non-humains. Il suf­fit de voir com­ment sont décriés (et au sein même du milieu ani­ma­liste) les modes d’action du mou­ve­ment ALF... Dès lors : la non-vio­lence est-elle en soi une pos­ture de pri­vi­lé­giés humains (ne subis­sant pas l’op­pres­sion spé­ciste) ? la non-vio­lence est-elle spé­ciste ? Il y aurait beau­coup à dire sur ce culte du paci­fisme que l’intégralité du mou­ve­ment anti­spé­ciste prône comme un dogme stra­té­gique et moral. Cette ana­lyse de la non-vio­lence comme une pra­tique de « pri­vi­lé­giés » a été menée par le phi­lo­sophe Peter Gelderloos dans deux ouvrages impor­tants : Comment la non-vio­lence pro­tège l’État et L’Échec de la non-vio­lence, paru en 2013. En pre­nant l’exemple du mou­ve­ment pour les droits civiques aux États-Unis, il démontre com­ment la non-vio­lence peut être ana­ly­sée comme un mode d’action raciste prô­né par la « race » blanche privilégiée.

Tiphaine Lagarde et Ceylan Cirik, par Maxence Emery, pour Ballast

La plus grande dif­fi­cul­té qui s’impose à nous est d’abord de des­si­ner les contours du terme de « vio­lence » : s’applique-t-il seule­ment dans le cas d’une vio­la­tion signi­fi­ca­tive de l’intégrité phy­sique d’autrui, ou bien aus­si à des actes de vio­lence diri­gés contre des biens maté­riels ? Qu’en est-il des cas où est exer­cée une vio­lence phy­sique mini­male sur autrui, à l’instar de l’autodéfense contre la bru­ta­li­té poli­cière, ou de la légi­time défense ? Il existe en réa­li­té une mul­ti­tude de formes de vio­lence, dont cer­taines ne méritent peut-être pas ce qua­li­fi­ca­tif. La vio­lence struc­tu­relle est la vio­lence pro­vo­quée par les sys­tèmes et les idéo­lo­gies de domi­na­tion, de dis­cri­mi­na­tion et d’injustice. C’est la vio­lence-mère de toutes les autres, car elle sus­cite de la part des oppri­més (et de ceux qui les défendent) la vio­lence de pro­tes­ta­tion. C’est pour­tant la vio­lence la moins visible (et visi­bi­li­sée comme telle) dans notre socié­té. À ce sujet, la sor­tie récente du der­nier ouvrage d’Elsa Dorlin, Se défendre — Une phi­lo­so­phie de la vio­lence, m’a inter­pel­lée5. C’est une sémio­lo­gie du corps mili­tant, en quelque sorte, qui fait écho à la stra­té­gie judi­ciaire de 269 Libération ani­male et qui invoque l’existence d’une « légi­time défense pour autrui », par le biais des corps poli­ti­sés des mili­tants, mis en avant dans les actions directes d’interposition et de blo­cage menées dans les abattoirs.

La non-vio­lence, dites-vous, pos­tule que la vio­lence exis­te­rait dans l’absolu et qu’il serait pos­sible à cha­cun de l’appréhender objec­ti­ve­ment. C’est-à-dire ?

« C’est la vio­lence mani­fes­tée par l’État qui maî­trise la par­ti­tion, répar­tit les rôles et fina­le­ment décide de la vio­lence ou de la non-vio­lence du désobéissant. »

Cette approche pose plu­sieurs pro­blèmes majeurs. Avant tout, elle place sur le même plan des formes de vio­lence que toute cri­tique sys­té­mique devrait pour­tant dis­tin­guer : la vio­lence déployée par le sys­tème pour se main­te­nir et celle, sup­po­sée, d’actes col­lec­tifs visant à lui résis­ter. Parler éga­le­ment de vio­lence pour l’un comme pour l’autre revient à igno­rer le mono­pole de la vio­lence légi­time dont béné­fi­cie l’État et la dis­pro­por­tion des moyens à l’œuvre. La non-vio­lence oublie une dimen­sion fon­da­men­tale des rap­ports d’oppression : ceux-ci sont indo­lores pour les domi­nants et donc le plus sou­vent invi­sibles pour elles et eux. On n’expérimente le monde que depuis une posi­tion située. Quand nous pré­ten­dons déli­mi­ter les contours de la vio­lence, nous le fai­sons dans la néga­tion de ce que notre rap­port au monde implique de violent pour d’autres. C’est l’intensité et la nature de la réac­tion de celui auquel on déso­béit qui des­sine la non-vio­lence ou la vio­lence du déso­béis­sant ! C’est la vio­lence mani­fes­tée par l’État qui maî­trise la par­ti­tion, répar­tit les rôles et fina­le­ment décide de la vio­lence ou de la non-vio­lence du désobéissant.

Les défi­ni­tions larges (incluant notam­ment les atteintes à la pro­prié­té) qui se concentrent sur la pro­prié­té, et non sur les ani­maux, occultent les vio­lences mas­sives infli­gées aux êtres sen­tients par les socié­tés spé­cistes et les gou­ver­ne­ments, tout en qua­li­fiant d’« extré­mistes vio­lents » les mili­tants qui portent secours à des ani­maux subis­sant un sys­tème meur­trier. Je défends une défi­ni­tion étroite de la vio­lence, selon laquelle un acte est « violent » quand un indi­vi­du ou un groupe d’individus causent inten­tion­nel­le­ment un dom­mage phy­sique, des bles­sures ou la mort d’un autre indi­vi­du ou d’un autre groupe sans jus­ti­fi­ca­tion ni cause adé­quates. La défi­ni­tion de la vio­lence devrait inclure les agres­sions faites aux ani­maux plu­tôt que les dom­mages cau­sés à la pro­prié­té. Inclure les atteintes aux biens dans la défi­ni­tion de la vio­lence bana­lise la vio­lence faite aux indi­vi­dus humains et non-humains, et brouille la dis­tinc­tion cru­ciale entre les êtres vivants et les choses non vivantes. Ceux qui acceptent cette défi­ni­tion large contri­buent sans le vou­loir à la dia­bo­li­sa­tion des acti­vistes (accu­sés de « ter­ro­risme ») et légi­ti­ment la répres­sion qui sévit à l’encontre du mou­ve­ment de libé­ra­tion ani­male et de ses par­ti­sans. Un exemple. Lors des émeutes qui ont écla­té à Londres au mois d’août 2011, les actes de des­truc­tion de biens rele­vant de la pro­prié­té pri­vée et publique ont sou­vent été inter­pré­tés par les tri­bu­naux comme des atteintes à la vie humaine, ce qui a per­mis de carac­té­ri­ser le désordre engen­dré comme rele­vant d’un pur acte de cri­mi­na­li­té apo­li­tique, dont la réponse serait mili­taire ou poli­cière — et non politique.

Crédits : 269 Libération animale

Sans pour autant som­brer dans une pâle copie en néga­tif — une simple apo­lo­gie de l’action vio­lente —, nous aurions tout à gagner à pro­mou­voir la diver­si­té des tac­tiques : assu­mer le fait que plu­sieurs niveaux d’action (vio­lentes ou non) peuvent coha­bi­ter et se ren­for­cer mutuel­le­ment, à condi­tion d’a­voir des objec­tifs com­muns. On ne peut nier que le paci­fisme comme idéo­lo­gie domi­nante émane d’un contexte pri­vi­lé­gié. Si l’on se place du point de vue des ani­maux non-humains, on ne peut igno­rer que la vio­lence est déjà là. Au pre­mier abord, la « non-vio­lence » semble une simple posi­tion morale, fon­dée sur le pré­sup­po­sé sim­pliste que la vio­lence est avant tout quelque chose que l’on choi­sit. Présupposé erro­né : il y a bien des indi­vi­dus qui ont le pri­vi­lège de choi­sir la vio­lence et d’autres qui vivent dans des condi­tions vio­lentes, qu’ils le veuillent ou non (notam­ment les ani­maux non-humains). Le paci­fisme pré­sup­pose que nous, humains pri­vi­lé­giés, qui sommes libres et satis­fai­sons à tous nos besoins de base, avons le droit de conseiller aux per­sonnes oppri­mées (et à celles qui luttent en leur nom) de subir et lais­ser faire patiem­ment une vio­lence indi­ci­ble­ment plus grande que celle que nous avons connue nous-mêmes. Même Gandhi et Martin Luther King s’accordaient sur la néces­si­té de sou­te­nir les mou­ve­ments de libé­ra­tion armés (en citant res­pec­ti­ve­ment les luttes menées en Palestine et au Vietnam) là où aucune alter­na­tive non-vio­lente n’existait — ce qui reve­nait à faire pri­mer les objec­tifs sur le choix de telle ou telle tac­tique. Mais la plu­part des paci­fistes d’aujourd’hui effacent ce pan de l’Histoire et refa­çonnent une non-vio­lence en accord avec leur niveau de confort, tout en se dra­pant de la légi­ti­mi­té de ces illustres figures.

« Même Gandhi et Martin Luther King s’accordaient à esti­mer néces­saire de sou­te­nir les mou­ve­ments de libé­ra­tion armés (en citant res­pec­ti­ve­ment les luttes menées en Palestine et au Vietnam), là où aucune alter­na­tive non-vio­lente n’existait. »

La cri­tique du racisme éla­bo­rée par Luther King, plus déran­geante, est pas­sée sous silence, tan­dis que ses for­mules télé­pho­nées appe­lant à un acti­visme non-violent et sym­pa­thique sont res­sas­sées jusqu’à la nau­sée — ce qui per­met aux paci­fistes de raf­fer­mir leur acti­visme non-violent et de s’associer à une grande figure noire consen­suelle pour empê­cher qu’on décèle le racisme inhé­rent à leur posi­tion. Les vic­toires attri­buées aux luttes non-vio­lentes sont décon­tex­tua­li­sées de manière à igno­rer le rôle impor­tant de la résis­tance vio­lente et la diver­si­té des formes qui militent pour le chan­ge­ment. Martin Luther King n’a pas assu­ré à lui seul la conquête des droits civiques : Malcolm X, les Black Panthers et les émeu­tiers qui embra­saient les villes exer­çaient une forte pres­sion et per­met­taient à Luther King de se posi­tion­ner comme un mal modé­ré. L’idéologie non-vio­lente s’appuie en pre­mier lieu sur le désa­veu des actions « vio­lentes » et même sur la cri­tique de celles et ceux qui ne les condamnent pas assez fer­me­ment. Ce qui est « violent » serait à ban­nir de toute lutte. Et, sur­tout, l’usage de « la vio­lence » engen­dre­rait plus de répres­sion : on élude le pro­blème qui réside dans le fait qu’elles soient répri­mées… C’est bien contre cela qu’il faut lutter. 

Vous faites cepen­dant savoir que votre ligne rouge est l’intégrité phy­sique de la per­sonne, fût-elle cou­pable de crimes sur les ani­maux. Vous vous reven­di­quez par­fois de Thoreau, qui a pour­tant expli­ci­te­ment sou­te­nu, au nom de la jus­tice, que l’on tire sur les pro­prié­taires d’esclaves… Votre refus de cette vio­lence « ultime » est-il un choix moral ou stratégique ?

Peter Singer affirme que la pro­tec­tion des ani­maux est bonne et juste tant qu’elle reste « non-vio­lente ». Ce phi­lo­sophe sou­tient que, pour obte­nir un réel suc­cès, « il nous faut chan­ger les esprits des gens rai­son­nables au sein de notre socié­té […]. La force du plai­doyer pour la Libération ani­male est son enga­ge­ment éthique ; nous tenons le haut du pavé mora­le­ment, et l’abandonner c’est faire le jeu de ceux qui s’opposent à nous […]. Les maux que nous infli­geons aux autres espèces sont […] indé­niables une fois qu’ils sont vus clai­re­ment ; c’est dans le bien-fon­dé de notre cause, et non dans la crainte que sus­citent nos bombes, que se trouvent nos pers­pec­tives de vic­toire ». Singer base son argu­men­ta­tion sur une foi assez naïve dans l’État et dans son « pro­ces­sus démo­cra­tique » mythique. La majo­ri­té des défen­seurs des ani­maux croient que la stra­té­gie en deux volets, qui allie édu­ca­tion et légis­la­tion, est le plus sûr moyen de triom­pher des men­ta­li­tés et des lois spé­cistes. Mais l’État n’est pas un arbitre neutre des inté­rêts rivaux ! Il est plu­tôt l’ou­til des inté­rêts capi­ta­listes. Si un mou­ve­ment ne consti­tue pas une menace, il ne peut pas chan­ger un sys­tème fon­dé sur la coer­ci­tion et la vio­lence cen­tra­li­sées — et si ce mou­ve­ment ne dis­tingue pas et n’exerce pas le pou­voir qui lui per­met de deve­nir une menace, il ne peut pas détruire un tel sys­tème. Mais, pour répondre fran­che­ment à votre ques­tion : si un mili­tant anti­spé­ciste tue un « exploi­teur » d’animaux ou fait explo­ser un abat­toir, quel sera l’impact de ces gestes ? Sur le court terme, on ne peut nier un résul­tat cer­tain et immé­diat puisque se trouve sup­pri­mé un agent actif de vio­lence spé­ciste — mais il va de soi que, sur le long terme, cette stra­té­gie n’est pas viable, ni même effi­cace… Au risque de cho­quer, cette vio­lence-là pour­rait se jus­ti­fier mora­le­ment. Je m’explique : cette situa­tion pour­rait rele­ver de la légi­time défense, soit le contre-exemple le plus évident et le plus contrai­gnant à leur règle rigide d’opposition à « la vio­lence ». On peut légi­ti­mer faci­le­ment la vio­lence contre les exploi­teurs lorsque cela est néces­saire pour pro­té­ger les ani­maux inno­cents qui, dans la plu­part des cas, ne peuvent se défendre et sont pris pour cible. Les paci­fistes les plus extrêmes ne résis­te­raient peut-être pas phy­si­que­ment à de vio­lents coups de matraque…

Par Maxence Emery, pour Ballast

Quand Malcolm X disait des Afro-Américains qu’ils devaient se battre pour la liber­té « par tous les moyens néces­saires », il ne défen­dait pas la vio­lence agres­sive ni les attaques offen­sives, mais sou­li­gnait plu­tôt le droit à la légi­time défense dans des condi­tions où la police, le FBI et l’État sont des enne­mis ayant l’intention de tuer. Comme les humains, les ani­maux ont un droit à la légi­time défense, mais ne peuvent, mis à part quelques rares excep­tions, se défendre par eux-mêmes. Les humains qui agissent au nom des ani­maux ont le devoir de les pro­té­ger par tous les moyens néces­saires des bles­sures qui peuvent leur être infli­gées. Comprises dans leur contexte, ces mesures ne sont pas vio­lentes : elles sont une contre-vio­lence et relèvent de ce que Steven Best appelle une « légi­time défense par exten­sion »… C’est donc pro­ba­ble­ment pour des rai­sons prag­ma­tiques, et non morales, qu’aucun acti­viste n’a encore sérieu­se­ment bles­sé ou tué un exploi­teur d’animaux ! Ce type d’action serait cer­tai­ne­ment une catas­trophe au niveau média­tique et entraî­ne­rait une répres­sion telle qu’elle immo­bi­li­se­rait vrai­sem­bla­ble­ment les acti­vistes… Même si le mou­ve­ment ALF a obte­nu des suc­cès qu’on ne peut nier, il a été catas­tro­phique sur un plan poli­tique en ne par­ve­nant pas à impo­ser l’antispécisme comme un débat de jus­tice sociale.

Une polé­mique a écla­té lorsque vous avez annon­cé, en avril der­nier, une action contre « l’esclavage » des ani­maux le jour de la com­mé­mo­ra­tion de l’abolition de l’esclavage des Noirs, arguant qu’il importe d’articuler les oppres­sions et de dénon­cer l’esclavage sous toutes ses formes, celui de la Traite comme celui qui, sous d’autres formes, per­dure. De nom­breuses voix ont pro­tes­té contre ce qu’elles tenaient pour une ins­tru­men­ta­li­sa­tion, voire une injure raciste faite à la mémoire des esclaves afri­cains. Avec le recul, com­ment per­ce­vez-vous cette affaire ?

« Cet acti­visme inquiète beau­coup le pou­voir en place… La sévère répres­sion dont les mili­tants de 269 Libération ani­male font l’objet suf­fit à le démontrer. »

Après une longue dis­cus­sion avec le pré­sident du Conseil repré­sen­ta­tif des asso­cia­tions noires de France et la lec­ture appro­fon­die des témoi­gnages que nous avons reçus, l’association a en effet pris la déci­sion d’annuler l’action du 10 mai 2017, par res­pect pour les per­sonnes qui se sont sen­ties heur­tées et offen­sées par cette démarche. Nous avons com­pris, après ces quelques jours de polé­mique, que la ques­tion de base de l’ac­tion autour du lien entre racisme et spé­cisme était com­plè­te­ment mise de côté, et que cet évè­ne­ment était en réa­li­té vécu et per­çu comme un « groupe blanc » venant s’ap­pro­prier un évè­ne­ment contre-cultu­rel d’un mou­ve­ment d’é­man­ci­pa­tion noir pour le façon­ner à notre conve­nance. Notre inten­tion n’était abso­lu­ment pas celle-ci, bien évi­dem­ment. Nous avons lon­gue­ment expli­qué en quoi il ne s’agissait pour nous ni d’une ins­tru­men­ta­li­sa­tion ni d’une ten­ta­tive de récu­pé­ra­tion. Nous pen­sons que cette action a mis au jour une ques­tion bien plus pro­fonde et pro­blé­ma­tique que « la conver­gence des luttes » : celle d’une cause ani­ma­liste très majo­ri­tai­re­ment fon­dée sur ce qu’on peut appe­ler « le modèle blanc ». Notre démarche était sin­cère et nous l’en­vi­sa­gions — peut-être naï­ve­ment — comme une ten­ta­tive de construc­tion d’une pas­se­relle entre deux mou­ve­ments qui gagne­raient selon nous à se joindre. Mais il est peut-être trop tôt pour ce type d’é­vè­ne­ments. Devant une telle ava­lanche d’op­po­si­tions, il nous a sem­blé pré­fé­rable de ne pas nous obs­ti­ner dans cette voie. Nous avons cher­ché à com­prendre le point de vue des oppo­sants : nous sommes effec­ti­ve­ment en grande majo­ri­té « blancs » et ne vivons pas ce que les raci­sés peuvent vivre au quo­ti­dien, ni l’im­pact que ça a sur leur propre per­cep­tion et rap­port au monde. La jeune asso­cia­tion 269 Libération ani­male a com­mis là une erreur, certes, mais demeure l’une des seules et rares struc­tures ani­ma­listes à faire émer­ger un nou­vel acti­visme de déso­béis­sance civile et à faire décou­vrir des textes, des pen­seurs et des pen­seuses, des mou­ve­ments de l’antiracisme, dont elle s’ins­pire (il nous semble, du reste, qu’on peut prendre exemple sur d’autres mou­ve­ments sans être accu­sé d’ins­tru­men­ta­li­sa­tion pour autant).

Au regard de vos récentes condam­na­tions, il paraît plus que pro­bable que des mili­tants fini­ront incar­cé­rés, en France, dans les pro­chains mois ou les pro­chaines années : que fau­dra-t-il en conclure ?

Cet acti­visme inquiète beau­coup le pou­voir en place… La sévère répres­sion dont les mili­tants de 269 Libération ani­male font l’objet suf­fit à le démon­trer. Le simple fait de vou­loir faire ces­ser un trouble d’ordre éco­no­mique et pri­vé (somme toute mineur, puisqu’il s’agit de dégra­da­tions légères), occa­sion­né par une action mili­tante non-vio­lente, jus­ti­fie-t-il un tel déploie­ment de moyens (per­qui­si­tions, gardes à vue, sai­sies, etc.) ? Ce type d’infraction « mineure » est rare­ment pour­sui­vie par la Justice et témoigne ici d’un usage détour­né de l’appareil répres­sif. Le but n’est en effet pas de punir une infrac­tion mais, par le pro­non­cé de peines sévères, d’empêcher toute réci­dive et, sur­tout, d’intimider les mili­tants afin qu’ils usent d’autres moyens, légaux et conven­tion­nels, pour pro­tes­ter. Si actuel­le­ment, en droit pénal, seul le résul­tat, et non le com­por­te­ment qui y a conduit, com­mande la qua­li­fi­ca­tion de l’infraction, l’existence d’une contro­verse sociale sur le sta­tut des ani­maux fait néces­sai­re­ment inter­ve­nir des consi­dé­ra­tions poli­tiques et morales dans l’application du droit par le juge. Les pro­cès ont ce pou­voir de mettre en lumière l’usage abu­sif de l’appareil répres­sif de l’État. C’est pour­quoi Ceylan Cirik (qui codi­rige l’association) et moi-même avons refu­sé de pas­ser par la voie du « plai­der cou­pable », qui nous est sys­té­ma­ti­que­ment pro­po­sée. Nous vou­lons un véri­table pro­cès public. Les actions de blo­cage, d’occupation d’abattoirs et de sièges sociaux ne sont pas de simples « atteinte aux biens d’autrui » pou­vant faire l’objet d’un trai­te­ment judi­ciaire sim­pli­fié mais des actes socia­le­ment utiles méri­tant un pro­cès, avec toute sa force sym­bo­lique et ses ver­tus pédagogiques.

Crédits : 269 Libération animale

Le trai­te­ment judi­ciaire de cette affaire conduit en outre à mettre en balance plu­sieurs inté­rêts : un inté­rêt pri­vé pro­té­gé, le droit de pro­prié­té, avec un autre inté­rêt qui pour­rait être pro­té­gé, un inté­rêt socié­tal et géné­ral, le droit à l’information mais aus­si le droit de résis­tance. De mul­tiples cas dif­fi­ciles (on l’a vu pour le droit au loge­ment, par exemple) « inves­tissent le juge d’une nou­velle fonc­tion directe d’énonciation de la norme à laquelle la socié­té civile veut désor­mais par­ti­ci­per ». La loi n’a pas la seule maî­trise du chan­ge­ment social et le juge peut deve­nir l’intermédiaire pri­vi­lé­gié des acteurs sociaux. Nous sommes som­més par la jus­tice de pro­tes­ter gen­ti­ment et de manière légale pour ne pas déran­ger les entre­prises du sec­teur ; la déso­béis­sance civile est ain­si à nou­veau bafouée devant les tri­bu­naux et l’op­pres­sion endu­rée par les ani­maux non-humains igno­rée alors que 3 mil­lions d’individus perdent chaque jour la vie dans les abat­toirs sans néces­si­té aucune. Nous sommes des oppo­sants poli­tiques à un sys­tème d’exploitation et devons le réaf­fir­mer pour faire com­prendre que ces actions mili­tantes servent l’intérêt géné­ral. En vio­lant osten­si­ble­ment la loi, les acti­vistes inves­tissent le ter­rain du droit et le pro­clament arbitre d’une contro­verse sociale : alors que les ani­maux sont enfin recon­nus comme des êtres sen­sibles par la science comme par le droit, com­ment peut-on conti­nuer à per­mettre qu’ils soient exploi­tés et abat­tus en masse ? Résister, c’est tou­jours prendre un risque et, par­fois seule­ment, réus­sir à impo­ser un changement.

« Alors que les ani­maux sont enfin recon­nus comme des êtres sen­sibles par la science comme par le droit, com­ment peut-on conti­nuer à per­mettre qu’ils soient exploi­tés et abat­tus en masse ? »

Bien que la résis­tance à l’oppression soit un droit recon­nu par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (qui figure en pré­am­bule à la Constitution fran­çaise), la jus­tice a le plus grand mal à admettre la valeur juri­dique de la jus­ti­fi­ca­tion d’un acte délic­tueux au titre de la déso­béis­sance civile. Au-delà de la lutte contre le spé­cisme, 269 Libération ani­male milite aus­si pour le pas­sage du droit moral de résis­ter à l’oppression à la recon­nais­sance d’un droit à la déso­béis­sance civile, à par­tir de la mul­ti­pli­ca­tion des « droits sus­pen­sifs » et de l’évolution du droit euro­péen sur cette ques­tion. Nous déplo­rons ain­si le fait que nous soyons trai­tés comme de simples délin­quants sans pou­voir expli­ci­ter le bien-fon­dé de nos actes, qui se trouvent dépo­li­ti­sés devant les tri­bu­naux. Pour ce faire, nous ten­tons d’invoquer « l’état de néces­si­té » face au sta­tu quo de la condi­tion ani­male : « Aujourd’hui, le droit défi­nit l’état de néces­si­té comme un fait jus­ti­fi­ca­tif d’une infrac­tion pénale et consi­dère que celui qui a enfreint la loi pour défendre un inté­rêt social supé­rieur, sans aucun inté­rêt pour lui-même, ne sau­rait être sanc­tion­né » expli­quait Maître François Roux, l’a­vo­cat de nom­breux déso­béis­sants. L’association 269 Libération Animale sou­haite se sai­sir des pro­cès à venir pour faire le pro­cès public de l’exploitation ani­male et inter­pel­ler l’opinion publique sur le sort que notre socié­té réserve aux habi­tants les plus nom­breux de la pla­nète. Nous sou­hai­tons que les tri­bu­naux recon­naissent que le sort actuel des ani­maux nous met face à un « état de nécessité ».

Aujourd’hui qua­li­fiés « d’êtres vivants doués de sen­si­bi­li­té » par l’article 515–14 du Code civil, les ani­maux sont pour­tant sou­mis à une vio­lence géné­ra­li­sée et crois­sante avec un déve­lop­pe­ment expo­nen­tiel de l’élevage qui les sou­met à des condi­tions de vie et d’abattage tou­jours plus ter­ribles. On sait depuis Nuremberg que la déso­béis­sance peut-être une ver­tu lors­qu’il s’a­git de résis­ter à un ordre injuste. Ce prin­cipe est aujourd’­hui repris dans la dis­ci­pline des armées comme dans le droit en vigueur devant les juri­dic­tions pénales inter­na­tio­nales. Notre République est fille d’une insur­rec­tion et notre droit s’est construit en grande par­tie sur des déso­béis­sances à la loi, que ce soit le droit du tra­vail et le droit de grève, la loi sur l’a­vor­te­ment après le Manifeste des 343, la loi sur l’ob­jec­tion de conscience, etc. Il arrive de temps à autres que les tri­bu­naux de pre­mière ins­tance recon­naissent l’é­tat de néces­si­té où se trouvent des per­sonnes dému­nies ou des acti­vistes dénon­çant un dan­ger social ou moral. Les acti­vistes déso­béis­sants sont les défen­seurs des « inté­rêts moraux supé­rieurs » de la socié­té. C’est le rôle d’un citoyen en démo­cra­tie d’a­gir quand il y a une défaillance de l’État.

Crédits : 269 Libération animale

Philosophie maga­zine a récem­ment bros­sé votre por­trait : vous seriez une femme imper­méable au doute. Vous recon­nais­sez-vous dans ce trait ?

Assez, oui. Il ne s’agit pas de pré­ten­tion ou d’un refus de remise en ques­tion, d’apprendre des autres ou de rece­voir des cri­tiques (au contraire) mais du sen­ti­ment pro­fond que la stra­té­gie d’action directe que nous avons ini­tiée avec Ceylan est por­teuse d’espoir et d’une réelle poten­tia­li­té trans­for­ma­trice. Il y a un sen­ti­ment très étrange qui s’empare de vous la pre­mière fois que vous déso­béis­sez et péné­trez dans ces zones de non-droit que sont les abat­toirs : le sen­ti­ment qu’enfin nous sommes là où il faut être, que c’est là que tout se joue. Si nous n’étions pas per­sua­dés du pou­voir de ces actions, nous ne ris­que­rions pas tout. Aujourd’hui, nous vivons un véri­table achar­ne­ment judi­ciaire, ma car­rière uni­ver­si­taire est au point mort et l’avenir s’annonce dif­fi­cile à tous les niveaux — mais je ne doute pas de mes choix stra­té­giques. Ces modestes sacri­fices sont néces­saires. Le carac­tère par­fois déses­pé­ré de ces actions, dont les acti­vistes ne res­sortent pas indemnes, peut prê­ter à la cri­tique facile… On y voit des paro­dies pré­ten­tieuses de la petite Antigone s’attaquant au grand Créon et nous sommes l’objet d’attaques hai­neuses de la part de celles et ceux que ces actes ren­voient à leur propre immo­bi­lisme et manque de cou­rage. Et pour­tant… Antigone n’est-elle pas la matrice de la déso­béis­sance aux lois ? Celle qui par son geste fou a, l’espace d’un ins­tant, fait vaciller le pou­voir. Avons-nous connu tel­le­ment de ces ins­tants pré­cieux pour les négli­ger lorsqu’ils sur­viennent ? On enten­dra tou­jours : « Oui, mais pour quelle effi­ca­ci­té immé­diate ? » ou « Finalement, les ani­maux ont été abat­tus », comme si nous avions eu la pré­ten­tion de pen­ser qu’un résul­tat concret et immé­diat sur­vien­drait de ces prises de risques.

Bloquer un abat­toir durant six heures, le para­ly­ser, n’est-ce pas un tour de force dans une socié­té où la machine de mort ne s’enraye jamais ? Je me revois regar­der ma montre dans cette ignoble bou­ve­rie de l’abattoir Charal et dire aux acti­vistes épui­sés que, nor­ma­le­ment, à cette heure-ci, la chaîne d’abattage devrait être en route mais qu’aujourd’hui elle ne l’était pas. Je revois les pre­miers rayons du soleil, qui n’avaient jamais cares­sé les corps dou­lou­reux de ces ani­maux condam­nés, per­çant par les car­reaux sales du toit du bâti­ment. Les ani­maux de cet abat­toir avaient vu l’aube pour la pre­mière fois. Ils vivaient encore, et c’est tout ce qui comp­tait. Je me sou­viens les avoir regar­dés long­temps, eux qui n’avaient jamais exis­té, et me dire qu’aujourd’hui leur vie impor­tait à quelqu’un. C’est peu, mais c’est tel­le­ment pré­cieux. Ce jour-là, nous les avons vus, nous les avons enten­dus et nous les avons aimés du mieux que nous pou­vions dans ce monde où ils ne sont personne.


Crédits pho­to­gra­phie de ban­nière et de vignette : 269 Libération animale


  1. L’association Direct Action Everywhere l’a fait remar­quer pour les États-Unis : « Les fermes sans cages ne sont pas bonnes pour les ani­maux, mais elles pro­fitent à l’industrie. Bloomberg a démon­tré que le consom­ma­teur moyen était prêt à payer plus du double pour une dou­zaine d’œufs venant de poules éle­vées dans une ferme sans cages. Une prime de 2 $ par dou­zaine d’œufs. Mais les coûts reliés à cet éle­vage n’augmentent que de 0,15 $ par dou­zaine. Si tous les œufs étaient pro­duits dans des fermes sans cages, l’industrie ver­rait ses pro­fits aug­men­ter de 7 mil­liards de dol­lars ! Ces chiffres ne sont pas que spé­cu­la­tifs. Après une année mar­quée par plu­sieurs pas­sages au sys­tème sans cages, l’American Egg Board pro­jette un accrois­se­ment de 5 % de la consom­ma­tion d’œufs par habi­tant. Les inves­tis­se­ments dans la pro­duc­tion d’œufs ne cessent d’augmenter. Ce qui veut dire que des mil­lions de poules vivront dans des condi­tions hor­ribles sur des fermes d’œufs dites modernes. »[]
  2. Note de Tiphaine Lagarde : Quelques pro­pos révé­la­teurs : « Une par­tie du mou­ve­ment anti­spé­ciste (mais je n’ai pas trou­vé l’autre) danse gaie­ment sur les cendres de l’élevage, qui consti­tue pour­tant mal­gré tous ses défauts une des der­nières poches de résis­tance à la moder­ni­té. Le tra­vail per­siste à y avoir un sens, un ancrage dans tout un ensemble de rela­tions sociales, à y pro­duire autre chose que de l’ennui, de l’inutilité et de la mort. » « Libérez les ani­maux de l’antispécisme », Paris-Luttes.info.[]
  3. Note de Tiphaine Lagarde : La majo­ri­té des anar­chistes font pas­ser l’antispécisme pour un pré­cepte moral. Mais un anti­spé­cisme amo­ral est pos­sible. Il ne s’a­git que de recon­naître l’exis­tence des inté­rêts des autres ain­si que leur impor­tance : l’exi­gence d’é­ga­li­té, ce peut être un prin­cipe moral mais aus­si sim­ple­ment la volon­té de regar­der la réa­li­té en face. C’est que la sub­jec­ti­vi­té des êtres sen­sibles est une réa­li­té objec­tive, fait plei­ne­ment par­tie de la réa­li­té.[]
  4. Note de Tiphaine Lagarde : L’exotisation des luttes est un tra­vers cou­rant. Cela consiste à ne pas consi­dé­rer les luttes de la même façon selon la proxi­mi­té cultu­relle ou la dis­tance à notre propre point de réfé­rence, la démo­cra­tie occi­den­tale. Comment réagir à la valo­ri­sa­tion d’une lutte dans tel ou tel pays dits du « Sud », y com­pris dans ses dimen­sions dites « vio­lentes », quand les mêmes per­sonnes condamnent avec la plus grande fer­me­té des pra­tiques simi­laires en France, sous l’argument de la vio­lence ?[]
  5. Note de Tiphaine Lagarde : Elle par­vient, par la séman­tique, en usant du terme « légi­time défense », à poin­ter du doigt ce pro­blème de défi­ni­tion de la contre-vio­lence, de la vio­lence de pro­tes­ta­tion. Des résis­tances esclaves au ju-jit­su des suf­fra­gistes, de l’insurrection du ghet­to de Varsovie aux Black Panthers ou aux patrouilles queer, Elsa Dorlin retrace une généa­lo­gie de ce qu’elle nomme l’« auto­dé­fense poli­tique ». Elle pré­sente la ligne de par­tage qui oppose his­to­ri­que­ment les corps « dignes d’être défen­dus » à ceux, désar­més ou ren­dus indé­fen­dables, lais­sés sans défense.[]

REBONDS

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☰ Lire notre entre­tien avec Martin Page : « Les ani­maux sont des indi­vi­dus », mai 2017
☰ Lire notre entre­tien Geoffrey Le Guilcher : « L’abattoir est une chaîne de tabous », avril 2017
☰ Lire notre entre­tien avec Éric Baratay : « Les ani­maux ont été oubliés », novembre 2016
☰ Lire notre entre­tien avec Les Cahiers anti­spé­cistes « Sortir les ani­maux de la caté­go­rie des mar­chan­dises », sep­tembre 2016
☰ Lire notre entre­tien avec Ronnie Lee : « Mettre un terme à l’exploitation ani­male », jan­vier 2016

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