Gérard Cléry : « La poésie n’est pas morte »


Entretien inédit pour le site de Ballast

C’est à Quimper que l’on retrouve Gérard Cléry, poète dis­cret des bri­sures de l’époque et de l’âme, bour­lin­gueur bour­ru au cœur tendre, qui construit depuis plus d’une qua­ran­taine d’années une oeuvre han­tée par les amours per­dues et retrou­vées, les désordres du désir et la résis­tance de l’homme ordi­naire à tout ce qui vou­drait le déles­ter de sa part d’humanité. Du geste dadaïste de son ado­les­cence qui lui valut un pro­cès au cours duquel Camus, Cocteau et Queneau inter­vinrent comme témoins de mora­li­té, jusqu’aux innom­brables lec­tures publiques de poètes fran­co­phones et sud-amé­ri­cains, retour sur un par­cours en poé­sie, quand elle se vit tout autant qu’elle s’écrit.


Vous avez exer­cé toutes sortes de métiers (dans le bâti­ment, en usine, dans le jour­na­lisme et la com­mu­ni­ca­tion, dans l’éducation popu­laire et ailleurs), beau­coup bour­lin­gué : com­ment la poé­sie est-elle entrée dans votre vie ?

Poésie ! J’ignorais jusqu’au mot avant mon entrée au lycée. Les ins­ti­tu­teurs de la rue où j’habitais, à Boulogne-sur-Seine — l’école occu­pait le haut de la rue —, ne l’avaient pas dans leur voca­bu­laire. Ou pas suf­fi­sam­ment pour que je m’en sou­vienne. La guerre était encore proche, les traces des bom­bar­de­ments dans le voi­si­nage. L’appartement où nous vivions était situé 14 rue de Verdun (!), voie presque jumelle de la rue de la Paix (!). De cette der­nière me reste une image fan­to­ma­tique. Les usines d’Air Liquide et de Renault avaient été la cible des Alliés dont les bombes, lar­guées de très haut pour échap­per à « la flake », avaient tou­ché des mai­sons habi­tées dont ne sub­sis­taient que poutres, pierres, pous­sière. Au lycée, mes livres de fran­çais évo­quaient Montaigne, La Boétie, Lesage, Corneille, Molière, Racine, La Bruyère, La Fontaine : les clas­siques et plus tard les roman­tiques… Je leur ai très vite pré­fé­ré Clément Marot, Rutebeuf, Christine de Pisan, Louise Labbé, les poètes de la Pléiade, Ronsard, Du Bellay. François Villon, dont je me sens tou­jours proche, vien­dra plus tard dans le pay­sage, grâce notam­ment à Francis Carco. J’ai com­men­cé à écrire des son­nets très clas­siques et très influen­cés, oubliés depuis. Sur l’annonce, en cours de fran­çais, de la créa­tion d’une émis­sion de radio « Interdit aux plus de 16 ans », j’ai, comme d’autres lycéens, pro­po­sé des sujets. La chance a vou­lu que mon pre­mier scé­na­rio inau­gure l’émission. Il sera sui­vi de deux autres1. Dans la fou­lée, j’ai, dans ce cadre, « inven­té » un club de poé­sie Arthur Rimbaud. Je me suis mis à lire. À lire beau­coup, gar­dant l’argent du déjeu­ner pour ache­ter des livres, sur­tout de poé­sie : Nerval, Verlaine, les sym­bo­listes, les zutiques, Mallarmé, Apollinaire, Valéry… Mais aus­si sur la pein­ture : les impres­sion­nistes, les fauves, les cubistes, mais sur­tout Modigliani et Delaunay. Et je visi­tais régu­liè­re­ment les « Poèmes de l’année » que publiaient les édi­tions de Pierre Seghers. Le pli était pris, la fenêtre ouverte sur le large.

Vous citez par­fois Achille Chavée, le sur­réa­liste belge : « Je suis un vieux peau-rouge qui ne mar­che­ra jamais dans une file indienne. » Tout ça com­mence très tôt, d’ailleurs : racon­tez-nous l’épisode du pro­cès Dada et de Raymond Queneau…

« Je me suis mis à lire. À lire beau­coup, gar­dant l’argent du déjeu­ner pour ache­ter des livres, sur­tout de poésie. »

J’avais tota­le­ment oublié cette péri­pé­tie, jusqu’au jour où Philippe Lemaire, cou­ra­geux revuiste et col­la­giste oni­rique de La Nouvelle Revue Moderne, m’a envoyé pho­to­co­pie de deux pages d’une impo­sante bio­gra­phie de Raymond Queneau rela­tant l’évènement, en me nom­mant. Pour la petite his­toire, disons-le, Max-Pol Fouchet, le poète et homme de télé­vi­sion qu’on sait, a ici quelque res­pon­sa­bi­li­té ! Présentant sur le petit écran une rétros­pec­tive Dada à la Galerie de l’Institut, aujourd’hui dis­pa­rue, il avait sou­li­gné l’audace, le non-confor­misme des dadaïstes, en insis­tant sur le fait qu’en ce temps-là, les poètes avaient quelque chose dans le ventre. La réponse, quelque peu ico­no­claste, fut d’extraire une œuvre de Man Ray de la vitrine et de la por­ter dans le square voi­sin pour la révol­vé­ri­ser. C’est à moi que revint la tâche de péné­trer dans la gale­rie et de sor­tir l’œuvre, une mar­que­te­rie, pour la por­ter à mon com­parse qui l’attendait avec un 22 Long Rifle dans le square voi­sin. Man Ray, qui arri­vait sur les lieux à ce moment pré­cis, s’est pré­ci­pi­té sur moi, sans par­ve­nir à m’ôter le tableau des mains. Nous sommes tom­bés au milieu de la rue de Seine, mais l’action « poé­tique » eut lieu. La suite s’est dérou­lée au Palais de Justice de Paris où, grâce à Jean-Pierre Rosnay (qui n’était pas tota­le­ment étran­ger à cette aven­ture), Albert Camus, Jean Cocteau et Raymond Queneau sont inter­ve­nus comme « témoins de mora­li­té » en ma faveur. Jean-Pierre Rosnay avait éga­le­ment convain­cu, c’était le moins qu’il pou­vait faire, l’académicien maître Maurice Garçon de plai­der le geste lit­té­raire. Queneau ajou­te­ra par la suite, dans la bio­gra­phie en ques­tion : « Ils nous ont ren­du hom­mage ! »

Qu’est ce que cela dit de votre concep­tion de la liber­té ? Quel impact a eu la guerre d’Algérie sur votre par­cours en poésie ?

La méta­mor­phose s’est effec­tuée lors de l’épisode du pro­cès Dada, pour reprendre votre expres­sion. Je peux dire qu’à ce moment, je me suis affran­chi d’un coup de mon ado­les­cence. Bien sûr, cela don­nait un peu le ver­tige. Celui d’avancer, à décou­vert, sur des che­mins ouverts par des artistes, peintres et poètes, que la guerre de 1914-1918 avait écœu­rés, qui refu­saient de se sou­mettre aux hys­té­ries col­lec­tives, aux pro­fits géni­teurs de tels mas­sacres. J’en tire la leçon qu’il faut encore et tou­jours, pour demeu­rer soi-même et vivant, res­ter libre de dire non. La guerre d’Algérie m’a rame­né vers ma pre­mière enfance. Celle où, à Mascara, je suis allée à l’école pri­maire jusqu’à l’âge de 6 ans. Mon père, mili­taire de car­rière (dont j’accompagnais la can­tine, comme le fai­sait ma mère — dif­fi­cile pour elle de faire autre­ment à l’époque, mais c’est une autre his­toire —) se pré­pa­rait alors au débar­que­ment en Provence. Appelé du contin­gent — j’avais un peu plus de 20 ans —, j’ai été affec­té à une com­pa­gnie dis­ci­pli­naire (elles l’étaient presque toutes) dans l’Oranais, com­man­dée par un capi­taine qui tota­li­sait vingt-cinq ans dans la Légion. Je me suis trou­vé tota­le­ment inca­pable de tirer sur mon enfance, sur mes anciens com­pa­gnons de jeux. Je fus un très mau­vais sol­dat de la « Pacification », au point que, secré­taire de com­pa­gnie et après avoir fait le rama­dan, j’ai été expé­dié comme ins­ti­tu­teur dans un douar éloi­gné de la caserne, par cet offi­cier qui a fait le for­cing pour émous­ser ma résis­tance, pour « fati­guer la bête ». Sans suc­cès. Puis comme cui­si­nier dans un centre d’instruction mili­taire. Pour le dire en peu de mots, je fai­sais désordre au sein de la compagnie.

Par Charles Nogier

Les pay­sages, le ciel, la lumière d’Algérie me sont entrés sous la peau, m’ont tatoué. La sagesse des popu­la­tions pay­sannes algé­riennes m’a fait réflé­chir, leur intel­li­gence secrète de la vie aus­si. Dans ce vil­lage de gour­bis aux murs de terre et aux toits de paille, les grands oiseaux de proie m’inspiraient le res­pect. Je me sou­viens d’avoir une fois poin­té une cara­bine sur des vau­tours qui tour­naient autour de l’escarpement rocheux où je me trou­vais pour faire la classe. Pour fina­le­ment bais­ser l’arme, devant la vision de ces pré­da­teurs tenant tête au vent. Le geste que j’allais com­mettre était absurde. Ailleurs, près de la caserne, cer­tains arbres qui résis­taient, droits sous le soleil, des peu­pliers soli­taires, m’ont ser­vi à res­ter debout, à tenir tête. Ils me don­naient une leçon de sur­vie. Et je lisais Victor Hugo. J’ai peu écrit sous l’uniforme en Algérie, contrai­re­ment à Jacques Simonomis, poète qui m’a gra­ti­fié de son ami­tié, à part des lettres d’amour que je peux qua­li­fier aujourd’hui de lettres d’exilé. Ce n’est qu’une fois débar­ras­sé de ma dépouille mili­taire qu’articles et poèmes sont venus, pas très lyriques, plu­tôt arides ou héris­sés d’aspérités.

Vos pre­miers poèmes sont publiés dans les années 1960 dans la revue Action poé­tique et chez P.J. Oswald. Que repré­sen­taient-ils à l’époque ? Cette effer­ves­cence qui asso­ciait presque « natu­rel­le­ment » poé­sie et enga­ge­ment vous semble-t-elle avoir dis­pa­ru aujourd’hui, ou y a-t-il encore des lieux / revues / édi­teurs qui portent une concep­tion exis­ten­tielle et liber­taire de la poésie ?

« Je n’ai eu, je crois, ni le sen­ti­ment ni la volon­té d’écrire de la poé­sie enga­gée. L’expression me semble un pléonasme. »

Ce n’est pas un hasard si mes pre­mières ten­ta­tives d’écriture ont trou­vé écho dans La Nouvelle Critique, dans la revue Europe, dans Action poé­tique. Il faut se rap­pe­ler ces années de guerres et de vio­lences colo­niales, débou­chant au final sur la déco­lo­ni­sa­tion. Il faut se rap­pe­ler qu’après la sor­tie de la guerre des res­ca­pés de la géné­ra­tion pré­cé­dente (celle de 1939-1945) et après, on peut le dire, une assez courte pause, les fils ont suc­cé­dé à nou­veau aux pères, dans cette noria meur­trière. Qui sait quand elle fini­ra enfin de tour­ner dans le monde ? La Nouvelle Critique a publié un « Spécial Algérie » auquel j’ai don­né un témoi­gnage (des­ti­né d’abord au quo­ti­dien Libération, lequel ris­quait de sor­tir un jour­nal avec des pages entiè­re­ment blanches [du fait de la cen­sure, ndlr], sui­vi quelque temps plus tard d’un numé­ro dédié aux textes de la géné­ra­tion émer­gente de poètes. Ultérieurement, a paru dans la revue une longue étude de Jean-Louis Houdebine sur les ten­dances de la jeune poé­sie de ce temps. Action Poétique a réa­li­sé un dos­sier consti­tué de poèmes consa­crés à la guerre d’Algérie, avec notam­ment un texte d’André Libérati dédié à Maurice Audin, mort sous la tor­ture. Je ne figu­rais pas dans cet ensemble, mais il avait rete­nu, et pour cause, toute mon attention.

Il faut aus­si rap­pe­ler la place qu’occupait à cette époque Les Lettres fran­çaises, le jour­nal de Louis Aragon. La revue Europe, dont le rédac­teur en chef était Pierre Abraham, a dans ces années-là publié plu­sieurs cahiers consa­crés à la nou­velle poé­sie. J’ai par­ti­ci­pé au pre­mier de ces cahiers avec des poèmes qui figu­re­ront plus tard dans mon recueil Quotidiennes (chez P. J. Oswald). Je n’ai eu, je crois, ni le sen­ti­ment ni la volon­té d’écrire de la « poé­sie enga­gée ». L’expression me semble un pléo­nasme. Et sur­tout pas de la poé­sie à slo­gans, qui ne part ni d’assez loin, ni d’assez pro­fond dans la pré­sence au monde. Cette poé­sie qu’on dit aus­si « de cir­cons­tances ». Le plus sou­vent, elle s’effrite ou se fane assez vite. Guillevic ne disait-il pas qu’« on s’engage dans La Légion, ou dans les para­chu­tistes » ? Bien sûr, j’avais lu Aragon, je lisais Paul Éluard, Guillevic, Brecht, Pierre Morhange… J’étais sen­sible au souffle de Saint-John Perse, à celui de Walt Whitman, au ton de Cendrars. Et j’avais pour cor­res­pon­dant et ami Oliven Sten, l’auteur de Le Sentiment laté­ral et de L’Enterreur et autres poèmes (un poète de véri­table enver­gure qui signe­ra plus tard sous le nom d’Armand Olivennes), livres publiés chez Pierre-Jean Oswald. J’avais le sen­ti­ment d’être pris dans l’époque, d’être de mon temps. Les mots me venaient en réso­nance. Ils étaient miens. Je ne savais pas être ailleurs ou autre­ment que dans cette réso­nance. Je ne le sais pas davan­tage main­te­nant. Cette démarche n’exclut ni l’étonnement ni l’exigence d’écriture. Il me semble depuis tou­jours écrire dans un temps où les nou­velles de l’avenir ne sont pas for­cé­ment opti­mistes ! Et aujourd’hui moins que jamais.

Par Charles Nogier

Si je veux répondre à la ques­tion des lieux, édi­tions ou revues où cette expres­sion demeure vivante et inven­tive, je pense aux édi­tions Le Temps des Cerises ; je peux nom­mer la revue Décharge, qu’anime Jacques Morin ; Les Hommes sans épaules, revue et col­lec­tion acti­vées par Christophe Dauphin, Paul Farrelier et Alain Breton ; aux Éditions du Petit Véhicule à Nantes, conduites par Luc Vidal ; aux édi­tions Rhubarbe quand elles publient Michel Baglin. Au récent numé­ro d’Intervention à haute voix, consa­cré à l’indignation. Et je n’oublie pas sur inter­net Textures, revue en ligne de Michel Baglin, et des chro­ni­queurs poètes comme Lucien Wasselin, Georges Cathalo ou encore Recours au poème, autre revue en ligne… Mais je ne pré­tends pas avoir une vue exhaus­tive dans ce domaine !

Votre poé­sie à vous est char­nelle, sen­suelle, trans­pa­rente et, en un mot, lisible. Cette « veine » a pour­tant été éclip­sée par une ver­sion plus struc­tu­ra­liste, spa­tia­liste, finis­sant par se nier elle-même (Denis Roche : « La poé­sie est inadmis­sible, d’ailleurs elle n’existe pas ») tout en las­sant les lec­teurs. Considérez-vous que le for­ma­lisme, la poé­sie expé­ri­men­tale et dés­in­car­née telle qu’elle a pu repré­sen­ter une ten­ta­tion du XXe siècle, est l’une des causes de son effa­ce­ment du champ littéraire ? 

Dire que la poé­sie a dis­pa­ru du champ lit­té­raire ou en est effa­cée me semble un peu radi­cal. Mais elle est réel­le­ment igno­rée du champ média­tique, sauf à de très rares excep­tions près. Je ne par­tage pas la sanc­tion d’Adorno quand il dit qu’écrire de la poé­sie après Auschwitz est impen­sable (sous-enten­du : immo­ral ?). Se ran­ger à son avis, c’est lais­ser le champ libre à la bar­ba­rie qui a per­mis Auschwitz. Il existe tou­jours d’authentiques poètes, des poètes conscients, ins­crits dans le siècle, comme l’était Jacques Simonomis et, qui plus est, des poètes lisibles ! Je pense aujourd’hui à Claude Ber, dont le recueil Il y a des choses que non porte un regard aigu, conscient, sur l’espèce humaine — « mon espèce », écrit-elle. Et des édi­teurs cou­ra­geux, par­fois modestes, par­fois mieux assis éco­no­mi­que­ment, qui per­sistent à publier « cette sorte de chose que per­sonne ne lit », selon les mots de l’irremplaçable Georges Mounin, lin­guiste qui fut un lec­teur avi­sé de la poé­sie du siècle pas­sé. Sans par­ler des revues, et il en existe beau­coup, qui dis­posent au final d’un lec­to­rat non négli­geable. La poé­sie relève d’une volon­té affir­mée de résis­tance et d’insoumission à l’égard d’une socié­té entiè­re­ment tour­née vers le for­ma­tage des indi­vi­dus, vers la rési­gna­tion, l’annihilation de toute démarche libre, libertaire.

« La poé­sie relève d’une volon­té affir­mée de résis­tance et d’insoumission à l’égard d’une socié­té entiè­re­ment tour­née vers le for­ma­tage des indi­vi­dus, vers la rési­gna­tion, l’annihilation de toute démarche libre, libertaire. »

Je parle du refus de ce qu’on vou­drait faire de la per­sonne, je parle d’opposition à toute ten­ta­tive d’aliénation. L’écriture demeure tou­jours gar­dienne des mots de la tri­bu. Maintenant, pour ce qui concerne struc­tu­ra­lisme, spa­tia­lisme, for­ma­lisme et autres ava­tars pas­sa­gers (pas­sages peut-être néces­saires pour cer­tains), ils ne sont pas tota­le­ment étran­gers à la désaf­fec­tion des lec­teurs. Ils ont creu­sé un fos­sé, tran­ché des liens, éteint les mots, ils ont un peu trop intel­lec­tua­li­sé. On a par­lé de « nov­langue » pour jus­ti­fier cet éloi­gne­ment, que je qua­li­fie­rais presque de déser­tion. Il fau­drait un puis­sant micro­scope pour aper­ce­voir une trace de poé­sie dans cette der­nière potion. J’aime assez le mot de Jean Cocteau : « La mode est ce qui se démode. » Quoi de plus nor­mal alors de se détour­ner de cette expres­sion dés­in­car­née, qui affecte d’ignorer l’Histoire, le monde contem­po­rain, son ensau­va­ge­ment, l’errance, la détresse… C’est une poé­sie qui n’est « ni par­mi ni avec », comme aurait dit Guillevic. Je crois qu’il ne faut pas exclure l’humour ou le sens du déri­soire dans l’écriture : voir Max Jacob, Robert Desnos, Prévert, Jean Tardieu, Queneau, André Frénaud, Jean Loanselme, José Millas-Martin, Maurice Cury, Jacques Simonomis… Cette poé­sie a son effi­ca­ci­té, elle touche. Enfin, je retiens ces mots qui sont, si ma mémoire est bonne, du poète espa­gnol Gabriel Celaya : « La poé­sie est une arme char­gée de futur ! » Aujourd’hui, ils n’ont pas pris une ride !

Vous avez beau­coup voya­gé, bien connu les poètes et chan­teurs d’Amérique latine, Atahualpa Yupanqui, par exemple. Quelle a été leur influence sur votre concep­tion de l’écriture ?

Ce n’est peut-être pas à moi de répondre à cette ques­tion de manière objec­tive. Autrement dit, si mes lec­tures de la poé­sie sud-amé­ri­caine ou mon écoute de la chan­son popu­laire de ce conti­nent, impli­quées toutes deux dans une dénon­cia­tion de l’injustice, de l’inégalité entre les vivants, m’ont l’une et l’autre influen­cé direc­te­ment, je n’en ai pas réel­le­ment conscience. La véri­té, c’est qu’elles ont été pour moi de vrais com­pa­gnons de route. Je ne récuse pas les influences. Je ne suis pas naïf, nous venons tous de quelque part. Mais, comme disait quelqu’un : « Chez le véri­table créa­teur, les influences deviennent confluences. » Je suis res­té sen­sible à une expres­sion qui s’enracine dans le sol, comme les arbres ou les pierres ; je suis vul­né­rable — j’emploie le mot à des­sein — aux Poemas huma­nos de Cesar Vallejo, poète péru­vien mort à Paris. J’ai por­té en moi ses mots, ceux de Neruda. Je les ai dits en 1968 dans les usines en grève, à Saint-Ouen, Saint-Denis, ou à Billancourt, chez Renault.

Par Charles Nogier

Mais j’ai aus­si fré­quen­té les poètes espa­gnols du siècle écou­lé. Je veux dire Federico Garcia Lorca, Antonio Machado, Rafael Alberti, Miguel Hernandez, Juan Ramon Jimenez que chante si bien le cata­lan Francisco Montaner, Blas de Otero, Gabriel Celaya, et j’en oublie… qui ont presque tous été mis en musique et chan­tés par l’ami Paco Ibanez. J’ai ren­con­tré Atahualpa Yupanqui, je l’ai invi­té dans la mai­son des jeunes dont j’avais la res­pon­sa­bi­li­té, dans les années 1970. Je l’ai retrou­vé à l’occasion d’une can­tate dédiée à un grand cacique indien, « Tupac Amaru », mort sous le gar­rot des hommes de Cortez ou de ses capi­taines, can­tate dont Yupanqui était l’auteur (sur une musique de deux musi­ciens argen­tins, deve­nus des amis : Enzo Gieco et Raùl Maldonado) et dont je fus le réci­tant fran­çais ; j’ai fait un vrai bout de che­min avec Osvaldo Rodriguez « Gitano », poète chi­lien que j’ai tra­duit et qui m’a ren­du la poli­tesse, comme j’ai fait un bout de che­min avec les artistes de La Nouvelle Chanson chi­lienne, été le tra­duc­teur du groupe Quilapayun, que j’ai accom­pa­gné aus­si comme réci­tant à plu­sieurs reprises. Comme j’ai tra­duit et accom­pa­gné les artistes d’un autre grand groupe de cette chan­son, les artistes d’Illapu. Je me sou­viens éga­le­ment avoir été le réci­tant fran­çais du Canto General de Neruda-Theodorakis, expé­rience impres­sion­nante au milieu de quatre-vingt musi­ciens et chan­teurs. J’ai beau­coup lu, et très tôt, Pablo Neruda, lu Vicente Huidobro, poète sur­réa­liste chi­lien inhu­mé au Chili à Cartagena (et non à Cartagène, en Grèce, comme je l’ai vu sur Wikipedia), Octavio Paz, Nicolas Guillen… J’ai ren­con­tré Pablo Milanes et Silvio Rodriguez, deux grands de la Nueva Troba Cubana. J’ai lu en public, et avec lui, Ernesto Cardenal, poète et résis­tant d’envergure, nica­ra­guayen, auteur de « La Hora Zero », poème écrit sous la dic­ta­ture de Batista. Etc, etc. Bien sûr qu’on ne peut sor­tir indemne de telles ren­contres et qu’il en passe for­cé­ment quelque chose dans l’écriture, dans le sous-texte, l’hypoderme ou dans le sub­cons­cient. S’il reste après moi quelques traces de mon par­cours, ce qui est très hypo­thé­tique, peut-être que d’autres le diront. Mais je pense en même temps à ces mots de Nazim Hikmet : « Aujourd’hui les morts n’occupent guère plus d’un an la mémoire des vivants. »

L’amitié a beau­coup comp­té dans votre vie. Pensons par exemple à Marcel Chinonis et à l’aventure de Clapas, à Marcel Hennart et à celle du Théâtre-poème, à Jacques Simonomis et au Cri d’os… Pouvez-vous nous dire quelques mots d’eux ? Croyez-vous que cette « fra­ter­ni­té » des poètes de l’ombre est aujourd’hui une garan­tie de sur­vie de la poé­sie dans l’espace public ?

« Quand existe une fra­ter­ni­té des poètes de l’ombre, c’est une chance don­née à la poé­sie de rejoindre les lec­teurs qui s’en sont détournés. »

J’ai fait connais­sance avec Marcel Hennart, suite à une note de lec­ture (qui sera sui­vie de plu­sieurs autres) sur Quotidiennes, livre que j’ai publié en 1969 chez Pierre-Jean Oswald. Je pas­sais alors par Bruxelles, à l’occasion d’une lec­ture publique de quelques-uns de mes textes. Nous avons décou­vert plus tard, après la publi­ca­tion d’un autre de mes livres, Roman de l’île, que nous avions un faible pour Barcelone et Valence, mais sur­tout pour Peniscola, vil­lage de marins-pêcheurs — situé sur la côte médi­ter­ra­néenne — et de pay­sans, chez les­quels nous logions lui et moi à cha­cun de nos séjours. J’ajoute en pas­sant que Jean Sénac, séduit lui aus­si par le lieu, y a séjour­né, puisqu’il a daté un de ses poèmes dans un livre pré­fa­cé par René Char. Et puis Marcel Hennart, dont j’aime tou­jours l’écriture sen­sible et directe, per­son­nage rusé, très fin, était his­pa­ni­sant et tra­duc­teur. Il aimait aus­si par­ti­cu­liè­re­ment Yupanqui. Je le retrou­vais à cha­cun de mes pas­sages. J’ai publié une Rencontre avec Marcel Hennart, fruit de plu­sieurs entre­tiens, aux édi­tions Caractères. Et nous nous sommes dit au revoir, quelques mots, les der­niers, quelques heures avant sa mort. Et de Marcel Hennart à Marcel Chinonis il y a, com­ment dire, la pas­se­relle d’une autre ami­tié puisque c’est par Armand Olivennes quelques-uns de ses meilleurs poèmes et qu’il faut lire abso­lu­ment, et ne pas lais­ser « au pur­ga­toire » des poètes) que j’ai fait connais­sance avec Marcel Chinonis et les édi­tions Clàpas, pour les­quelles Marcel a fini de brû­ler sa vie. J’aimais son côté arti­san-mili­tant au ser­vice de la poé­sie. Il y a eu très vite entre lui et moi une grande com­pli­ci­té, au-delà même de la lit­té­ra­ture. Chinonis était un aven­tu­rier de la poé­sie, au sens noble du mot. J’aimais son enthou­siasme, sa dis­po­ni­bi­li­té, sa fidé­li­té à la parole don­née, son écoute, son humour pro­vo­ca­teur. Notre ren­contre s’est faite à l’occasion d’un double numé­ro de l’Oreillette, revue antho­lo­gique, consa­crée à Marcel Hennart par Armand Olivennes, où me reve­nait de par­ler du tra­duc­teur des poètes espa­gnols qu’était Hennart. L’absence de quelqu’un comme Marcel Chinonis se fait cruel­le­ment res­sen­tir aujourd’hui. Il n’avait rien d’un par­ve­nu de l’écriture ! La modes­tie n’obère pas le talent !

Et si je disais que la chaîne s’est pour­sui­vie avec Jacques Simonomis, je ne m’égarerais pas. Marcel Chinonis et Jacques Simonomis se connais­saient. Le poète Jean Chatard par­le­rait ici jus­te­ment de « notre petit monde poé­tique ». J’ai évi­dem­ment adhé­ré à la démarche du revuiste Simonomis, créa­teur et ani­ma­teur de la revue Le Cri d’Os, titre emprun­té à Tristan Corbière pour lequel il mani­fes­tait une véri­table estime. Je me suis sur­tout sen­ti très proche de lui à la lec­ture de La Villa des roses / Guerre d’Algérie, 1954-1962 qu’ont publié Jean Breton et Christophe Dauphin à la Librairie-gale­rie Racine. Jacques n’y allait pas par quatre che­mins pour dénon­cer la guerre d’Algérie, pour dire sa révolte, son dégoût sur la façon dont la France se salis­sait dans cette cris­pa­tion colo­niale et ce déni de liber­té, se déju­geait en pra­ti­quant la tor­ture. Jacques était auto­di­dacte et le tai­sait. Avant cha­cune de mes pré­sen­ta­tions de son œuvre, il insis­tait : « Ne le dis jamais. » Son grand talent, il l’a acquis, gagné, à force de lec­tures et de tra­vail. Grand lec­teur de dic­tion­naires, il les col­lec­tion­nait. D’où son écri­ture nour­rie et sin­gu­lière, mais jamais abs­traite. De plus, c’était un révol­té, un insou­mis et le contraire d’un car­rié­riste. Il se moquait des poètes décla­rés pro­fes­sion­nels, tel­le­ment satis­faits d’eux-mêmes ! Grâce à un autre ami, le poète Francis Chenot, j’ai eu carte blanche pour l’élaboration d’un numé­ro de la revue L’Arbre à Paroles, dont l’essentiel était consa­cré à Jacques. Le titre « Simonomis, la langue en crue » était repris d’une de mes pré­sen­ta­tions à Montparnasse. Nous avions pen­sé, Simonomis et moi, à une évo­ca­tion de sa veine humo­ris­tique au Cercle Aliénor, chez Lipp, à Saint-Germain-des-Prés. Sa mort nous a pris de vitesse ! Quand existe une fra­ter­ni­té des poètes de l’ombre — expres­sion qui fait pen­ser immé­dia­te­ment aux hommes de l’ombre de la Résistance —, c’est une chance don­née à la poé­sie de rejoindre les lec­teurs qui s’en sont détour­nés. En dépit de sa qua­si absence dans les médias grand public. Et cette chance, il faut la jouer sans esprit de cha­pelle et sans culti­ver une obs­cu­ri­té volon­taire. Pour autant, « retrou­ver les mots de la tri­bu » (Mallarmé) ne veut pas dire qu’il faille pra­ti­quer le psit­ta­cisme et abdi­quer la recherche d’un lan­gage neuf !

Par Charles Nogier

Vous avez sou­vent lu en public de la poé­sie, tou­jours consi­dé­ré que l’oralité était un mode de trans­mis­sion néces­saire. N’y a-t-il pas une sorte de para­doxe à faire du mode d’écriture en appa­rence le plus intime l’outil d’une ren­contre d’ordre qua­si­ment théâtral ? Nietzsche disait d’ailleurs que « les poètes n’ont pas de pudeur à l’égard de leurs sen­ti­ments : ils les exploitent »… Comment dire la poé­sie sans tra­hir le poète ?

L’auteur de Ainsi par­lait Zarathoustra doit sans doute être situé dans son siècle. Je ne crois pas que la lec­ture en public puisse être consi­dé­rée comme une sorte d’exhibitionnisme. Les poèmes que je lis ou que je dis en public ne sont pas for­cé­ment les miens, mais le plus sou­vent des textes avec les­quels j’entretiens un rap­port de conni­vence, pas néces­sai­re­ment « sen­ti­men­tale ». En eux je recon­nais une voix, une sen­si­bi­li­té. Existe-t-il, dans ce domaine, une écri­ture dénuée de sen­si­bi­li­té ? Je n’en suis pas convain­cu. Je suis assez étran­ger à ce mau­vais pen­chant à la mode qu’on appelle « per­for­mance ». Les per­for­mances ne me convainquent pas, je les trouve peu authen­tiques. Laissons ce mot à l’effort des spor­tifs, pour les­quels j’ai plu­tôt de l’estime. Autrement il faut qua­li­fier cela de détour­ne­ment de sens. J’y éprouve une redou­table sen­sa­tion d’ennui. Il y a, c’est vrai, des poèmes qui ne sup­portent pas la lec­ture à voix haute. Ils tiennent de la médi­ta­tion. Ou qui sup­portent d’être enten­dus en petit comi­té. Il en existe d’autres, beau­coup d’autres, par exemple ceux de Saint-John Perse, d’Aimé Césaire ou de Tchikaya u Tam’si, qui demandent d’être por­tés par une ou plu­sieurs voix. C’est le cas de « La hora zero » d’Ernesto Cardenal, dont lec­ture fut don­née lors d’une soi­rée à Paris par un ensemble auquel je par­ti­ci­pais. Le chœur grec ne des­sert pas le poème. La Beat Generation n’égarait pas la poé­sie en la don­nant à entendre en public. Et je me sou­viens des textes de la négri­tude ou du cubain Nicolas Guillen, lan­cés par la magni­fique comé­dienne, inter­prète de Césaire, qu’était Toto Bissainthe. Comme je n’ai pas oublié que, pour mes pre­mières lec­tures en public, j’avais pour com­plices des musi­ciens de jazz.

« Quand un poème a du feu, du souffle, pour­quoi l’enfermer dans le livre ? C’est refu­ser le vent qu’il porte ! »

Quand un poème a du feu, du souffle, pour­quoi l’enfermer dans le livre ? C’est refu­ser le vent qu’il porte ! La poé­sie pour moi est un chant, vient du chant, est une voix du dedans, du ventre, qui ne demande qu’à prendre le large. Je suis pour sor­tir la poé­sie des livres, pour la libé­rer du secret, de l’enfermement auquel l’époque la confine, pour la faire son­ner dans l’espace. Un bon poème ne démé­rite pas s’il est por­té devant un audi­toire que, par la même occa­sion, on récon­ci­lie avec la poé­sie. Si Antoine Vitez, avec qui j’ai fait des lec­tures, était encore là, il ne me contre­di­rait sans doute pas. Je sais bien sûr qu’on doit prendre garde à ne pas faire vibrer des sen­si­bi­li­tés ambi­guës, dou­teuses, à ne pas flat­ter, ne pas mani­pu­ler. C’est pour moi une ques­tion de tenue, de res­pect de soi et de l’auditoire. Les mots peuvent être por­teurs d’énergie néga­tive ou posi­tive. Un bon poème pro­duit de la lumière. Il faut savoir lire pour don­ner à entendre.

Malgré son invi­si­bi­li­té dans le grand bar­num de la ren­trée lit­té­raire, la poé­sie n’en finit pas de sus­ci­ter pas­sions, voca­tions d’éditeur et d’écrivain. Mais com­ment s’y retrou­ver dans ce pay­sage ? Par quel bout entrer en poé­sie si l’on n’y connaît rien ? Quels sont les poètes, les revues que vous aimez feuilleter ?

Les revues, mais aus­si les mai­sons de la poé­sie, les biblio­thèques, les librai­ries ont un rôle à jouer dans l’approche de ce par­ler deve­nu étrange/étranger qu’est la poé­sie. Étrange/étranger, parce qu’on nous en dépos­sède en refer­mant la porte à l’enfance, à ses extra­or­di­naires intui­tions, à ses vibra­tions. Parce que l’enseignement veille rare­ment à évi­ter cette ampu­ta­tion qui conduit à ne plus savoir nom­mer les choses et le monde de manière sen­sible, fan­tai­siste, ori­gi­nale. Mais il advient tout de même par­fois qu’on ren­contre un de ces « allu­més par la poé­sie » dans l’habit d’un ins­ti­tu­teur ou d’un pro­fes­seur. Parmi les revues, je n’en cite­rai que quelques-unes (il en existe vrai­ment beau­coup dans l’Hexagone et en dehors) : La NRF, Diérèse, Poésie pre­mière, Les Hommes sans épaules, Décharge, La Délirante, Europe, Concerto pour marées et silence, Interventions à Haute Voix, Poésie-sur-Seine, Spered Gouez/L’Esprit sau­vage, Chiendent, etc. Quels poètes pour aujourd’hui et tou­jours ? François Villon, Rutebeuf, Christine de Pisan, Louise Labbé, Victor Hugo, Nerval, Verlaine, Rimbaud, Lautréamont sont tou­jours à lire. Plus que jamais, Villon me touche. Et je reste sen­sible à Cendrars, Apollinaire, Éluard. Et, pour le temps pré­sent, encore et tou­jours Oliven Sten/Armand Olivennes, Jacques Simonomis, Christophe Dauphin, Maurice Cury, Guy Allix, Jeanine Salesse, Michel Baglin, Georges Cathalo, les amis de Quimper : Marie-Josée Christien, Louis Berthelom… ou Gérard Le Gouic !

Par Charles Nogier

Vu de Quimper où vous vivez, terre de poètes, pas très loin de la mai­son d’enfance de Max Jacob, qui est l’un de ces lieux dis­crets de vraies ren­contres poé­tiques, loin des que­relles et de l’ignorance d’un Saint-Germain-des-Prés qui ne jure que par le roman, diriez-vous que le XXIe siècle sera poé­tique ou ne sera pas ?

Posée ain­si, la ques­tion est un peu abrupte. Premier constat (de bon augure) : la poé­sie n’est pas morte. Elle conti­nue de raci­ner géné­reu­se­ment en ce début de siècle. En obser­vant, en lisant, en allant au ciné­ma, en res­tant en alerte, on constate que les pas­sa­tions de relais se pour­suivent à tra­vers le monde. Même si la pen­dule du « temps des assas­sins », de l’indifférence à la misère, à la détresse, ne s’est tou­jours pas arrê­tée. Il naî­tra des poètes, des esprits libres, jusqu’à la fin des temps. La poé­sie est consub­stan­tielle à l’être humain ! Si je peux faire un vœu, c’est celui de sou­hai­ter que ce XXIe siècle résiste à toutes les ten­ta­tives d’enchaînement, de robo­ti­sa­tion qui pro­li­fèrent, à la décul­tu­ra­tion sou­hai­tée, pro­vo­quée, atten­due. À l’embrigadement. Ce n’est pas un hasard si par­tout ou presque, radio, télé­vi­sion, médias adoptent assez géné­ra­le­ment un consen­suel a-poé­tique ou dépoé­ti­sant. Ou, en un mot, abru­tis­sant. Il faut un vrai cou­rage pour vivre en poète, à l’écart du dis­cours ambiant, anes­thé­siant. Il faut un vrai cou­rage pour se sin­gu­la­ri­ser hors des trou­peaux qu’on tient en « laisse élec­tro­nique » — le mot est de Jacques Simonomis. Il faut une vraie conscience, une vraie vigi­lance pour ne pas se lais­ser chlo­ro­for­mer, ato­mi­ser. Et je ne dis pas qu’il faille se tenir à l’écart du monde contem­po­rain. Et je ne dis pas qu’on doive fer­mer les yeux sur ses dérives. Qu’il faille en prendre son par­ti. Qu’est-ce qu’un poète qui ignore déli­bé­ré­ment la détresse de ses pareils, qui ne s’indigne pas, qui ne connaît pas la colère, la révolte ? un embau­meur ! un faux-mon­nayeur ! Poètes, frères humains qui près de nous vivez…


Tous les des­sins sont de Charles Nogier, pour Ballast.
Photo de vignette : Gérard Cléry, par Yvon Kervinio.


  1. Avec des inter­prètes comme Pierre Fresnay et Jean Topart.[]

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