Texte inédit pour le site de Ballast
Nous avions, dans la revue papier, raconté le parcours de Louis, un ouvrier syndicaliste qui fabriquait des poussettes. Nous poursuivons cette rubrique en ligne. La parole y est brute, directe, sans détour ni notes de bas de page (bien des livres se vantent de dire le réel sans y avoir mis les pieds). Hosni est né à Lyon en 1970 ; il a grandi en banlieue (d’où le titre, qu’il a lui-même tenu à choisir) et travaille aujourd’hui dans le nettoyage — après avoir connu la prison et été SDF durant sept ans. Itinéraire d’un enfant des rues de la République.
Je suis un enfant d’immigrés. Mes parents sont tunisiens ; ils sont arrivés ici dans les années 1960. Ils sont venus ensemble. Ma mère est arrivée deux ou trois mois après lui, je crois (ils sont venus pour le boulot). Mon père m’a dit récemment que c’est un Italien qui l’avait aidé à faire ses papiers pour venir. Il a bossé dans un peu de tout, en France : restaurants, abattoirs, peinture en industrie… Je me rappelle pas de tout, mais il a fait plein de trucs. Il prenait quand même son temps pour nous, surtout le week-end. Il aimait bien la campagne.
Je suis né à Lyon, vers Bellecour. J’ai habité à Oulins, mais surtout à Vénissieux. En quartiers, quoi. On n’avait pas les moyens. Des trucs pour pauvres. On était avec des harkis, je me souviens. C’était pas mal mélangé : des Portugais, des Espagnols… Ça se faisait un peu la guerre. Pour des conneries, pour des raisons diverses : la jalousie, la misère, le racisme… Si t’as mieux que lui et que t’habites dans le même quartier… Plein de choses rentrent en compte : pas les mêmes cultures, les mêmes manières de réagir. Jeune, je croyais vraiment que j’étais français. J’avais des origines mais j’étais français. Depuis gamin je me disais ça, jusqu’à l’armée, jusqu’à ce que je déchante ! Vers seize ans, j’ai commencé à voir que c’était pas aussi simple : un sous-directeur de l’école m’avait frappé alors que j’avais rien à voir avec leurs histoires. Juste parce que j’étais arabe. Ma génération, c’est pas comme maintenant : ils se permettaient de faire des trucs qu’on n’imagine plus aujourd’hui. Et puis l’armée, beaucoup de racisme. Mais je fais la part des choses, j’ai aussi eu beaucoup de soutiens. Je l’ai faite en Allemagne, en 1989, pendant et après la chute du mur. Je l’ai vu détruit. Je me souviens d’un type, à l’armée avec moi ; on sortait souvent ensemble en Suisse : il se faisait jamais contrôler, car il était blanc, et moi tout le temps. Le pire, c’est qu’il foutait vraiment rien à l’armée ; moi au moins j’aurais su tenir un Famas si y’avait eu la guerre ! (rires) Chirac, il a été bon quand il a refusé d’engager la France en Irak, mais je crois que c’était une erreur de supprimer l’armée : malgré tout, pour un banlieusard comme moi, ça m’a fait voir d’autres choses, ça m’a sorti de mon univers. Au final, ça m’a apporté.
« Mes parents m’ont appris les deux cultures. On allait en Tunisie tous les ans. Le peu que je parle d’arabe, c’est eux. Je crois que j’ai pris le bon des deux côtés. »
On était sept dans la famille. On se sentait tous français, en fait. Mes parents m’ont appris les deux cultures. On allait en Tunisie tous les ans. Le peu que je parle d’arabe, c’est eux. Je crois que j’ai pris le bon des deux côtés : j’aime bien l’ouverture des Tunisiens, ils cherchent pas le conflit, ils préfèrent discuter, dialoguer ; en France, j’aime le côté carré, organisé. Dans ma tête, la colonisation, c’était une page qui était tournée. Je pensais pas à tout ça, j’avais aucune revanche, aucune rancœur. J’y pensais pas ! Mais après, j’ai compris que c’était pas réglé, que c’était pas prêt de s’arranger, ce passé, la guerre d’Algérie… Quand les flics t’arrêtent, c’est le « type », tout de suite, qui compte : européen, maghrébin, africain, etc.
Je suis allé au lycée, j’ai fait une scolarité à peu près normale, même si j’étais pas très bon à l’école. J’ai fait un CAP plomberie et un autre en cuisine. J’ai beaucoup bossé dans la restauration et en intérim — en France, en Corse et en Angleterre. Et puis faut dire ce qui est : à la vingtaine, je suis parti en cacahuète. Plus tard, j’ai fait un peu de taule. Quelques mois. J’avais fait des conneries. Des vols, des outrages à agents — j’ai tué personne ! La prison, c’est la prison : t’en ressors pas indemne. Faut voir la violence qu’il y a à l’intérieur… La violence des gens incarcérés. Tu vis sous tension 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. J’ai été changé de cellules plusieurs fois car certains sont vraiment invivables. Je faisais un peu de muscu, du foot sur des petits terrains. Le gros souci, c’est qu’il y a rien à la sortie : on sort et débrouille-toi. Enlevez des gens de Pôle Emploi et faites-en des agents de probation, pour ceux qui sortent de la rate ! Il en manque. Je dis pas qu’il faut supprimer les prisons : certains, faut voir les cas, ils ont rien à faire dehors. Mais ils mélangent tout le monde, les malades psychiatriques, les criminels, les petits comme moi…
Après, faut dire la vérité : ouais, bien sûr qu’il y a plein de mecs de quartiers en taule. Pourquoi ? Je suis né en 1970, je suis de la génération qui était ado pendant la Marche des Beurs. J’étais aux Minguettes quand ils sont partis. La génération au-dessus de moi, déjà, pourquoi ils sont autant rentrés en prison ? On nous donnait pas de travail. Je l’ai vécu, c’était cash à l’époque : on donne pas de boulot « aux Arabes », on me l’a dit tel quel. Fallait voir comment les gens se permettaient de parler… Mon premier boulot, je l’ai eu car un Français de souche, comme on dit, m’a présenté : autrement, je trouvais rien. Et quand t’as rien, quand on te donne rien, tu vas dans la délinquance. J’ai même connu des gens qui ont été délinquants pour ouvrir leur propre affaire ! Je pense à un mec qui a fait un braquage pour ensuite ouvrir son propre magasin, vu qu’il trouvait pas de travail. Et c’était pas un sale type, lui. Je cherche pas d’excuses en disant ça ; c’est juste des faits. J’ai bougé des quartiers à 18 ans, j’étais pas trop du genre à traîner, donc ça m’a éloigné de la grande délinquance. Nos parents savaient ni lire ni écrire quand ils sont arrivés ; les chefs et les dirigeants politiques, tous ceux-là, ils voulaient pas qu’on évolue. On voulait bien des Arabes si ils étaient des bourricots. On leur parlait mal ; ils répondaient pas.
« Quand tu vis dans la misère, quand tu sais pas comment payer ton loyer, certains baissent les bras. Et les gamins traînent. »
Ça, ça continue encore : pour certains, je suis toujours une sous-catégorie. J’ai une carte d’identité nationale mais je suis pas un Français comme eux. La dernière fois qu’un flic m’a contrôlé, je lui ai dit : « Bougnoule je suis, bougnoule je resterai. » Il m’a dit que ça se faisait pas de dire ça, j’ai répondu que c’est ce qu’ils pensent — une bonne partie, en tout cas. Pas plus tard qu’hier, une femme m’a dit de retourner dans mon pays. Mais ma génération, et celle d’avant, y’a plus rien à voir avec les jeunes d’aujourd’hui, ceux qu’ont entre 15 et 30 ans. Eux ils ont vu leurs grands frères : prison, sortie, prison, sortie… C’est plus violent. Internet, les médias, ça joue aussi. Tout est devenu très violent. Les parents aussi, ça joue — en tout cas, c’est mon point de vue. Quand tu vis dans la misère, quand tu sais pas comment payer ton loyer, certains baissent les bras. Et les gamins traînent. Quand je parle aux jeunes, je vois une énorme différence avec mon époque. D’ailleurs, certains ne nous respectent même pas, ils en ont rien à foutre qu’on soit plus vieux. Je suis plutôt pessimiste ; enfin, j’essaie de voir la réalité. Ce qui se passe aujourd’hui, ça couvait depuis des années. Valls a parlé d’apartheid, oui, ça fait des années, qu’on soit d’accord ou pas avec ce terme !
Moi je suis pour le mélange, toute ma famille est mélangée. Et puis y’a aussi du racisme entre Arabes et Noirs, et même entre Arabes ! Faudra vraiment sortir de ça un jour. Y’a du racisme entre Italiens, entre Juifs, entre tout le monde ! Et puis, aussi, on a parlé du racisme anti-blanc. Bien sûr que ça existe, et pas d’aujourd’hui, mais ceux qui ont lancé ça dans les médias, l’UMP et leurs copains, ce sont eux qui, les premiers, nous traitaient de bicots. La différence, c’est que nous on est vulgaires, on dit des mots directs ; eux, ils ont une éducation, ils savent comment te casser avec des mots propres. Ils sont fort ces gens-là, mais ce sont les plus racistes.
« Les premiers temps, tu te dis pas que tu vas rester dans la rue : tu passes ton temps à marcher dehors, t’es bien habillé, encore en forme. Et puis tu plonges, tout doucement. »
La rue, tu te rends pas compte que tu vas t’y retrouver. C’est par engrenage. Au début tu te dis que c’est un passage. Chaque SDF a sa vie, son parcours. Si tu vis pas à ses côtés, tu peux pas savoir ce qu’il s’est passé. Problèmes familiaux, le boulot, la vie personnelle, tu pètes un câble, dépression, tu rentres dans le shit ou l’alcool, ça peut être plein de choses. Je me considérais comme quelqu’un de solide mais, à force de prendre des gifles, ton corps, sans te prévenir, il te met une claque. Ça m’est tombé dessus d’un coup. Beaucoup de gens comprennent pas, ça. D’un coup, j’ai broyé du noir. Et ça peut arriver à n’importe qui ! Même le plus solide. Les premiers temps, tu te dis pas que tu vas rester dans la rue : tu passes ton temps à marcher dehors, t’es bien habillé, encore en forme. Et puis tu plonges, tout doucement. Et là, sept ans, sept ans passés à la rue. Parfois j’ai pu loger quelques mois à droite ou à gauche, des personnes qui t’aident, un squat. Au début, quand j’avais encore une voiture, je dormais dedans. J’ai bossé un peu dans les vendanges, quand j’étais SDF, mais dans mon état, personne voulait de moi. Comment tu veux aller au boulot quand t’es cassé ? Du coup j’ai pas mal bougé, en France. J’avais plus rien à perdre. Que tu galères ici ou ailleurs…
C’est là où tu vois la lâcheté humaine, en fait. Des gens que j’ai connus, j’ai fait la fête avec eux, et après y’a plus personne, ça baisse la tête, ça veut même pas te regarder. La rue ça m’a rendu plus dur. L’être humain, je vais peut-être choquer en disant ça, c’est un enculé. C’est tout. Les gens se rendent même pas compte de leur égoïsme. Je peux pas en vouloir aux gens, ils ont pas galéré, ils savent pas ce que c’est, mais y’a encore des choses qui me mettent sur les nerfs, aujourd’hui, quand je vois de l’égoïsme. C’est comme ça. Et puis moi aussi, maintenant, je le suis sans doute ! Quand je vois des mecs dehors, je fais ce que je peux, je file de la thune, mais personne peut aider tout le monde, bien sûr. Même dans la rue, j’ai aidé les autres. Mon frère me disait : « T’es dans la merde toi et tu continues de filer des coups de main ! » On a notre confort, on s’en fout. Y’a des associations que je retiendrai, d’autres que je fermerai — leur politique est merdique. (rires) Certaines, ce sont des entreprises. Quand tu vois que leur directeur se fait 3 ou 4 000 € pour s’occuper de la misère, c’est un business. J’ai bien aimé le Secours populaire (de Feyzin) et les Restos du cœur : ils sont accueillants, ils ont un bon esprit. Ils m’ont bien aidé. L’Armée du salut, je les ferme direct !
« Les politiciens sont à côté de la plaque, ils sont plein de fric. Qu’est-ce qu’ils connaissent de nos vies ? Ils sont dans leurs magouilles. »
Faut dire une chose : ce qui se passe en haut du pays, on le sent, en bas, dans la rue. J’étais à la rue sous Sarkozy et il nous a pas arrangés ! Les pauvres, on était de la merde pour lui. Il se rend pas compte de ses paroles, sur son fauteuil. Pour moi, il est pire que Marine Le Pen ce mec. Les gens n’imaginent pas à quel point j’ai senti, dans la rue, au jour le jour, les résultats de sa politique. Comment les flics, du coup, s’en prenaient bien plus aux pauvres. Depuis Hollande, j’ai été contrôlé que deux fois ; avant, c’était chaque semaine. J’en veux pas aux flics en soi, ils ont des consignes (même si, je le dis : si y’avait une vraie justice, j’ai connu, dans ma vie, quatre flics qui auraient dû faire de la prison ferme). J’ai toujours voté à gauche. Mais le problème de la politique, c’est que beaucoup ont pas d’expériences sur le terrain, de vécu réel. Ils sont à côté de la plaque, ils sont plein de fric. Qu’est-ce qu’ils connaissent de nos vies ? Ils sont dans leurs magouilles. Aux dernières présidentielles, j’ai voté Mélenchon au premier tour — même si je suis pas d’accord avec tout chez lui. Pourquoi le FN grimpe ? Parce que c’est la misère. J’ai connu des gens qui votent FN. Les gens se connaissent pas, ils ont peur. Mais ce parti me fait pas peur. La droite classique est plus dangereuse car elle se cache plus. Le FN arrivera jamais au pouvoir : ils peuvent avoir des mairies, mais je les vois pas arriver plus haut.
On parle sans arrêt des femmes voilées. Quand j’étais clochard (j’ai pas peur de ce mot), je suis allé à Lourdes : j’ai vu plein de femmes avec un foulard, des catholiques ; quel est le problème ? Faut arrêter de polémiquer là-dessus. Le hijab, c’est pas un problème réel. La burqa, par contre, j’étais d’accord avec le fait qu’on l’interdise, mais pas d’un point de vue religieux. Pourquoi une femme en burqa peut-elle se permettre de regarder mon visage si moi je le peux pas ? Un visage, il s’exprime. Ce n’est pas normal de pas voir les expressions d’une personne, en tout cas moi ça m’énerve. Donc ça n’a rien à voir avec la religion. Et puis la foi ça devrait se vivre pour soi, ça sert à rien de la montrer comme ça. J’ai habité dans un quartier dans la banlieue lyonnaise. J’ai vu des intégristes là-bas, mais ils pouvaient toujours essayer de m’endormir avec leurs salades. Ils manipulent des gens qui ont aucun vécu. Je me souviens, à la mort de mon cousin : on faisait la prière du mort et des mecs comme eux arrivent, mon cousin était à peine froid, et ils commencent à nous parler du jihâd… Avec ma famille, on s’est tous énervés, on les a mis à la porte. Et on a appelé des vrais musulmans pour faire la prière !
Ce que les gens « bien comme il faut », des beaux milieux, ceux qui passent leur vie à parler de « l’islamisme », ce qu’ils comprennent pas, c’est que c’est nous, les musulmans de la vie de tous les jours, qui avons affaire à eux. Je les croise bien plus qu’eux, sur leurs plateaux télé ou dans leurs journaux. L’islam n’est pas plus violent qu’une autre religion : tout dépend de comment tu l’interprètes. Si tu prends une bonne et une mauvaise personne et que tu leur fais lire le Coran, ils vont pas en sortir la même chose. À la fin du livre, ils auront pas la même perception. Les mauvaises personnes pourront lire mille fois le Coran, elles resteront mauvaises. L’autre jour, j’ai vu un reportage, y’avait un converti qui partait en Syrie pour Daesh : il disait aux gens autour de lui qu’ils étaient tous des kuffār [mécréants] et toutes ces conneries. Viens me dire à moi, toi qui ne connais rien à rien, que je suis un kâfir alors que je suis né dans cette culture, viens, on va rire ! (rires) Mon éducation religieuse, c’est mon grand-père. Il est jamais venu m’imposer des choses. Il me disait : « Regarde comme je vis, c’est tout. » C’était un sage. Il faisait sa prière, il travaillait dans l’agriculture, il mangeait avec nous. Il parlait pas beaucoup. J’ai ça dans ma tête. Ça m’arrive de regarder dans le Coran quand je me questionne sur certaines choses. À la rue, je priais parfois — même dans les églises !
« Si on arrivait à régler le conflit israélo-palestinien, ça irait mieux en France. Faut être conscient de ça. Tout est lié ! »
Charlie Hebdo, c’est pas un journal que j’ai toujours apprécié, c’était pas mon truc — et je ne parle même pas par rapport aux caricatures de Mahommet. Mais Kouachi et Coulibaly, ce sont des sheitan [diables]. Ils pourraient braquer une grand-mère ou séquestrer des gens pour de la thune. Ce sont des brutes, à la base, ils ont pas besoin de l’islam pour être comme ça. Ils iront jamais au Paradis, ce sont des mauvaises personnes. Ils se servent du Coran comme d’une excuse. Je suis solidaire avec les journalistes tués. Tu discutes, tu dis que tu n’es pas d’accord, tu ne tues pas… Je suis pas à cheval sur la religion, mais les caricatures sur le Prophète, ça m’avait quand même heurté. On n’a pas cette culture du blasphème. Mais même, quand ils se moquaient de Jean-Paul II ou de Jésus, je trouvais qu’ils allaient trop loin, qu’ils manquaient de respect. Mais chacun fait ce qu’il veut.
La guerre d’Algérie, c’est encore ancré : les pieds-noirs et les anciens militaires qui détestent les Arabes, les Arabes qui détestent la France… La cicatrice est encore là. Et le problème, aussi, c’est que les choses qui se passent dans le monde se mêlent à notre situation, ici. Bush, par exemple, c’est une merde : une grosse partie du problème aujourd’hui, dans le monde, c’est à cause de lui et des répercussions. Il y a beaucoup de colère dans les quartiers. Quand il y a 2 000 morts palestiniens, on fait comme si de rien n’était ; quand t’as quelques Israéliens assassinés, on en fait une polémique. 2 000 morts, ce sont des animaux, parce qu’ils sont arabes. Et ça, c’est dans les têtes de beaucoup dans les quartiers, même inconsciemment. Si on arrivait à régler le conflit israélo-palestinien, ça irait mieux en France. Faut être conscient de ça. Tout est lié ! Je fais un trait : prisons-quartiers-immigration des premières générations (à laquelle l’État a jamais rien compris). Je suis la preuve vivante de tout ça. Si, jeune, je suis tombé dans la délinquance, c’est parce que j’ai morflé, que j’ai connu le racisme constamment. Je pensais à l’époque que c’était une façon de me venger de la France. Je regrette aujourd’hui, même si ça fait partie de mon parcours. J’ai compris depuis que j’ai volé des trucs à des gens qui étaient sans doute autant dans la merde que moi. N’empêche que ça continue quand même : si tu t’appelles pas Martin, tu seras pas sur le même pied d’égalité. Je le vois tous les jours. Mais au fond, ce que je veux, c’est que ça aille mieux pour tout le monde en France.
J’ai fini par retrouver du boulot. J’ai complètement arrêté de boire. Plus une goutte, jamais ! Mon corps a dit stop à un moment. Et puis j’ai été agressé, dehors, et ça a été un choc et un tournant. J’ai été hospitalisé pendant quinze jours et ça m’a aidé à me remettre d’aplomb. C’était un taré de la rue qui a failli me jeter dans la flotte, à Lyon. Il m’a mordu, m’a mis des coups de poing. Bref… J’allais mieux en sortant. Aujourd’hui, je suis un travailleur pauvre. J’ai créé mon entreprise pour être à mon compte, indépendant. J’aime pas rester à rien faire. Je suis dans le nettoyage. Ça se passe bien. Mais l’argent rend les gens dingues… C’est de pire en pire. À partir des années 1990, c’est devenu pire : tout va tellement vite !
Toutes les photographies sont de Maya Mihindou.