Claude Cahun, aucune femme n’est une île


Texte paru dans le numéro 7 de la revue papier Ballast (janvier 2019)

Elle était pho­to­graphe, poé­tesse, écri­vaine ; bref, artiste. Liée au mou­ve­ment sur­réa­liste et à l’Association des écri­vains et artistes révo­lu­tion­naires dans les années 1930, Claude Cahun se ver­rait condam­née à la peine capi­tale par la Cour mar­tiale alle­mande sous l’Occupation, la décen­nie sui­vante, en rai­son de son enga­ge­ment en faveur de la Résistance. Homosexuelle, son tra­vail pho­to­gra­phique n’a eu de cesse d’interroger les sexes et leurs fron­tières : « Masculin ? Féminin ? Mais ça dépend des cas. Neutre est le seul genre qui me convienne tou­jours », disait-elle dans l’entre-deux-guerres. Portrait. ☰ Par Adeline Baldacchino


Il en est de cer­tains êtres comme de cer­taines îles — vous croyez les connaître pour les avoir beau­coup fré­quen­tés, mais leurs plus secrets replis vous res­te­ront à jamais étran­gers. Michaux, qui fut son ami, pas tou­jours le plus fidèle, le for­mu­lait ain­si : « J’écris pour me par­cou­rir. » Claude Cahun pho­to­gra­phiait, riait, s’écriait pour mieux s’arpenter. Qu’y a-t-il de plus entê­tant dans le désir de com­prendre que la fas­ci­na­tion ? Son indé­fi­nis­sable pou­voir de per­sua­sion, celui qui nous convainc qu’il y a là quelque chose à voir et à savoir der­rière la façade, de l’autre côté du miroir. D’un côté, Lucy Schwob, née neutre. De l’autre côté, Claude Cahun, « n’existe plus qu’en rêve — n’a pas ces­sé de rêver… ça non1 ».

« Claude vou­lait avoir le sexe des anges et se rêvait en gar­çon qui aime­rait les femmes, en femme qu’aimerait André Breton. »

Claude naquit Lucy Renée Mathilde Schwob. Claude n’est qu’un mirage, une vie pas­sée à se trans­for­mer en des­tin. Claude vou­lait avoir le sexe des anges et se rêvait en gar­çon qui aime­rait les femmes, en femme qu’aimerait André Breton. Claude, à force d’être inclas­sable, fut libre. L’état civil ne l’y pré­pa­rait pas plus qu’une autre : la petite Lucy est la nièce du grand écri­vain Marcel Schwob. Sur son ber­ceau flot­taient déjà les paroles d’un texte célèbre à l’époque, Le Livre de Monelle, une sorte de pré­quelle aux Nourritures ter­restres de Gide, ode sym­bo­liste à l’individualisme créa­tif : « Bâtis ta mai­son toi-même et brûle-la toi-même. / Ne jette pas de décombres der­rière toi ; que cha­cun se serve de ses propres ruines. / Ne construis point dans la nuit pas­sée. Laisse tes bâtisses s’enfuir à la dérive. / Contemple de nou­velles bâtisses aux moindres élans de ton âme. / Pour tout désir nou­veau, fais des dieux nou­veaux. »

25 octobre 1894 : Lucy vient au monde à Nantes, dans une famille aisée de la bour­geoi­sie intel­lec­tuelle. Le grand-père Georges fut à l’école avec Flaubert, fré­quen­ta Théophile Gautier, se pas­sion­na pour Fourier et Proudhon, devint l’ami de Jules Verne, fut atta­ché au vice-roi d’Égypte et secré­taire de l’institut fran­çais du Caire avant de rache­ter un jour­nal. La grand-mère Mathilde est une force de la nature, une femme que l’on remarque, « aux yeux bruns mêlés d’or vert invrai­sem­bla­ble­ment allon­gés vers les tempes, détruite par la flore incon­grue au bord des pau­pières supé­rieures de plates ver­rues brunes, sortes de maca­rons voi­lant le regard, […] crainte pour son mor­dant, et nom­mée pour son allure : l’imposante Madame George Schwob2. » Nous sommes là dans une grande famille juive alsa­cienne et répu­bli­caine, lar­ge­ment assi­mi­lée, farou­che­ment anti­clé­ri­cale. Georges et Mathilde ont eu trois enfants : le poète Marcel, la tante Marguerite, et Maurice, père de Lucy, marié à Mary, Toinette — bref, la mère.

[Paul Klee]

Maurice est une sorte de magnat des médias, deve­nu patron du Phare de la Loire puis d’hebdos pari­siens, patriote et drôle, paraît-il. Son épouse Mary, catho­lique issue d’une famille au tro­pisme anti­sé­mite que déteste la grand-mère Mathilde, ne va pas bien. On ne sait pas ce qui ne va pas mais le fait est qu’on l’enferme, qu’on parle de crises et de convul­sions, qu’on la désigne comme hys­té­rique et vic­time d’hallucinations. Lucy n’a que 3 ans quand elle est arra­chée à sa mère qui sera inter­née pen­dant une tren­taine d’années. L’enfant ne la ver­ra presque plus. La mère dis­pa­raît du monde, et même des calen­driers — elle mour­ra seule, des années plus tard, à une date incon­nue de sa propre fille. Claude se rêve­ra dès lors une mère trop inno­cente et trop sau­vage pour avoir été accep­tée par la socié­té : « Impulsive, sub­ver­sive sans le savoir, elle s’aliénait aisé­ment son milieu et n’en trou­vait pas d’autre… hor­mis la mai­son de san­té. […] Son intel­li­gence était mise en échec par une hyper­sen­si­bi­li­té de chat. » La mère fut une femme lit­té­ra­le­ment enfer­mée pour avoir été trop insai­sis­sable. La fille ne vou­dra pas d’enfant. Quand Lucy devient Claude, elle se fait opé­rer pour être bien sûre de n’en jamais avoir. Il en est de cer­tains êtres comme de cer­taines îles : énigmes irré­duc­tibles, nées d’un pay­sage informe brouillé par la pluie qui les par­court, et nous conti­nuons de grat­ter la terre pour comprendre.

« On envoie les jeunes filles en Suisse, elles voyagent, elles s’aiment, elles rêvent de créa­tion lit­té­raire, pho­to­gra­phique, plastique. »

Lucy est éle­vée par la grand-mère pater­nelle, iras­cible et impa­tiente. Elle se donne pour modèle « l’enfant au renard » de l’éducation spar­tiate : celui qui, ayant volé un renard dis­si­mu­lé sous sa robe, se lais­sa déchi­rer à coups d’ongles et de dents sans dire un mot plu­tôt que d’être décou­vert. Fière et ne sachant pleu­rer. La petite fille qu’on agresse au lycée de Nantes pen­dant l’affaire Dreyfus a 13 ans et les yeux secs. On l’a accro­chée avec des cordes à sau­ter à un arbre, pour la lapi­der avec du gra­vier. Le père s’inquiète, sou­pire, sou­tient Dreyfus sans en avoir envie, veut pro­té­ger sa fille sans savoir com­ment s’y prendre, ne se sent jamais très juif, vou­drait bien qu’on oublie toutes ces his­toires de reli­gion, règle les pro­blèmes en les enter­rant : de fait, il l’expédie en pen­sion en Angleterre, où elle appren­dra la langue et lira sans discontinuer.

À son retour, en 1909, elle a 15 ans quand sa vie bas­cule. Le père s’est rema­rié et sa seconde épouse est déjà mère d’une fille d’un pre­mier mariage : Suzanne Malherbe, l’amour défi­ni­tif. Lucy découvre dans cette France début de siècle et pri­vi­lé­giée les affres de la pas­sion mau­dite. Elle se drogue gen­ti­ment à l’éther, jeûne sur les conseils d’un astro­logue anglo-hin­dou, veut écrire, veut mou­rir, veut encore écrire. Alors, les parents cèdent. L’homosexualité inavouable de leurs filles pas­se­ra pour une soro­ri­té de cir­cons­tance. Peut-être aus­si sont-ils plus tolé­rants qu’on ne l’imagine : on envoie les jeunes filles en Suisse, elles voyagent, elles s’aiment, elles rêvent de créa­tion lit­té­raire, pho­to­gra­phique, plas­tique (Suzanne sculpte) et vivent d’une pen­sion confor­table avant d’emménager ensemble. Elles ne se quit­te­ront plus.

[Paul Klee]

Mais il faut que Lucy devienne Claude, qu’elle noue les fils du des­tin qu’on se choi­sit. Lucy tourne autour de pseu­do­nymes divers des années durant avant de se fixer sur Claude Cahun en 1917. Cahun ne sera pas qu’un masque : ce sera le seul nom qu’elle consi­dère comme le sien propre, le vrai visage de son âme. Le nom secret que l’on se donne quand on sait que l’on ne se res­semble pas. Cahun fut le nom de jeune fille de la grand-mère Mathilde, mais ren­voie aus­si aux « fils de Caïn », un nom « incon­tes­ta­ble­ment youtre », reven­di­que­ra-t-elle dans ses Confidences au miroir — si on veut vrai­ment la lier à un arbre pour lui jeter des pierres comme en cette cour d’école anti­drey­fu­sarde, elle y res­te­ra lovée dans la fer­veur des feuilles jusqu’à la fin de son monde, se dit-elle : ain­si s’accorde-t-on peut-être la liber­té qu’on a vou­lu vous for­cer à endos­ser. Cahun, c’est enfin le nom d’un cou­sin qu’elle aima et qui l’aimait, tué dans les tran­chées. Les res­sorts les plus secrets sont par­fois les plus simples. Quant à Claude, c’est avant tout un pré­nom épi­cène — inter­chan­geable, ni fémi­nin, ni mas­cu­lin. Le pré­nom de celle qui veut être à peu près tout, sauf cap­tu­rée, sauf capturable.

« Quant à Claude, c’est avant tout un pré­nom épi­cène — inter­chan­geable, ni fémi­nin, ni masculin. »

L’écrivain Claude Cahun publie très tôt dans de nom­breux jour­naux de l’époque : des contes sym­bo­listes et des chro­niques de mode, des comptes-ren­dus de pro­cès (celui d’Oscar Wilde en par­ti­cu­lier) et des séries de por­traits ima­gi­naires d’Héroïnes ambi­guës. Elle joue du pia­no, rédige, rêve ; elle s’intéresse à Dada, à la phi­lo­so­phie, aux auto­por­traits. C’est dans les années 1920 qu’elle amé­nage rue Notre-Dame-des-Champs un labo­ra­toire où elle réa­lise de nom­breux tirages, mar­qués par le goût du tra­ves­tis­se­ment, de l’effet magique, de l’accumulation inso­lite et de la bipo­la­ri­té — toute une mytho­lo­gie homo­sexuelle et sur­réa­liste, faite d’éclectisme et d’indétermination. C’est encore l’époque des ren­contres lit­té­raires à n’en plus finir, de la librai­rie d’Adrienne Monnier qui lui reproche à demi-mots sa super­fi­cia­li­té et son côté esthétisant.

La jeune femme, qui devien­dra pour­tant une liber­taire consé­quente, condam­née à mort par la Gestapo et réchap­pée des pri­sons de Jersey, penche pen­dant ces années de for­ma­tion vers un anar­chisme indi­vi­dua­liste et scho­pen­haue­rien, plus dan­dy qu’engagé, plus joueur que vis­cé­ral. Comment se forge-t-on un des­tin avec tant de masques ? Elle aime por­ter la robe du soir et les pan­ta­lons de velours, les épingles à cra­vate et les che­veux courts, le cha­peau d’homme et le maquillage. Ce n’est plus tout à fait une excep­tion dans l’époque : Colette ou Marguerite Yourcenar, leurs amies actrices et artistes ne s’en privent déjà plus. On la retrouve tête rasée ou che­veux teints. Elle joue avec son corps comme avec son âme. « Ce n’est qu’après un grand nombre d’exercices […], ce n’est qu’en nous rési­gnant aux par­tia­li­tés néces­saires, que nous pou­vons dur­cir les moules de nos propres masques », écri­ra-t-elle dans Aveux non ave­nus. Avant que les études de genre ne viennent labou­rer ce ter­rain, Claude Cahun l’habite déjà : « Masculin ? fémi­nin ? mais ça dépend des cas. Neutre est le seul genre qui me convienne tou­jours. » Elle s’invente, sin­gu­lière et unique, ni tout à fait ceci, ni jamais cela. Qu’importe au fond le sexe des anges, tant qu’ils peuvent voler ?

[Paul Klee]

Claude Cahun ne se signale jamais autre­ment qu’en écri­vain. Elle ne sup­porte pas les éti­quettes. « Le fémi­nisme est déjà dans les fées3 », iro­nise-t-elle. Le dire n’est pas l’être. L’être n’est pas le res­ter. Elle n’aime pas « les femmes » mais Suzanne, qui est « l’autre moi ». Elle n’aime pas tant son corps que ce qu’elle peut en faire quand elle le met au ser­vice d’un miroir qui lui ren­voie toutes les défor­ma­tions pos­sibles. Elle aura du goût pour le natu­risme et les dan­seuses nues. Le sous-com­man­dant alle­mand de Jersey en 1944 évoque dans son jour­nal les pho­to­gra­phies exhi­bi­tion­nistes et sado­ma­so­chistes trou­vées chez elle durant la guerre. Claude le racon­te­ra à André Breton, sur un ton plu­tôt jubi­la­toire et amu­sé. Les auto­por­traits et cli­chés qui nous sont par­ve­nus sont éro­ti­sants, sug­ges­tifs — non pas obs­cènes. « Je ne suis pas aus­si vicieuse que j’essaie de le paraître. C’est un mau­vais genre que je me donne, voi­là tout4. » Elle met en valeur des lèvres, des mains, des jambes. Elle déforme les crânes. Elle déforme le sens avec des images comme les sur­réa­listes avec leurs mots.

« Deux biais pour celle qui, sans jamais ces­ser de jouer, réa­lise que même les meilleurs acteurs finissent par mou­rir : la fidé­li­té et l’action. »

Mais il y a dans son rap­port au sur­réa­lisme quelque chose qui ira bien au-delà de l’emportement esthé­tique. Il s’y joue en effet deux élé­ments qui la sauvent sans doute de ce qui res­sem­ble­rait sans cela au lent ver­tige d’un marasme nar­cis­sique, à une énième quête éper­due dans un XXe siècle égo­cen­trique. Deux figures de vie plus que de style qui, bien qu’imprégnées de la sub­ver­sion sur­réa­liste, la dépassent et la trans­fi­gurent. Deux biais pour celle qui, sans jamais ces­ser de jouer, réa­lise que même les meilleurs acteurs finissent par mou­rir : la fidé­li­té et l’action. Cahun fut une liber­taire soli­daire, une femme qui ne se déga­geait que pour enga­ger l’essentiel. Un per­son­nage oxy­mo­rique qui aurait pu naître en bour­geoise égo­tiste, gran­dir en artiste indif­fé­rente et mou­rir en réfu­giée de luxe. Ce n’est pas le des­tin qu’elle se choi­sit — et c’est jus­te­ment ce qui ne cesse en elle de contre­dire la logique mal­saine des lignes droites qui vaut encore leçon.

D’abord, il y eut dans son exis­tence ce que le sur­réa­lisme ne sut pas tou­jours esti­mer à sa juste valeur : l’amitié. Avec Michaux et avec Desnos, avec Crevel et avec Breton, s’établirent des liens que nul ne put dis­tendre, pas même l’absence ou le silence. Avec Michaux, ce fut l’accord par­fait de deux fous qui se recon­nais­saient. L’un des rares por­traits de l’écrivain — qui ne les sup­por­tait pas — est un pho­to­mon­tage de Claude Cahun dans lequel il appa­raît dédou­blé. Elle l’aida à apprendre l’anglais. Couvrit ses pre­mières amours avec la femme du psy­chiatre Ferdière, Marie-Louise — c’est à elle qu’il dédie­ra son plus grand texte, Nous deux encore (« J’ai eu froid à ton froid. J’ai bu des gor­gées de ta peine. »). Michaux, son double et son ami, l’homme des para­doxes et de l’impossible atta­che­ment, de l’hypocondrie et du refus d’assignation, « né troué » comme elle, écri­vant au lit comme elle, presqu’aussi indé­fi­nis­sable sous sa cara­pace d’homme qu’elle l’était sous sa peau de femme, le seul peut-être qui fut aus­si sau­va­ge­ment indomp­table qu’elle — le seul qui la déce­vra vrai­ment, n’écrivant plus pen­dant la guerre, lais­sant Claude et Suzanne à leur lent sen­ti­ment d’isolement et de déses­pé­rance. Tous les fidèles ne sont pas récom­pen­sés. Lorsque, après la guerre, elle recom­men­ce­ra ses longues cor­res­pon­dances avec les amis d’avant, elle retrou­ve­ra l’exaltation et l’illusion, plus jamais la fer­veur et la cha­leur. Les très fidèles trop déçus meurent tôt.

[Paul Klee]

Mais il n’est pas encore temps de l’accompagner sur l’autre rive. Avant cela, il faut essayer de com­prendre l’autre tour­nant qu’elle sut prendre : l’inflexion révo­lu­tion­naire d’une pen­sée qui fuit pour­tant avec constance l’embrigadement. Comment la jeune poète sym­bo­liste, la pho­to­graphe sans le savoir, la met­teuse en scène de son corps, devint-elle une résis­tante habi­tée, capable à elle seule de bou­le­ver­ser tout l’état-major alle­mand de Jersey pen­dant des mois ? Comment celle qui refu­sait abso­lu­ment la poé­sie de pro­pa­gande et de cir­cons­tance va-t-elle se retrou­ver embar­quée dans une aven­ture indis­tinc­te­ment lit­té­raire et mili­tante ? C’est au creux de ce mys­tère-là qu’on pour­ra seule­ment déchif­frer le secret de l’île.

« Voici Claude Cahun à la fin des années 1940. Elle va bien­tôt mou­rir. Elle a déjà été condam­née à mort et elle en a réchappé. »

Voici Claude Cahun au milieu des années 1930. Elle a pro­ba­ble­ment lu Stirner et Nietzsche. Si elle est anar­chiste, c’est en indi­vi­dua­liste. Si elle est sub­ver­sive, c’est en céré­brale. Si elle paie de son corps, c’est en amou­reuse de la sin­gu­la­ri­té par­faite, de l’exception bizarre. Elle ne pense pas avec Éluard que « les poètes parlent pour tous ». Pas vrai­ment avec Lautréamont que « la poé­sie doit être faite par tous. Non par un. » À vrai dire, elle ne veut par­ler pour per­sonne — elle qui ne sait pas de qui elle parle. La poé­sie, c’est le grand écart ou rien. Avec le monde et avec soi-même. Elle a écrit des Aveux non ave­nus plein d’aphorismes et de for­mules bru­tales, de pépites qui brillent comme du strass dans le noir, d’éclairs et d’automatismes, de méta­phores hau­taines et de fuites désem­pa­rées à tra­vers le lan­gage. Elle n’en peut plus d’écrire comme si l’on ne pou­vait jamais rejoindre le secret de l’île. En 1938, elle achète une ferme à Jersey, elle s’y ins­talle avec Suzanne. Se teste et se cherche, face à l’océan. N’en repar­ti­ra jamais.

Voici Claude Cahun à la fin des années 1940. Elle va bien­tôt mou­rir. Elle a déjà été condam­née à mort et elle en a réchap­pé. Elle a un abcès au rein, et trois chats qu’elle aime fol­le­ment. Elle serre entre ses dents l’insigne nazi, le « sale oiseau » que lui a don­né un offi­cier anti-nazi en pri­son. Elle a sa carte de résis­tante. Elle écrit à un ami : « Vivre (écrire) est pour moi cette impos­sible acro­ba­tie de la poé­sie à l’historicité. » Elle a mêlé sa vie poé­tique à sa vie réelle. Elle a écrit comme on écrit (aus­si) pour les autres. Elle a rejoint. Elle est deve­nue, je crois, ce qu’elle vou­lait être. Mais entre les deux, alors, que s’est-il pas­sé, au creux de l’île ? Juste avant de par­tir, Claude avait com­men­cé à explo­rer la vaste ques­tion de l’engagement. D’abord en adhé­rant à l’Association des écri­vains et artistes révo­lu­tion­naires, l’AEAR — plon­geant ain­si tête la pre­mière dans les débats sur la liber­té artis­tique et la révo­lu­tion sovié­tique. Les sur­réa­listes résistent vite à l’injonction qui leur est faite par la voix du Parti com­mu­niste de ser­vir l’idéologie sta­li­nienne. Breton quitte l’association en 1933, sui­vi de Claude. Proche des trots­kystes et d’un petit groupe de mar­xistes qui se veulent liber­taires, ras­sem­blés sous le nom de « groupe Brunet », fré­quen­tant les amis anar­chistes de Victor Serge, récu­sant abso­lu­ment l’enrôlement de la poé­sie au ser­vice d’un par­ti, réti­cente aus­si devant la ten­ta­tion de tout céder aux diva­ga­tions mytho­lo­giques de bon ton chez les amis de Georges Bataille et du groupe Contre-Attaque où elle ren­contre Roger Caillois, elle entre­prend de réflé­chir à l’articulation entre enga­ge­ment poé­tique et politique.

[Paul Klee]

Elle publie alors, en 1934, Les Paris sont ouverts, un pam­phlet dans lequel elle défend l’autonomie abso­lue de la créa­tion lit­té­raire. Largement occul­té par les textes qui lui suc­cé­de­ront (la décla­ra­tion de Breton et de Trotsky Pour un art révo­lu­tion­naire indé­pen­dant, puis Le Déshonneur des poètes de Benjamin Péret), ce livre cris­tal­li­sa pour­tant une large part du débat sur le rôle de la parole poé­tique. Issu d’un rap­port des­ti­né à la sec­tion lit­té­raire de l’AEAR, il prit en réa­li­té la forme d’une contes­ta­tion par­ti­cu­liè­re­ment offen­sive des posi­tions d’Aragon en pleine gloire sta­li­nienne. Texte de rup­ture et d’élan, texte de grande vivante qui s’assume enfin en tant qu’intellectuelle, il ouvre la voie à l’incarnation d’une poé­sie vécue à laquelle elle consa­cre­ra les deux décen­nies qui lui res­te­ront à vivre. Elle dédi­cace le texte à Trotsky (et à Caillois !), à la fois parce qu’il défend depuis les années 1920 l’idée de l’art en tant qu’art, récu­sant la notion d’art pro­lé­ta­rien, et parce qu’elle se dit « émue du sort d’un Juif errant au pas­se­port sans visa5 », mais avoue­ra plus tard en avoir été gênée, ne l’ayant accep­té que sur insis­tance de ses amis. Le pro­pos, lui, est clair. D’une part, elle affirme que la poé­sie n’est pas une forme obso­lète de la créa­tion, un héri­tage bour­geois ou capi­ta­liste dépas­sé par l’exigence révo­lu­tion­naire. Poésie il y a tou­jours eu, et il y a aura tou­jours, comme les étoiles et comme le vent, comme la musique et comme l’écriture. Dès lors, la ques­tion est plu­tôt de savoir ce que serait une poé­sie réac­tion­naire ou contre-révo­lu­tion­naire. Pour elle, la réponse est à la fois simple et impos­sible à prou­ver — un pari sans cesse recon­duit : le poème n’est pas révo­lu­tion­naire par son conte­nu, son sujet, son thème, par ce qu’il dit expli­ci­te­ment ou ce qu’il défend ouver­te­ment ; le poème n’est au contraire puis­sant que d’être l’irrésistible tra­duc­tion d’une « force d’émotion ins­tan­ta­née d’un moment quel­conque de la vie intime ou col­lec­tive » du poète.

« Il ne s’agit ni de reve­nir à la poé­sie pure, ni de ver­ser dans le fos­sé de la poé­sie de pro­pa­gande. Erreurs paral­lèles. Fumisterie des deux côtés. »

La poé­sie telle que l’entend Claude Cahun n’est donc pas liée à des consi­dé­ra­tions de forme ou de rythme, de pro­cé­dé ou d’idéologie. Ce que le sur­réa­lisme a un jour récu­sé au nom de la liber­té furieuse de réin­ven­ter le monde, Claude le reven­dique aus­si au nom de la liber­té poli­tique. Il ne s’agit ni de reve­nir à la poé­sie pure, ni de ver­ser dans le fos­sé de la poé­sie de pro­pa­gande. Erreurs paral­lèles. Fumisterie des deux côtés. S’il faut sur­vivre quelque part, c’est sur la ligne de crête : à l’endroit même où la poé­sie, parce qu’elle est le lan­gage de la liber­té inté­rieure, parce qu’elle n’est que la mise à nu d’une âme pous­sée en ses retran­che­ments les plus intimes, se rac­corde et se rac­croche au monde. Et peu importe alors son énon­cé lit­té­ral ou her­mé­tique, sa sim­pli­ci­té ou son obs­cu­ri­té, son éso­té­risme auto­ma­ti­sant ou sa fière évi­dence — si elle est d’abord expé­rience d’une inten­si­té, tra­duc­tion de cette révé­la­tion sen­sible dans la langue qui l’accueille, alors elle sera révo­lu­tion­naire. Une fois pour toutes, Cahun a mis pour elle-même la chose au clair : il n’y aura jamais de char­rue poli­tique avant les bœufs de la poé­sie. Il y a d’abord la poé­sie, et ensuite, si la poé­sie est ce qu’elle est inévi­ta­ble­ment quand elle est fidèle au noyau secret de l’âme, la poli­tique qui peut en découler.

Ce que Claude Cahun décrète là ne va pas de soi. La contro­verse des poètes plus ou moins enga­gés, plus ou moins cas­qués, plus ou moins rebelles, n’en a pas fini de secouer le siècle, et encore notre temps. Où com­mence, où s’arrête donc le pou­voir d’action d’un poème qui n’est poème que d’être poème ? Cahun répond que ce qui importe, c’est l’effet. L’action indi­recte du poème quand il oblige la machine intel­lec­tuelle à s’éreinter sur le grain de sable du lan­gage. L’effet indi­rect de la syn­taxe qui achoppe au bord du réel. La force qui nous fait dérailler de l’intérieur : le temps de nous res­sai­sir. Car le poète n’a pas de fonc­tion. Ni celle d’entretenir les pots de fleurs cas­sés du sym­bo­lisme déca­dent, ni celle de bri­ser les vases pour le pro­lé­ta­riat triom­phant. Le poète n’est pas là pour ser­vir à quelque chose. Il est récu­pé­rable, évi­dem­ment, comme tout peut l’être. Mais pas plus récu­pé­rable de se vou­loir « sans qua­li­fi­ca­tif » (reproche que lui fait à l’époque Aragon, consi­dé­rant que le sur­réa­lisme tourne à vide au ser­vice de la classe domi­nante dès lors qu’il ne sert pas expli­ci­te­ment l’URSS). Tout, nous dit Claude, peut tour­ner à vide, mais plus à vide encore le poète idéo­logue capable de com­mettre un poème comme « La prise de pou­voir », « Allo / Allo / Radio Paris / Prolétaires de tous les pays Unissez-vous / Allo » (Aragon, juillet 1933). La vraie sub­ver­sion dit-elle « Allo » avant de mon­ter sur les bar­ri­cades ? Le poète n’a que faire d’être le per­ro­quet du pou­voir, même du pou­voir qui pré­tend mettre à bas tous les autres pouvoirs.

[Paul Klee]

Ce que serait une poé­sie pro­pre­ment révo­lu­tion­naire, certes, on ne le sau­ra jamais. Le poème « effi­cace », on ne peut que parier sur lui : le devi­ner, le sus­ci­ter, l’attendre. L’intuition vous dira si vous le croi­sez. Jamais mer­ce­naire, jamais publi­ci­taire, la poé­sie ne s’accomplit que dans ce décro­chage qui ne la sort pas du jeu du monde, mais la place tou­jours dans les marges du mani­feste, dans les replis de l’évidence, où se nouent les répliques de la vie secrète. Et c’est ain­si que se refor­mu­le­ra plei­ne­ment l’idée chez Reverdy : « Le poète se dégage dans la mesure où l’homme s’engage, et l’homme déga­gé per­met au poète de s’engager6. » La boucle est bou­clée : le poète et le mili­tant ne s’excluent ni ne se super­posent. Ils coha­bitent, au mieux. L’un ne sert pas l’autre, au risque que l’autre étouffe l’un. Péret en rajou­te­ra : il faut « com­battre sur tous les ter­rains : celui de la poé­sie par les moyens propres à celle-ci et sur le ter­rain de l’action sociale, sans jamais confondre les deux champs d’action sous peine de réta­blir la confu­sion qu’il s’agit de dis­si­per et, par suite, de ces­ser d’être poète, c’est-à-dire révo­lu­tion­naire7 ».

« Pendant quatre années, voi­ci qu’elles lacèrent des affiches, mul­ti­plient les tracts, col­lages et pho­to­mon­tages sur papier car­bone et papiers de soie, inventent de faux codes. »

Reste à savoir ce qu’est ce ter­rain d’action propre au poète. À com­prendre com­ment il peut s’articuler avec l’urgence mili­tante. À prendre la mesure, dans le réel, de ce qui se joue der­rière une posi­tion qui doit aller au-delà de la pos­ture. C’est ici que va s’affirmer la cohé­rence et la force d’un par­cours intel­lec­tuel hors norme, allié à un cou­rage décon­cer­tant chez celle que tout pré­des­ti­nait à la ten­ta­tion du retrait confor­table. Qui aurait pu se taire et se ter­rer en lais­sant pas­ser l’orage. Partie s’installer en 1938 dans une demeure en gra­nit de Jersey avec Suzanne et le chat Kid qu’elles font pas­ser en contre­bande dans un sac Hermès pour esqui­ver la qua­ran­taine, elle pour­rait céder à la mélan­co­lie et au malaise qui l’envahissent très vite, accen­tué après la défaite par le sen­ti­ment d’être prise au piège. Et pour­tant, c’est là qu’elle se révèle. Elle le dira à Breton en 1946 : « Nous avons eu pen­dant quatre ans une acti­vi­té sur­réa­liste mili­tante comme nous avions vou­lu en avoir lors de Contre-Attaque. » D’abord à l’insu de Suzanne qu’elle veut pro­té­ger, puis avec elle, com­mencent les petites actions du quo­ti­dien, les seules pra­ti­cables au demeu­rant sur l’île : toutes formes d’action indi­recte à conno­ta­tion sub­ver­sive et déli­rante, propres à déclen­cher le trouble dans les rangs enne­mis, à recréer l’utopie d’une fausse bande orga­ni­sée, allant jusqu’à per­sua­der la Gestapo qu’elle a affaire à un véri­table réseau.

Pendant quatre années, voi­ci qu’elles lacèrent des affiches, mul­ti­plient les tracts, col­lages et pho­to­mon­tages sur papier car­bone et papiers de soie, ins­crivent par­tout les mots « Ohne Ende » deve­nus signes de ral­lie­ment fic­tif, inventent de faux codes des­ti­nés à semer la confu­sion sur des mes­sages semés dans toute l’île, fabriquent des objets inso­lites et confon­dants, annoncent de fausses nou­velles au milieu de vieilles chan­sons détour­nées, insèrent des docu­ments dans des maga­zines, paquets de ciga­rette, bou­teilles de cham­pagne, voi­tures et par­fois jusque dans le casque ou les bottes des sol­dats alle­mands, sans comp­ter deux numé­ros d’un faux jour­nal paci­fiste dac­ty­lo­gra­phié en plu­sieurs langues : c’est au total près de 6 000 docu­ments qu’elles vont fré­né­ti­que­ment pro­duire pen­dant la guerre !

[Paul Klee]

Elles sus­pendent aus­si des pan­neaux sar­do­niques dans les églises (« Jésus est grand, mais Hitler est plus grand encore. Car Jésus est mort pour les hommes alors que les hommes meurent pour Hitler »), fabriquent des croix de bois sur les­quelles sont gra­vées en alle­mand « Pour eux la guerre est finie », qu’elles dis­persent au cime­tière, y embrochent par­fois un crâne de pan­thère réchap­pé de leurs cabi­nets de curio­si­té sur­réa­listes, peignent des sous au ver­nis à ongles pour les regra­ver de slo­gans (« À bas la guerre ») et les mettent en cir­cu­la­tion dans les machines à sous du casi­no fré­quen­té par les nazis. Elles signent tout ce qu’elles peuvent sous le nom géné­rique du « Soldat Ohne Namen », le sol­dat sans nom, font croire à l’existence de ren­dez-vous secrets dans les grottes de l’île, qui mettent la Kommandantur sur les dents. Claude tente au cours de ses pro­me­nades de nouer des liens avec des pri­son­niers de guerre qui tra­vaillent aux for­ti­fi­ca­tions sur l’île. Offre à un Russe les chaus­settes que Michaux avait oubliées lors de sa der­nière visite. L’imaginaire a enfin rejoint le réel.

« La Gestapo cherche pen­dant quatre ans l’auteur de ces menées inquié­tantes, sans soup­çon­ner celle qui joue à la vieille dame en noir. »

Elle lutte enfin. Lutte vrai­ment, ni déga­gée ni enga­gée : poète et résis­tante, indis­tinc­te­ment résis­tante et poète. Avec les seules armes qu’elle connaît — des armes spi­ri­tuelles aux deux sens du terme, par l’humour et par l’esprit. Elle est alors sans cesse sur le fil de cet enga­ge­ment qu’elle dénonce tou­jours comme une cré­ti­ni­sa­tion, avant d’y retour­ner puisqu’elle ne peut s’en empê­cher. Peut-être alors vaut-il mieux être un cré­tin qui résiste qu’un poète qui col­la­bore. Elle veut n’être ni l’une ni l’autre et danse, sur cette ligne de crête. Quand on n’a que les mots, et qu’il faut les uti­li­ser comme des sabres, même quand on sait qu’ils font un bruit de tou­pie. Alors, elle lutte. Quand elle agit, elle le fait bien en poète. Elle a beau dou­ter des moyens qu’elle emploie, s’en vou­loir après coup de ne pas tra­vailler à son œuvre lit­té­raire, de pri­vi­lé­gier la sub­ver­sion pra­tique, elle a choi­si : elle est dans le monde, et dans ce monde-là, on ne peut prendre le par­ti de l’indifférence à l’insupportable. Dans ce monde-là, Claude n’aura pas écrit seule der­rière une lampe dans son bureau qui don­nait sur la mer, comme elle aurait pu le faire. Dans ce monde-là, Claude a choi­si de faire entrer la poé­sie dans la vie, et de rendre la vie à la poé­sie. Affranchie de toute illu­sion, mais enga­gée jusqu’au cou dans le seul coup qui importe — vivre à hau­teur d’homme, ou plu­tôt de femme.

La Gestapo cherche pen­dant quatre ans l’auteur de ces menées inquié­tantes, sans soup­çon­ner celle qui joue à la vieille dame en noir. Mais, pro­ba­ble­ment dénon­cées par une com­mer­çante, Claude et Suzanne sont fina­le­ment arrê­tées en juillet 1944. Craignant le pire, elles ont pré­vu de se sui­ci­der. Elles absorbent du Gardénal mais n’ont pas pré­vu la dose suf­fi­sante de poi­son. Enfermées, inter­ro­gées, humi­liées, mais peu mal­trai­tées semble-t-il par des nazis décon­cer­tés devant le spec­tacle qu’elles offrent, elles assistent à leur propre pro­cès avec un sen­ti­ment de théâ­tra­li­té géné­ra­li­sé. Le réel est en train de rejoindre l’imaginaire.

[Paul Klee]

Le débar­que­ment a eu lieu, les Allemands se savent en sur­sis. Si elles sont pas­sibles de la peine de mort, et d’ailleurs condam­nées à être fusillées, leur par­cours désar­çonne par trop les Allemands, qui tem­po­risent avant d’appliquer la sen­tence, voyant le vent tour­ner. Finalement gra­ciées en 1945, elles seront libé­rées en mai de la même année. D’une san­té fra­gile et fati­guée de tout, plus consciente que jamais des limites de l’héroïsme, ne regret­tant rien mais dési­rant encore tout, Claude reprend une cor­res­pon­dance active avec ses amis sur­réa­listes avant de mou­rir bru­ta­le­ment, en décembre 1954, d’une embo­lie pul­mo­naire. Suzanne la rejoin­dra volon­tai­re­ment en 1972 après avoir sou­li­gné dans son car­net quelques mots : « Absurdité de la vie. Valeur de l’engagement indi­vi­duel. »

« Finalement gra­ciées en 1945, elles seront libé­rées en mai de la même année. »

Celle qui vou­lait s’extraire de tout a pris sa part de tout. Dans un der­nier cour­rier à Paul Lévy, Claude Cahun dit récu­ser les mea culpa col­lec­tifs, toutes les « mome­ries machia­vé­liques per­met­tant aux vrais res­pon­sables, les hommes d’État, de reje­ter sur autrui leurs crimes et de pour­suivre leur cynique car­rière ». Elle sait bien, elle, que cha­cun est res­pon­sable de son rôle : de son masque, de sa place dans la tra­gé­die uni­ver­selle, bref, des actes his­to­riques qu’il peut poser dans l’espace poé­tique libé­ré par l’imaginaire, qui n’est qu’une autre facette de la liberté.

« Aucun homme n’est une île, un tout com­plet en soi ; tout homme est un frag­ment du conti­nent, une par­tie de l’ensemble », disait déjà John Donne au XVIIe siècle. Aucune femme n’est une île, même la plus sin­gu­lière, même celle qui dérive le plus loin de toutes les autres — aucune femme n’est une île mais il en est de cer­tains êtres comme de cer­taines îles, c’est quand vous croyez les connaître qu’ils vous glissent entre les doigts à la manière du sable rose de Groix, pous­sière chto­nienne mêlée de gre­nats incandescents.

Du moins ne les oublie­rez-vous jamais.


Illustration de ban­nière : Paul Klee

  1. Lettre à Charles-Henri Barbier, jan­vier 1951, citée par François Leperlier, Claude Cahun, L’exotisme inté­rieur, Fayard 2017 : bio­gra­phie de réfé­rence, dont l’auteur a aus­si pré­sen­té tous les Écrits de Claude Cahun ras­sem­blés chez Jean-Michel Place, 2002.[]
  2. Marguerite Cahun, Une jeu­nesse quai de Conti ( 1895–1900), inédit, Bibliothèque muni­ci­pale de Nantes, citée par François Leperlier.[]
  3. Aveux non ave­nus, paru en 1930 aux édi­tions Mille et une nuits.[]
  4. Ibid.[]
  5. « Confidences au miroir », dans Écrits.[]
  6. Reverdy, Cette émo­tion appe­lée poé­sie[]
  7. Péret, Le Déshonneur des poètes.[]

REBONDS

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Adeline Baldacchino

Elle essaie de mener une vie poétique. A un faible pour les inclassables et les oubliés, les aventuriers et les polygraphes. On peut suivre ses publications sur http://abalda.tumblr.com.

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