À Paris comme à Marseille : rendre la ville au peuple [1/2]


Entretien inédit | Ballast

Le 7 novembre 2024 s’ou­vri­ra à Marseille le pro­cès des effon­dre­ments de deux immeubles situés rue d’Aubagne, qui avaient pro­vo­qué la mort de huit per­sonnes. C’était il y a tout juste six ans. La colère des mil­liers d’ha­bi­tants du quar­tier à la mer­ci de pro­prié­taires peu scru­pu­leux est tou­jours aus­si vive. Les cade­nas condam­nant les immeubles insa­lubres n’ont pas dis­pa­ru et se par­tagent désor­mais les entrées du centre-ville avec les boîtes à clé qui donnent accès à des loca­tions courte-durée. Dans Du tau­dis au Airbnb le cher­cheur et mili­tant Victor Collet a écrit la chro­nique de ces muta­tions. Celles-ci trouvent leur pen­dant en Île-de-France, mar­quée par les chan­tiers du Grand Paris, que la grande messe olym­pique de l’é­té a accé­lé­rés. La géo­graphe Anne Clerval est l’une des obser­va­trices les plus avi­sées de la gen­tri­fi­ca­tion de la capi­tale — en témoignent ses ouvrages Paris sans le peuple et Les Naufragés du Grand Paris Express, co-écrit avec Laura Wojcik. Premier volet de notre entre­tien croi­sé : d’une ville à l’autre, les logiques de la gentrification.


Gentrification est un mot qui s’est popu­la­ri­sé au point de voir son sens gal­vau­dé et ses contours deve­nir flous. On finit par se deman­der ce qu’est ce phé­no­mène. Quelle défi­ni­tion en proposeriez-vous ?

Anne Clerval : La gen­tri­fi­ca­tion désigne une forme par­ti­cu­lière d’embourgeoisement : un chan­ge­ment de popu­la­tion dans des quar­tiers popu­laires, qui passe par leur trans­for­ma­tion maté­rielle — l’ha­bi­tat, mais aus­si les com­merces et l’es­pace public. Cela peut s’accompagner d’une trans­for­ma­tion sym­bo­lique, comme un chan­ge­ment d’i­mage, mais la ques­tion du chan­ge­ment maté­riel est déterminante.

Parmi les prin­ci­paux fac­teurs struc­tu­rels, il y a d’a­bord la dés­in­dus­tria­li­sa­tion, qui laisse des espaces vacants dans les villes et change la struc­ture des emplois — moins d’emplois ouvriers et plus d’emplois de cadres. Il y a ensuite ce que l’on nomme la métro­po­li­sa­tion, dont les effets varient entre Paris et Marseille. Ce phé­no­mène est lié à la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale, à la nou­velle divi­sion inter­na­tio­nale du tra­vail : c’est la concen­tra­tion des acti­vi­tés ter­tiaires stra­té­giques dans un petit nombre de grandes villes des pays riches. La gen­tri­fi­ca­tion s’explique aus­si par la spé­cu­la­tion immo­bi­lière et ce que le géo­graphe mar­xiste Neil Smith appelle le rent gap, le dif­fé­ren­tiel de rente fon­cière. Le fait qu’à un endroit don­né, ce que rap­porte le sol ou l’im­mo­bi­lier est sous-éva­lué par rap­port à leur ren­ta­bi­li­té poten­tielle si leur usage chan­geait. Neil Smith l’a iden­ti­fié comme un moteur majeur de la gen­tri­fi­ca­tion à New York dans les années 1970–1980.

« La gen­tri­fi­ca­tion désigne une forme par­ti­cu­lière d’embourgeoisement : un chan­ge­ment de popu­la­tion dans des quar­tiers popu­laires qui passe par leur trans­for­ma­tion matérielle. »

Paris est en ce sens une métro­pole mon­diale, en concur­rence directe avec Londres. Marseille, elle, ne l’est pas et ne peut pas jouer dans la même cour. Elle cherche en revanche à concur­ren­cer une ville comme Lille, qui est plus petite mais plus puis­sante éco­no­mi­que­ment, et plus métro­po­li­sée. Une ville qui, comme elle, a été capi­tale euro­péenne de la Culture, où des poli­tiques de patri­mo­nia­li­sa­tion, de réno­va­tion et de réha­bi­li­ta­tion ont fait qu’aujourd’hui le centre, qui était popu­laire et dégra­dé, est deve­nu bour­geois. Entre Marseille et Paris, les don­nées de l’Insee montrent que les pro­fils socio-éco­no­miques sont très dif­fé­rents. On a parié sur le fait que le TGV allait faire venir des Parisiens, mais ça reste à trois heures de Paris, ça ne per­met pas de vivre à Marseille et de tra­vailler à Paris. Il n’y a pas assez de pres­sion, de demande de loge­ments par des cadres supé­rieurs. À mon avis, c’est une des rai­sons qui expliquent pour­quoi la gen­tri­fi­ca­tion a pati­né à Marseille jus­qu’à récemment.

Victor Collet : Marseille se trouve en effet plu­tôt dans une phase ini­tiale de trans­for­ma­tion pour essayer de rendre la ville attrac­tive — ce qu’elle n’é­tait pas jus­qu’à pré­sent. Ce qui se passe res­semble fina­le­ment plus à la trans­for­ma­tion des ban­lieues du Grand Paris que tu décris dans Les Naufragés du Grand Paris Express. De mon côté, j’es­saie d’analyser com­ment une poli­tique de grands pro­jets d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire, entre­prise sur le long terme, comme par exemple Euroméditerranée, s’est conju­guée à ce double choc que sont les effon­dre­ments de la rue d’Aubagne en 2018 d’a­bord, puis du confi­ne­ment en 2020, pour conduire à la trans­for­ma­tion d’un centre-ville qu’au­cune poli­tique n’ar­ri­vait à véri­ta­ble­ment chan­ger jusqu’ici. À cela s’est ajou­té quelque chose que nous n’a­vions pas du tout vu venir — car jus­te­ment Marseille avait mau­vaise répu­ta­tion — et qui a for­te­ment accé­lé­ré cette dyna­mique : la tou­ris­ti­fi­ca­tion de masse et l’airbn­bi­sa­tion de Marseille.

[Maya Mihindou, « De l’amiante à Belsunce, Marseille »]

Pourquoi Marseille est-elle tant tou­chée par ces dynamiques ?

Anne Clerval : Ce qui se joue à Marseille est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant car c’é­tait peut-être l’une des der­nières grandes villes de France qui avait encore un centre popu­laire, ouvrier et immi­gré. Aujourd’hui, il paraît évident qu’un centre-ville est aisé, mais dans les années 1980, ce n’é­tait pas du tout le cas. La plu­part des centres-villes des villes de pro­vince étaient popu­laires, l’ha­bi­tat y était un peu dégra­dé, certes, mais pas très cher. Ils pou­vaient côtoyer des beaux quar­tiers, en géné­ral péri­cen­traux, mais les centres anciens dégra­dés n’é­taient pas encore pri­sés par les classes domi­nantes. Pour le com­prendre, Il faut reve­nir sur la struc­tu­ra­tion par­ti­cu­lière de Marseille. Les quar­tiers bour­geois, situés au sud, sont excen­trés et péri­phé­riques. Le centre, la bour­geoi­sie ne s’y inté­resse pas, sauf en termes d’in­ves­tis­se­ment. Elle n’est donc pas actrice de la gen­tri­fi­ca­tion dans le sens où elle ne cherche pas à y vivre. Cela dit, ce ne sont pas non plus les bour­geois pari­siens qui ont fait la gen­tri­fi­ca­tion de l’Est pari­sien. Pour rien au monde, ils ne seraient allés vivre dans le IXe ou le XIXe arron­dis­se­ment, ils habitent les beaux quar­tiers de l’Ouest pari­sien. Il n’y a donc pas le même rap­port à la centralité.

Ce qui est remar­quable aus­si à Marseille, c’est qu’il y a eu des échecs de la gen­tri­fi­ca­tion. Les effets d’un pro­jet comme Euroméditerranée sont miti­gés, au moins sur le plan éco­no­mique. Il y a aus­si le cas de la rue de la République, une per­cée hauss­man­nienne à che­val sur le Ier et le IIe arron­dis­se­ment qui avait déjà connu un échec à l’é­poque, qu’on a essayée de réha­bi­li­ter récem­ment et de vendre à des fonds de pen­sion. Mais pas de chance, il y a eu la crise de 2008. Résultat, les pou­voirs publics ont dû rache­ter et faire des loge­ments sociaux dans cer­tains endroits de la rue. La dégra­da­tion de l’ha­bi­tat et l’in­cu­rie des gou­ver­nants, qui auraient pu réha­bi­li­ter avant, ont éga­le­ment frei­né la gen­tri­fi­ca­tion. En lisant Du tau­dis au airbnb, j’ai appris que cer­tains immeubles qui s’étaient effon­drés rue d’Aubagne appar­te­naient à Marseille Habitat qui était cen­sé les réno­ver, c’est dingue ! Est-ce que tu pour­rais reve­nir sur ce qui s’est pas­sé à ce moment-là ? 

« Face au trau­ma­tisme et à la peur de voir son propre immeuble s’effondrer qui s’est répan­due dans la ville, tout le monde s’est mis à regar­der les fissures. »

Victor Collet : Le 63 de la rue d’Aubagne appar­te­nait en effet à Marseille Habitat, donc à la muni­ci­pa­li­té, qui l’a­vait fait fer­mer en 2008 pour des tra­vaux qui devaient démar­rer en 2010 mais n’ont jamais com­men­cé — l’exemple type des pra­tiques tota­le­ment opaques de la muni­ci­pa­li­té. Juste à côté, la petite copro­prié­té du 65 se dégra­dait aus­si. C’est un cas typique de mar­chands de som­meil : à l’in­té­rieur, il n’y avait aucun pro­prié­taire occu­pant, seule­ment des pré­caires, des femmes céli­ba­taires, des sans-papiers, etc. — tout ce tis­su très repré­sen­ta­tif du cœur de Marseille et du quar­tier de Noailles — qui sous-louaient et vivaient dans des condi­tions dégra­dées et dégra­dantes. Ce sont des per­sonnes très cap­tives du mar­ché, puisqu’il n’y a que 4 % de loge­ments sociaux dans un quar­tier où 80 à 85 % des per­sonnes y seraient éli­gibles. Parmi les pro­prié­taires qui exploi­taient la vul­né­ra­bi­li­té de ces habi­tants, il y a un élu au conseil régio­nal, Xavier Cachard, dont le pro­cès se tien­dra en novembre pro­chain. Cachard a une triple cas­quette puisqu’il est à la fois pro­prié­taire, avo­cat du syn­dic cen­sé orga­ni­ser les tra­vaux de ces immeubles et… élu au conseil régio­nal ! Sa ligne de défense est de dire qu’il s’est tou­jours ran­gé au diag­nos­tic des experts. L’un d’eux, l’ar­chi­tecte Richard Carta, qui est aus­si mis en exa­men, a tou­jours affir­mé que l’im­meuble était viable. Dix jours avant l’ef­fon­dre­ment, ils ont même fait réin­té­grer tout le bâti­ment — sauf le pre­mier étage — après une inter­ven­tion des marins pompiers.

Le 5 novembre 2018, deux immeubles, le 63 et 65 de la rue d’Aubagne, s’effondrent. Huit per­sonnes meurent. Pour moi, ce moment incarne un effon­dre­ment moral et poli­tique, mais aus­si col­lec­tif. Une vague d’ar­rê­tés de péril a conduit à la fer­me­ture de 800 bâti­ments, au dépla­ce­ment et au délo­ge­ment de 5 000 à 6 000 per­sonnes, sans comp­ter toutes les auto-expul­sions : les squat­teurs, les per­sonnes qui pou­vaient se per­mettre de par­tir, etc. Face au trau­ma­tisme, et à la peur de voir son propre immeuble s’effondrer qui s’est répan­due dans la ville, tout le monde s’est mis à regar­der les fis­sures. Comme le dit Rachid, qui vit dans un autre quar­tier, dans le livre : « J’avais peur, tous les matins je mesu­rais les fis­sures, je regar­dais si elles s’a­gran­dis­saient. » Occupant à titre gra­tuit, il n’a pas atten­du le terme de la pro­cé­dure en jus­tice : il s’est barré.

[Théo Giacometti, « Marseille Fissures — Rue d'Aubagne, 7 novembre 2018 » | Hans Lucas]

Selon Dominique Dias, appe­lé au secours pour diri­ger le ser­vice des périls de la ville et sau­ver les meubles avant les élec­tions muni­ci­pales de 2020, Marseille a vécu pen­dant un an et demi sous un régime extra­or­di­naire. Il était alors pos­sible d’obtenir l’é­va­cua­tion d’un bâti­ment entier en moins d’un jour, et ce à peu de frais. Pour lui, les effon­dre­ments ont ain­si créé un « phé­no­mène d’op­por­tu­ni­té » — je rap­pelle qu’on parle d’une ville où il y a poten­tiel­le­ment 40 000 loge­ments pri­vés dégra­dés : 100 000 per­sonnes, soit 1/8e de la popu­la­tion, sont concer­nées. La lec­ture de ton livre, Anne, m’a fait prendre conscience de la folie et de la déme­sure de ce qui était en train de se pas­ser. Pour le pro­jet du Grand Paris Express, qui a été doté d’un bud­get de 35 mil­liards d’eu­ros avec une pro­gram­ma­tion sur quinze ans, il était pré­vu à peu près autant de délo­ge­ments que ce qui a eu lieu à Marseille en seule­ment trois ans !

Anne Clerval : En ban­lieue pari­sienne, il n’y a pas eu cet effet d’au­baine, cette libé­ra­tion inédite de loge­ments suite aux effon­dre­ments. À Marseille, même si les condi­tions étaient réunies pour l’explosion que tu décris — l’in­cu­rie de la mai­rie d’a­vant, l’ab­sence de loge­ment social et de régu­la­tion —, rien n’a été anti­ci­pé. Le Grand Paris est un méga­pro­jet qui, lui, est pla­ni­fié. C’est l’État qui est à la manœuvre pour créer un nou­veau réseau de trans­port trans­ver­sal autour de Paris — 200 kilo­mètres de nou­velles lignes et 68 nou­velles gares flam­bant neuves — avec les JO alors en ligne de mire et pour mon­trer que Paris est une ville aus­si forte que Londres. Il y a une volon­té de trans­for­mer les infra­struc­tures pour effa­cer la ban­lieue en fai­sant en sorte que des espaces qui n’é­taient pas ou peu acces­sibles le deviennent.

« L’objectif de mixi­té sociale des­sert sys­té­ma­ti­que­ment les classes popu­laires et va même à l’encontre du droit au logement. »

Mais c’est loin de n’être qu’un pro­jet de trans­port : tout devient plus ren­table quand on est au pied d’une gare. Ça faci­lite les inves­tis­se­ments pri­vés — dans l’im­mo­bi­lier, mais pas uni­que­ment : les trans­ports sont un moteur de l’ac­cu­mu­la­tion. Autour de cha­cune de ces 68 futures gares, dans un péri­mètre de 800 mètres (soit 10 minutes à pied) qui équi­vaut, au total, à une fois et demie la super­fi­cie de Paris, des décla­ra­tions d’u­ti­li­té publique ont don­né plus de force à la puis­sance publique pour pré­emp­ter ou expro­prier. Ça per­met de délo­ger des habi­tants et de den­si­fier l’habitat et ça ouvre un ter­rain de jeu immense pour les pro­mo­teurs ! Avec bien sûr un argu­ment éco­lo­gique, puis­qu’on den­si­fie la ville et construit des éco­quar­tiers, par­fois même à la place de jar­dins ouvriers. Et toute cette poli­tique de réamé­na­ge­ment du ter­ri­toire se fait bien sûr au nom de la mixi­té sociale.

Cette mixi­té sociale van­tée par­tout, « hégé­mo­nique dans les médias et les modèles des élus et des urba­nistes », en quoi est-elle, pour reprendre vos mots, une « escro­que­rie intel­lec­tuelle » 

Anne Clerval : Dans la conti­nui­té de l’idée de « seuil de tolé­rance » concer­nant l’accueil des immi­grés dans les loge­ments sociaux pen­dant les années 1970, les pou­voirs publics ont construit, à par­tir des années 1980 et les pre­mières émeutes dans les grands ensembles de loge­ments sociaux, l’i­dée selon laquelle la cause prin­ci­pale des pro­blèmes sociaux serait la concen­tra­tion géo­gra­phique des classes popu­laires — et en par­ti­cu­lier des immi­grés. Des pro­blèmes qui n’ont fait que s’aggraver depuis dans ces quar­tiers (échec sco­laire, pré­ca­ri­té, chô­mage, pau­vre­té, délin­quance). L’État et les col­lec­ti­vi­tés locales pré­tendent les régler en dis­per­sant les classes popu­laires, comme pour diluer la pau­vre­té au lieu de redis­tri­buer les richesses et les emplois. C’est dou­ble­ment un leurre. D’une part parce que la cause de ces pro­blèmes est ailleurs — dans les choix éco­no­miques faits depuis le tour­nant de la rigueur de 1983 et l’orientation néo­li­bé­rale des poli­tiques publiques. Et, d’autre part, parce que l’État n’a pas de moyens pour obli­ger les quar­tiers aisés à accueillir des loge­ments sociaux et des popu­la­tions pré­caires. Les seules mesures contrai­gnantes appli­cables pèsent uni­que­ment sur ces der­nières, pour les délo­ger et les dis­per­ser. De fait, en France aujourd’hui, l’objectif de « mixi­té sociale » des­sert sys­té­ma­ti­que­ment les classes popu­laires et va même à l’encontre du droit au loge­ment. Et c’est mal­heu­reu­se­ment une idéo­lo­gie, au sens mar­xiste du terme, qui domine les poli­tiques urbaines. Aujourd’hui, même les élus com­mu­nistes sont pri­son­niers de cette façon de pen­ser. Ils n’ar­rivent pas à pen­ser la ville popu­laire, ils pensent tou­jours la ville mixte.

[Théo Giacometti, « Manifestation contre la gentrification, 26 novembre 2022, Marseille » | Hans Lucas]

Dans votre livre, co-écrit avec Laura Wojcik, Les Naufragés du Grand Paris Express, vous par­lez d’une véri­table « poli­tique de peu­ple­ment ». C’est-à-dire ? 

Anne Clerval : Nombre des futurs quar­tiers de gare se trouvent dans des ban­lieues popu­laires. Saint-Denis-Pleyel en Seine-Saint-Denis, par exemple, le futur hub du Grand Paris, était un quar­tier très dégra­dé, avec beau­coup de mal logés. Les gens vivaient dans les pires condi­tions, qui res­sem­blaient à celles de la rue d’Aubagne. La seule dif­fé­rence, fina­le­ment, c’est qu’ils ont été délo­gés avant que les immeubles ne s’effondrent. À la place, ont été construits des bureaux, du loge­ment neuf en accès à la pro­prié­té à des prix com­pa­rables à Paris et un peu de loge­ment social. Chaque com­mune décide de la part des loge­ments sociaux dans ces futurs quar­tiers. Il n’y a pas de pla­ni­fi­ca­tion, ni éta­tique, ni régio­nale, ni métro­po­li­taine sur la ques­tion du loge­ment social, cha­cun fait un peu comme il veut. Et dans la plu­part des quar­tiers que nous avons étu­diés, les villes qui ont déjà plus de 25 % de loge­ments sociaux se servent des quar­tiers de gare pour réduire leur part de loge­ments sociaux. Elles cherchent à atti­rer une autre popu­la­tion — des Parisiens, des cadres, qui viennent parce qu’il y a une gare, du loge­ment neuf, et que les prix sont moins chers que dans Paris — pour chan­ger la « mau­vaise image » de la Seine-Saint-Denis, car c’est un pro­blème pour le tou­risme, les inves­tis­seurs et la répu­ta­tion de Paris au niveau inter­na­tio­nal. Rappelez-vous ces his­toires de no-go zones et qu’au moment des émeutes de 2005, la presse inter­na­tio­nale titrait : « La France est à feu et à sang ».

La proxi­mi­té avec Paris et le fait que beau­coup d’en­droits encore peu denses peuvent être den­si­fiés font de la Seine-Saint-Denis un immense rent gap. C’est un moteur, mais ça ne suf­fit pas. Le fait que ces endroits sont mal des­ser­vis est un pre­mier obs­tacle à la gen­tri­fi­ca­tion par le mar­ché, la très mau­vaise image en est un autre. Il y a aus­si beau­coup de grands ensembles de loge­ments sociaux, qu’aucun pro­mo­teur ne peut trans­for­mer seul. Pour aller plus loin en Seine-Saint-Denis que les com­munes limi­trophes reliées par le métro, où la gen­tri­fi­ca­tion pro­gresse déjà, comme Saint-Ouen, Saint-Denis, Montreuil évi­dem­ment, Les Lilas, Bagnolet, etc., les pro­mo­teurs ont besoin de l’appui de l’État pour inves­tir. Sinon c’est trop ris­qué. Contrairement à ce qu’on dit, les entre­pre­neurs capi­ta­listes sont très fri­leux. Ils aiment bien être sécu­ri­sés par l’in­ves­tis­se­ment public. Dans cer­tains quar­tiers, cer­taines péri­phé­ries, le poten­tiel de gen­tri­fi­ca­tion ne peut donc se réa­li­ser que si un inves­tis­se­ment public consé­quent per­met à des inves­tis­seurs pri­vés de récu­pé­rer la plus-value. Et c’est ce qu’on observe : les gares, par exemple, sont le meilleur argu­ment pour vendre un loge­ment. Pas d’effet d’aubaine, donc, mais une poli­tique volon­taire de gen­tri­fi­ca­tion là où le mar­ché ne pou­vait pas gen­tri­fier seul.

« Pas d’effet d’aubaine en Seine-Saint-Denis, mais une poli­tique volon­taire de gen­tri­fi­ca­tion là où le mar­ché ne pou­vait pas gen­tri­fier seul. »

Victor Collet : À Marseille, avant les effon­dre­ments, cer­taines choses ont mal­gré tout pré­pa­ré le ter­rain. Il y a eu une vraie inter­ven­tion poli­tique, locale, que ce soit par le choix de l’a­ban­don de quar­tiers entiers (Noailles, Belsunce) ou par leur reva­lo­ri­sa­tion. Les deux peuvent d’ailleurs être com­plé­men­taires : la Plaine a été lais­sée à l’a­ban­don pour légi­ti­mer sa réno­va­tion en criant à l’insécurité. Et la requa­li­fi­ca­tion de cette place Jean-Jaurès, la plus grande du centre-ville de Marseille, située dans un quar­tier popu­laire, a accé­lé­ré cette « mon­tée en gamme » du centre. Un des slo­gans lan­cés pen­dant la Marche de la Colère le 14 novembre 2018, juste après les effon­dre­ments, était : « 20 mil­lions pour détruire une place, pas une thune pour sau­ver Noailles ».

Mais que se passe-t-il ensuite ? Comment la fer­me­ture de 800 bâti­ments suite à des arrê­tés de péril et la vague d’auto-expulsions ont-elles accé­lé­ré la gen­tri­fi­ca­tion et la trans­for­ma­tion de Marseille ?

Victor Collet : L’obligation de réno­va­tion dans un centre très dégra­dé a créé une oppor­tu­ni­té dont se sont sai­sis plu­sieurs acteurs : Euroméditerranée, pour accé­lé­rer l’expulsion des habi­tants et la des­truc­tion d’immeubles, de rues, voire de quar­tiers entiers ; des pro­mo­teurs immo­bi­liers ; des gros pro­prié­taires ; des agents immo­bi­liers qui ont rache­té des tau­dis dont le prix était en chute libre, et les ont réno­vés à bas coût en pro­fi­tant d’aides publiques à la réno­va­tion pour les revendre plus cher ou les pla­cer sur des pla­te­formes de loca­tion sai­son­nière type Airbnb.

[Théo Giacometti, « Mal logement, le mal marseillais — quartier de Noailles, 7 mars 2019, Marseille » | Hans Lucas]

La muni­ci­pa­li­té Gaudin, qui essayait de sau­ver ses fesses avant les élec­tions, a mis en place un per­mis de louer à Noailles afin d’empêcher la loca­tion de loge­ments insa­lubres. Mais, pour échap­per à cette régle­men­ta­tion, les mar­chands de som­meil, qui ont appris à contour­ner les règles pen­dant des décen­nies, ont pla­cé bon nombre d’appartements en loca­tion tou­ris­tique ou en meu­blé de sai­son. Dès 2019, beau­coup de per­sonnes, et notam­ment les acteurs asso­cia­tifs qui militent depuis très long­temps dans le quar­tier, comme Un Centre-ville pour tous, ont aler­té sur le pro­blème de ces meu­blés tou­ris­tiques. Le prix à la nui­tée d’un Airbnb à Marseille est pas­sé en trois ans de 55 euros à 110–120 euros. Selon les appar­te­ments, il est pos­sible de faire avec le mar­ché tou­ris­tique de cinq à quinze fois plus que ce qu’on gagne­rait en logeant des habi­tants. La muni­ci­pa­li­té se défend en disant que les 16 000 annonces pour des meu­blés tou­ris­tiques, sans comp­ter celles qui passent hors pla­te­forme, comptent peu par rap­port à un parc de plus de 120 000 loge­ments. Mais c’est faire com­plè­te­ment abs­trac­tion de la manière dont ça pèse sur le reste du mar­ché immo­bi­lier. Le nombre de loge­ments dis­po­nibles est pas­sé de 13 000 loca­tions en longue durée en 2020 à moins de 3 000 en 2023. Quasiment dans le même temps, le nombre d’annonces dis­po­nibles sur la pla­te­forme de loca­tion Airbnb est pas­sé de 4 500 en 2016, au moment de l’Euro de foot­ball, à plus de 16 000 en 2022. Les courbes se croisent complètement.

Le quar­tier où le rem­pla­ce­ment de tau­dis par des Airbnb a été le plus visible, c’est Noailles et en par­ti­cu­lier la rue d’Aubagne. Des bâti­ments fer­més pen­dant trois ans pour réno­va­tion ont rou­vert pour accueillir des valises à rou­lettes et des tou­ristes. Deux ans après l’arrivée du Printemps mar­seillais à la mai­rie en 20201, un obser­va­toire de la gen­tri­fi­ca­tion a été créé. Le tra­vail de car­to­gra­phie qui a été fait a mon­tré que le tou­risme de masse, qui jusque-là res­tait concen­tré sur le Vieux-Port, le Mucem et les grands axes cir­cu­la­toires pour tou­ristes au sud, tou­chait désor­mais des quar­tiers consi­dé­rés comme impé­né­trables. Pour aider à ouvrir les yeux sur ce qu’il se passe, des col­lec­tifs mili­tants orga­nisent des balades urbaines. Visuellement, ça fait un choc : juste à côté des cade­nas muni­ci­paux et des portes blin­dées anti-squat qui condamnent des bâti­ments en péril, il y a main­te­nant des dizaines de boî­tiers à clés des Airbnb. Ce chan­ge­ment aus­si violent qu’inattendu est aus­si lié à un autre fac­teur : le confi­ne­ment a ampli­fié la gen­tri­fi­ca­tion. Beaucoup de per­sonnes ont débou­lé à Marseille — pas dans les quar­tiers Nord évi­dem­ment — parce que les prix au mètre car­ré sont ceux d’Aubervilliers mais avec vue sur mer. Des quar­tiers entiers sont aujourd’­hui en voie de gen­tri­fi­ca­tion, notam­ment les plus contre-cultu­rels et mili­tants comme ceux de La Plaine, le Cours Julien, mais sur­tout Noailles.

« Beaucoup de per­sonnes ont débou­lé à Marseille parce que les prix au mètre car­ré sont ceux d’Aubervilliers mais avec vue sur mer. »

Anne Clerval : L’habitat insa­lubre était aus­si une réa­li­té à Paris, dont on est en train de venir à bout par le mar­ché pri­vé, mais sur­tout par le fait que la mai­rie pré­empte et démo­lit les immeubles insa­lubres pour faire du loge­ment social. J’ai mon­tré dans mon tra­vail2 que cela pou­vait accom­pa­gner la gen­tri­fi­ca­tion, mais c’est tout de même autre chose qu’une poli­tique fon­dée sur Airbnb. À ce sujet, les pro­prié­taires pri­vés qui veulent louer sur Airbnb doivent théo­ri­que­ment deman­der une auto­ri­sa­tion. Qu’a fait la nou­velle muni­ci­pa­li­té de gauche à Marseille ?

Victor Collet : À la sur­prise géné­rale, en 2020, le Printemps mar­seillais a rem­por­té les élec­tions muni­ci­pales. Mais avec cette coa­li­tion de gauche — qui est d’ailleurs rapi­de­ment deve­nue une muni­ci­pa­li­té plus socia­liste qu’arc-en-ciel, car six mois à peine après l’é­lec­tion de Michèle Rubirola à la mai­rie, c’est Benoît Payan, un cacique du PS, qui a pris les rênes — les choses ne bougent pas tel­le­ment. Ils sont pris de court. Dominique Dias le dit clai­re­ment : « Ils ont gagné la muni­ci­pa­li­té, ils n’ont pas pris la ville. » Marseille étant une ville très pauvre, la mai­rie a donc peu de res­sources. L’ancienne adjointe à l’ur­ba­nisme Mathilde Chaboche, débar­quée depuis par le Printemps mar­seillais, disait dans une réunion publique que « sans l’apport du pri­vé, en par­ti­cu­lier des loca­tions de sai­son, on ne s’en sor­ti­rait pas ». Comme la muni­ci­pa­li­té Gaudin avant eux, ils attendent du pri­vé qu’il amé­liore la vie des habi­tants et qu’il prenne en charge la réno­va­tion du centre-ville.

[Théo Giacometti, « Marseille Fissures — Rue d'Aubagne, 7 novembre 2018 » | Hans Lucas]

Marseille est ain­si une des der­nières grandes villes de France à avoir régle­men­té le phé­no­mène des meu­blés tou­ris­tiques. Elle n’a com­men­cé à impo­ser ces régle­men­ta­tions qu’à par­tir de 2022 avec l’obligation de demande d’un chan­ge­ment d’u­sage en mai­rie. Il y a aus­si l’o­bli­ga­tion de com­pen­sa­tion : dès un deuxième loge­ment pla­cé en Airbnb, les pro­prié­taires ont l’obligation de le « com­pen­ser », soit en met­tant en loca­tion un loge­ment de sur­face équi­va­lente en loge­ment longue durée, soit en fai­sant construire, soit en trans­for­mant un loge­ment com­mer­cial. Ces obli­ga­tions ont été adop­tées parce que le phé­no­mène se déve­lop­pait à une vitesse effré­née du fait d’une niche fis­cale deve­nue une aubaine pour les spé­cu­la­teurs3.

Mais il n’y avait à la mai­rie en 2022 que trois contrô­leurs pour 16 000 annonces… À Paris, au même moment, on comp­tait 45 contrô­leurs — ce qui est clai­re­ment insuf­fi­sant — pour le triple d’an­nonces. Ça pose la ques­tion du contrôle, parce que les régle­men­ta­tions sont pas­sées, mais per­sonne ne les res­pecte. Sur les forums pri­vés Airbnb et les groupes Facebook Airbnb les mul­ti­pro­prié­taires rigo­laient, se disaient qu’il n’y avait vrai­ment pas à s’inquiéter, qu’ils pou­vaient y aller fran­co, puisque per­sonne ne véri­fiait les demandes de chan­ge­ment d’u­sage ou l’o­bli­ga­tion de com­pen­sa­tion. Aujourd’hui, il y a un contrôle plus ser­ré de la mai­rie sur les chan­ge­ments d’u­sage des loca­tions mais, concer­nant la règle de la com­pen­sa­tion, on ne sait pas [l’en­tre­tien a été réa­li­sé avant les der­nières décla­ra­tions du maire de Marseille annon­çant le dur­cis­se­ment de la régle­men­ta­tion, ndlr]. Il n’y a aucune pro­cé­dure en cours contre les « pro­prié­taires récal­ci­trants ». La mai­rie a pro­po­sé de leur envoyer un cour­rier « de rap­pel à l’ordre » deux jours après la fin des JO. Fin de l’histoire. La Ville a pour­tant recru­té trois nou­veaux agents en octobre 2023, peu après qu’une bri­gade offi­cieuse a fait un « kid­nap­ping » de boîtes à clés pour récla­mer l’« inter­dic­tion d’Airbnb et de tous les meu­blés tou­ris­tiques », pré­ve­nant : « Sinon, nous serons dans l’obligation de conti­nuer les kid­nap­pings de boîte à clés. Puis, nous atta­que­rons les petits trains, nous jet­te­rons les tou­ristes dans le Vieux-Port pen­dant les sel­fies, nous ferons foi­rer les JO. »

Anne Clerval : [rires] Si je com­prends bien, comme la muni­ci­pa­li­té a peu de res­sources, il n’y a donc aucune poli­tique en matière de pré­emp­tion et de loge­ment social ?

« Marseille est ain­si une des der­nières grandes villes de France à avoir régle­men­té le phé­no­mène des meu­blés touristiques. »

Victor Collet : Il faut en plus enta­mer un vrai com­bat poli­tique parce qu’une bonne par­tie des pré­ro­ga­tives sur le loge­ment est déte­nue par la métro­pole, qui reste aux mains de la pré­si­dente de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence, Martine Vassal, et des Républicains. Ils sont en train de le faire, mais ce sont des choses qui prennent énor­mé­ment de temps.

Anne Clerval : Est-ce qu’il existe un enca­dre­ment des loyers à Marseille ?

Victor Collet : C’est envi­sa­gé depuis un an et demi, mais ce n’est tou­jours pas pas­sé. Et, c’est un pro­blème que tu sou­lèves dans ton livre : l’en­ca­dre­ment des loyers arrive sou­vent après qu’une par­tie des habi­tants a déjà dû par­tir à cause de la hausse des loyers.

[Théo Giacometti, « Manifestation contre la gentrification, 26 novembre 2022, Marseille » | Hans Lucas]

Anne Clerval : À Paris, il y a en effet un enca­dre­ment des loyers mais pas un pla­fon­ne­ment. Il suit donc la hausse en fonc­tion des prix du mar­ché, c’est-à-dire que, théo­ri­que­ment, on ne peut pas aug­men­ter plus que la moyenne des prix les plus hauts consta­tés dans le quar­tier. Mais cette dis­po­si­tion est arri­vée bien trop tard, à un moment où les loyers étaient déjà trop chers, et de plus, elle est contour­née, notam­ment par les pla­te­formes comme Airbnb. Quelque chose qui se déve­loppe à Paris et qui est encore assez peu étu­dié, c’est la loca­tion à moyenne durée. J’habite dans un immeuble où, sur une tren­taine de loge­ments, six seule­ment sont encore occu­pés de façon clas­sique par des loca­taires. Tous les autres ont été recon­ver­tis non pas en meu­blés tou­ris­tiques, mais en meu­blés en loca­tion à moyenne durée — pour au mini­mum un mois et jus­qu’à deux ans — sur des pla­te­formes. C’est extrê­me­ment lucra­tif, trois fois le prix d’un loyer ordi­naire. Il y a aus­si des appar­te­ments qui ont été trans­for­més en salles de réunion et qui sont loués par des pla­te­formes. C’est une manière de contour­ner l’encadrement des loyers et c’est un angle mort. On les a dénon­cés à la pré­fec­ture, qui nous a répon­du qu’elle ne pou­vait rien faire : c’est une niche fis­cale et c’est légal. C’est une faille de la loi qui n’a pas encore été sai­sie, ni poli­ti­que­ment, ni juridiquement.


[lire le second volet]


Photographie de ban­nière : Cyrille Choupas | Ballast


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  1. Alliance de col­lec­tifs de citoyens et de par­tis de gauche qui a rem­por­té les élec­tions muni­ci­pales à Marseille en 2020 [ndlr].[]
  2. Anne Clerval, Paris sans le peuple, La Découverte, 2013.[]
  3. Un abat­te­ment fis­cal de plus de 71 % pour les meu­blés tou­ris­tiques et de plus de 50 % pour les meu­blés de sai­son, qui a été sup­pri­mé très récem­ment.[]

REBONDS

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