Entretien inédit pour le site de Ballast
Almamy Kanouté, trente-cinq années au compteur, est porte-parole et cofondateur du mouvement Émergence et éducateur. Il habite à Fresnes ; nous le retrouvons dans un café. Il ne prend rien, il jeûne. Derrière la stature imposante, un sourire chaleureux. Nous l’avions découvert comme tête de liste aux régionales de 2010 et il vient, avec l’association Rezus, de réaliser un reportage dans une classe de collège, au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo et l’hypermarché casher — l’occasion pour nous rencontrer et revenir sur son parcours et ses projets : fédérer, par-delà les fractures de partis, de religions et d’origines, les citoyens ordinaires contre les élites et les cols blancs. Et Kanouté l’assure : les mots d’ordre et les drapeaux traditionnels de l’extrême gauche ne suffisent plus pour convaincre.
Vous avez déclaré un jour que vous aviez à vous « battre deux fois plus » que vos parents. Que vouliez-vous dire ?
Mon père est arrivé du Mali dans les années 1970 ; il avait pris connaissance et conscience du fait que des gens, en France, même si celle-ci l’avait accueilli, ne souhaitaient pas voir sur « leur sol » des personnes venues de l’étranger. Mes parents sont mes premiers héros, même si je me suis beaucoup inspiré de la lutte des droits civiques des Afro-Américains et du panafricanisme. Mon père n’a jamais été à l’école, il s’est inscrit aux cours du soir, ici, jusqu’à devenir artisan-taxi. Très tôt, j’ai pris la mesure de tout un tas de situations problématiques mais ma fibre politique est venue très tard, à l’âge de vingt-deux ans. Je faisais un rejet total. J’avais conscience que nos parents avaient rasé les murs ; j’étais, adolescent, en pleine crise identitaire : est-ce que je suis français ou malien ? Je me cherchais. En France, bien sûr, on me disait que j’étais africain (donc je me mettais en marge de la société) ; au Mali, en vacances, j’étais montré du doigt comme le petit Français, le petit Blanc ! Je me demandais où était ma place. Aujourd’hui, je me reconnais en tant que français d’origine malienne : je n’ai plus de difficultés à me définir et à accepter qui je suis.
Et comment en êtes-vous venu à vous politiser, alors ?
« J’avais conscience que nos parents avaient rasé les murs, j’étais, adolescent, en pleine crise identitaire : est-ce que je suis français ou malien ? »
Pour moi, jeune, la politique, c’était un truc de Blancs, une logique de domination. On nous parlait de « démocratie » alors qu’elle n’était (et n’est) en rien appliquée par nos différents responsables politiques. Je la rejetais car j’avais en tête tous les militants qui s’étaient engagés dans la lutte pour l’émancipation et avaient, tous, perdu la vie dans des conditions… suspectes. D’où mon surengagement initial dans le milieu associatif. Mon père m’a élevé avec la musique traditionnelle d’Afrique de l’Ouest, avec Bob Marley, James Brown et Otis Redding ; je me suis intéressé à ce fond sonore, je me suis mis à fouiller. Mon oncle, qui avait fait des études, fut un des leaders des migrants des foyers Sonacotra, lorsqu’il fallait protester contre l’État. Il écrivait les courriers aux ministères, organisait des grèves… Mais je ne l’ai appris que très récemment ! Personne ne me l’avait dit car on me déconseille de m’engager. Mon oncle a gardé des séquelles de son implication militante. Nous, on doit être des relais, à notre niveau, on doit continuer le combat. Je maîtrise mieux le terrain que mes parents, forcément. On s’est fait tout seul. On a appris à surmonter les obstacles et les cercles vicieux. J’avance avec les conseils de mes parents et ceux de la rue. Nos parents ont fait ce qu’ils ont pu ; à nous, puisque nous ne sommes pas des immigrés, de passer le cap. On a l’héritage de l’immigration mais on est des citoyens français. Ça ne sert à rien de vouloir rester entre nous, de s’enfermer ; on n’est pas aux États-Unis ou en Angleterre. Les Afro-Américains subissaient de plein fouet la ségrégation raciale ; en France, c’est surtout de la ségrégation sociale. À une période de mon adolescence, j’étais dans cette optique : les Noirs avec les Noirs, les Blancs avec les Blancs. Mais non, on se trompe si on pense ça. Au collège, je me souviens bien que nous n’avions pas le réflexe de savoir qui, dans la classe, était quoi : athée, chrétien, juif, musulman, etc. Depuis, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, ce n’est plus ça ! Hier, j’intervenais dans un collège : sur une photo de classe de 3e, il n’y avait que des Noirs ; sur une autre de 4e, dans le même établissement, il n’y avait que des Blancs !
Quel a été le déclic qui a conduit à votre documentaire, dans un collège, justement, après les tueries de Charlie Hebdo ?
On y réfléchissait déjà avant, avec les camarades de l’association Rezus. Ça a accéléré la démarche. Aussitôt, l’élite (les cols blancs, comme on dit) a reproché à la banlieue de n’avoir rien dit à propos des massacres, de n’avoir pas pris position au cours de la marche du 11 janvier. On s’est dit qu’ils se payaient notre gueule : tendez-nous le micro, alors ! On n’a aucun moyen, presque pas d’outils, mais on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. On est intervenu dans le collège Aimé Césaire des Ulis et une journaliste était là pour filmer, durant trois heures. À l’arrivée, il n’en est resté que trois minutes – le rédacteur en chef a orienté tout ça comme il l’entendait (on a même disparu, nous, totalement de l’image). Les gosses ont dit des choses qui nous ont interpellés et tout ça avait disparu. On a décidé de récupérer les rushs pour montrer notre propre documentaire, avec le contenu complet. Sans rien censurer. Vu les retours et les réactions, on a réalisé qu’on a mis le doigt sur quelque chose. C’est à nous de nous prendre en main : médiatiquement, politiquement. L’émancipation passe par là. L’idée, ce n’est pas de passer sur BFMTV (même si on peut, et c’est bien, toucher des millions de gens), mais de diffuser nos propres contenus, sans craindre de froisser quiconque. Avec les gamins, on a mangé des claques. Ils sont extrêmement vifs, en terme de lecture : à onze ans, ils peuvent te dire que Sarkozy avait grimacé, durant une émission de radio, lorsqu’il entend qu’une femme musulmane prend la parole. Pour nous, c’est devenu banal, ces réactions de dénigrement, mais on réalise que pour les enfants ça ne l’est pas du tout. Ils étaient enthousiastes que des adultes les écoutent. On doit bâtir notre propre parole et refuser les séparatismes venus d’en haut : on peut refuser d’être « Je suis Charlie » et refuser d’être « Je ne suis pas Charlie ». C’est l’équilibre que je cherche à trouver.
Vous avez dit un jour que vous faisiez la différence entre les policiers et les institutions. Dans quel sens ?
La police, c’est une affaire depuis l’enfance. Quand tu es sujet aux contrôles au faciès, tu en gardes un souvenir amer. Tenez, j’avais quinze ans, je rendais souvent visite à mes oncles et, à côté de leur foyer, à Ivry, il y avait un Carrefour : je marche avec mon petit frère, on croise des CRS, ils nous coincent dans un coin. Contrôle d’identité. L’un d’eux nous demande notre origine. Puis me répond : « Vous savez que vous êtes trop ici, il va falloir penser à retourner chez vous. » Mon pouls s’accélère, on rentre, on était traumatisés, on n’a plus dit un mot de la journée. Mais, aujourd’hui, je parviens à désamorcer des contrôles : dans mon quartier, un groupe d’ados revient du foot et se fait contrôler sur un parking. J’y vais, pour voir ce qu’il se passe. Ce sont des gamins que je connais et que je suis, en tant qu’éducateur. Je demande aux officiers à voir leur commission rogatoire, car ils sont dans une résidence. L’un d’eux, aussitôt, se montre très agressif : « Ouais, tu veux qu’on te contrôle aussi ou quoi ? » Je leur réponds « Pourquoi pas ? », leur tends mes papiers et demande à parler à leur supérieur. Ils vont le chercher, énervés, je lui demande sa commission rogatoire. Il ne dit pas un mot et se retourne vers ses hommes, pour leur lancer : « Venez les gars, on se barre. » Les petits n’ont rien compris ! (rires) Il a suffi de poser une question technique, de droit. L’un des gosses me répond : « Mais on l’apprend pas à l’école, ça ! » (rires) Je leur dis que s’ils poursuivent leurs études, si l’un d’eux veut savoir comment comprendre tout ça, ils peuvent aller étudier le droit à l’université. Et, je vous le jure, l’un des trois jeunes est aujourd’hui en droit, il veut devenir avocat ! Tous les flics ne sont pas mauvais, mais il y a tout à revoir. Imposer, comme Valls a voulu le faire avant de renoncer, des tickets de contrôle, ce n’est même pas la solution : le problème, ce ne sont pas des individus isolés, tel ou tel policier, mais tout un système. On nous parle de ticket alors que la police, à l’heure où nous échangeons, là, continue de tuer des gens, ici, en France. Il y a eu deux morts, récemment, à Saint-Denis et gare du Nord. Et aucune réaction nationale. C’est pour ça que je parle d’un travail de fond, patient, sur le terrain. Pas des actions sous les projecteurs, avec éventuellement quelques célébrités ou quelques associations directement choisies par les institutions. Pour faire une révolution, il faut des gens prêts à prendre les armes – et quand je dis les armes, ça signifie, dans le contexte français, s’investir politiquement et électoralement. Une carte d’électeur, c’est une arme. C’est en comprenant ça que je me suis intéressé à la politique.
Vous parvenez à convaincre les jeunes qui, aujourd’hui, tiennent le discours que vous portiez quand vous aviez leur âge ?
« Mon problème est simple : parlez de
socialismeou decommunismeaux gens des quartiers, personne ne vous écoute. »
Ça dépend. Oui et non. Mais ils savent que je ne disparais pas au lendemain des élections, que je reste dans le décor, que je ne suis pas un col blanc. Je n’attends pas les scrutins pour qu’on bouffe ensemble. C’est un travail d’endurance et de longue haleine : il ne suffit pas de parler aux majeurs qui peuvent voter, mais aux plus jeunes. Voyez les Black Panthers : la fibre militante se transmet tout gamin. J’aime bien me présenter comme un produit raté de l’Éducation nationale : ce ne sont pas les cours d’éducation civique qui apprennent que des gens comme nous, sans réseaux, peuvent fonder un parti et se présenter à des élections. Et de voir que je parviens à m’impliquer en politique, malgré ma tête, ma barbe, ça stimule les plus jeunes – ils se disent que c’est possible ! Je ne suis pas dans la séduction, je ne me raserai pas : je suis un kamikaze politique, je me suis jeté à l’eau et je ne peux plus faire machine arrière ! (rires)
Votre mouvement, Émergence, a clairement fait savoir qu’il ne voulait pas se positionner sur la question du clivage gauche/droite. Pourquoi ?
Ça ne parle plus aux gens. J’étais invité par des communistes et l’un d’eux, un ancien, m’a reproché de ne pas intégrer le Parti pour porter, de l’intérieur, une proposition nouvelle. Mais mon problème est simple : parlez de « socialisme » ou de « communisme » aux gens des quartiers, personne ne vous écoute. J’ai dit à ces militants communistes qu’ils maniaient une langue démodée ; ils ont été choqués ! Ils m’ont demandé comment j’osais parler ainsi alors qu’ils m’avaient invité. Moi, je joue l’honnêteté. Le terrain ne les écoute plus. Va causer d’austérité à un gamin ! (rires) Il y a un fossé ; ils ne parlent plus aux gens qui ne sont pas déjà avertis et conscientisés. L’avenir, ce sont les listes citoyennes. Voyez Podemos. Ça ne sert plus à rien de réchauffer les vieilles choses, les vieux discours dogmatiques. À Fresnes, j’ai mis autour de la table des gens différents.
Sur quel socle commun ?
Notre ville. 26 000 habitants. On se connaît tous, pour ainsi dire. Avec notre association, on parvient à rassembler, lors d’évènements dans un gymnase, plus d’un millier de personnes. On nous impose les frontières au sein même de la ville, par quartiers : nord et sud. Il faut rejeter ça.
Mais vous avez eu des contacts réguliers avec Besancenot, par exemple. Il ne doit pas vous suivre, dans votre refus de vous rallier sous le drapeau de la gauche, ou de la gauche radicale.
On se connaît bien, on se consulte parfois et il comprend mon propos comme je comprends le sien. Le discours purement anticapitaliste, aussi, n’est pas toujours très bien entendu ou compris dans les quartiers : des jeunes vont vous dire qu’ils sont ok, sur le principe, mais qu’ils veulent monter des affaires. Ce que je dis, pour ma part, c’est qu’il y a de grandes énergies et qu’il faut les empêcher de quitter leur base : on doit construire des organisations locales et capter l’attention des gens. Faire des tracts dans son coin, ça ne sert à rien : regardez les manifestations, ce sont toujours les mêmes qui défilent, avec leurs drapeaux et leurs stickers. À quoi il faut ajouter un certain paternalisme, venant de la gauche.
Vous le sentez très présent ?
Bien sûr. Tous les jours. Les voiles ou ma barbe, ça pose problème à certains. Lorsqu’on a créé Émergence, les premiers qui nous ont tapés dessus ne venaient pas de la droite ! Ils se disaient même profondément de gauche. Il faut vivre ensemble, oui, mais pas le « vivre ensemble » qu’on décrète : on doit le fabriquer, le provoquer. J’ai choisi de dénoncer la négrophobie et l’islamophobie aussi bien que les actes antisémites ; je pense que les Bretons ont raison d’être fiers de leur culture (vestimentaire ou culinaire) et que les plats africains ne doivent plus, en France, être considérés comme exotiques. Je ne crois pas à l’entrisme en politique : on ne change rien de l’intérieur ; on peut juste faire pression de l’extérieur. Qu’est-ce qu’il a changé, Harlem Désir ? Et Christiane Taubira ? Rien. D’accord, le mariage pour tous, mais l’égalité pour tous ? Et là, on ne l’entend plus, Taubira. Parlez aux gamins des cités : ils vous disent, avec leurs mots, qu’ils ont l’impression qu’on en fait plus pour certaines communautés que pour d’autres. Et on prend le risque et le danger de laisser grandir ces enfants, de les laisser développer cette réflexion.
Vous parlez très souvent de deux violences : celle de la police et de l’État, d’une part, et celle que les habitants des banlieues pratiquent ou s’infligent entre eux. Pourquoi insistez-vous toujours sur cette double violence ?
« On doit fédérer tout le monde, sans privilégier personne ; on veut fédérer tous ceux qui subissent les injustices au quotidien et sont discriminés. »
Dans mon quartier, il n’y a pas de guetteurs. Notre action associative, depuis des années, a permis de se débarrasser de la drogue. Si tu n’occupes pas le terrain, les mauvaises graines poussent. C’est une question primordiale. On ne peut pas dénoncer uniquement les crimes d’État (même s’ils ont une conséquence directe sur la violence des banlieues), ce serait incohérent. De la même façon qu’on ne peut pas se contenter de dénoncer qu’un seul type d’injustices. Je ne suis pas, en tant que citoyen, favorable au mariage entre homosexuels, mais je serais le premier à m’interposer si on touche à un homosexuel. Personne, sous prétexte de je ne sais quelles différences, ne doit être laissé pour compte. On doit fédérer tout le monde, sans privilégier personne ; on veut fédérer tous ceux qui subissent les injustices au quotidien et sont discriminés (les gens qui galèrent — de partout, pas que des quartiers —, les musulmans, les femmes, les homosexuels, etc.). Et combattre tous les racismes : on pourrait, par exemple, arrêter de parler de lutte contre le racisme et l’antisémitisme — dire ça, c’est créer du clivage et des favoritismes (et ça alimente l’antisémitisme).
Vous aimez le rap et, récemment, Médine et Disiz ont fait savoir leurs inquiétudes face à la percée de « la dissidence » et de Soral dans les quartiers. Quel est votre regard là-dessus ?
Je suis entièrement d’accord avec eux. Les artistes possèdent des moyens de diffusion que l’on n’a pas ; leur discours est très important. J’ai connu Dieudonné, il y a très longtemps, et j’ai vu arriver Soral et sa bande d’extrême droite. J’ai alors pris mes distances et je suis sorti de ça, avant que ça devienne pour Dieudonné un vrai commerce. La première fois que j’ai vu Soral, d’ailleurs, c’était par hasard : je suis avec des amis, en train de discuter, et il débarque sans dire bonjour et nous dit qu’il a besoin, sous dix minutes, de gardes du corps. Silence total ; personne ne lui a répondu. Je ne savais pas qui il était. Lorsqu’il est parti, je demande à un de mes amis qui est ce gars qui nous prend pour ses larbins ; il me répond : « Tu connais pas ce bouffon ? » (rires) Il a marché avec le FN et il aurait une place avec nous ? Je refuse de m’asseoir à la même table que des gens, comme lui, qui ont contribué à une logique que je combats. Dieudonné n’est plus sincère dans sa défense de la cause noire. Le parti qu’il va monter avec Soral, c’est du business.
Vous n’êtes pas le seul mouvement issu des quartiers populaires à appeler à l’autonomie. Pourtant, vous semblez avoir une approche plus « ouverte » que certains qui s’en revendiquent aussi.
On n’a pas tous les mêmes logiques. Je suis à la fois intellectuel et pragmatique, dans une perspective de proximité. Je tiens vraiment à lier les deux en même temps. Certains, à leurs débuts, pouvaient avoir quelque chose de séduisant puisqu’ils étaient éclectiques, mais ils se sont métamorphosés : ça ne me parle plus. On n’a pas besoin d’être de la même race pour s’émanciper ensemble. Si des gens veulent se marier au sein de la même communauté, il n’y a pas de problème, mais on n’est pas aux États-Unis. La question des mariages mixtes, que posent certains en les critiquant, n’a aucune importance pour moi. Une cause concerne tout le monde. Bien sûr qu’il peut, sur certains sujets, y avoir des affinités majoritaires, mais si une personne est là, si elle se bouge, je ne regarde ni sa couleur, ni sa religion. Si tu es là, c’est qu’on peut avancer ensemble. Je n’ai pas besoin de crier sur tous les toits que je suis noir et pratiquant : ça se voit sur moi. Et ça arrange le pouvoir, ce repli communautaire (qui, d’ailleurs, le pratique très bien lui-même : regardez l’Assemblée nationale, c’est du communautarisme blanc) : les élites aiment nous voir entre nous, bien délimités dans un périmètre, bien circonscrits dans nos quartiers. J’emmerde bien plus les autorités en affirmant que je suis hors-zones, en cassant leurs paramétrages. Et si on pousse cette logique, ça ne concerne pas que les liens avec les Blancs : il y a les problèmes posés, dans nos quartiers, avec les unions entre Noirs et Arabes. Ce n’est pas tabou, il faut en parler. On en discute beaucoup, avec les rappeurs Fik’s, Médine et Youssoupha.
Les deux derniers ont traité le sujet avec leur morceau « Blokkk Identitaire », d’ailleurs.
« Les élites aiment nous voir entre nous, bien délimités dans un périmètre, bien circonscrits dans nos quartiers. J’emmerde bien plus les autorités en affirmant que je suis hors-zones, en cassant leurs paramétrages. »
Oui. Et Kery James en parle aussi. Il faut arrêter de le planquer, il faut crever l’abcès. En 2015, on ne peut plus se prendre la tête parce que untel est sorti avec une Noire ou unetelle avec un Arabe. Ça me désole d’entendre autour de moi des mômes se traiter de « sale noir », « sale juif » ou « sale blanc ».
Comment ceux qui produisent des idées politiques peuvent-ils toucher ceux qui ne viennent pas de ces milieux intellectuels et militants ?
C’est simple : par la musique et la vidéo. Les bouquins, c’est un cap à passer, c’est plus compliqué. Je veux d’ailleurs créer une compilation de rap, qui porte un propos politique fort.
Le journal Marianne vous a récemment épinglé, du moins l’émission à laquelle vous participez sur BeurFM (Les Z’informés), comme « islamiste ». Un dernier mot ?
J’en rigole. C’est de la folie. Ils détournent l’attention du public sur des faux problèmes. Marianne redoute de voir de nouvelles coalitions se créer, entre musulmans et athées, entre personnes de divers horizons. C’est encore brouillon, mais je sens qu’il se passe quelque chose en ce moment. On se réapproprie les réflexions, les débats, et ça fait peur. Quand on me demande ce que veut Émergence, je réponds, maintenant : « Voyez Podemos. » Les citoyens reprennent le dessus, les citoyens se rassemblent et mêlent des logiques différentes. On doit appliquer la démocratie, la vraie : on décide et on s’organise collectivement. C’est uniquement une question de volonté et de détermination. Ensuite, on prendra l’Élysée ! (rires) Et ce n’est pas avec les réseaux sociaux qu’on le fera : le like de chez soi, ça suffit. On doit convertir la masse virtuelle en masse physique.
Toutes les photographies d’Almamy Kanouté sont © Cyrille Choupas, pour Ballast.
Bannière : Eric Feferberg / AFP/Archives
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