Entretien inédit | Ballast | Série « Agriculture paysanne »
La remise des diplômes n’est pas passée inaperçue : il y a quelques jours de ça, de jeunes ingénieurs agronomes ont appelé à déserter les postes pour lesquels ils ont été formés. « Nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur Terre. Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques. » Et les trouble-fêtes d’inviter leurs pairs au sursaut : « Vous pouvez bifurquer maintenant. » Dans un ouvrage paru l’an passé, Reprendre la terre aux machines, la coopérative l’Atelier Paysan affirmait quant à elle : l’autonomie paysanne est le projet politique collectif qui émancipera celles et ceux qui travaillent la terre, tout en assurant une alimentation de qualité à l’ensemble de la population. Pour y parvenir, le collectif parie sur la socialisation de l’alimentation. Nous nous sommes entretenus avec lui. Cinquième et dernier volet de notre semaine « Agriculture paysanne ».
[lire le quatrième volet de notre semaine « Agriculture paysanne »]
Vous vous présentez comme une « coopérative d’autoconstruction ». Comment parler de votre atelier au premier venu ?
C’est la plateforme francophone des technologies paysannes. En d’autres termes, ce sont des groupes de paysans et de paysannes qui, partant du principe que la dépendance technique est un des principaux freins à l’autonomie paysanne, ont eu besoin de se réunir pour concevoir leur propre outil : outillage, machine, bâtiment. Autant d’outils nécessaires pour bâtir une autre agriculture — en gros, une agroécologie paysanne. Mais des outils qui soit n’étaient pas disponibles dans l’offre industrielle, soit n’étaient pas adaptés, soit étaient extrêmement chers. Ces groupes inventent des prototypes qui sont regroupés dans un pot commun animé par une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), détenue par les paysans et les paysannes. Là intervient le deuxième niveau de l’Atelier paysan : proposer des brochures, des vidéos, des plans, pour mettre à disposition ce pot commun de technologies paysannes. Dans celui-ci on retrouve les prototypes disponibles en open source une fois mis en plan par des permanents, ainsi que d’autres technologies paysannes qui ont été référencées au moins une fois sur une ferme. En tout, il y a un millier de technologies paysannes référencées sur le site Internet, dont environ 200 qui sont passées par des groupes définis.
S’ajoutent à ça des activités de diffusion, d’animation et d’édition. On essaye d’aller dans l’enseignement agricole, de participer à des rencontres paysannes diverses et variées. Enfin, une partie de la stratégie de diffusion passe par la formation. À ce titre, les paysans et paysannes peuvent faire jouer leur droit à la formation avec notre organisme pour, par exemple, approfondir le travail du métal, afin de se construire leurs outils, ce qui leur permet ensuite d’être plus autonomes. Depuis 2018, la structure a pris un virage. Elle souhaite sortir de son rôle d’alternative un peu dérisoire en face de l’industrie, de la machine, des pesticides et de la robotique. Nous nous définissons dorénavant comme un outil de transformation sociale. Quand je dis « nous », c’est 165 sociétaires, ce qui est peu pour notre activité, et 28 permanents répartis sur trois sites : le siège social historique à Renage, en Isère, où l’Atelier paysan a débuté il y a une vingtaine d’années ; une antenne de formation dans le Morbihan, qui peut accueillir des stagiaires ; une autre dans le Minervois depuis cet automne (entre l’Aude et l’Hérault, au milieu des bassins viticoles). On a également sept camions-ateliers en capacité de se déplacer un peu partout sur le territoire pour monter des ateliers éphémères sur des fermes pendant quelques jours.
Vous mentionniez l’agriculture paysanne. De quelle manière la définissez-vous exactement ?
« Si on regarde honnêtement les chiffres, c’est évident : plus il y a de bio, plus il y a de fermes-usines. »
On peut le faire de manière négative, en opposition à l’agriculture industrielle. Si on est exigeants, il faut avouer que plus grand-monde ne se reconnaîtrait dans l’agriculture paysanne au sens strict du terme — en France seulement, car à l’échelle de la planète on estime que 70 % de la production alimentaire est faite dans un cadre paysan, par des structures quasiment vivrières et non-mécanisées. Jusqu’au début du XXe siècle, l’agriculture était majoritairement une activité vivrière au sein de la communauté, ne mettant qu’une minorité de sa production sur le marché. Elle a quasiment disparu en France aujourd’hui. On a subi plusieurs phases de ce qui a été appelé la modernisation agricole, qui a fait disparaître les paysans comme la paysannerie. Dans les années 1960–70, des agriculteurs critiques du productivisme industriel sont apparus et ont revendiqué une approche paysanne, reliée au pays, au territoire, aux communautés paysannes, à l’idée d’autonomie. C’est ce qu’on met derrière le terme « agriculture paysanne ». On ne trouve pas un cahier des charges techniques qui prône moins de pesticides, une taille définie des surfaces cultivées, non : l’agriculture paysanne est plutôt un projet politique, qu’on pourrait qualifier comme celui de l’autonomie paysanne, mais aussi alimentaire. On est donc issu d’une tradition de cinquante ou soixante ans de luttes paysannes sur toute la planète, dont la France. Sous ce vocable d’agroécologie paysanne, on retrouve la bio1, mais aussi d’autres approches agronomiques qui sont d’accord sur de grands principes : être autonome vis-à-vis des grandes industries, donc de la filière des pesticides, de la mécanisation, de la zootechnie industrielle…
L’agroécologie paysanne est-elle un « retour en arrière » ?
C’est l’agriculture du futur. C’est une agronomie très fine, qui travaille sur des équilibres. Il s’agit donc de faire vivre ces savoir-faire.
Aussi nécessaires que soient les alternatives, vous les jugez très insuffisantes sans une politique agricole d’ensemble, offensive contre le capital. Comment articuler une alternative « par le bas » comme l’Atelier paysan et une transformation sociale qui agisse à un niveau structurel ?
On n’en est qu’au début. On est et restera encore longtemps une alternative, au sens concret du terme : on propose collectivement autre chose que ce qu’offre l’industrie. Et on souhaite le rester ! Toutefois, en effet, nous sommes insuffisants. Et, surtout, nous sommes inoffensifs en regard de notre projet politique qui consiste à se débarrasser complètement de l’agro-industrie. Pourquoi est-ce urgent ? Parce qu’elle provoque un certain nombre de dégâts, de toute nature, que ce soit environnementaux, humains ou sanitaires. Face à ça, on pourrait rétorquer qu’il suffit de multiplier ces alternatives existantes : plus d’ateliers paysans, plus de réseaux de semences paysannes, plus d’AMAP, plus de magasins de producteurs… Mais soyons lucide et reconnaissons que, malgré ces alternatives, on n’est pas en train de gagner. Si on regarde honnêtement les chiffres, c’est évident : plus il y a de bio, plus il y a de fermes-usines. Donc, il n’y a aucun lien entre le développement de nos alternatives, qui sont de plus en plus nombreuses, et un quelconque recul de l’agro-industrie. Deuxième chose : on pourrait être petits et subversifs. Mais penser que la transformation sociale aura lieu en poussant nos alternatives alors que nous ne sommes que dans une situation de complément de gamme, voilà ce qui nous rend inoffensifs.
Une offre de plus sur le marché, en somme.
Une offre complémentaire, oui. Ce postulat renforce l’industrie agroalimentaire et cette offre permet au complexe agro-industriel de ne pas changer.
Derrière « complexe agro-industriel », vous mettez…
… L’ensemble de ses composantes : les multinationales, les États, les politiques publiques, les banques, l’enseignement, les syndicats majoritaires. Ce complément de gamme autorise les États, par exemple, à ne pas légiférer sur la sortie des pesticides : la bio montre qu’une alternative existe et qu’il est possible de l’investir en tant que consommateur ou producteur — une offre de plus sur le marché, l’argument parfait pour des libéraux. C’est un vrai piège : non seulement on est insuffisants par rapport au rouleau-compresseur de l’industrie (les fermes-usines se montent plus vite que les magasins de producteurs), mais, par une stratégie de distinction sur un marché, on finit par renforcer le système, en apparaissant uniquement comme une alternative de complément de gamme. Or, on n’abat pas le marché par une stratégie de marché. C’est bien d’une logique de compétition en agriculture et dans l’alimentation dont il faut sortir. Sortir de l’idée que l’alternative qui est la nôtre finira par recouvrir l’idéologie dominante par sa seule exemplarité.
On est donc dans un paradoxe. On doit évidemment continuer l’alternative, car elle sauve la vie de ceux qui s’y engagent et parce qu’elle permet de socialiser le savoir-faire nécessaire à la généralisation d’une autre agriculture. Il faut ouvrir toutes les brèches de liberté qui nous sont disponibles, continuer d’installer nos collègues dans des activités paysannes, les outiller, leur ouvrir des terres. Mais il y a en parallèle un autre travail à mener, qui relève du rapport de force. Pour pouvoir bâtir autre chose qu’une logique de marché, nous devons nous attaquer au fonctionnement des réseaux alimentaires à l’échelle de la société et pas seulement à celle des communautés. Ce travail ne peut être que collectif. Individuellement, en tant que mangeur, mangeuse, producteur et productrice, ça n’est pas atteignable. Il nous faut modifier notre discours : ne plus dire que nos alternatives vont changer le monde, mais proposer un projet politique commun, à la fois pour les gens qui veulent sauver la planète et pour ceux qui n’ont pas même accès à l’alimentation frelatée que propose l’industrie. Et il faut que ce projet politique leur soit désirable. La coopérative n’en est qu’au début. Cette histoire est collective et, pour l’heure, nous en sommes à la phase de rencontre et d’explicitation.
Le monde paysan n’est pas, historiquement et sociologiquement, le plus enclin à porter un projet de transformation sociale, de socialisation de l’alimentation, voire de socialisme. Comment essayez-vous de porter ces questions dans ce milieu ?
« La clé serait de s’adresser à eux de façon politique et socioéconomique, plutôt que de manière morale. C’est une mauvaise habitude d’une partie de notre famille politique. »
Il faut discuter avec les « survivants » de l’ethnocide paysan qui s’est étalé sur soixante-dix ans. Ces paysans et paysannes ont été pris dans un système d’intégration par les firmes agro-industrielles. On a fait d’eux de simples débouchés pour l’amont de la chaîne et de simples fournisseurs pour l’aval. Ce sont des gens coincés mais qui pourtant fournissent, tout en étant très peu, 90 % de ce qui est consommé dans le pays. La clé serait de s’adresser à eux de façon politique et socioéconomique, plutôt que de manière morale. C’est une mauvaise habitude d’une partie de notre famille politique : s’adresser à tout le monde, dont ces producteurs, de façon morale, de manière identitaire — ce qui ne peut que provoquer une réponse similaire. Les choses sont bloquées moins par conviction politique que par le renvoi à des identités au sein de la discussion. D’ailleurs la FNSEA utilise le terme « paysan » dans une logique identitaire : « Nous sommes les vrais paysans, les meilleurs du monde, si vous critiquez ce modèle vous nous critiquez dans notre chair jusque quatre générations en arrière. » D’où l’invention de « l’agribashing » et la constitution de cellules de gendarmerie dédiées à la défense de ces agriculteurs-là. On retrouve la même chose, en miroir, avec la bio : si tu critiques la bio, tu critiques celui qui se dit bio, ce qui en définitive interdit toute critique. Le verrou est là, plus que dans des divergences politiques de fond. Il n’est pas certain que les paysans conventionnels soient plus attachés à une espèce d’« indépendance financière » ou au capitalisme que d’autres. On dit des paysans historiques qu’ils sont « conventionnels ». Mais c’est aussi une population structurée socialement. Il y a des grands gagnants qui se sont tournés vers une logique purement capitaliste, qui ont plus des activités industrielles qu’agricoles. Xavier Beulin est un exemple type : ancien président de la FNSEA, il était aussi PDG de Sofiprotéol [désormais Avril, ndlr], un des plus grands groupe agro-industriel français, ce qui ne l’empêchait pourtant pas de parler au nom de tous les paysans. Mais des profils de ce genre sont une minorité. La plupart des paysans sont plutôt les grands perdants de la modernisation : ils vivent avec un salaire de misère, sont endettés jusqu’au cou et sont complètement dépendants des fluctuations des cours mondiaux, du collecteur de lait ou du marché de demi-gros régional. Ce sont eux qu’on retrouve pendus dans leur grange lorsque ça se passe mal.
Mais comment s’adresser politiquement à ce groupe social, alors ?
En leur donnant raison, d’abord, sur un certain nombre de choses. Plutôt que de traiter l’autre d’assassin parce qu’il utilise des pesticides, il convient de ne pas en rester aux conséquences néfastes — ce qu’on a appelé « écologisme » dans notre livre — mais aussi de comprendre les tenants. Un pesticide n’est pas qu’un instrument technique. Un paysan historique connaît les ressorts techniques de l’utilisation ou non des pesticides : pas besoin de les lui expliquer. On sait très bien faire pousser des cultures sans herbicide ou pesticide. Mais on ne sait pas le faire au même coût que la production industrielle. S’adresser politiquement et socioéconomiquement aux gens, c’est reconnaître qu’ils ne peuvent pas sortir des pesticides sans que leur filière ne s’effondre. C’est donner raison à la FNSEA quand elle dit qu’on ne peut pas interdire les néonicotinoïdes sans rien changer par ailleurs. Les néonicotinoïdes déciment la biodiversité et sont aussi un instrument du libre-échange qui tire les prix vers le bas. Leur utilisation s’appuie sur bien moins de travail humain et beaucoup plus d’automatisation, pour fournir une denrée standardisée à une industrie. Si les néonicotinoïdes sont interdits sans rien changer d’autre, c’est l’effondrement de la filière sucre, l’importation massive de sucres ayant beaucoup plus de néonicotinoïdes (depuis la Pologne), et l’augmentation massive des prix.
S’adresser ainsi aux populations historiques fonctionne. Parce que tous et toutes le savent, sans l’avouer collectivement : les rendements s’effondrent, l’eau est moins disponible, les paysans sont de moins en moins nombreux. Ce qui implique de surcapitaliser les fermes pour remplacer la main‑d’œuvre par des machines — investir dans du travail mort pour remplacer du travail vivant. Les paysans sont en première ligne des changements environnementaux comme du libre-échange, ils voient bien qu’il faut qu’ils changent. Mais ils ne veulent pas être les seuls à porter la responsabilité des ravages de ce modèle. On pourrait donc commencer par accepter qu’ils ne sont pas responsables du modèle agroalimentaire. Les responsables, ce sont des politiques publiques menées par un complexe agro-industriel qui leur est extérieur et qui leur a été imposé dans la douleur. Il y a eu des complices et des victimes, oui, mais ça a été avant tout le fait d’une volonté extérieure.
Vous souhaitez l’installation d’un million de paysans dans les années à venir. Ça nécessitera de la formation et des reconversions. Il existe un certain romantisme de la reconversion : on pense aux récits médiatiques de l’ancien cadre qui se tourne vers un métier manuel, un ingénieur qui quitte son travail pour l’artisanat, un métier qui « a du sens »… De quel œil voyez-vous ces reconversions, que vous souhaitez indirectement ?
On porte un regard sévère et bienveillant. Bienveillant, parce que toutes les bonnes volontés sont bienvenues et qu’il est chouette que des gens, quelles que soient leur classe sociale, choisissent de déserter les villes et d’arrêter de produire de la merde pour le capitalisme. On ne peut pas cracher là-dessus. Surtout, c’est un processus qui ne peut qu’augmenter. On est entré dans une période d’effondrement et à chaque choc il y aura de plus en plus de monde prêt à faire ces choix. Pour l’heure, on n’est pas en capacité de les accueillir. On estime aujourd’hui qu’il y aurait 20 000 personnes prêtes à franchir le pas de l’installation chaque année, dont 6 000 ou 7 000 personnes comme paysans. On porte un regard sévère, aussi, parce qu’il faut comprendre que ces choix sont situés socialement. Ils sont en majorité ceux de cadres avec un fort capital culturel. Pour pouvoir les faire, il faut déjà accéder à un imaginaire selon lequel il est possible de changer de vie afin de s’installer en milieu rural, qu’il est possible de quitter l’anonymat urbain pour devenir quelqu’un à la campagne — ce qui n’est pas à la portée des populations les plus dominées, qui cherchent plutôt l’anonymat pour se protéger du racisme, par exemple. Enfin, c’est un parcours du combattant que de trouver un bout de terre, de franchir toutes les étapes administratives, d’obtenir les faveurs du banquier. Donc, on doit être « lucidement sévère » et ne pas en rester là. C’est génial que ces personnes aient réussi à changer leur vie, mais tant qu’il y a une homogénéité sociale, ça n’est pas satisfaisant. Tant que ce sera réservé à une frange privilégiée, on ne fera pas œuvre de transformation sociale. Nous, en tant que coopérative paysanne, on a le devoir d’accueillir tout le monde sans participer à romantiser le secteur. On doit prévenir chacun sur ce que sera la réalité. Même si c’est atteignable pour quelqu’un de très diplômé et avec un peu de moyens financiers, ça va quand-même être rude. Ça n’est d’ailleurs pas pour rien que Xavier Niel intervient là-dedans. Voyant que ça n’est pas si simple, il s’est mis à acheter des terres et monte des écoles de transition paysannes pour les cadres. De jeunes cadres qui n’auraient qu’une vision romantique et dépolitisée de la question pourraient se faire prendre à ce piège. À nous, encore une fois, d’affirmer politiquement les choses et de ne pas faire de place à un discours de vertu identitaire et individualiste.
« Paysan, ça reste le plus beau métier du monde. Et il faut le dire parce qu’il va vraiment falloir qu’un, voire deux ou trois millions de personnes s’y mettent, et bien plus à long terme. »
30 % de la population paysanne va partir à la retraite dans les douze prochaines années. Des terres et des fermes vont être libérées. Une partie ira à l’agrandissement, une autre à des firmes, une autre sera en déprise et une partie restera à attraper. Toutefois, tant qu’on reste dans ce modèle d’accès individuel à la propriété, où la responsabilité repose sur les épaules d’un paysan ou d’une paysanne qui s’endette, c’est inenvisageable. Une exploitation moyenne, disons d’une cinquantaine d’hectares, c’est un à deux millions d’euros. C’est délirant de faire supporter ça à des jeunes de 25 ans, qu’ils soient privilégiés ou non. Même lorsque des terres seront disponibles, cette logique de capitalisation individuelle mettra un frein insurmontable aux installations. C’est pour ça qu’aujourd’hui les nouvelles installations s’orientent vers du petit maraîchage sur quelques hectares, avec moins d’investissements, vers de la boulangerie ou de la brasserie, des secteurs où la transformation engendre une valeur ajoutée immédiate. Les brasseurs alternatifs fleurissent mais peu de gens s’installent pour faire de l’orge ou du houblon bio. Cultiver des céréales, c’est une autre paire de manche, l’investissement est tout autre — et alors, cette myriade de brasseurs commande leur houblon semi-industriel bio en Allemagne. C’est la même chose pour celles et ceux qui se mettent à faire des crêpes au sarrasin en Bretagne alors que 80 % du sarrasin consommé dans la région vient de Chine. Donc oui, déromantisons ces histoires. Néanmoins, nous insistons : paysan, ça reste le plus beau métier du monde. Et il faut le dire parce qu’il va vraiment falloir qu’un, voire deux ou trois millions de personnes s’y mettent, et bien plus à long terme. Un million c’est le nombre auquel on était au début des années 1980. Les paysans déjà installés à cette époque s’en souviennent : les conditions étaient franchement difficiles. Et aujourd’hui, au dernier recensement, on est à 389 000 exploitations. Il va falloir changer d’échelle.
Dans votre livre, vous insistez sur la prolétarisation des paysans au cours des dernières décennies. Il ne s’agirait donc pas seulement de « reprendre la terre aux machines », mais aussi de l’arracher au capital !
Ce titre est une double métaphore. Reprendre la terre, c’est aussi prendre le contrôle de nos existences. Les machines, c’est aussi le monde industriel, lequel inclut la technologie et le capitalisme. Ces deux derniers éléments sont indissociables. Les technologies agricoles ont toutes été conçues dans un même paradigme réductionniste centré sur l’efficacité. En ce sens, elles ne sont pas neutres — et plus largement, la technologie n’est jamais neutre. On ne fait pas le tri dans ces technologies pour choisir les bonnes : il va falloir innover sous d’autres paradigmes. Pour se débarrasser du capitalisme en agriculture, il faut aussi se débarrasser des technologies agricoles qui vont avec. Notre Observatoire sur les technologies agricoles a commencé à prouver une chose : c’est bien l’appareillage et le suréquipement qui ont permis l’installation du modèle capitaliste en agriculture — ce qui est vrai, d’ailleurs, dans d’autres secteurs de l’industrie. Le capitalisme a fait de l’agriculture un simple maillon de la chaîne industrielle parmi d’autres. Ce moment historique coïncide parfaitement avec une escalade technologique. Aujourd’hui, il y a une agriculture de firme qui se déploie, avec une concentration capitalistique d’un niveau supérieur à ce qu’on a connu jusqu’alors. À terme, il s’agit de faire des paysans de simples opérateurs. À mesure que les machines se développent, on embauche de plus en plus de personnes, mais il y a de moins en moins de paysans. L’illustration parfaite, c’est la mer de plastique à Almeria. Sous les bâches, il y une technologie de pointe pilotée par GPS et guidée par satellite en même temps que des quasi-esclaves détachés travaillant dans des conditions abominables. L’agriculture de firme permet de produire avec un minimum de fermes qui, elles, sont de plus en plus grosses, ce qui va avec une numérisation et une robotisation des parcours agronomiques.
Il s’agit donc bien de reprendre nos vies, notre alimentation, nos rapports aux paysages, au vivant, au sensible, à cette logique algorithmique froide, réductionniste, qui détruit tout dans un but mercantile. Ce qu’on a appelé la modernisation de l’agriculture n’a pas été mise en œuvre pour mieux produire ou pour nourrir tout le monde ; elle l’a été pour faire du secteur agricole une étape d’un processus industriel bien plus long, qui inclut les pesticides, les machines, le numérique, l’ultra-transformation, la logique de supermarché, etc. Et, au milieu de tout ça, la valeur ajoutée à la production a été expulsée. L’agriculteur ou l’agricultrice est dépendant de ces processus : on pense spontanément aux brevets, aux pesticides qui ne peuvent être utilisés qu’avec une machine spécifique… Ces industries à l’amont et à l’aval se portent très bien alors même qu’il n’y a quasiment plus de revenu agricole en France. Par ailleurs, une partie de la valeur-ajoutée est captée du côté des consommateurs, avec des prix de plus en plus bas. Le coût de l’alimentation qui était autrefois le premier poste de dépense des ménages se déporte sur d’autres secteurs contraints — le logement, l’énergie, les transports, dont les parts ont été décuplées.
Les technologies low-techs ne sont pour vous « qu’un moyen nécessaire, indispensable, mais pas suffisant ». De la même façon que l’agriculture biologique — qui, au départ, était porteuse de modes de production alternatifs — s’est faite absorber par le capitalisme, les low-techs vont-elles devenir la nouvelle récupération « greenwashée » ?
C’est déjà fait ! « Low-tech » est un terme qu’on nous a collé sans être initialement issu de nos rangs. Il dit tout de même quelque chose, donc on a choisi de ne pas refuser cette étiquette. Les approches low-techs sont extrêmement séduisantes pour un certain nombre de gens de bonnes volontés qui veulent sauver la planète. Mais les problèmes auxquels on fait face — en agriculture comme ailleurs — ne sont pas des problèmes techniques, ce sont des problèmes socio-économiques, de justice sociale, de propriété privée, etc. Une grande frange de ceux qui s’engagent dans les low-techs sont pétris d’une idéologie qu’on pourrait qualifier de solutionniste : apporter une réponse technique face à des problèmes sociaux-économiques. Quand on a été éduqué comme un ingénieur, c’est très rassurant de se dire que l’ensemble des problèmes du monde ne sont que des problèmes techniques à résoudre. C’est une idéologie totale qui est concomitante avec celle du capitalisme, mais qu’on retrouve aussi dans certaines idéologies socialistes. La croyance dans le progrès technique qui donnera nécessairement du progrès social a été largement partagée par les capitalistes et des mouvements issus des luttes ouvrières. Ça ajoute une difficulté à penser la question technique à gauche à cause de cet héritage. Penser qu’on va surmonter la crise écologique ou celle du chômage en mettant des dispositifs sur les gens est dans toutes les politiques publiques : c’est ce qui fonde la technocratie. Les techniciens de cet appareil bureaucratique sont sincèrement convaincus qu’on arrangera le monde en apportant des solutions innovantes. Et il y a les mêmes dans le low-tech, la version décarbonée des bureaucrates et des technocrates. De notre côté, on répond aux invitations des gens engagés dans les low-techs — en école d’ingénieurs par exemple —, mais en expliquant ça. Le monde du low-tech est donc exposé aux mêmes impasses que la bio. On est d’ailleurs ultra valorisés par des institutions qui nous présentent comme le complément de gamme low-tech bien utile à leur communication.
« Quand on a été éduqué comme un ingénieur, c’est très rassurant de se dire que l’ensemble des problèmes du monde ne sont que des problèmes techniques à résoudre. »
L’Atelier paysan s’est fondé en voulant éviter cette dérive. Changer le paradigme des technologies, c’est changer ses conditions de production : il est fondamental que ce ne soient pas des ingénieurs qui innovent pour des usagers, et c’est le grand impensé de l’approche low-tech. Quand ce sont les usagers qui conçoivent eux-mêmes, produisent leur savoir, on renverse le paradigme et on sort d’une approche solutionniste. On essaye de trouver d’autres mots que low-tech, de définir l’approche par les technologies paysannes, d’innovations par les usages, d’innovations ascendantes. C’est un défi quotidien, car il est très tentant que les collègues ingénieurs salariés de l’Atelier paysan ne fassent plus de rétro-engineering, mais innovent à la place des paysans. Et il faut être vigilant, sinon on deviendra un bureau d’études — alors qu’il s’agit de socialiser le savoir. Et ça c’est un projet politique subversif.
Les rapports successifs du GIEC le disent clairement : il va falloir végétaliser notre alimentation si on veut un mode de production alimentaire qui soit écologiquement soutenable. En plus de ça, la cause animale se fait entendre et s’articule à d’autres luttes d’émancipations. Or, dans le livre, rien n’est dit sur le type d’agriculture (végétale, animale) que vous voudriez voir advenir. Une production alimentaire qui ne mettrait pas à mort des millions d’animaux n’est-elle pas l’éléphant dans la pièce de vos réflexions ?
Absolument pas. Une réflexion axée sur le vivant ne signifie pas tourner le dos à tout rapport avec la mort… La question de la végétalisation n’est pas du tout la même que celle de la « cause animale ». Même Jancovici, le « pape » du décarboné, reconnaît les vertus de la polyculture élevage. Nous sommes bien entendu en total soutien avec les luttes contre l’élevage concentrationnaire industriel et ses violences inacceptables. La question de l’élevage paysan, c’est une autre histoire, qui mériterait un article, voire des livres entiers ! Par ailleurs, une grande partie du mouvement végan est totalement en phase avec les projets transhumanistes de robotisation, de viande artificielle, d’ultra-transformation des protéines, etc. À l’Atelier paysan il y a des éleveurs et des éleveuses qui côtoient des personnes engagées personnellement dans des pratiques végétariennes. Tout comme nous ne nous positionnons pas pour ou contre la permaculture ou l’agroforesterie, nous ne le faisons pas sur la question de manger de la viande. Cette question relevant essentiellement de la morale, notre structure peut en accueillir le débat mais pas s’y engager collectivement, d’un côté comme de l’autre. Encore une fois : si la question était seulement de choisir entre « animal » et « végétal », alors ça réduirait l’immense complexité sociale à un simple choix technique et/ou moral. Nous sommes en désaccord avec cette approche : ce n’est pas le sujet de notre manifeste.
À la crise du modèle agricole s’est ajoutée celle du Covid, puis la guerre en Ukraine. Un mot revient beaucoup, celui de « souveraineté » (économique, alimentaire, industrielle…). Vous parlez pour votre part « d’autonomie paysanne et alimentaire » : quelle distinction faites-vous ?
Une première réponse un peu facile est de se distinguer de l’emploi d’un mot par nos adversaires. Quand un État parle de souveraineté alimentaire, il s’agit très souvent de sécurité alimentaire, de capacités d’approvisionnement, d’être indépendant de circuits qui lui sont extérieurs dans un risque de pénurie. Le mot souveraineté alimentaire était utilisé dans notre famille politique trente ans avant que des libéraux ne l’emploient. Quand la Via Campesina, la coalition des syndicats des paysans au niveau mondial, a posé ce terme, c’était clairement pour dire « Nous ne voulons pas que la paysannerie soit dépendante de l’industrie ». Philosophiquement, le terme qui correspond le mieux à cette idée est celui d’autonomie — l’Atelier paysan est dans cette droite ligne. Précisons une chose : on ne parle pas d’autonomie individuelle, mais d’un projet politique collectif ; il ne s’agit pas, là, d’être autonome sur sa ferme (ce qui n’est pas inintéressant mais n’a pas la même portée politique). L’autonomie agricole et alimentaire, ce n’est pas d’avoir la mainmise sur certains secteurs comme la souveraineté, mais bien d’avoir une autonomie politique — ce qui nécessitera de bâtir des institutions radicalement démocratiques. L’autonomie, c’est faire l’inventaire de ses dépendances et de les choisir, c’est différent de l’indépendance ou de l’autarcie. Au sein des classes populaires, essentiellement paysannes avant le XIXe siècle, on était valorisé pour sa capacité à subvenir aux besoins de sa famille, de sa communauté. Le paysan est la figure qui incarne le mieux le principe d’autonomie et éclaire le monde avec sa position. Si on veut collectivement être autonomes, il nous faut une société paysanne, sinon on serait en recherche de liberté sans être en capacité de subvenir à nos besoins2. On ne peut pas être libre politiquement si on délègue notre alimentation, c’est-à-dire sans être libre matériellement.
Pour ce projet politique, vous esquissez plusieurs pistes.
Il faut arriver à formuler des sorties atteignables de la logique de libre échange qui domine. On se raccroche à la proposition de la Confédération paysanne, qui consisterait non pas à rétablir des droits de douanes, mais à fixer des prix minimums d’entrée d’un produit sur le territoire. C’est une logique beaucoup moins étatiste parce qu’un droit de douane prend la valeur ajoutée et alimente les caisses de l’État : c’est le plus compétitif qui passera les droits de douanes. Il ne reste donc plus de valeur ajoutée dans le pays exportateur pour mener la lutte sociale : ça permettrait par exemple, au mouvement social espagnol de se battre pour récupérer cette valeur ajoutée. Avec un prix minimum d’entrée, tout le monde doit s’aligner sur celui-ci, ce qui garantit qu’une valeur ajoutée reste dans le pays exportateur plutôt que d’être captée par l’État importateur. Ça permet à des États moins productifs de rentrer sur le marché et, par ailleurs, c’est internationaliste : on n’est pas en train d’expliquer aux Espagnols, par exemple, ce qu’ils doivent faire.
Quels autres leviers avancez-vous ?
« On est persuadés que comme pour les OGM, on va trouver des alliés en dehors du monde paysan pour attaquer ce projet de société délirant. »
La seconde piste est la lutte frontale pour la désescalade technologique. De la même façon qu’on a fait savoir il y a vingt ans que les OGM allaient se déverser partout — quelles en étaient les causes et les conséquences — il faut faire pareil sur la numérisation et la robotisation des champs. Le projet explicite de robotisation est de passer à 250 000 exploitants, c’est-à-dire de ne pas remplacer le tiers d’entre eux qui va partir à la retraite. Le projet officieux dans les livres blancs, c’est 170 000 : il faut le faire savoir. On est persuadés que comme pour les OGM, on va trouver des alliés en dehors du monde paysan pour attaquer ce projet de société délirant. C’est une lutte à bâtir. La première action de la Confédération paysanne contre la robotique et le numérique a eu lieu en janvier dernier dans la Drôme, contre une startup du numérique agricole — avec des slogans comme « Pas de robots, mais des paysan⋅nes ». Dans le cadre des Soulèvements de la Terre il y aura une saison consacrée à cette question. Le sujet commence donc à arriver et c’est évident que ça doit dépasser l’Atelier paysan.
Ensuite, il faut du contenu à mettre dans le projet politique dont on parlait. D’un côté, la revendication première des paysans pour arriver à généraliser une agroécologie est de remonter les coûts de production. Même en orientant intégralement la PAC et toutes les aides vers l’agroécologie on ne sera jamais au même coût de production de l’industrie, qui a mis soixante-dix ans pour atteindre ce rendement d’échelle. Le coût de production du travail humain est toujours plus cher que celui des machines. Nous, on veut des humains et des cerveaux plutôt que des serveurs. Pour que les producteurs aient un revenu et de quoi en vivre, il faudrait une augmentation des coûts de production, donc des prix. De l’autre côté — les gilets jaunes en sont un exemple —, des gens n’ont même pas assez pour manger. Ceux qui font la queue à l’aide alimentaire n’ont pas de quoi acheter la merde du capitalisme, alors ne parlons pas d’une augmentation des prix. Et puis l’aide alimentaire est très violent pour ceux qui la reçoivent, la donnent… Mais il y a aussi de l’insatisfaction alimentaire, c’est-à-dire des gens qui ont les moyens de se nourrir mais qui mangeraient autrement s’ils le pouvaient — 26 millions de personnes seraient dans cette insatisfaction en France selon une enquête du Secours populaire. C’est énorme. La question sociale est fondamentale. On ne se débarrassera pas de l’agro-industrie sans les classes populaires : au contraire, elles doivent être au centre du projet politique.
Mais alors, comment concilier ces deux revendications antagonistes ?
En plus des deux précédents leviers, il faut sortir de la logique de compétition en allant vers une socialisation de l’alimentation. La capacité à s’alimenter doit être déconnectée du revenu individuel. Il y a plein de façons de socialiser partiellement l’alimentation. En supportant collectivement le coût de production général, les aléas climatiques, etc., une AMAP est une socialisation partielle — car ce sont des individus avec leurs propres revenus, mais c’est un début. Des épiceries solidaires pratiquant des prix différenciés (les revenus de certains permettent l’achat à d’autres) sont une forme de socialisation, tout comme les cantines solidaires, les réseaux de ravitaillement des luttes : les exemples sont nombreux. Il y a un déjà-là intéressant sur lequel s’appuyer, des expériences à se transmettre. Parmi tout cet imaginaire, il y a une réflexion de socialisation d’envergure, mais qui ne nous est pas atteignable tout de suite : la Sécurité sociale de l’alimentation.
En quoi ça consisterait ?
« Il s’agirait de doter la Sécurité sociale d’une branche alimentation, en s’appuyant sur l’imaginaire de la Sécurité sociale à ses débuts. »
Il s’agirait de doter la Sécurité sociale d’une branche alimentation, en s’appuyant sur l’imaginaire de la Sécurité sociale à ses débuts — et non ce qu’elle est devenue après soixante-dix ans d’attaques du patronat. Le collectif national qui s’est construit autour de cette idée est assez intéressant, car il regroupe des gens qui ne se connaissaient pas vraiment : la Confédération paysanne, le Secours populaire, des ingénieurs, des associations d’éducation populaire, le Réseau salariat, etc. La proposition qui commence à émerger serait de lever des cotisations permettant de garantir 150 euros par mois et par personne d’un foyer dès la naissance, de manière universelle, sans condition de ressource. C’est une moyenne calculée de ce qu’on considère comme un minimum pour se nourrir convenablement. Ce serait une mesure d’ampleur. Ces 150 euros seraient sur une monnaie marquée : ils ne pourraient être dépensés que pour les produits conventionnés. La puissance politique de la proposition réside dans le conventionnement : l’imaginaire posé sur la table est « ni État ni marché ». L’État lève la cotisation et ensuite se retire : trop peu de gens savent que le budget de la Sécu est hors État, du moins historiquement. On pourrait faire la même chose en prenant bien garde de ne pas retomber dans les mêmes travers que la Sécu, pour que cette valeur socialisée n’aille pas directement dans la poche de multinationales. Le conventionnement correspond aux valeurs d’autonomie qu’on a abordé. On passerait d’un droit à l’alimentation à un droit à l’alimentation choisie en connaissances de causes — et tous les mots sont importants. Ça nécessitera de bâtir des institutions les plus locales possibles, avec le plus de démocratie directe possible, et non sur la base de seules préférences gustatives. Choisir en connaissances de cause revient à connaître les conséquences de produire tel aliment à grande échelle dans le territoire, de se demander combien de paysans doivent s’installer pour ça, à quel revenu, avec quels impacts sur les prairies, les montagnes, les forêts… Au stade où on en est, on n’a pas mieux à proposer qu’un recours à la démocratie radicale.
On va nous rétorquer que les gens vont préférer du Nutella. Mais mis en situation de choisir en connaissance de cause, auraient-ils des choix fondamentalement différents de nous ? Ce sont de vrais questionnements : croit-on à la démocratie réelle, en notre capacité collective à prendre des décisions ? Nous on y croit. Et ce ne sera de toute façon jamais pire que quand on délègue ces décisions à l’État et au marché. L’exemple de la convention citoyenne pour le climat est assez parlant : les gens ont été mis dans des conditions qui sont plus qu’améliorables — le dispositif était très perfectible. Et même avec ça, ils ont sorti un programme plus radical que Greenpeace. On est sûr que ce qui sortirait d’une délibération démocratique collective ne serait pas si éloigné de ce qu’on a en tête quand on parle d’alimentation de qualité. Il n’y a pas grand monde qui se lève le matin avec l’envie de filer des pesticides à ses enfants, ou de monter sur un tracteur et balancer des hectolitres de produits nocifs. La Sécurité sociale de l’alimentation est un coup de boutoir dans nos imaginaires politiques.
LIRE LA SÉRIE « AGRICULTURE PAYSANNE »
★ lire le deuxième volet | S’organiser pour l’autonomie alimentaire [1/2]
★ lire le troisième volet | S’organiser pour l’autonomie alimentaire [2/2]
★ lire le quatrième volet | Marie et Thierry : le pain et la terre
Photographies de bannière et de vignette : Atelier paysan
- On distingue le bio, qui fait référence au label Agriculture biologique (AB) et à son cahier des charges, de la bio, qui correspond à l’éthique, aux pratiques et aux valeurs partagées par les adeptes d’un mode de culture particulier.[↩]
- Note de l’Atelier paysan : on peut renvoyer ici aux réflexions d’Aurélien Berlan avec son ouvrage Terre et liberté, La Lenteur, 2021. Il documente en tant que philosophe-paysan les textes paysans du XVIIIe et XIXe siècle qui valorisent cette capacité de subvenir aux besoins de sa communauté ; et de l’autre côté des textes bourgeois qui disent que pour être libre il faut être délivré des contraintes matérielles, pour aller vers des besoins secondaires.[↩]
REBONDS
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