Campagne internationale : justice pour Adama


En soli­da­ri­té avec la Campagne inter­na­tio­nale pour Assa Traoré et sa famille, qui débu­te­ra le 3 décembre pro­chain, nous avons sol­li­ci­té plu­sieurs mili­tantes et mili­tants afro-amé­ri­cains, connus pour leur enga­ge­ment en faveur de la jus­tice sociale et de la lutte anti­ra­ciste. Cette tri­bune a ain­si vu le jour : un signe de sou­tien, adres­sé de l’autre côté de l’Atlantique, au com­bat judi­ciaire que mène, avec achar­ne­ment, les Traoré et le Comité Adama depuis l’é­té 2016. La revue Jadaliyya a publié la ver­sion anglaise ; nous la dif­fu­sons ici en fran­çais, en par­te­na­riat avec Bastamag.


Il y a trois ans, Adama Traoré, un jeune homme noir de 24 ans, a été retrou­vé mort dans la cour d’une gen­dar­me­rie, à Persan (95), après avoir subi un pla­cage ven­tral par trois gen­darmes qui vou­laient effec­tuer un contrôle d’i­den­ti­té. En dépit des pre­miers signes mani­festes de malaise et des alertes for­mu­lées par Adama, quant à sa dif­fi­cul­té à res­pi­rer, les gen­darmes n’ont rien fait. Lorsque les pom­piers ont fina­le­ment été appe­lés, ils l’ont trou­vé les mains atta­chées, tête contre le sol. Puis ont défait ses menottes afin de le mettre en posi­tion laté­rale de sécu­ri­té : Adama ago­ni­sait déjà. Il a été décla­ré mort peu de temps après.

Un pro­cu­reur a évo­qué une « grave infec­tion » et une « asphyxie » ; d’autres « experts » ont fait état de « pro­blèmes car­diaques ». Des méde­cins ont quant à eux invo­qué la dré­pa­no­cy­tose1. Sa famille, elle, n’a ces­sé de contes­ter ces résul­tats, rap­pe­lant qu’Adama était un homme ath­lé­tique en bonne san­té. Plusieurs exper­tises et contre-exper­tises ont d’ailleurs démen­ti les décla­ra­tions officielles.

Le Comité Adama a vu le jour en 2016. Ce col­lec­tif, fon­dé par la famille et les proches du défunt, milite pour que « l’af­faire » ne soit ni reje­tée, ni oubliée. Pour que soient mises en lumière les fautes graves des gen­darmes ain­si que les dys­fonc­tion­ne­ments de la Justice. À ce jour, aucun des gen­darmes n’a été enten­du devant une cour de jus­tice — plu­sieurs membres de la famille d’Adama se trouvent pour­tant en pri­son à l’heure qu’il est.

Et voi­ci qu’en octobre 2019, ces mêmes gen­darmes portent plainte contre Assa Traoré, la sœur d’Adama, deve­nue, depuis, l’une des figures de la lutte contre les vio­lences poli­cières en France. Elle encourt une amende de 45 000 € et une peine de pri­son avec sur­sis, ceci pour avoir révé­lé publi­que­ment les noms des res­pon­sables de la mort de son frère et orga­ni­sé un évè­ne­ment fami­lial en sa mémoire, le 28 avril 2018, à Beaumont-sur-Oise.

Nous condam­nons cette paro­die de jus­tice et exi­geons que les repré­sailles ins­ti­tu­tion­nelles qui frappent la famille Traoré cessent sur-le-champ. Toute la lumière doit être faite sur ce drame : ain­si, seule­ment, jus­tice sera rendue.


SIGNATAIRES


Mumia Abu Jamal, jour­na­liste empri­son­né depuis 1982 — il est deve­nu le sym­bole de l’op­po­si­tion à la peine de mort
Tunde Adebimpe
, musi­cien et acteur
Michael Bennett
, joueur de foot­ball et sou­tien de Bernie Sanders
Angela Davis
, essayiste, fémi­niste et ex-can­di­date à la vice-pré­si­dence des États-Unis en tant que membre du Parti communiste
Emory Douglas, ministre de la Culture du Black Panther Party de 1967 à 1982
Patrisse Cullors, cofon­da­trice du mou­ve­ment Black Lives Matter et acti­viste queer
Talib Kweli, rap­peur — sou­tien d’Occupy Wall Street et de BDS, il lutte contre les vio­lences poli­cières et pour les droits des prisonniers
Tom Morello
, gui­ta­riste du groupe Rage Against the Machine et membre du syn­di­cat IWW (Industrial Workers of the World)
Boots Riley, rap­peur, scé­na­riste et cinéaste — il est l’une des figures d’Occupy Oakland 
Alice Walker, écri­vaine, poé­tesse et féministe
Keeanga-Yamahtta Taylor, pro­fes­seure d’u­ni­ver­si­té et auteure de From #BlackLivesMatter to Black Liberation


Extrait d’une ren­contre que nous avions orga­ni­sée, en 2018, entre Assa Traoré et Angela Davis

« Angela Davis : Des luttes radi­cales émergent, en par­ti­cu­lier contre les vio­lences d’État, et la ques­tion de la vio­lence se voit posée à ceux qui résistent. Dans cette vidéo qui date d’un demi-siècle, je réagis­sais à la ques­tion de ce jour­na­liste qui vou­lait que ce soit moi qui parle de l’u­sage de la vio­lence — sans avoir consi­dé­ré que c’est l’État et ses repré­sen­tants qui ont le mono­pole de la vio­lence. C’est tou­jours d’ac­tua­li­té. La vio­lence poli­cière – ces attaques contre les com­mu­nau­tés noires et arabes dont vous faites l’ex­pé­rience ici, en France — s’exerce sans relâche depuis le colo­nia­lisme. Notre ana­lyse de la vio­lence est deve­nue hau­te­ment plus com­plexe et dif­fi­cile. C’est pour­quoi j’ap­pré­cie vrai­ment ce que les jeunes font aujourd’­hui dans les cam­pagnes contre les vio­lences poli­cières, ou contre le com­plexe indus­tria­lo-car­cé­ral. Pendant des décen­nies et des décen­nies, nous n’a­vons ces­sé de deman­der que des indi­vi­dus res­pon­sables de vio­lences poli­cières (ou de la vio­lence des agents de sécu­ri­té, comme ce fut cas avec Trayvon Martin2 et George Zimmerman, qui l’a tué, soient pour­sui­vis. Le mou­ve­ment récent recon­naît que ce ne sont pas seule­ment les indi­vi­dus qui devraient être pour­sui­vis en jus­tice, car on pour­rait pour­suivre chaque agent un par un : la vio­lence conti­nue­ra à faire par­tie inté­grante de la struc­ture du sys­tème poli­cier. Ce que j’es­time vrai­ment néces­saire, c’est l’analyse struc­tu­relle, le fait d’envisager les per­sonnes dans un contexte plus large. On doit, plu­tôt, envi­sa­ger la démi­li­ta­ri­sa­tion de la police. Aux États-Unis, nous mili­tons pour l’a­bo­li­tion du main­tien de l’ordre public tel que nous l’a­vons connu jus­qu’à pré­sent ; cela, bien sûr, en nous fon­dant sur le modèle uti­li­sé pour exi­ger l’a­bo­li­tion de l’emprisonnement comme modèle puni­tif domi­nant. Ce dont il s’agit, c’est de l’abolition de la police en tant que mode de sécu­ri­té. C’est en cela que je pense que l’analyse struc­tu­relle peut débou­cher sur une voie bien plus radi­cale que de conti­nuer à récla­mer la pour­suite d’individus, encore et encore. Car la vio­lence reste tou­jours inté­grée dans la struc­ture poli­cière ; l’abolition du main­tien de l’ordre et l’abolition de l’emprisonnement sont des demandes radi­cales, car elles impliquent que nous réflé­chis­sions à toute une gamme de nou­velles connexions, en sachant que l’éducation, la san­té, l’habitat et le tra­vail sont autant de ques­tions qui pour­ront être réglées si on essaie d’éradiquer de nos socié­tés la vio­lence struc­tu­relle inhé­rente à la police et aux pri­sons. Et ceci est une approche fémi­niste, qui plus est.

Assa Traoré : Dès qu’on me parle de vio­lence, je dis que la pre­mière des vio­lences est celle que mon frère a subie. Il a subi un pla­cage ven­tral — cette tech­nique d’immobilisation est inter­dite dans plu­sieurs États aux États-Unis ain­si que dans des pays euro­péens fron­ta­liers, mais elle conti­nue d’être pra­ti­quée en France. C’est cette vio­lence qu’il faut dénon­cer. Mon frère leur a dit qu’il n’arrivait plus à res­pi­rer et ils ont conti­nué à le com­pres­ser, sans l’emmener à l’hôpital. On va le lais­ser mort comme un chien sans lui appor­ter aucun soin. Ces gen­darmes sont des mili­taires, ils sont cen­sés sau­ver toutes les per­sonnes humaines ; ce jour-là, ils auront pour­tant un droit de mort. La vio­lence appelle la vio­lence. Ce sont eux qui appellent donc à la vio­lence. À leurs yeux, la jus­tice n’était pas un de nos droits. Mais nous leur disons qu’on ne le qué­mande pas, qu’il nous est dû. On subit des vio­lences et de la répres­sion : mes cinq frères sont actuel­le­ment en pri­son. Mais pour­quoi les gen­darmes ne sont-ils tou­jours pas mis en exa­men ? Notre sys­tème est celui d’une jus­tice à deux vitesses. Les frères Traoré sont condam­nés sur-le-champ, mais les gen­darmes, après deux ans, sont tou­jours en liber­té : ils n’ont ni été inquié­tés, ni mis en exa­men, ni condam­nés. Il faut des per­sonnes pour rem­plir les pri­sons ; il faut des cou­pables idéaux : ceux qui n’ont pas la bonne cou­leur ou la bonne reli­gion. Quand on met des sous dans le sys­tème répres­sif mais qu’on n’en met pas dans les soins ou dans l’éducation, ça jus­ti­fie le fait de rem­plir ces pri­sons. Aux États-Unis, on parle de sys­tème racial, en France, on parle uni­que­ment de social : on masque. D’ailleurs, ce sys­tème social n’est pas le même par­tout, que ce soit dans nos quar­tiers ou dans les villes très pauvres de France. On met des quar­tiers en souf­france quand on ne leur donne pas de moyens, une souf­france ciblée. Maintenant, quand on orga­nise un évè­ne­ment spor­tif avec des enfants en hom­mage à Adama, le sys­tème nous envoie l’armée : des mili­taires, les armes à la main. »

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  1. Une mala­die géné­tique de l’hémoglobine qui tou­che­rait en par­ti­cu­lier les per­sonnes issues du conti­nent afri­cain.[]
  2. Afro-Américain de 17 ans tué, non armé, par un agent de sécu­ri­té le 26 février 2012, en Floride.[]
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