Une communauté millénariste mise au pas par l’État Brésilien qui émerge, le parcours de combattante d’une Africaine en France, l’oscillation d’un jeune homme entre hédonisme et foi religieuse, la vie d’une exploratrice à la fois féministe et libertaire, Le manifeste du Parti communiste en manga, mai 1968 raconté par ses acteurs, une sortie des déterminismes de classe en compagnie de transclasses ?, une contestation de l’ordre par des tueurs de flics qui en mangent les représentants, les mots sont importants surtout quand il s’agit du féminisme, enfin si la lumière fut… socialisée, c’est la finalité heureuse d’un combat : nos chroniques du mois de février 2017.
☰ Les transclasses ou la non-reproduction, de Chantal Jaquet
Si la sociologie a bien montré les mécanismes de reproduction sociale — notamment avec les travaux de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron —, comment expliquer le parcours de ceux qui échappent à la règle en bénéficiant d’une ascension sociale particulière ? Car ces « transclasses » servent bien souvent de caution au discours libéral de la réussite personnelle, du mérite et du « quand on veut on peut ». La philosophe Chantal Jaquet se penche sur cette question difficile, car il s’agit d’expliquer des singularités par une analyse universelle. Le modèle familial et scolaire est abordé sous le prisme du mimétisme qui peut jouer un rôle moteur ; c’est cependant une condition nécessaire mais pas suffisante de la non-reproduction. En s’appuyant aussi bien sur des personnages de fiction, comme Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir, que sur de véritables « transclasses », comme Annie Ernaux et Didier Eribon, l’auteure explore les conditions socioéconomiques de ce phénomène. La philosophe spinoziste accorde une place centrale aux affects : qu’ils soient tristes ou joyeux, ils nourrissent la volonté de quitter une situation peu favorable. Sans écarter une analyse structurelle, elle expose que c’est tout autant l’individu qui s’éloigne du milieu que le milieu qui éloigne l’individu ; Julien Sorel, différent de sa famille en est expulsé. En ce sens, la non-reproduction est aussi une forme de reproduction, puisque le milieu écarte ce qui le perturbe. Chantal Jaquet en arrive à l’idée de complexion (ingenium chez Spinoza), « l’ingenium ou la complexion désignent la chaîne de déterminations qui se nouent pour former la trame d’une vie singulière », qui est selon elle essentielle pour comprendre la non-reproduction. La seconde partie de l’ouvrage, plus philosophique, s’attache à développer cette notion de « complexion des transclasses », donnant des clés de compréhension de ces trajectoires inhabituelles. [M.B.]
Éditions des P.U.F, 2014
☰ Génération – 1. Les années de rêve, d’Hervé Hamon et de Patrick Rotman
Mai 1968 fait figure de poncif. Tantôt épouvantail — pour les démagogues, les libéraux et ceux qui « sont passés du col Mao au Rotary » selon l’expression de Guy Hocquenghem — tantôt exemple rabâché à longueur d’assemblées générales. Soit mise à mort d’une France conservatrice et moribonde, soit symbole de l’individualisme triomphant et du consumérisme. Ces binarités plates ne semblent bonnes qu’à une chose : servir d’argument d’autorité ou de revendication ostentatoire et sonore d’un passé que l’on prétend ressusciter. Écrit dans les années fastes des renoncements idéologiques et de la grisaille mitterrandienne (et peut être même à cause de cela), Génération d’Hamon et Rotman nous plonge dans une galerie de portraits composée des principaux protagonistes de mai 1968, certains connus, d’autres inconnus. Loin du récit apologétique ou de l’évocation nostalgique, les deux journalistes remontent jusqu’à 1962, et les mobilisations étudiantes contre la guerre d’Algérie, pour raconter les parcours de ces jeunes leaders de moins de trente ans qui vont secouer la France, Paris, le Quartier latin. Ils traversent les enthousiasmes militants et les désillusions bureaucratiques pour ressurgir en mai, printemps glorieux et débâcle stratégique. Le livre documente le passage d’une forme traditionnelle de militantisme à un mélange explosif de radicalisation, d’aspiration romantique révolutionnaire pour un monde meilleur et une revendication de la critique d’un monde vieilli. De Krivine à Cohn-Bendit, d’Althusser à Khrouchtchev en passant par Che Guevara, Robert Linhart, Régis Debray, ou encore Pierre Goldman, cette fresque biographique et politique nous plonge dans les espoirs et les contradictions d’une génération. [J.G.]
Éditions du Seuil, 1987
☰ Tueurs de flics, de Frédéric H. Fajardie
Banlieue sud parisienne, chaque semaine livre avec une régularité de métronome son cadavre de policier. Méconnaissables, les dépouilles ont perdu tous signes d’humanité après l’acharnement des « tueurs de flics » à les réduire en pièce du boucher usant selon l’humeur de battes de base-ball, de baïonnettes, d’une lampe à souder, de machettes ou de pic à glaces. Déguisés en clown, en rapace, en Auguste, en bibendum et même en député, ce trio vengeur d’autonomes va jusqu’à s’en faire des barbecues car, après tout, il n’y a pas de plaisir là où il y a de la gêne. Groupe affinitaire solide, ils agissent en étant toujours d’une extrême courtoisie à l’extérieur et d’un courage sans limites et d’une solidarité sans faille entre eux. Face à cette (dé)cadence infernale, l’hystérie touche les commissariats de quartier jusqu’à la Place Beauveau. Elle s’accompagne du florilège habituel des suspects que cette mafia au sein de l’État aime à désigner comme « l’anti-France » soit les gauchistes, les anarchistes, les immigrés… Puis telle une rumeur d’Orléans, elle contamine d’autres structures que sont la magistrature et la représentation nationale au moment où les tueurs décident de tirer ces deux nouvelles sortes de gibier. Réduire en lanières ces divers représentants de l’ordre, c’est tout bonnement le dépecer : ils renouvellent ainsi le rituel antique de l’orestie sacrifiant ces tenants de l’ordre humain au nom d’un ordre supérieur qui, sans être explicité, est sans nul doute la justice sociale — néo-polar oblige. Rien ne va plus donc, c’est peut-être pour ça d’ailleurs que l’enquête est confiée à un gauchiste perdu dans la police au nom du père qu’il recherche en exerçant le même métier que lui. Ce commissaire Padovani a, en plus, le tort de porter la sensibilité et le désenchantement en bandoulière face à une société claquemurée et affligeante qui, franchement, le débecte par sa malhonnêteté. En parallèle, les syndicats manifestent toujours et une permanence du PCF est attaquée par l’extrême droite dans l’apathie généralisée. Désabusé donc, Padovani ne cache pas son mépris pour sa corporation, ses procédés et nourrie une certaine compréhension pour tous les paumés dont les tueurs et un indicateur anarchiste Ouap dégoûté par les moyens employés par ces derniers. Aidé par un officier de police fétichiste de la mort Dracula, un collègue lecteur d’El moudjahid et étudiant en ethnologie Ben Ghozi et le brigadier homosexuel Primerose, ils mènent conjointement cette galère avec l’appui de « Tonton », ami de son père et supérieur hiérarchique. Ce panthéon de personnages semble être les multiples facettes de l’écrivain qui a voulu exprimer la colère et la rage que provoqua la période néolibérale de reflux des luttes initiée à la fin des années 1970. Formellement, l’auteur équilibre la violence incisive des images et des situations, servie par un ton insolent et agressif, grâce à une écriture à la fois au rasoir et littéraire. Dans ce premier roman publié en 1975, Fajardie laisse déjà percevoir les deux pôles de sa cosmogonie : une esthétique du désespoir et une haine rageuse contre la réalité sociale — la première prendra, au fil du temps et des livres, le pas sur la seconde. [T.M.]
Éditions de La Table Ronde, 2016
☰ La Guerre de la fin du monde, de Mario Vargas Llosa
Au cœur de la caatinga brésilienne, dans le sertão désertique de l’État de Bahia, la petite ville de Canudos. Entre 1895 et 1897, le gouvernement de la jeune république brésilienne envoya quatre expéditions successives pour y écraser la communauté millénariste qui s’y était installée. La légende raconte que seuls un vieillard et un chien survécurent au massacre de trente-mille insurgés où périrent hommes, femmes et enfants. C’est cette histoire que raconte La guerre de la fin du monde. Telle une métaphore transposable à toute guerre civile, Mario Vargas Llosa met en scène une incompréhension générale, comme une condition même du déroulement de l’histoire. C’est ainsi que se croisent un anarchiste écossais, des aristocrates s’opposant à des militaires positivistes, des damnés de la terre et un journaliste myope. La misère, la soif, le courage et la cruauté relatés dans leur plus banale récurrence peuplent le roman somptueux sans que jamais le narrateur ne semble intervenir pour atténuer ou accentuer. Tel le soleil aveuglant du nordeste, les mots accrochent l’imagination et font briller mesquinerie et panache avec la même intensité déroutante. Roman sur la nature humaine ? Plutôt sur l’absurdité intrinsèque des représentations de l’autre et de la déshumanisation : roman de guerre autant que d’amour. Mario Vargas Llosa nous amène avec lui dans un XIXe siècle finissant où s’affrontent des logiques qui, chacune, se trouvent à la charnière du nouveau et de la tradition. Anarchisme et millénarisme, aristocratie et jacquerie, guerre asymétrique et épuration sociale…chacun de ces binômes trouve sa place dans cette fresque sanglante. [J.G.]
Éditions Gallimard, Paris, 1983
Éditions Soleil Manga, 2012
Premier livre de Fatou Diome, écrivaine originaire de Nidior au Sénégal, La Préférence nationale regroupe six brèves nouvelles, qui vont de l’Afrique à la France, du Sahel à Strasbourg. Six nouvelles soit autant d’anti-contes de fées qui — non sans un humour grinçant touchant du bout du doigt le tragique — dépeignent le parcours pour la survie et la lutte vers la liberté d’une femme. Pour elle, la France ne vaut pas mieux que l’Afrique. On suit le combat de la petite écolière qui doit passer un marché avec la vieille lépreuse Codou pour arriver à se nourrir sans demander de l’argent au patriarche lubrique de sa famille, le mariage d’une jeune femme, mariage volé comme L’Adieu d’Aimé Césaire, ses recherches d’emploi, dans une France raciste où les patrons Dupire succèdent aux Dupont : « – Toi en France, combien de temps ? » Pour corroborer l’image idiote qu’elle se faisait de moi, je me contentai d’indiquer le mois. « – Janvier, madame », ses petits boulots pénibles et humiliants, au milieu de l’incompréhension des amis bien intentionnés et bien français. (« – Mais tu délires ou quoi, commença-t-elle. Tu peux faire autre chose. J’ai le même diplôme que toi et là je termine une formation pour être professeur. Qu’est-ce que tu vas t’emmerder à vendre des petits pains ! – J’aimerais bien faire autre chose, répliquai-je ; ma cocotte, mes diplômes sont certes français mais mon cerveau n’est pas reconnu comme tel et pour cela on lui interdit de fonctionner. En attendant, il faut bouffer. ») Enfin, le plus glaçant peut-être, le « sexe froid » avec un professeur agrégé notable professeur d’Université qui, sans se soucier des heures de travail dans l’eau de Javel de son élève, veut à tout prix obtenir la contrepartie sexuelle du dîner bio qu’il lui a préparé. Des histoires sordides, mais transfigurées par une écriture féroce, par un jeu de catharsis littéraire réjouissant comme lorsque l’héroïne, interpellée par des « Toi y en a comprendre » et appelée de manière méprisante « Cunégonde » par son employeur transforme ironiquement la maison des Dupire en meilleur des mondes voltairien façon Pangloss et les coups de balais et de serpillère en Thunder-ten-tronckh. Un livre incisif, une vision d’une richesse sans indulgence. [L.V.]
☰ La Barbe, d’Omar Benlaala
« Il y a du thé et des cacahuètes ». L’argument suffit pour convaincre le héros de ce récit autobiographique à accepter une invitation à la mosquée. Comme il le dit avec humour : « Les voies du Seigneur sont impénétrables ; celles qui mènent à la mosquée beaucoup moins ». L’itinéraire d’un jeune homme paumé, « entre le ciel et l’abîme », qui cherche un remède radical à son errance. Alors que dans les années 1990, Ménilmontant désert ressemble à un village d’irréductibles qui « résiste toujours au développement urbain », Omar découvre dans la religion un sens et une identité. Soif d’apprendre, joie d’enfant en découvrant que l’attirail du parfait musulman ressemble à la tenue de Satan Petit Cœur dans Dragon Ball, fierté de devenir un des premiers barbus du quartier : « moi, le boutonneux de service, je devenais celui dont on parle, que l’on regarde, et j’adore ça. (…) Même l’imam n’est pas aussi looké que moi ». Une ouverture sur l’ailleurs avec les voyages en Inde et au Pakistan (Omar fait partie du mouvement tabligh), c’est ce que lui apporte cette immersion radicale dans la religion. Un jeu de rôles (« J’espère devenir un personnage public et le public, ça se respecte ») qui cependant s’effrite vite et Omar passe à nouveau de la mosquée au monde de la nuit de Paris. Mais sans couper sa barbe, sans laquelle il redeviendrait insignifiant. Un barbu se déhanchant sans complexe sur les Démons de minuit, ça se remarque presque plus qu’un austère prêcheur. De trips en badtrips, Omar s’accroche pour ne pas sombrer, vivre, se désaliéner sans s’anesthésier. La Barbe est un très beau témoignage, plein d’humour, d’humilié et de poésie. Le récit d’une douleur qui s’apprivoise, d’une vie qui se construit comme un mur composé de pierres inégales. Mais « les blocs qui le forment laissent percer des éclats de ciel ». [L.V.]
☰ L’Académie contre la langue française : le dossier « féminisation », de Éliane Viennot, Maria Candea, Yannick Chevalier, Sylvia Duverger, Anne-Marie Houdebine
En couverture, Louise Labé faisant un clin d’œil. L’illustration, qui met à l’honneur une représentante des oubliées du canon de la langue et de la littérature françaises, donne le ton de l’ouvrage : parler de la question de la féminisation de la langue telle qu’elle est traitée par l’Académie de manière polémique, souvent ironique, mais toujours très documenté, avec cependant un souci pédagogique pour rendre l’ouvrage accessible au grand public. En effet, la question de la féminisation revient souvent au cœur des débats sur l’emploi et l’évolution de la langue. Se référer à l’Académie est un argument d’autorité classique, c’est encore ce qu’a fait le député Julien Aubert lorsqu’il s’acharnait à appeler Sandrine Mazetier, à l’Assemblée Nationale, « Madame le Président » (ce qui lui a valu en retour un « Monsieur la députée »). Mais pourquoi ? Qu’est-ce au juste que l’Académie française ? D’où vient cette institution, quel est son rôle, qui la subventionne ? Ses membres sont-ils et sont-elles vraiment spécialistes de la langue française ? Cet ouvrage mène de front une réflexion linguistique et historique sur la féminisation de la langue et une analyse politique de notre rapport aux institutions via l’exemple de l’Académie française. Non, le masculin ne l’a pas toujours emporté sur le féminin, et la règle de l’accord par la proximité n’est pas une élucubration contemporaine (Racine n’écrivait-il pas lui-même « Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête »). La « féminisation » n’est pas une réforme contre une langue figée mais au contraire une contre-attaque contre une masculinisation qui n’est pas innée à la langue française, mais bien née elle-même d’une réforme datée, qui ne voulait pas laisser certaines fonctions (et surtout par le noble rôle d’auteur) à des femmes. Faut-il vraiment respecter des Académiciens payés à faire très lentement des dictionnaires caduques et dont les « arguments » révèlent un mépris de classe ? Car l’Académie veut bien féminiser les noms de métiers tant qu’il s’agit de fonctions « non importantes ». Elle fait aussi preuve d’une misogynie qui, si elle est enrobée de déclarations pseudo savantes, reste bien banale — on pense à la récurrence du rapprochement de mots telles que « doctoresse » avec « fesses » par exemple — et peut même tendre au sexisme et au racisme les plus éhontés, comme lorsque Gaxotte déclarait en 1980 « Si on élisait une femme, on finirait par élire aussi un nègre. » On imagine un clin d’œil de Marguerite Yourcenar et de Léopold Senghor. La langue française est chose trop importante pour la laisser aux Académiciens. [L.V.]
Éditions iXe, 2016
☰ Féministe et libertaire – Écrits de jeunesse, de Alexandra David-Néel
D’Alexandra David-Néel, on retient surtout ses exploits d’exploratrice de l’Asie. Le monde entier a célébré son entrée dans Lhassa, au nez et à la barbe du gouvernement anglais qui en interdisait l’accès aux étrangers. Aujourd’hui encore, son nom est avant tout associé au bouddhisme et aux philosophies orientales qu’elle a contribué à faire connaître en Occident, et l’on se plaît à conter ses aventures à travers l’Inde, le Tibet et les nombreux pays qu’elle a visités. Mais une autre facette de cette femme, non moins importante, mérite d’être connue : la féministe et anarchiste qu’elle a été, toute sa vie, mais qu’elle exprimait le plus clairement dans ses écrits de jeunesse. Cet ouvrage rassemble ces textes, pour la plupart signés Alexandra Myrial, son nom de plume de l’époque, dans lesquels s’exprime toute la virulence de la jeune libertaire à l’encontre du pouvoir — qui nous force à courber l’échine devant les puissants —, de la religion — qui endort plus qu’elle ne libère — et du système patriarcal — qui ne laisse pas d’autres choix à la femme que d’être l’épouse de son mari. On trouve dans ce recueil son premier texte, Pour la Vie, préfacé par Élisée Reclus, où elle prône son refus de l’obéissance et un anarchisme individualiste dans la lignée de Stirner. La revendication du droit de vote y est vivement critiquée, au même titre que les grandes instances de l’État moderne, comme l’armée ou le principe de propriété. Sont également présents ses articles féministes parus dans la revue La Fronde, ou bien dans La Société nouvelle, avec son audacieux pamphlet sur la condition féminine de son temps : « Le mariage, profession pour femme ». Cette compilation de textes, initiée par Les Nuits rouges, offre un éclairage important pour qui veut comprendre qui était Alexandra David-Néel, la « femme aux semelles de vent ». [J.B.]
Éditions Les Nuits rouges, 2003 (réed. 2013).
☰ Et la lumière fut nationalisée – naissance d’EDF-GDF, de René Gaudy
Au sortir de la guerre, la production d’énergie en France est au plus bas alors que des millions de foyers sont privés de chauffage et d’électricité. Les infrastructures existantes sont lourdement endommagées et l’on décompte mille-trois-cents établissements distincts, pour la plupart détenus par quelques trusts privés. Le 21 novembre 1945, cinq ministres communistes entrent au gouvernement. Le climat politique est sous haute tension. Ambroise Croizat, de retour du bagne d’Alger, est à la manœuvre au Ministère du Travail et de la Sécurité sociale. Marcel Paul — ouvrier, syndicaliste, figure de la résistance et rescapé du camp de concentration de Buchenwald — est à la Production industrielle. Leur tâche est immense, voire « suicidaire » selon le patronat, qui, de son coté, organise la pénurie. Le général de Gaulle lâche « Ils s’y casseront les dents » ; il démissionnera au bout de trois mois, ne parvenant plus à limiter leur influence au gouvernement. Ce livre raconte avec une remarquable précision comment la nationalisation complète de l’énergie — production, transport et surtout distribution — a rencontré toutes les modalités d’adversité et d’opposition possibles, des partis politiques au sommet de l’État, en passant par la presse et bien évidemment le patronat. Appuyé de façon décisive par la Fédération de l’énergie et le Parti communiste, fort aussi de la confiance que lui accorde une grande partie des salariés des filières de l’énergie, le projet — bien qu’amputé au fil des combats — est porté par Marcel Paul jusqu’au bout. La gestion d’EDF-GDF en sortira presque aussi démocratique que souhaitée, et il en naîtra un statut du personnel unique au monde. Les différents projets politiques apparaissent sous les multiples manières de concevoir et d’employer le terme de nationalisation — cette lutte menée il y a soixante-dix ans l’illustre au mieux. De même qu’elle montre, hier comme aujourd’hui, la perspicacité de l’avertissement de Pierre Villon — rédacteur du programme du Conseil National de la Résistance —, la nationalisation peut être « la tarte à la crème des socialistes ». [C.G.]
Éditions sociales, 1978
Bannière : Ryan McGuire
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