L’articulation des luttes, les lois scélérates, les paysans contre les artifices, le droit de se défendre, les livres et le marché, une année en prison, dix horlogères, le théâtre soi-disant politique, un communisme de la liberté et la folie des exorcismes : nos chroniques du mois de mars.
☰ Femmes, race et classe, d’Angela Davis
Cet ouvrage paru en 1981 permet de comprendre l’importance cruciale d’une approche intersectionnelle au sein de nos luttes. En premier lieu parce qu’il retrace l’histoire de l’évolution des mouvements d’émancipation étasuniens depuis la fin du XIXe siècle : des mouvements pour l’abolition de l’esclavage à la lutte des suffragettes, en passant par les organisations syndicales de gauche. Ensuite, et surtout, parce qu’au détour de ce résumé historique, il met en lumière non seulement les divisions au sein de ces mouvements, et entre eux, sur les questions raciste, sexiste ou classiste, mais il dévoile aussi la façon dont ces oppressions sont reproduites, directement ou non. L’analyse de la question des lynchages (entre autres), qui ont sévi de manière massive aux États-Unis, démontre en quoi l’histoire du sexisme est indissociable de celle du racisme, mais aussi de la lutte des classes. C’est parce que la population noire nouvellement « libre » fait potentiellement concurrence à la classe propriétaire et commerçante qu’elle devient menaçante. Des vagues de lynchages sévissent dans le Sud au nom d’une nouvelle idéologie : sauver l’honneur des femmes blanches. La figure politique du Noir violeur, tout comme celle de la femme blanche, naissent quasi simultanément. Leur sort politique ne peut qu’être lié. Mais très rapidement l’idéologie raciste fait son travail, divisant ces deux groupes, notamment sur la question du droit de vote. Quant aux femmes noires, à cette époque inévitablement pauvres, elles ne semblent avoir de place reconnue nulle part. Pourtant, l’analyse matérielle de leurs conditions de vie montre l’impossibilité de penser une issue politique qui ne prendrait pas en compte ces trois logiques oppressives : elles sont femmes, noires et pauvres. La force de cet essai, devenu un classique, réside dans le fait qu’il démontre (et ne fait pas qu’énoncer) qu’aucun groupe ne saura, matériellement, concrètement, se libérer du joug de l’exploitation capitaliste sans les autres. L’articulation — réelle et non artificielle — de ces luttes n’est pas une question de morale, mais une nécessité. [C.G.]
Des femmes-Antoinette Fouque, 2020
☰ Ennemis d’État — Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes, de Raphaël Kempf
Ce sont les violences policières du mois de mai 1891, à Paris, qui, restées impunies, déclenchent la « vague d’attentats anarchistes » des années 1892–1894. La réaction des législateurs ne se fait pas attendre : trois lois « scélérates » sont votées à la Chambre, restreignant la loi de 1880 (sur la liberté d’expression). L’avocat Raphaël Kempf les remet en perspective dans le contexte français actuel, puisque que deux d’entre elles sont toujours en vigueur. La deuxième loi « scélérate », portant sur le délit « d’association de malfaiteurs », permet, dès 1893, de punir « l’entente entre personnes » en vue de commettre des délits. Impossible de ne pas voir dans la loi anti-casseurs ou dans l’invention du « délit de groupement » (2019) une réécriture de ces lois-ci, directement dirigée contre les gilets jaunes. Déjà, en 2015, les lois exceptionnelles de l’état d’urgence avaient préparé le terrain pour un appareil juridique liberticide. L’auteur, avocat spécialisé dans la défense des manifestant·es et activistes en procès contre l’État, propose un commentaire de ces textes pour mettre en lumière leur actualité. La deuxième partie du livre réédite les réflexions de la Revue Blanche, périodique anarchiste du tournant du XXe siècle, dans laquelle Léon Blum s’était déjà insurgé contre ces lois. Il s’agit donc d’une double critique de la violence policière et législative de l’État, l’une contemporaine des mesuresanti-anarchistes et l’autre des nouvelles règles juridiques « anti-terroristes » ou « anti-casseurs » , lesquelles criminalisent la liberté d’expression, le droit de manifester et de se mettre en grève. Des lois scélérates à l’État scélérat, il semble n’y avoir qu’un pas — que d’autres juristes franchissent sans regret. Raphaël Kempf, lui, récuse la nécessité même de ces lois que l’État nous impose comme un rempart contre une insécurité fantasmée et des ennemis qu’il a lui-même construits. [C.M.]
La Fabrique, 2019
☰ Manifeste pour l’invention d’une nouvelle condition paysanne, de L’Observatoire de l’évolution
L’Observatoire de l’évolution poursuit depuis 2003 un travail de documentation et de définition des changements sociaux qui, actuels, historiques et biologiques, transforment la vie individuelle et collective. Ce Manifeste s’inscrit dans cette démarche. La forme peut surprendre : deux essais coexistent, chacun rédigé parallèlement sur les pages de droite et de gauche. L’œil, d’un texte à l’autre, à la lecture se déplace. L’un retrace une histoire particulière de l’énergie, de son accumulation et de la diversité de ses prises en charge techniques. De nombreuses illustrations — photos, cartes, tableaux — s’ajoutent à la démonstration. Une affirmation s’avance au fil des pages : les infrastructures énergétiques usent le paysage et le dévastent. S’il s’agit de comprendre les causes du désastre, il convient également d’y répondre. Pour les autrices et auteurs, la réplique ne peut se trouver ailleurs que dans les comportements de chacun. Héritier des anarchistes individualistes qui, au tournant du XXe siècle, formaient des colonies pour changer leurs vies et faire exemple à défaut de changer le monde, l’Observatoire de l’évolution témoigne d’un désir d’autonomie farouche, inséparable d’une attention sensible au milieu qui nous entoure et nous traverse. Le second essai, en regard d’une approche générale, discute dans le détail les implications d’un nouveau rapport à la Terre, au vivant et au temps. La condition paysanne, dès lors, apparaît comme une issue pour participer « du combat vital qui oppose les forces d’artificialisation du monde au reste du vivant ». Celle-ci serait « une façon de vivre qui ne soit ni déterminée par la profession ni par un statut social » : pas d’essence paysanne donc, simplement un hors-lieu du salariat urbain. Les témoignages recueillis, livresques ou oraux, sont autant de pistes à examiner pour enfin s’affranchir. [R.B.]
L’échappée, 2019
☰ Se défendre — Une philosophie de la violence, d’Elsa Dorlin
Qui a le droit de se défendre, contre quoi et contre qui ? La réponse ne peut que se déployer dans un contexte déterminé ; l’on n’est jamais en position d’extériorité vis-à-vis de l’ordre social dans lequel on vit. Le débat ne doit pas viser une réponse morale absolue à la question « Pour ou contre la violence ? » — gageons d’ailleurs que nos réponses seraient identiques. Au Moyen Âge, en fonction de la situation de stabilité de pouvoir du roi, l’on passe de la nécessité d’avoir un peuple en armes (pour le défendre) à l’interdiction formelle d’en porter dans l’espace public (pour éviter toute révolte). Les esclaves, les populations colonisées : désarmé·es ; les nobles, les propriétaires terriens, les colons : armés. Lorsque les suffragistes forment et se servent de leur corps comme arme — les écoles de ju-jitsu gagnent un rôle central dans le mouvement —, elles seront violemment réprimées. À l’inverse, les lynchages prendront des proportions inouïes dans le sud des États-Unis sous couvert de légitime défense, assassinant des hommes et des femmes par milliers. Elsa Dorlin éclaire d’autres mécanismes, mais notons-en un ici qui ne manquera pas de retenir notre attention : des patrouilles de voisins d’aujourd’hui jusqu’aux espaces militants safe, une même logique serait à l’œuvre : tout antagonisme, contradiction, conflictualité ou rapport de pouvoir qui subsiste inévitablement au sein de ces espaces est soit invisibilisé, soit nié, sapant de l’intérieur nos luttes, les fragilisant, nous épuisant et nous poussant vers des pratiques de chasse interne. L’entre-soi n’est jamais une finalité — mais même lorsqu’il est convenu comme un temps et un espace temporaire (comme dans la non-mixité), « la question n’est pas d’être en sécurité dans un entre-soi fantasmatique, mais de construire et de créer des territoires depuis lesquels politiser, capitaliser, de la rage pour déclarer et mener la lutte ». [C.G.]
Zones | La Découverte, 2019
☰ L’Éclipse du savoir, de Lindsay Waters
« Je pense que nous tous, universitaires et éditeurs, avons laissé les marchands pénétrer dans le temple. » Lindsay Waters était bien placé pour établir ce constat puisqu’il était lui-même l’un des principaux responsables éditoriaux des Presses de l’Université de Harvard, dans les années 1990. Il a pu voir, au fil des ans, le déclin progressif de l’autonomie des universitaires, toujours plus dépendants d’un système d’édition et de promotion soumettant le savoir aux impératifs de la productivité. Universités et universitaires se lancent dans une course à la publication dans l’espoir de gravir quelques échelons sur l’échelle du prestige ; les livres se multiplient, mais ne sont plus destinés à la lecture — ainsi s’amoncellent à l’infini les déchets dans le prétendu temple du savoir. Avec ce que Waters nomme « la révolution gestionnaire », qu’il situe au tournant des années 1960 et 70, la vie de l’esprit semble devenir une malheureuse affaire de comptabilité, où la loi du marché dresse des universitaires bien trop soucieux de leur survie professionnelle. Et c’est là une grande question soulevée par Waters : comment encourager non pas des chercheurs par profession, mais par vocation ? Des esprits qui, contournant les pièges de l’institution, se livrent à leurs patients questionnements ? Waters, pour sa part, invite au silence ; c’est-à-dire, plus concrètement, à la séparation entre la recherche et le marché de l’édition, seul moyen à ses yeux de renouer avec la création et la vie du sens, de lutter contre les fausses subversions. Reste qu’il est impossible de ne pas voir dans cet essai un engagement des éditions Allia, qui l’ont publié en français : ne conçoivent-elles pas le livre comme un objet raffiné mais accessible, qui invite toujours à la lecture ? Ce qui devrait être la fonction de tout livre… Celui de Waters, en tout cas, peut nous servir à remettre en question notre propre paysage éditorial, bien au-delà des presses universitaires américaines. [A.C.]
Allia, 2008
☰ Radicalisation express, de Nicolas Fensch, avec Johan Badour
Une journée de manifestation, en 2016, parmi celles contre la loi Travail. Un homme de noir vêtu, visage masqué, s’en prend à un CRS avec une tige en plastique sur le quai de Valmy, à Paris. Le policier est sorti de sa voiture en feu ; un fumigène vient d’y être lancé. L’image fut marquante. On se souvient du véhicule et du CRS esquivant les coups. Mais de l’homme tenant la tige en plastique, peu d’informations nous restent en tête. C’est lui, Nicolas Fensch, qui retrace ce qui l’a mené, « du gaullisme au black bloc », à haïr l’ordre imposé et les forces qui le font respecter. Car pour l’auteur, « il ne s’agit plus de maintien de l’ordre, il s’agit de faire mal. Marquer les corps pour leur signifier qu’ils ne sont pas à leur place ». Le goût des gaz lacrymogènes, inspirés sans raison apparente, fait prendre conscience à l’auteur d’une somme d’injustices vécues et perçues au quotidien. L’assaut inégal osé face à un CRS en faction est peu de chose dans son parcours. Pourtant cet acte lui vaudra une année de prison à Fresnes, peine lourde, pour l’exemple, à la réclusion dans le centre pénitentiaire le plus délabré de France. Le constat à la sortie est commun, peut-être : « La prison, soit elle détruit, soit elle enfante des gens en colère. » Mais le récit de l’expérience en dit long sur le traitement médiatique et souterrain d’une affaire politique, ainsi que sur le retour à la liberté des détenus. Le quotidien de réclusion, dont les témoignages ne sont pas si fréquents, informe sur l’iniquité des traitements entre prisonniers — on donna du « monsieur » à l’auteur tandis qu’on tutoyait l’ivrogne à ses côtés en garde à vue — et sur l’impossibilité qu’il y a à se réinsérer par la suite. La conclusion est froide : « La peine, elle est aussi et peut-être surtout sociale. […] Nourrir la colère et approfondir l’exclusion, c’est ce que produit la prison. » [R.B.]
Divergences, 2018
☰ Dix petites anarchistes, de Daniel de Roulet
Une voix peut en cacher dix autres, tout particulièrement quand « on était dix et à la fin on n’est plus qu’une ». La narratrice du roman, Valentine Grimm, prend en effet sur elle d’écrire pour dix : des dix femmes nées dans le creux d’un vallon du Jura suisse, dans les années 1850, qui se lanceront dans d’audacieuses et « insouciantes » aventures anarchistes, elle est en effet la dernière à pouvoir raconter. Ainsi nous déroule-t-elle le récit d’une trajectoire politique et existentielle collective, qui court jusqu’aux années 1910. Valentine et Blandine (les sœurs Grimm), les amoureuses Colette et Juliette, les « veuves du chemin de fer » Jeanne et Lison, mais aussi Mathilde, Adèle, Germaine, Émilie : de leur village horloger et enneigé, elles se retrouveront dans les vents de Patagonie, en quête de liberté et d’« anarchie pure ». Jusqu’à Buenos Aires et en passant par l’île de Crusoé ou Tahiti, ces femmes horlogères de profession se feront boulangères, maçonnes, blanchisseuses, syndicalistes, mais aussi parfois assassinées. Ce roman ponctué par la mort de ses personnages, nous plonge toutefois au carrefour de vies libres, qui charrient la grande Histoire : les héroïnes croisent sur un navire Louise Michel déportée, écoutent Bakounine lorsqu’elles sont encore en Suisse, entretiennent une correspondance avec Errico Malatesta… Surtout, elles ne cessent pas de mettre l’anarchie en question et en actes, la présentant de fait aux lecteurs et lectrices comme un possible pensable, discutable et racontable. La narratrice conserve tout du long une distance à la fois tendre et critique vis-à-vis de cette histoire à dix têtes — et l’auteur de se garder de tomber dans le pathos ou dans quelque idéalisation. Sans manquer toutefois de préciser que, de temps à autre, « l’émeute tournait à la fête ». [L.M.]
Buchet/Chastel, 2018
☰ Contre le théâtre politique, d’Olivier Neveux
Dans un paysage théâtral contemporain dominé par un discours lissé et consensuel sur le caractère « politique » du théâtre, où n’importe quel artiste se targue de livrer au public une leçon de politique, de lui faire vivre une expérience de la communauté, de le questionner sur le monde, au milieu, donc, de ce fatras bien intentionné et délétère, Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre, pose les questions qui fâchent. Partant du constat que dans le théâtre contemporain, « la politique n’existe bien souvent qu’à la condition de ne rien désordonner ni perturber », il se demande si « l’inflation de sa nomination [n’est pas] inversement proportionnelle aux traces de sa vivacité ». Ainsi se lance-t-il dans l’examen critique d’une tradition théâtrale principalement européenne, mobilisant des figures centrales de son histoire comme Bertold Brecht, Vsevolod Meyerhold ou Antoine Vitez. L’auteur dialogue aussi avec les pensées de Jacques Rancière, Daniel Bensaïd, Walter Benjamin ou encore Annie Le Brun pour nous inviter à mettre en tension et en regard ces deux substantifs si volontiers accolés : « théâtre » et « politique ». Qu’il s’agisse d’examiner les politiques ou « dé-politiques » culturelles menées par les classes dirigeantes, d’interroger la notion de réalisme qui ressurgit toujours, ombre et déplacement d’elle-même au fil des décennies, ou encore de convoquer un ensemble de spectacles contemporains pour y déceler de véritables ferments d’émancipation, Olivier Neveux nous propose un livre dense et foisonnant de références, d’exemples, d’hypothèses. Et si le « théâtre politique » tel qu’on nous le vend aujourd’hui est à abattre, nombreux sont les artistes qui, par le théâtre, parviennent à ébranler l’ordre des choses : la chorégraphe Maguy Marin, la metteuse en scène Adeline Rosenstein, Milo Rau, le Groupov… Autant d’artistes qui redonnent ses sens à ce mot, « politique ». [L.M.]
La Fabrique, 2019
☰ Moses Hess — Philosophie, communisme & sionisme, de Jean-Louis Bertocchi
Ce n’est qu’après l’avoir refermé que cet ouvrage apparaît essentiel. C’est que sa densité laisse peu entrevoir l’importance de la remise en perspective qu’il opère. Bertocchi expose à une nudité nouvelle non seulement les premiers pas du marxisme, mais toute la dimension prolifique, contradictoire, du XIXe siècle et des pensées de l’émancipation en gestation. On y croise Spinoza, Hegel, Feuerbach. Hess, utopiste injustement dénigré par le marxisme du XXe siècle, est un trublion attaché à l’épanouissement des sujets humains. Il fait partie du premier cercle de Marx jusqu’aux écrits de 1844, avant que leurs échanges ne deviennent houleux. En effet, théoricien d’un communisme social et humaniste faisant rimer égalité avec liberté, messianique également, il conserve le bagage philosophique, là ou Marx et Engels souhaitent orienter le matérialisme dans la voie scientifique. L’auteur scrute l’itinéraire intellectuel de ses protagonistes, et s’il réhabilite Hess dans ses intuitions, il n’en tait jamais ses limites, ses ambivalences, sa pensée en mouvement. Quant au « sionisme », Bertocchi le réserve pour sa conclusion. Avec toutes les pièces en main, la question nationale est appréhendée dans ses tensions. Rappelant que ni Marx ni Engels n’y sont étrangers, leur perspective révolutionnaire légitimant les grandes nations sur les petites. Dès lors, « le monde juif [Tziganes, Slaves…] apparaît à Marx et Engels comme une survivance hostile aux peuples et nations légitimes ». Comme d’autres, « il est appelé à être impitoyablement piétiné par la marche de l’histoire ». Hess ne s’y résout pas, et le climat judéophobe l’amène à théoriser, sur le modèle européen et son humeur nationale, un proto-sionisme (avant Herzl) qui serait un laboratoire de l’humanisme communiste, où « toute domination de race prendra fin », mise en acte de la « promesse d’émancipation universelle, comme d’autres nations s’apprêtent à le faire ». [J.C.]
Éditions de l’éclat, 2020
☰ Louisa, de Lou Syrah
Expulser le diable logé dans le corps d’un enfant en proie à des crises de violence. « Il y a eu des cris de douleur mais c’est la voix du démon qui s’exprimait et non pas celle de Louisa », justifie Mohamed Kerzazi, l’imam exorciste interrogé par la police. Louisa, donc, mourra en 1994 des suites de son « exorcisme » organisé par ses propres parents : on l’avait forcée à ingérer des litres d’eau salée, tout en la frappant avec des tiges de bambou. Ses proches pourront l’entendre derrière l’une des portes de leur maison, mais ne bougeront pas. On est à Roubaix, l’adolescente emportera son diable avec elle et ses parents ne porteront pas plainte. Ce fait divers est le point de départ du récit-enquête de la journaliste Lou Syrah. Plusieurs histoires s’imbriquent dans celle de Louisa : la restitution de l’interrogatoire de Kerzazi avant sa condamnation ; le contexte de sa formation en Arabie Saoudite ; une plongée dans le marché parallèle des « médecines de Dieu », illégal mais pourtant en plein essor. Des pratiques présentes dans toutes les religions, allant de la « médecine douce » jusqu’à la « saignée » curative — et des « accidents », le rappelle la journaliste, qui restent moins connues dans le cas de l’islam. Pour faire le tour de la question, l’autrice, qui porte sur le sujet un regard social, n’hésite pas à ouvrir les plaies de sa propre histoire familiale, où les non-dits de l’après guerre d’Algérie prennent le visage d’autres djinns, mis sous le tapis de la génération de son père et de la sienne. C’est sans surprise que le livre a paru aux éditions la Goutte d’Or, rompues à un journalisme d’immersion allant au front de ses sujets, assumant une subjectivité qui en muscle le propos. [M.M.]
Éditions la Goutte d’Or, 2020
Photographie de bannière : Harold Feinstein, New York, 1974 | https://www.haroldfeinstein.com
REBONDS
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