Cartouches (6)


« L’existence même des bibliothèques est
la preuve qu’il peut y avoir de l’espoir
pour le futur de l’homme.
 » T.S. Eliot

 Lieu com­mun, de Bruce Bégout

BEGOU BONBruce Bégout est un intel­lec­tuel aty­pique. Autant roman­cier que phi­lo­sophe, il trace un sillon cri­tique dans la vie des idées qui a le mérite d’être à la fois radi­cal et hors des sen­tiers bat­tus. Certains le connaissent pour son essai sur la com­mon decen­cy chère à George Orwell, d’autres pour ses ana­lyses de la ville contem­po­raine ; tout cela découle d’une obses­sion pour le quo­ti­dien dans ce qu’il a de plus incroya­ble­ment banal. À l’ins­tar des situa­tion­nistes qui décor­ti­quaient les alié­na­tions du quo­ti­dien — s’in­té­res­sant ain­si à un sujet géné­ra­le­ment mépri­sé par les mar­xistes ortho­doxes —, Bruce Bégout sonde les inter­stices de nos exis­tences pour y révé­ler les parts d’ombre et de lumière, les élé­ments en petit de la socié­té qui en disent pour­tant si long (qui pour­rait ima­gi­ner ce qu’in­dique de pro­fond à pro­pos de notre civi­li­sa­tion quelque chose d’aus­si tri­vial que le Caddie ?). Pour ce faire, il aime prendre des exemples par­lants. Dans cet ouvrage, il ana­lyse donc le Motel. Le Motel est pour lui à la fois un symp­tôme et une image de la socié­té capi­ta­liste, comme de la civi­li­sa­tion amé­ri­caine. Produit de la stan­dar­di­sa­tion indus­trielle, il est par­tout iden­tique, sans pas­sé ni iden­ti­té. Non-lieu com­plè­te­ment déter­ri­to­ria­li­sé, il per­met d’al­lier confort et mobi­li­té tout en appli­quant en son sein la liber­té libé­rale : faire ce que l’on veut tant que cela n’empiète pas sur la liber­té des autres. D’où son sta­tut sul­fu­reux, qua­si-clan­des­tin, où des indi­vi­dus pro­fitent d’un tel ano­ny­mat pour pas­ser au tra­vers des mailles étroites du filet de l’État amé­ri­cain et de la morale puri­taine. Écrit avec une langue élé­gante, ce livre est, comme à son habi­tude, l’oc­ca­sion pour Bégout de digres­ser lon­gue­ment sur divers sujets, de la nou­velle élite favo­rable au chan­ge­ment et au noma­disme hobo — cette « hobo­hème » ins­pi­rée des mythes soixante-hui­tards à la Kerouac — au déra­ci­ne­ment valo­ri­sé à outrance, en pas­sant par la mys­tique consu­mé­riste, l’a­no­ny­mat, etc. À pro­lon­ger par son bref jour­nal L’éblouissement des bords de route. [G. W.]

Éditions Allia, 2014

 La Cendre et les étoiles – Chronique d’une révo­lu­tion sociale, de Cédric Rampeau

RAMPEAUÉcrire un roman d’an­ti­ci­pa­tion anar­chiste pour pre­mière œuvre n’est sans doute pas maigre ambi­tion… Les élé­ments de notre quo­ti­dien et de notre actua­li­té four­nissent la trame : crise de 2008, mou­ve­ments sociaux de contes­ta­tion poli­tique, mani­fes­ta­tions mas­sives, îlots de résis­tance, orga­ni­sa­tions de nou­velles pra­tiques col­lec­tives alter­na­tives. Les hackers sont là, eux aus­si, usant de manière orga­ni­sée des tech­no­lo­gies modernes en faveur des mou­ve­ments de lutte : ils détournent le dis­po­si­tif de vidéo­sur­veillance géné­ra­li­sée pour orga­ni­ser en direct l’in­sur­rec­tion dans les rues tout en retrans­met­tant en temps réel les images de la répres­sion poli­cière sur les grandes chaînes étran­gères ; ils trans­fèrent des fonds accu­mu­lés dans les para­dis fis­caux vers les orga­ni­sa­tions de lutte à tra­vers le monde. Quelque chose se fédère aus­si, et s’ar­ti­cule, entre les dif­fé­rents champs d’ac­tion. Pendant que l’in­sur­rec­tion s’or­ga­nise dans les rues, des entre­prises alter­na­tives, uni­ver­si­tés popu­laires et centres de soins fon­dés sur l’au­to­no­mie et l’au­to­ges­tion se déve­loppent et se mul­ti­plient. Il ne s’a­git plus de choi­sir, tous, un seul mode d’ac­tion — l’op­po­si­tion fron­tale aux ins­tru­ments de répres­sion réels et sym­bo­liques ou l’or­ga­ni­sa­tion de nou­veaux sys­tèmes de vie col­lec­tive — mais de faire se coor­don­ner l’en­semble, simul­ta­né­ment. Autour du récit se déploient les ques­tions fon­da­men­tales de l’u­sage de la vio­lence, de la néces­si­té de déplier « léga­li­té » et « légi­ti­mi­té », « auto­ri­té » et « pou­voir ». Le rap­port de force entre les deux sys­tèmes — l’an­cien et le nou­veau — s’é­qui­libre. À cha­cun de prou­ver par la pra­tique qu’il détient « la solu­tion » ; en conce­vant les va-et-vient des indi­vi­dus d’un bord à l’autre… Même si le style d’é­cri­ture méri­te­rait de gagner en matu­ri­té, ce roman offre la fraî­cheur de nou­velles repré­sen­ta­tions, en déve­lop­pant des espaces ima­gi­naires de pen­sée qui sont d’une impor­tance que nous ne devrions jamais mini­mi­ser. [C.G.]

Éditions le Flibustier, 2016

 Comment vivre avec les autres sans être chef et sans être esclave ?, de Yona Friedman

Friedman« Nous nous sommes ima­gi­nés infi­ni­ment riches », mais le temps des illu­sions est ter­mi­né. Nous nous diri­geons « inévi­ta­ble­ment » vers le « monde pauvre », écri­vait Yona Friedman il y a qua­rante ans. Mais sous sa plume, l’effondrement n’est pas une catas­trophe. Au contraire, le « monde pauvre » qu’il décrit a des airs d’utopie com­mu­niste, décrois­sante et liber­taire : socié­tés éga­li­taires, ges­tion locale et com­mu­nau­taire de l’eau, de l’énergie et de la nour­ri­ture, tra­vail moins divi­sé, dimi­nu­tion voire dis­pa­ri­tion du com­merce et de l’argent. Dans le « monde pauvre » de Friedman, « cha­cun pour­ra être son propre pla­ni­fi­ca­teur, poète, méde­cin ». L’idée cen­trale du livre est que pour pou­voir vivre ensemble sans chefs, les orga­ni­sa­tions sociales ne peuvent pas dépas­ser un cer­tain « groupe cri­tique », un seuil au-delà duquel les groupes humains ne peuvent plus être viables, et encore moins éga­li­taires. Dans ce petit livre à mi-che­min entre l’essai et la bande des­si­née, Yona Friedman uti­lise de nom­breux sché­mas et équa­tions basiques pour étayer son argu­men­taire qu’il déroule avec une neu­tra­li­té dérou­tante. À aucun moment il ne fait réfé­rence au capi­ta­lisme ni n’utilise le lan­gage de la gauche radi­cale à laquelle on est pour­tant ten­té de le rat­ta­cher. L’ouvrage (et plus géné­ra­le­ment l’œuvre) de cet archi­tecte mul­ti-cas­quettes étonne et bous­cule les sché­mas et concepts cri­tiques habi­tuels. Sa défense de « l’économie ani­male » faite de « groupes qua­si autar­ciques » ne réson­ne­ra pas dans toutes les consciences mais la sim­pli­ci­té du lan­gage et l’utilisation du des­sin per­mettent de sen­si­bi­li­ser les per­sonnes les moins poli­ti­sées à des thèses très auda­cieuses. [E.D.]

Éditions de L’éclat, 2016

 Les Chants de Maldoror, du Comte de Lautréamont

LAUTREAMONT« Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savou­re­ront ce fruit amer sans dan­ger. Par consé­quent, âme timide, avant de péné­trer plus loin dans de pareilles landes inex­plo­rées, dirige tes talons en arrière et non en avant. » Lautréamont était pré­ve­nant — avant même de se plon­ger dans l’œuvre, le lec­teur est aver­ti. L’Uruguay, encore aujourd’­hui, nous appa­raît comme un pays loin­tain, dis­cret, dont on ne connaît géné­ra­le­ment que peu de choses. C’est là-bas qu’Isidore Ducasse, poète décé­dé à 24 ans qui se cachait der­rière le pseu­do­nyme de Lautréamont, voit le jour. Sa vie mys­té­rieuse est à l’i­mage de cette men­tion figu­rant sur son acte de décès : « Sans autres ren­sei­gne­ments. » Venons-en dès lors à l’œuvre ! Les Chants de Maldoror est un recueil mor­bide, violent, explo­rant avec délec­ta­tion la crasse et les vices des hommes. Ces « chants » ont pour déno­mi­na­teur com­mun de mettre en scène Maldoror, un esprit mal­fai­sant dont la forme est indé­ter­mi­nable ou chan­geante. Guère de ligne direc­trice ici… Maldoror est évo­qué tan­tôt à la pre­mière, tan­tôt à la troi­sième per­sonne. Est-ce qu’il a été pen­sé comme un double malé­fique de Lautréamont ? Rien n’est moins sûr. On sait sim­ple­ment qu’il fut un homme heu­reux, autre­fois, puis qu’il sou­hai­ta suivre sa nature et s’a­don­ner à des acti­vi­tés pour le moins mal­saines. « Ma poé­sie ne consis­te­ra qu’à atta­quer, par tous les moyens, l’homme cette bête fauve et le Créateur qui n’au­rait pas dû engen­drer une telle ver­mine. » Maldoror, en effet, n’hé­site pas à tour­men­ter, à com­mettre des meurtres, à ridi­cu­li­ser le « Créateur » aus­si sou­vent que pos­sible. Les figures d’en­fants et d’a­do­les­cents, qui reviennent de manière récur­rente, sont trou­blantes. Tout comme ces ani­maux — arai­gnées, poux, sca­ra­bées — qui semblent avoir les faveurs de l’au­teur bien plus que les êtres humains ! En flirt constant avec la limite du sup­por­table, misan­thrope, nihi­liste, ce recueil est comme son auteur : miteux et mythique. « Une perle noire née d’un champ d’or­dures », écrit Karla Manuele. Du début à la fin, on s’in­ter­roge : dans quoi s’est-on embar­qué en tour­nant ces pages ? Est-ce une gigan­tesque farce ? Le livre, dont le suc­cès fut post­hume, influen­ce­ra lar­ge­ment, quelques décen­nies plus tard, le mou­ve­ment sur­réa­liste — son­geons à René Char ou André Breton. [W.]

Éditions Le livre de Poche, 2001

 Manifeste de la poé­sie vécue, d’Alain Jouffroy

JOUFFROY« Mon uto­pie, la voi­ci : libé­rer la poé­sie de ce vieux car­can solip­siste, nar­cis­sique et auto­sa­tis­fait en rac­cor­dant l’écriture à tout ce qui lui est exté­rieur. » Le poète et cri­tique d’art Alain Jouffroy est mort dans l’in­dif­fé­rence média­tique la plus géné­rale, le 20 décembre der­nier. Il a pour­tant été l’une des plus fortes voix poé­tiques du siècle der­nier, tou­jours atten­tive à la coïn­ci­dence de l’ac­tion et de la parole, du réel et de l’i­ma­gi­naire. Né en 1928, il ren­contre André Breton à 18 ans, est exclu du mou­ve­ment sur­réa­liste deux ans plus tard pour « tra­vail frac­tion­nel » — en clair, trop grande indé­pen­dance d’es­prit. Ce sera, il le dit, sa chance : l’heure de sai­sir qu’il doit pla­cer la liber­té au-des­sus de tout, serait-ce au prix de la soli­tude, et que l’en­ga­ge­ment col­lec­tif ne peut jamais jus­ti­fier le dog­ma­tisme. Il tien­dra toute sa vie sur ce fil, celui de l’in­di­vi­dua­lisme révo­lu­tion­naire, quelque part entre esthé­tique liber­taire et enga­ge­ment pour les avant-gardes. Son mani­feste exalte une poé­sie ouverte sur le monde et ses ful­gu­rances. Contre un lyrisme trop inté­rio­ri­sé et mal­lar­méen, il défend la posi­tion du poète rim­bal­dien et voya­geur, avide et atten­tif au réel. Le poème n’est que trace d’une expé­rience inten­sé­ment vécue, dans l’é­pais­seur sen­so­rielle des choses, sans quoi il vire dans l’in­si­gni­fiance : ce qu’il appelle la poé­sie-poé­sie, qui ne mérite ni égards ni patience… Dès lors, le poète ne peut se com­plaire dans l’é­so­té­risme, cet « Himalaya concep­tuel » qu’il inter­pose entre lui et le peuple — écrire, c’est tra­duire l’in­tui­tion la plus sub­jec­tive dans un lan­gage com­mun, condi­tion du par­tage. La poé­sie est tou­jours-déjà poli­tique : elle est tout jus­te­ment « l’arme invi­sible dont cha­cun rêve comme d’une chose impos­sible mais que cha­cun peut pos­sé­der ». [A.B.]

Éditions Gallimard, 1995

Le visage de l’im­pé­ria­lisme, de Michael Parenti

¨PARENTIAprès une période de rela­tif oubli, la théo­rie mar­xiste (James Petras, David Harvey) a redé­cou­vert le concept d’im­pé­ria­lisme sous un nou­veau jour : la mon­dia­li­sa­tion ou glo­ba­li­sa­tion néo­li­bé­rale. Dans cet essai, l’historien états-unien Michael Parenti, auteur d’ouvrages comme Le Mythe des jumeaux tota­li­taires ou L’Assassinat de la Yougoslavie, donne un regard glo­bal sur l’impérialisme. L’enjeu ? En don­ner une nou­velle signi­fi­ca­tion en lien avec le pro­gramme du néo­li­bé­ra­lisme : « pro­ces­sus par lequel les inté­rêts des inves­tis­seurs dominent dans un pays afin d’ex­pro­prier la terre, le tra­vail, le capi­tal, les res­sources natu­relles, le com­merce et les mar­chés de celui-ci ». Au sché­ma clas­sique du mili­ta­risme et des guerres, l’Empire ajoute de nou­velles armes : le dogme de la pri­va­ti­sa­tion du monde, la vio­la­tion des lois, la des­truc­tion du ser­vice public pour mieux exer­cer sa domi­na­tion et garan­tir ses pro­fits. Cet inter­ven­tion­nisme a pour objec­tif le « contrôle plou­to­cra­tique » de la pla­nète. Il génère la des­truc­tion du tis­su socié­tal, éco­no­mique, poli­tique, éco­lo­gique en fai­sant accroître la pau­vre­té et en vio­lant les droits démo­cra­tiques. Le néo­li­bé­ra­lisme n’est pas inco­hé­rent, mais abso­lu­ment ration­nel et un des exemples est repré­sen­té par la res­tau­ra­tion du capi­ta­lisme en Europe de l’Est ou par le ren­for­ce­ment des poli­tiques de domi­na­tion au Tiers-Monde sous tutelle des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales (Fonds Monétaire International et Banque Mondiale), des mul­ti­na­tio­nales et des inter­ven­tions mili­taires. Parenti ana­lyse le déclin de l’Empire — bien que le bloc impé­rial États-Unis/Union euro­péenne se recom­pose à chaque crise. Il pos­sède le féti­chisme du mar­ché et la repro­duc­tion de cette idéo­lo­gie anti­dé­mo­cra­tique. L’auteur nous invite à démys­ti­fier le lien sup­po­sé entre capi­ta­lisme et démo­cra­tie : « l’Empire dévore la République ». [L.D.]

Éditions Delga, 2015

L’art de voler, d’Antonio Altarriba et Kim

KIMLa guerre d’Espagne et la vic­toire du fas­cisme, la résis­tance à l’occupant nazi en France, les camps, la clan­des­ti­ni­té, la contre­bande, la misère affec­tive et la soli­tude de la mai­son de retraite. Telle fut la vie du père d’Antonio Altarriba. Une vie à l’image du siècle, secoué par les cala­mi­tés et les guerres. D’abord les grandes guerres, celles contre le fas­cisme, puis les petites, celles du quo­ti­dien, qu’il a menées pour res­ter digne alors que le des­tin lui ordon­nait de cour­ber l’échine. Des guerres, cet homme en a per­du beau­coup, et l’exploitation qu’il a cher­ché à fuir depuis son enfance n’a pas ces­sé de le rat­tra­per. Chaque case de cette bande des­si­née vient nous rap­pe­ler com­bien il est dur de se com­por­ter de manière juste dans un monde qui ne l’est pas. Cette vie pleine de drames et de cou­rage, son fils la raconte, à la pre­mière per­sonne, comme pour reprendre le com­bat. Cette « fusion », comme il l’appelle, entre lui et son père, nous offre un récit sen­sible, poi­gnant, per­tur­bant, basé sur les dis­cus­sions entre les deux hommes et les notes lais­sées par le père. Leurs colères, leurs joies, leurs illu­sions et leurs décep­tions deviennent les nôtres. Même s’il raconte l’histoire d’idéaux déçus, ce récit n’invite pas à bais­ser les bras. Ces batailles méri­taient d’être menées et même si les défaites furent nom­breuses, elles demeurent plus belles que nombre de vic­toires. [E.D.]

Éditions Denoël, 2011

L’énigme révo­lu­tion­naire, Federico Tarragoni*

TARRAGONIQu’on s’in­té­resse aux ana­lyses des experts (les cher­cheurs en sciences sociales) ou aux avis tran­chés des mili­tants, une main lourde pro­clame le juge­ment défi­ni­tif : ici la révo­lu­tion est accom­plie, là elle est ter­mi­née, là-bas encore elle n’a jamais eu lieu. Trop sou­vent, les com­men­taires se bornent aux chan­ge­ments ins­ti­tu­tion­nels ou éco­no­miques — en résu­mé, de struc­tures — pour don­ner une défi­ni­tion cari­ca­tu­rale d’un pro­ces­sus révo­lu­tion­naire : une image fixe, grand angle, à un ins­tant don­né. Dans ces sen­tences, tout se passe comme si une révo­lu­tion répon­dait à un ensemble de cri­tères objec­tifs : les moyens de pro­duc­tion ont-ils été socia­li­sés ? L’État bour­geois a‑t-il été abo­li ? L’histoire se passe d’individus concrets, d’hommes et de femmes en lutte, d’af­fects et de pas­sions, de sujets poli­tiques qui se construisent au contact de nou­veaux récits et dis­po­si­tifs de par­ti­ci­pa­tion. Federico Tarragoni, maître de confé­rences en socio­lo­gie à l’Université Paris Diderot, for­mule l’ob­jec­tion sui­vante : est-il pos­sible de pen­ser les « révo­lu­tions en cours » et « par en bas » ? À par­tir du cas de la révo­lu­tion boli­va­rienne au Venezuela, il pro­pose de s’intéresser aux « sub­jec­ti­vi­tés révo­lu­tion­naires », c’est-à-dire aux bifur­ca­tions de vie qui s’opèrent en milieux popu­laires sous le cha­visme : la sen­sa­tion d’être en prise sur la poli­tique en train de se faire, de se décou­vrir des capa­ci­tés poli­tiques, de repen­ser toute sa tra­jec­toire bio­gra­phique à l’aune d’une rup­ture ou de réin­ves­tir le monde vécu de conflits et demandes de jus­tice ; bref de voir et pen­ser le monde dif­fé­rem­ment d’avant la ren­contre « avec la révo­lu­tion ». Le socio­logue a par­ti­ci­pé, entre 2007 et 2011, aux dis­po­si­tifs de par­ti­ci­pa­tion poli­tique locale dans dif­fé­rents quar­tiers popu­laires (urbains, ruraux et indi­gènes) : les conseils com­mu­naux. À tra­vers des entre­tiens et récits de vie, Tarragoni montre com­ment le « récit ouvert » de l’i­déo­lo­gie boli­va­rienne per­met des réap­pro­pria­tions éman­ci­pa­trices en milieux popu­laires — loin des lubies de la lit­té­ra­ture réac­tion­naire sur l’en­doc­tri­ne­ment des masses. Si le pre­mier cha­pitre (com­ment pen­ser scien­ti­fi­que­ment les révo­lu­tions ?) s’a­dresse prio­ri­tai­re­ment aux étu­diants et cher­cheurs en sciences sociales, le second, sur le cas véné­zué­lien, trans­porte le lec­teur dans l’in­ti­mi­té poli­tique des acteurs révo­lu­tion­naires du cha­visme. Delfina, lea­der com­mu­nau­taire du quar­tier de Santa Rosa à Caracas, envoie un mes­sage aux agré­gés en révo­lu­tion, tou­jours prompts à par­ler à la place des prin­ci­paux inté­res­sés : « Car c’est ça l’i­déo­lo­gie : voir quelque chose de poli­tique dans ce qui t’ar­rive non ? » [A.G.]

Éditions Les Prairies Ordinaires, 2015


Federico Tarragoni nous livre un entre­tien inédit dans le dos­sier inter­na­tio­nal consa­cré au post-cha­visme du Ballast n°4, sor­tie pré­vue en librai­rie en mars 2016.


REBONDS

Cartouches 5, décembre 2015
Cartouches 4, novembre 2015
Cartouches 3, octobre 2015
Cartouches 2, sep­tembre 2015
Cartouches 1, juillet 2015

Ballast

« Tenir tête, fédérer, amorcer »

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