Les rues de Naples, l’idéologie sécuritaire, le désordre du maintien de l’ordre, une voie de réconciliation entre cause animale et écologie, la littérature contre l’instantané, la vie au sein de la Cité, une maison en feu, une éducation générale utopique, des plantes toxiques et l’obsession du corps : nos chroniques du mois de février.
☰ Le Secret c’est de tout dire !, de Gianni Giovannelli
Prenez la fin des années 1930, une petite ville des Pouilles et l’intérieur d’une maison dont le sol est de pierre brute : voici que naît notre narrateur et personnage principal, Salvatore Messana, qui deviendra vite un espiègle « scugnizzi » — gamin filou des rues de Naples —, avant de s’essayer à de multiples travaux d’usine, de matelot, de magouilles ou d’arnaques, passant par divers coins d’Italie et se retrouvant même interné un temps dans un asile de Dakar. Il faut dire que Salvatore se plaît à chercher des noises, voire à jeter de l’huile sur le feu : il fait flamber, pour la beauté du geste, la voiture du sous-directeur d’une affreuse institution qui l’emploie et tente, plus tard, d’entourlouper le commandant d’un navire — ce qui s’achève en sévère bastonnade et en plusieurs semaines de cachot. Après ces démêlées navales, notre homme rejoint Stockholm pour y fomenter sa vengeance. Le coup se paye par sept mois de prison, lesquels se font sans trop de peine ; mais d’avoir été dénoncé au chef par un camarade prolétaire met un coup au moral… Ainsi s’achève la première partie du livre. La seconde s’ouvre à Milan, où les gens s’affairent dans la grisaille « pour justifier leurs innombrables souffrances en tant qu’individus condamnés à vendre leur temps au patron »… Car voici le cœur du problème : Messana est allergique au travail, intolérant aux hiérarchies, et le domaine dans lequel il excelle semble bien être celui du joyeux bordel — qu’il s’agit de semer dans les usines ou entreprises de nettoyage, à force de grèves, de sabotages et d’inventives insolences. Oscillant entre crapuleries et exaltation syndicale, la lutte des classes est chez lui bien concrète, et reste affaire de pognon. À qui sait habilement user du code pénal aux dépens des patrons, de coquettes sommes reviendront ! Au terme de ce roman d’anti-apprentissage tout cousu d’élégantes fourberies, on retiendra donc qu’« en se révoltant on obtient ce qu’on veut, [tandis] qu’en pliant l’échine on reste comme des cons ». [L.M.]
Allia, 2021
☰ Être en sûreté, de Vincent Sizaire
L’idéologie sécuritaire a trouvé des débouchés politiques des plus concrets ces dernières décennies, et tout particulièrement depuis quelques années : l’administrativisation des procédures, la normalisation de l’état d’urgence dans le droit commun ou encore l’empilement de lois répressives en témoignent. Face à cette lame de fond, Vincent Sizaire oppose le concept de sûreté, c’est-à-dire « la volonté de protéger la liberté du citoyen contre toute forme d’oppression, qu’elle émane des personnes privées ou des pouvoirs publics ». Car pour le magistrat et maître de conférences, il ne fait aucun doute que le droit français est entaché d’une « tradition autoritaire issue du bonapartisme » qui irrigue encore l’ordre juridique par bien des aspects. Le citoyen se trouve effectivement pris dans l’étau du sécuritarisme : il est soumis à la coercition de pouvoirs publics — fruit d’une « culture de la puissance étatique » —, tout en étant assujetti à « l’arbitraire des puissances privées ». C’est pourquoi l’auteur déploie la notion de sûreté sur plusieurs dimensions : la véritable égalité devant la loi et les institutions qui l’incarnent, la préservation totale des libertés individuelles et collectives, le renforcement des droits des salariés face à leur employeur. Il s’agit donc de redonner tout son sens à l’État de droit, afin que tout un chacun ait accès aux soins, à l’éducation et à une rémunération permettant de vivre dignement sans être asservi à l’arbitraire de son employeur. « De la même façon que les crises économiques à répétition que produit le néolibéralisme ne suffisent pas à son dépassement, l’incapacité manifeste de l’autoritarisme à apporter la sécurité promise ne suffit pas à interrompre la fuite en avant répressive. » La sûreté n’est donc pour Vincent Sizaire rien de moins que le meilleur levier face à la dérive autoritaire dans laquelle s’inscrivent les pouvoirs en place et dont s’accommodent très bien « la logique capitaliste » et « l’idéologie néolibérale ». [M.B.]
La Dispute, 2020
☰ Politiques du désordre — La police des manifestations en France, d’Olivier Fillieule et Fabien Jobard
Comment est-on passé de l’instauration d’une doctrine du maintien de l’ordre « permettant aux manifestants de se déployer en sécurité » à une stricte intention de punir les revendications ? « Comment, dans un pays qui se targue d’avoir inventé
le maintien de l’ordre, en tout cas d’en détenir une science consommée, a pu s’opérer depuis le milieu des années 2000 un tel glissement vers une gestion autoritaire et éloignée de l’esprit comme de la lettre du droit de la manifestation ? » C’est à cette vaste question — qui occupe aujourd’hui sociologues, politologues et journalistes — qu’Olivier Fillieule et Fabien Jobard souhaitent apporter des réponses dans le présent ouvrage. Publié en novembre 2020, il s’inscrit dans un paysage marqué par le projet de loi Sécurité globale déposé à l’Assemblée nationale peu de temps auparavant. Et pour cause : l’ascension fulgurante des violences policières en manifestation ces 10 dernières années a fait de l’action policière l’un des « motifs centraux de la mobilisation ». Partir du constat que ce glissement a des « airs de marche arrière » par rapport à l’histoire du maintien de l’ordre, admettre que « même à l’échelle d’un seul pays, l’histoire n’est ni linéaire dans le temps, ni uniforme dans l’espace » constitue un premier élément de réponse essentiel pour les deux sociologues à l’origine de cette enquête, dont les premiers jalons ont été posés il y a plus de 20 ans. C’est en cela que l’étude est nécessaire à une juste compréhension des politiques du désordre. Ces pages entendent montrer que l’Histoire se rejoue devant nous : des pratiques « de la préhistoire du maintien de l’ordre au tournant des XIXe et XXe siècle, au prix de corps blessés ou morts sur le pavé de Paris et des villes industrielles ». Les auteurs ne se contentent pas d’observer l’institution policière d’une part et les manifestants de l’autre : ils explorent non sans justesse « les configurations dans lesquelles sont pris les acteurs du maintien de l’ordre ». [M.S.-F.]
Seuil, 2020
☰ Manifeste pour une écologie de la différence, de Hicham-Stéphane Afeissa
D’abord, on constate la violence : les animaux de boucherie, d’élevage et de rente ont été oblitérés de la vie quotidienne alors même qu’ils vivent concrètement derrière des plaques de tôle et meurent dans des abattoirs ; les animaux sauvages ne sont que trop visibles, recherchés et mis en évidence pour leur capacité à vivre en dehors des sociétés humaines ; les animaux de compagnie sont assez familiers pour habiter dans une maison commune mais trop peu pour y rester lorsqu’un événement trouble le cours des choses — alors aux bas-côtés ou à la fourrière échoit la tâche de l’accueil. Violence, donc, à l’encontre des animaux comme à l’égard de leurs habitats, des nôtres et des relations qui s’y élaborent. De ce constat, le philosophe Hicham-Stéphane Afeissa tire une conclusion en forme de manifeste : « Il nous incombe de reconnaître et de préserver autant que possible l’étrangeté radicale des animaux », ainsi que celle de notre environnement immédiat. Conjuguer éthique animale et éthique environnementale lui semble en ce sens une étape salutaire. Les deux disciplines, vieilles d’à peine 50 années s’opposent sur l’objet principal de leur raisonnement moral — l’individu animal ou l’ensemble écosystémique. Ainsi, constituer un front philosophique commun qui ne masque en rien les contradictions entre les deux approches permettrait de faire un sort à la « même logique de domination
» qui touche nature et animaux. Au-delà, le philosophe y voit une entreprise qui pourrait informer les pratiques politiques de notre temps. Hicham-Stéphane Afeissa ouvre une perspective critique éclairante sur les efforts fournis par les théoricien⋅nes et militant⋅es des mouvements animalistes pour rendre les animaux les plus semblables possibles aux humains. Un « déni de l’altérité des animaux », selon l’auteur, qui les réduit à l’état d’abstraction et enlève « une certaine justice à l’égard de la singularité de l’autre » — un comble, pour des êtres considérés longtemps comme tout à fait étrangers, et dépréciés justement pour cela. [R.B.]
Éditions Dehors, 2021
☰ Bric et broc, d’Olivier Rolin
Qu’est-ce que la littérature ?, demandait un célèbre philosophe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Plus d’un demi-siècle après, un écrivain se saisit de la question, à sa manière, et celle-ci tient tout entière dans le titre : Bric et broc. La forme, d’abord : un recueil de textes divers — articles, conférences, préfaces ; le fond, ensuite : Olivier Rolin n’a pas ambition de faire théorie ou système. Quand il ne célèbre pas ses chers aînés — Cendrars (ses livres farcis de « nids d’éclairs »), Lowry (« cher vieux totem ») ou encore Hugo (« on ne peut se retenir de l’aimer ») —, l’écrivain esquisse donc quelques réponses. La littérature ? C’est « tramer de la beauté avec les mots ». S’ensuit, bien sûr, le style. C’est « la langue debout », « une retraite volontaire hors de la langue commune », « la vie de l’écriture ». Bref, le style permet la ligne, la frontière, peut-être la barricade : ce qui relève de la littérature ou de la rédaction, du communiqué, de la liste de courses. « C’est de la langue qui résiste, et même, s’il le faut, jusqu’à être liée au poteau où sont exécutés ceux qui ont comploté contre l’ordre du monde. » Mais la littérature, ne serait-ce pas le roman, c’est-à-dire la fiction ? Non point, répond Rolin. Suspens, rebondissements, coups de théâtre, dénouement : l’auteur confie que ce n’est pas là ce qui, d’abord, le saisit. Aux charmes de l’intrigue, il élit l’art des mots, des rythmes. L’époque, enfin. Dire tout de son temps ou résister à ses prises ? Rolin tient le déplacement pour l’une des conditions de la littérature : avoir le pied dans deux chaussures, dirait une formule italienne. L’ancien militant révolutionnaire n’enjoint pas à l’antimodernité — il se tient pour un écrivain moderne — mais au pas de côté dans la modernité. Dos au « despotisme de l’instantané et du bruit », il entend ne pas tendre un miroir à ses contemporains (on sait le succès qu’a Houellebecq à flatter son temps muni d’un fouet) mais bel et bien « se retrancher de l’extrême contemporain pour transmettre une forme qui disparaît ». Si les certitudes de la Gauche prolétarienne n’ont pour lui plus cours, la politique n’a pas totalement disparu : seulement la littérature laisse-t-elle place à « la pensée hésitante », au refus de l’« esprit binaire ». L’écrivain, dit-il, navigue, soucieux de découvrir plus que de marteler. [E.B.]
Verdier, 2011
☰ Le Corps politique — Introduction à la phénoménologie politique : Arendt, Lefort, Merleau-Ponty, Ricœur, d’Agnès Louis
En dépit de la réputation d’apolitisme dont peine à se défaire la tradition phénoménologique, Agnès Louis tente de donner consistance à la thèse d’un « tournant politique » de la phénoménologie, en écho au « tournant théologique » autrefois dénoncé par le philosophe Dominique Janicaud. Si les pères fondateurs de la phénoménologie, Husserl et Heidegger, sont quelque part restés sourds à l’énigme du politique, leurs différentes conceptions du corps ou du corps de chair ont constitué une source à laquelle sont venus puiser leurs plus éminents héritiers. Or ceux-ci, et en particulier Arendt et Lefort, ont fait de la question politique le cœur de leur aventure philosophique. Tous deux insistent sur cette tension entre la société instituée et la société instituante, entre notre inscription originaire dans la chair de l’histoire et la nécessité de l’action comme ce qui révèle notre condition humaine. Mieux : la phénoménologie politique pratiquée par ces auteurs doit montrer que la politique est le lieu par excellence où les sujets accèdent à leur humanité ; elle est le lieu de l’agir, toujours en commun, mais aussi de la division sociale, que Lefort qualifiera d’originaire. Bien que n’étant pas connus pour être des « philosophes politiques » à proprement parler, Merleau-Ponty et Ricœur, ont également contribué à leur façon à l’analyse du phénomène politique : le premier à partir de sa pensée de l’institution (qui inspirera Lefort ou encore Marc Richir, avec son concept d’institution symbolique) ; le second en approfondissant les analyses d’Arendt portant sur l’action et la communauté politique. Le panorama dressé par Agnès Louis, en abordant tour à tour les questions du totalitarisme, de la liberté du corps propre ou de la signification incarnée, constitue une formidable introduction phénoménologique à cette question aussi simple qu’abyssale : comment la vie au sein de la Cité est-elle possible ? [A.C.]
Ousia, 2020
☰ Le Sabot — Revue littéraire de sabotage
« Toute certitude appelle sabotage », pouvait-on lire dans le manifeste qui inaugurait, voici quatre années, Le Sabot. Depuis, l’axiome n’a cessé d’être reconduit : que ce soit le « sabotage », donc, le « confort », le « sexe », le « travail » ou la « violence », thèmes successifs des cinq premiers numéros de la revue rassemblés en un recueil, la surprise va croissant. Des noms connus (Marcel Moreau, Jean-Pierre Siméon) croisent ceux d’auteurs et autrices aux pseudonymes foutraques et à la verve détonante ; l’analyse se trouve supplantée et vivifiée par le récit, la poésie, la nouvelle, le roman-photo, le détournement graphique ou même la recette de cuisine ; la photographie côtoie la satire et quelques planches fort pratiques pour repeindre les murs d’une ville à l’extincteur ou faire disjoncter tout un immeuble. La couverture donne le ton : une farandole autour d’une voiture policière en flammes — et le feu partout dans ce recueil. Ainsi en appelle-t-on à « être hautement inflammable » (« De sang chaud »), à ne laisser à l’amour que l’incandescence (« Que son amour soit de feu et le brûle ») ; ainsi en vient-on à faire de la brûlure du soleil sur « les bras ouverts de chaque côté de mon corps » une injonction (« Brûle ! ») et les braises, sorties de leur foyer, deviennent désir et constat — « la maison est en feu / Peut-être / Alors / je pousse l’ennui / à devenir pyromane ». Cinq numéros ont suivi, s’attachant qui à la « terre », qui à la « soif » et sabotant la « honte », la « ville » ou bien le « piège ». Forte de 10 numéros, la revue s’est transmuée en maison d’édition : un recueil de poèmes (L’Endormi) et un roman (Tabor) sont sur le point de paraître. Des ouvrages qui trouveraient une place de choix dans quelque squat, bibliothèque sauvage ou librairie autogérée. [E.M.]
Le Sabot, 2020
☰ Dans les imaginaires du futur — Entre fins du monde, IA, virus et exploration spatiale, d’Ariel Kyrou
C’est à un impressionnant travail de synthèse que s’est attelé Ariel Kyrou — journaliste, écrivain, chroniqueur —, dans cet essai où la science-fiction, culture populaire souvent négligée, devient un espace privilégié, mais toujours un peu malséant, perturbateur, libertaire. Elle permet de nous décentrer : en période de pandémie et de confinement, ce n’est pas négligeable ; en période de domination capitaliste et de changement climatique, c’est même indispensable. Suivant une ligne de crête, l’ouvrage creuse son propre sillon, résolument technocritique sans être technophobe ; technophile sans être techno-naïf. Un résultat tiède ? Que du contraire. Plongeant avec passion dans son riche corpus, fait de littérature, de films, de séries télévisées, Kyrou s’appuie sur la fiction pour mieux réfléchir à notre présent, et démontre que nombre de ces œuvres nous permettent de penser, parfois avec elles, parfois contre elles, l’impasse technologique et environnementale. L’on passe ainsi de Blade Runner à La Route ou The Walking Dead, de Zuckerberg à Tarkovski ; on croise également Ursula Le Guin, J.G. Ballard ou Damasio — qui signe ici une « volte face » survoltée —, quand ce n’est pas la Servante écarlate qui nous alerte sur un avenir dystopique. Kyrou, dans une dernière partie plus proche des travaux de la revue Multitude à laquelle il appartient, avance également des propositions d’ordre théorique. Le tour de force est d’avoir rendu cette profusion de références cohérente et explicite, sans jamais être laborieuse, pour un propos qui vise juste : le futur que l’on prépare, qu’il soit lié à Gaïa ou qu’il soit dans les étoiles, s’annonce catastrophique s’il reste sous la coupe du capitalisme. Plutôt que de se raccrocher aux branches d’une collapsologie en manque d’imaginaire, Kyrou, plus proche du philosophe Jean-Pierre Dupuy et de son concept de « catastrophisme éclairé », vise, avec les mots de Moebius, une « éducation générale utopique » de la population terrestre afin de penser les subversions nécessaires. [J.C.]
ActuSF, 2020
☰ La Mort par les plantes, de Helmut Eisendle
Rarement l’avertissement au lecteur, mentionné en début d’ouvrage, n’aura eu autant de pertinence. Il y est écrit que ce glossaire des plantes toxiques, souvent mortelles, et de « leur utilisation à l’usage du malfaiteur asthénique » est un manuel qui n’a de manuel que l’apparence. L’auteur, philosophe, biologiste, psychologue et écrivain de fiction, se met en scène dans un personnage de biologiste révolutionnaire et recense des « fictions ». Ce postulat des plus intriguant se poursuit avec une introduction où se mêlent considérations libertaires sur le pouvoir et ses méfaits, les conflits, et l’option de remédier aux oppressions de façon… radicale. Rationalisant jusqu’à l’absurde, mais avec un sens du sérieux qui propulse l’humour noir à un niveau stratosphérique, l’auteur énonce son programme en ces termes : « [I]l est temps, d’un point de vue humain, de déplacer le rapport de force, en ce qu’il conditionne le bonheur et tel qu’il s’exerce entre asthéniques [dominés] et sthéniques [dominants], en faveur des premiers. » Et précise : « ce glossaire propose une méthode de résolution des conflits en même temps qu’il soumet son application à l’autorité de la conscience de l’utilisateur ». Une fois compris que le principe de sécurité est associé à la ruse et à la malignité (« plus le malfaiteur est loin du lieu du crime au moment des faits, plus il est en sécurité et plus il est efficace »), nous pouvons plonger dans le glossaire proprement dit : 33 fiches superbement illustrées, où, aux noms latins et moments de floraison, s’adjoint la description des effets, suivant la dosis minimalis/letalis administrée. Potache, le tout se conclut par un index, non des plantes mais des effets (impuissance, irritations des muqueuses, etc.) ! Notons que chaque plante est accompagnée d’un récit mettant son usage en application, illustrant de façon irrévérencieuse des rapports de domination (mari tyrannique, patron exploiteur, policiers violents…). [J.C]
Vies Parallèles, 2019
☰ On ne naît pas grosse, de Gabrielle Deydier
Avec ce livre, Gabrielle Deydier a décidé de faire de son corps un « outil », un « outil d’enquête » dédié « aux millions d’invisibles ». En partant du constat que nous vivons dans un monde où « grossir devient de plus en plus facile
, mais [que] les obèses sont des pestiférés », elle décortique les clichés sur l’obésité. Non, celle-ci n’est pas que le résultat d’une suralimentation ; non, ce n’est pas « une sorte de carence de volonté » ; non, les personnes obèses ne sont pas des fainéantes. Partant de son parcours personnel, Deydier met à nu ses craintes, sa « dérobade affective, médicale, hygiénique » et, surtout, ses « vrais désirs ». L’autrice parle aussi et surtout en tant que femme. Car, comme elle l’écrit, même si la proportion d’obèses est quasiment identique chez les femmes et les hommes en France, « l’obsession du corps, elle, est radicalement différente ». En témoigne le « profil » des candidats — à 80 %, des candidates — à la chirurgie bariatrique, qui consiste à amputer l’estomac sur deux tiers, voire aux trois quarts. Grâce à ce livre, elle lève le voile sur cette course à la chirurgie — dangereuse pour la santé tant physique que psychologique — sans jamais pointer du doigt celle et ceux qui souhaitent en passer par là. Gabrielle Deydier montre aux lectrices et aux lecteurs que l’obésité n’est pas une simple question de laisser-aller, mais qu’elle porte bien d’autres marques. On peut, assure-t-elle, tout à fait poursuivre des études, exercer un emploi et avoir des passions en étant obèse ; elle exprime sa colère, surtout, de constater que la société tend à nous prouver le contraire. Non, on ne naît pas grosse : « l’autodestruction débute par l’absence de rêves », là où les clichés, eux, freinent l’avenir de celles et ceux qui ne sont pas « dans la norme ». [M.S.-F.]
Les Éditions Goutte d’Or, 2017
Photographie de bannière : Chris Killip
REBONDS
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