Une commune de l’Ain, des marins en plein mer, des renards et des chevaux, l’Algérie et Aubervilliers, les rues des gilets jaunes, les mots simples de la poésie, les femmes de la Commune, une prostituée et une ville portuaire, les années de plomb italiennes et la révolution socialiste : nos chroniques du mois de juin.
☰ L’Inconnu de la poste, de Florence Aubenas
De quoi un fait divers est-il le nom ? Qu’est-ce qu’un meurtre à l’arme blanche, commis dans le petit bureau de poste d’une commune de l’Ain en décembre 2008, a à nous dire ? La journaliste Florence Aubenas s’attaque ici à la question, sans verser dans le sensationnel ni dans le voyeurisme. La prose de ce livre d’enquête colle au réel à la manière non pas du compte-rendu, mais du récit. Des protagonistes se dessinent, dont on ne saisit que certains aspects de leur histoire. Ainsi la victime Catherine Burgod, son père, son ex et son nouveau compagnon, ses amies, mais aussi une bande de marginaux sur lesquels la justice s’est attardée, gravitent autour du centre qu’est l’événement criminel, sans que la loi de ce manège ne nous soit jamais entièrement révélée. Car voilà le problème : l’enquête avance, tâtonne, des suspects sont avancés, des hypothèses émises. Mais pour lors, les faits n’ont pas été rétablis dans leur vérité. Si le livre manie le suspens, il nous place surtout au contact de ce qu’un fait divers provoque, tant à l’échelle de vies individuelles qu’à l’échelle d’une localité qui répond au doux nom de « Plastic Valley », pour l’industrie du plastique qui y a remplacé pour bonne part les activités agricoles. Sans surprise, c’est une secousse, dont les ondes de choc se propagent et se ramifient bien après que le meurtre ait été commis. Le principal suspect, Thomassin, se voit ainsi mêlé à cette affaire : enfant de la DDASS, acteur de cinéma mi-flamboyant mi-déchu, alcoolique à la marge, beau parleur, consommateur de Subutex. Si le père de la victime et les enquêteurs ne se privent pas de lui faire porter le chapeau, le livre, lui, s’en garde bien. Il conserve l’humilité de qui se tient à l’écoute du réel — en l’occurrence Florence Aubenas, dont la pratique du journalisme est plus que bienvenue à l’ère de l’information continue. [L.M.]
Éditions de l’Olivier, 2021
☰ Pleine mer, de Jean Gaumy
Une déferlante balaie le pont ouvert d’un navire de pêche, alors que les marins en ciré épais s’agrippent à ce qu’ils peuvent trouver à leur portée pour ne pas être emportés. La couverture de Pleine mer, du photographe Jean Gaumy, membre de l’agence Magnum, donne le ton d’un ouvrage qui regroupe quatorze ans d’images réalisées sur les chalutiers à pont ouvert, aujourd’hui disparus. Les photographies alternent avec les carnets du photojournaliste et des extraits de journaux de bord et de cartes marines. Tandis que les travaux sociologiques sur la pêche sont rares, l’ouvrage forme un témoignage devenu maintenant une archive sur la pêche hauturière et les conditions de travail éprouvantes des marins. Dans sa préface, l’auteur écrit : « Il ne peut pas s’agir de faire un reportage. Il s’agit d’autre chose. Je ne sais pas vraiment. Il faudra raconter. Raconter simplement. Éviter l’imposture, le registre héroïque. Rester à hauteur d’hommes. » Les images sont prises au contact de leurs sujets, le photographe est parmi les marins, assis avec eux au mess, sur le pont alors qu’ils relèvent les filets. Les lumières si particulières de la haute mer font ressortir les traits marqués par la fatigue, les toiles des cirés qui enveloppent et uniformisent des corps sans cesse en tension, et que le photographe met en relation avec les animaux autour d’eux. Envolée de mouettes dans une lumière crue qui perce la nuit. Écailles luisantes des poissons, avec qui les hommes finissent entremêlés sur le pont d’un bateau que la houle fait s’incliner dangereusement. Autour d’eux, les éléments se déchaînent, la pluie battante crible l’écume des vagues. Jean Gaumy capte aussi les instants de relâchement, les moments de solitude arrachés au collectif comme celui où cet homme, regard dans le vague, qui fume une cigarette appuyé contre la coque après une nuit d’efforts. Pleine mer est un ouvrage qui participe de la mémoire ouvrière, et son contenu permet de nourrir les études sur les travailleurs de la mer. [L.]
Éditions de la Martinière, 2001
☰ Une bête entre les lignes, d’Anne Simon
Posons cette association : littérature et animaux. Pour l’illustrer et la déplier, les exemples sont légion — tout lecteur ou lectrice aurait les siens à défendre. Il y a ce renard que l’on suspend puis éventre dans Regain, de Giono ; ce cheval qui se cabre et s’affole dans La Route des Flandres, de Claude Simon ; ces phalènes qui ne cessent de rejoindre la lumière dans Les Vagues, de Virginia Woolf. « Si la littérature est si populeuse, c’est que les bêtes ravissent les humains. » Pour l’attester, Anne Simon a passé les vingt dernières années à fouiller les bibliothèques à la recherche de ces animaux qui mettent hors de soi dès lors qu’on porte son attention sur eux. Spécialiste de Proust, c’est d’abord depuis l’œuvre ce dernier qu’Anne Simon a posé les premiers jalons de son entreprise. Se côtoient par la suite des écrits méconnus d’auteurs ou d’autrices en bonne place au panthéon littéraire et des textes contemporains dont on s’occupe peu, usuellement, dans les essais sur la littérature. Si le paysage est vaste, il ne s’agit en rien de juxtaposer les monographies, mais plutôt d’épaissir la notion de « zoopoétique », soit le discours écrit sur, avec et parfois par les bêtes. Ainsi la poétique tend vers le politique lorsque la vie de ces animaux est niée et qu’il faut le dire. « L’animalité n’est pas une donnée neutre et universelle » : il convient de fêter certaines de ses formes comme de dénoncer son utilisation mercantile et destructrice. Passé le « lyrisme de la vivacité », celui qui emporte sur les pistes à la recherche de traces, on entre, avec Yves Bichet ou Olivia Rosenthal, dans l’enfer de l’agroalimentaire. Comment écrire les veaux, porcs et poulets qu’on entasse en des hangars ? Auteurs et autrices peinent à effectuer un geste auparavant spontané : « reconnaître intuitivement ce qu’est une bête — et par ricochet, un humain ». Aussi la littérature se doit d’aborder le cru, le commun, au même titre que le vif ou le sauvage. Cet essai trace un bestiaire qu’on ne peut qu’espérer voir prolongé. [R.B.]
Wildproject, 2021
☰ La Discrétion, de Faïza Guène
« Peut-être que ça ne vous frapperait pas en la regardant, mais derrière Yamina, il y a une Histoire, comme derrière tout un chacun. » Cette phrase qui clôt le premier chapitre de La Discrétion donne un éclairage sur la démarche de Faïza Guène. À travers les portraits de femmes de diverses générations — Yamina, née dans l’Algérie colonisée ; sa mère et ses filles ; trois hommes autour d’elle, père, mari et fils —, l’autrice dessine la complexité des chemins de vie d’une famille dont les parents sont venus de l’autre rive de la Méditerranée et les enfants nés en France. Alternant entre les époques et les lieux, de l’Algérie qui combat pour son indépendance à Aubervilliers aujourd’hui, le récit tente de nous faire sentir comment différentes générations s’emparent de la question de l’immigration et de ses contradictions — étranger·es à la fois ici et là-bas — et quelles réponses chacun construit face à cette question, entre déterminismes sociaux et choix personnels, vie intime et avenir professionnel. Avec l’histoire de Brahim, fils de paysan venu travailler dans les mines puis les usines, une facette de l’histoire ouvrière en France est rappelée ; elle se poursuit de nos jours avec son fils Omar, travailleur ubérisé, et ses filles Malika, Hannah et Imane, en recherche de sens dans leur travail. À l’image du titre, l’écriture, sans effets, allie tendresse, humour et émotions. Le roman de Faïza Guène est un hommage à une génération d’immigré·es prolétaires algérien·nes, de même qu’une réponse salutaire aux clichés d’une droite de plus en plus extrême désormais omniprésente dans les médias. Face au racisme, aux discriminations, Yamina a choisi de ne pas « se laisser abîmer par le mépris » et préféré le silence à la colère. Mais son icône demeure Djamila Bouhired, emblématique résistante algérienne ; l’esprit de résistance insufflé par son père, combattant de la guerre de libération, est bien présent chez elle. Et il infuse chez ses filles. [L.]
Plon, 2020
☰ On est là, de Serge D’Ignazio
« Entre deux syncopes nous tendons des cordes / rêves Molotov / nos voix comme des violons / dans les rues tissent un nouveau silence / rouge noir vert jaune / qui fait frémir les assassins ». Les mots de Cathy Jurado, professeure, poétesse et écrivaine, illustrent l’image d’une foule de manifestant·es, poings levés, embrumée par quelques fumigènes. On est là regroupe 150 photographies de Serge D’Ignazio, dont le point de départ fut un certain samedi 17 novembre 2018. Des images aux noirs et gris profonds, témoignages de tous les cortèges parisiens des gilets jaunes, depuis le premier acte. Elles sont accompagnées d’une dizaine de textes — récits ou commentaires — d’acteurs et d’actrices du mouvement devenu historique. Ici, une jeune militante brandit un menu dérobé au Fouquet’s ; là, un musicien tambourine face à un gendarme et son bouclier. Des banderoles affichent les photos des mutilé·es victimes de violences policières ; des gilets portent des slogans sur leurs dos ; des enfants se joignent aux luttes de leurs aîné·es. Bérengère, qui travaille en milieu associatif auprès des personnes aveugles et malvoyantes, se dit « animée d’une rage explosive et profonde ». Une colère qui résonne dans le cœur de Lola, lycéenne, qui a pris la décision de rejoindre le mouvement, elle aussi. Serge D’Ignazio a capturé les sourires et les embrassades des manifestant·es mais aussi les LBD qui les visaient, lui et les gilets jaunes, celles et ceux tombé·es au sol, entouré·es de Street Medics parfois, encerclé·es par les forces de l’ordre, souvent. « Les visages denses racontent des vies, rudes de toute évidence, quelques fois abîmées mais déterminées », ajoute l’historienne Ludivine Bantigny. Le photographe qui se décrit comme « amateur » reverse l’intégralité de ses droits d’auteur à la Ligue des droits de l’Homme. [M.S.-F.]
Adespote, 2021
☰ Brouillons amoureux, de Souad Labbize
Quand elle écrit l’amour qui se dit, et l’amour qui se tait, Souad Labbize semble toujours en équilibre sur un fil, à la frontière de l’universel et de l’intime. On pourrait croire d’abord que ses poèmes abordent les lieux communs des relations amoureuses, et ce serait une erreur. Ils s’en affranchissent toujours. Mettre de l’ordre dans ce qui est brouillon, dans ce qui est confus, ce qui confond : voilà ce que font ces poèmes, d’une écriture qu’on pourrait dire à l’économie. Rien n’y est superflu. Des circonvolutions de la littérature amoureuse, l’auteure s’affranchit aussi. Ses phrases sont souples, légères et incisives aussi. « Grammaire amoureuse / dans je pense à toi / je ne suis pas / le sujet de la phrase. » Elles vont à l’essentiel. Personnifiées, on dirait d’elles qu’elles sont discrètes, précises, brutes mais jamais mal dégrossies. L’intangible des émotions se mêle aux objets du quotidien, aux habitudes que prennent celles et ceux qui s’aiment, aux postures des corps parfaitement saisies. Corps qui s’embrassent, se séparent et peinent parfois à se réparer. Le rythme est souvent saccadé, les enjambements s’enchaînent : il y a là un peu de la course, de la frénésie, de l’espoir de capturer ce qui trop de fois s’évanouit. Les poèmes sont courts, incisifs, comme des flèches décochées dans le vif du sujet. Cette poésie-là, on peut l’emporter partout avec soi : les mots simples se lovent dans la mémoire, on s’en fait des bagages. Les lecteurs arabophones pourront profiter de la version bilingue de cette édition. Les deux textes, en vis-à-vis sur les pages ouvertes, sont de l’auteure, qui a fait du français — sa langue d’exil — une langue poétique. [C.M.]
Éditions Les Lisières, 2017
☰ Franchir les barricades, de Carolyn J. Eichner
« La révolution sans les femmes », raillait en mai 1871 la journaliste et romancière André Léo dans les pages de La Sociale, titre dont elle s’est occupée la Commune durant. « Les femmes sans la révolution », pourrait-on ajouter avec l’historienne étasunienne Carolyn J. Eichner, tant l’histoire du féminisme a été selon elle expurgé de l’apport des communardes dans son élaboration. C’est ce qu’elle s’est attachée à défendre dans un ouvrage datant d’une dizaine d’années, mais traduit il y a peu seulement. En croisant les parcours de trois insurgées (Paule Minck, Élisabeth Dmitrieff et André Léo), l’autrice fait le bilan d’un socialisme féministe aux dimensions multiples. À rebours du féminisme bourgeois, centré sur la question du droit, qui s’impose la décennie suivante, « c’est en ajoutant la dimension du genre à la critique de classe que les communardes devinrent socialistes féministes ». Les portraits dépeints ici affirment la diversité des approches défendues alors : par le biais de « son questionnement journalistique et littéraire des limites […] imposées aux femmes en termes de comportement et de choix », André Léo agit pour une transformation graduelle et socialiste de la société de son temps ; Dmitrieff, elle, œuvre à la tête de l’Union des femmes pour que celles-ci soient pleinement indépendantes, par un « effort de réorganisation du travail » ; Minck, enfin, salue et soutient les revendications les plus communes avec « son militantisme populaire et son langage insurrectionnel radical ». Outre une savante mise en perspective, Eichner s’est utilement étendue sur les suites de la Commune pour ces femmes. Si Minck a persévéré dans un militantisme combattif, Léo et Dmitrieff se sont toutes deux progressivement écartées d’une posture politique publique. Ces trois parcours invitent à pleinement reconnaître l’importance du rôle des femmes durant la Commune et, plus largement, à reconsidérer l’action révolutionnaire dans l’histoire du féminisme. [E.M.]
Éditions de la Sorbonne, 2020
☰ La Prostituée, de Hayama Yoshiki
En déambulant fièrement sur la « jetée des Ricains » à Yokohama, Minpei-le-Démocrate avait presque oublié sa condition de prolétaire — jusqu’à ce qu’une voix menaçante, surgie de nulle part, ne donne lieu à un terrible malentendu. Un homme à la « face de limace » et ses deux acolytes lui soutirent les dernières pièces qu’il lui reste. Minpei croit à un pur et simple racket, mais les hommes le conduisent ensuite dans une « chambre étrange » à l’air vicié. Au sol gît une femme nue, anéantie, « pitoyable ». Mais pourquoi diable ces hommes l’ont-ils mené devant cet être cadavérique ? Cherchent-ils, dans un ultime accès de cynisme et de cupidité, à exploiter, vaille que vaille, le peu de vie qu’abrite ce corps ? À vrai dire, nul des protagonistes n’est maître de la situation — comme si, dans la misère elle-même et la conscience de cette misère, les hommes continuaient à se faire machiner par une logique de la dette et de la servitude qui les dépasse. Minpei en vient à se demander : comment cette femme a-t-elle pu être réduite à de telles extrémités ? Et, par-dessus tout, quel sens profond cette sorte de cadavre qui respire peut-il encore dire aux autres humains ? L’énigme est en effet qu’en dépit de l’extrême dénuement, et d’une pluralité de stigmates physiques et existentiels qui l’affectent, la prostituée n’a pas encore renoncé à la vie. Le moindre souffle, la moindre parole, recèle un sens universel — comme si la nudité du corps déchu devait à lui seul signifier la misère de la condition exploitée. Il n’en faut guère plus à Minpei pour comprendre que le destin de la prostituée est intimement lié au sien, ainsi qu’à celui de tous les prolétaires. Car c’est depuis l’extrême précarité de la vie, et la négation perpétuelle de son humanité, que la prostituée garde paradoxalement quelque chose de profondément humain, qui, par-delà le temps et l’espace, continue de nous heurter, nous, lecteurs. « Tant qu’on vit », dit l’un des compagnons d’infortune de la prostituée, « on peut pas être sûr qu’ça servira pas un jour à quelque chose ». [A.C.]
Allia, 2021
☰ Années de rêves et de plomb, d’Alessandro Stella
11 juin 1979, Thiene, Italie. Trois jeunes hommes et femmes décèdent dans l’explosion d’une bombe qu’ils étaient en train de confectionner. On ne prend pas soin des morts, faute de temps ; c’est le début d’une immense opération de police à l’encontre des membres les plus actifs du mouvement autonome italien. Parmi eux, Alessandro Stella, alors « anar responsable » selon ses mots, et impliqué dans le mouvement social italien depuis ses débuts avec les grèves de 1968, jusqu’à son délitement en 1980. « Mon militantisme révolutionnaire, [d]e 15 à 25 ans, [f]ut tout mon univers. » Tandis que dix italiens et italiennes exilé·es en France sont menacé·es d’extradition quarante ans après les faits qu’on leur reproche, ce témoignage paraît des plus essentiels — et l’Histoire de bégayer : « On nous avait criminalisés, marginalisés, emprisonnés ; mais au-delà de nos personnes, c’est tout un mouvement de contestation social qui se trouvait au silence. » Si, en partant du décès de trois camarades, il revient sur les faits et les décrits de l’intérieur, il s’attache surtout à comprendre « comment et pourquoi un groupe d’amis politiques est passé de l’ivresse d’un rêve vécu en commun au chagrin des vies disparues, d’une symbiose existentielle à l’éclatement de notre communauté ». Car c’est cela qui a marqué Alessandro Stella : le dévouement et la joie qu’a charrié le mouvement autonome italien : « Au début de notre histoire, il y avait une puissante force vitale de recherche d’amour collectif ». Depuis quarante ans, néanmoins, c’est le repentir et l’autocritique que la société italienne attend de ces hommes et de ces femmes. Stella, lui, se dit nostalgique de cette époque ; aussi faut-il le lire afin de saisir pourquoi. [E.M.]
Agone, 2016
☰ Un programme pour la Révolution — Programme de transition et textes choisis, de Léon Trotsky
Voilà dix ans que Trotsky vit en exil, chassé par Staline et bientôt assassiné. Les procès de Moscou ont anéanti la première génération bolchevik ; Mussolini et Hitler appuient les forces militaires de Franco ; une nouvelle guerre mondiale se profile. Pour faire face à la situation, le fondateur de l’Armée rouge s’apprête à lancer la IVe Internationale : ce « Programme de transition » en constitue l’armature théorique. Les éditions Communard·e·s, fondées en 2019 en vue de participer « à la diffusion et au renouveau des idées du marxisme« , ressuscitent ce document aux côtés de quelques autres, pour certains inédits en langue française. Le cheminot et syndicaliste Anasse Kazib, ancien membre du NPA, signe l’avant-propos. À l’évidence, l’intention générale de l’ouvrage ne suscitera pas l’adhésion du champ anticapitaliste contemporain dans son entier (la Makhnovtchina et Kronstadt restent à raison en travers de la gorge des libertaires) ; elle a toutefois pour elle la pleine franchise : « renouer avec la méthode de Trotsky » afin de travailler, ici et maintenant, à la prochaine révolution socialiste. Sans celle-ci, l’intéressé affirme en 1938 que « la civilisation humaine tout entière est menacée d’être emportée dans une catastrophe » : chacun connaît la suite. Très critique à l’endroit du récent Front populaire, son plan se veut tout autre : couvrir les pays de soviets ; créer un double pouvoir à l’échelle de la société ; renverser, au terme de l’ultime collision, le régime de la bourgeoisie pour instaurer la dictature du prolétariat, autrement dit le pouvoir démocratique de la majorité laborieuse, puis instituer le socialisme. « Celui qui ne cherche ni ne trouve la voie du mouvement des masses, celui-là n’est pas un combattant, mais un poids mort pour le parti. Un programme n’est pas créé pour une rédaction, une salle de lecture ou un club de discussion, mais pour l’action révolutionnaire de millions d’hommes« , avertit le révolutionnaire, d’ailleurs soucieux de rallier les peuples du Sud et la paysannerie à sa proposition. Si, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Trotsky ne se paie pas de mots quant à leur force — dérisoire —, les projections qu’il formule feront pourtant chou blanc : le capitalisme n’était pas en phase de déclin ; la dialectique n’a pas travaillé « pour nous » ; les masses n’ont pas rallié la IVe Internationale. La discussion stratégique peut commencer. [A.T.]
Éditions Communard·e·s, 2021
Photographie de bannière : Shirley Baker
REBONDS
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