Une grève d’ouvrières en atelier, la libération du travail des mains du capital, des hauts plateaux et la mer Noire, le projet oublié du Fatah, les textes d’Amílcar Cabral, la poésie afghane, l’horizon de la vie bonne, le Melville de Giono, un camp autogéré et la langue fêlée d’un écrivain : nos chroniques du mois de février.
☰ Rose Zehner et Willy Ronis — Naissance d’une image, de Tangui Perron
Juchée sur on ne sait quoi, Rose Zehner harangue les ouvrières de l’atelier de sellerie de l’usine Citröen-Javel : bras tendu, index pointé, elle tient à la main quelques notes. Nous sommes le 25 mars 1938. Une grève de six semaines commence ; elle se propagera dans un grand nombre d’usines : les travailleurs protestent contre le refus du patronat de renégocier des conventions collectives arrivées à échéance. Pour le Front populaire de Blum, c’est le début de la débandade : les réformes sociales sont stoppées sous la pression des patrons. L’intervention de la jeune femme ne doit rien au hasard : « Rose Zehner est une militante chevronnée » ; elle est de celles « qu’on a trop longtemps tondu[e]s en caniche » et « qui gardent une mâchoire de loup », comme le dit Prévert dans la pièce qu’il écrit puis joue pour les grévistes. Si l’image de Rose Zehner est devenue un symbole des luttes ouvrières — et féministes —, celle-ci ne sera pourtant publiée qu’en 1980, et souvent associée à tort aux grèves de 1936. L’histoire de cette photographie tisse ainsi, ensemble, celle du photographe Willy Ronis et celle de la syndicaliste. Ce livre la raconte. Comme il raconte la grève à travers les clichés que le photographe a pris ce jour-là. Dans ses moments d’attente, quand les ouvriers tapent le carton ou le ballon, discutent et débattent de leurs positions politiques. Dans ses phases de tension, quand, sur la scène improvisée, se succèdent les prises de parole qui doivent motiver à continuer, à ne rien lâcher. Tensions aussi entre les tendances syndicales et le Parti communiste — la réunification de la CGT est encore récente… Tensions enfin dans le contexte, national et international. Et c’est sur ce dernier point que l’ouvrage met au jour ce que les mémoires ont oublié : alors que l’Espagne républicaine et révolutionnaire tient tête au fascisme, la solidarité internationaliste est forte dans le mouvement ouvrier ; et Rose Zehner de la porter au premier plan des revendications de la grève. [L.]
Les éditions de l’Atelier, 2022
☰ Le Futur du travail, de Juan Sebastián Carbonell
Le travail demeure encore central dans nos sociétés, à la fois anthropologiquement et socialement. Pour autant, saisit-on bien les transformations contemporaines qui l’affectent ? Rien n’est moins sûr, répond le sociologue Juan Sebastián Carbonell. Les discours qui prophétisent la fin du travail — imminente, à écouter certains — manquent en réalité l’essentiel. L’automatisation, qui touche de nombreux secteurs, n’implique pas (nécessairement) une disparition du travail humain mais plutôt une transformation de celui-ci. L’auteur identifie quatre conséquences des nouvelles technologies sur les systèmes productifs : remplacement du travail, processus de déqualification/requalification, intensification et contrôle accru (sur les travailleurs). La précarité est une autre question. Elle fait partie des débats actuels : bien qu’elle soit assurément une réalité pour bon nombre de personnes, voire qu’elle va croissante, l’auteur conserve un rapport critique à la notion de précariat. D’une part, car la précarité « est loin d’avoir submergé le salariat stable » ; d’autre part car « elle est fonctionnelle aux dynamiques du capital ». Ce n’est donc pas une nouveauté en soi, mais bien une caractéristique des différentes formes historiques du capitalisme. Alors même que l’émergence du numérique a contribué à créer de « nouveaux prolétaires », l’intelligence artificielle, les plateformes numériques et les services technologiques reposent bien sur du travail humain — bien qu’il tende à être invisibilisé. Une invisibilisation qui touche aussi les ouvriers de la logistique, tandis que le « capitalisme logistique est une des principales sources de la création de nouveaux emplois ouvriers dans le monde ». Pour le sociologue, tout l’enjeu est alors de « libérer la vie du travail et libérer le travail de la domination du capital ». L’ouvrage pose en ce sens quelques repères essentiels pour dépasser les visions biaisés du travail, et par là même penser son émancipation. [M.B.]
Éditions Amsterdam, 2022
☰ Un monde à part — Cartes et territoires, de Kenneth White
A‑t-on souvent accès à la géographie d’un poète ? On pourrait répondre avec Olivier Rolin qu’il existe des Paysages originels — comme ceux d’Hemingway, de Nabokov ou de Michaux, dont l’écrivain chercha les traces. Mais de géographie véritable, cartes et minutieuses descriptions à l’appui, non point. Il y a des mondes qui se cachent, terra volontairement incognita. Mais il existe aussi quelques rares poètes géographes dont l’exploration est l’une des facettes de l’œuvre. Kenneth White est de ceux-là. Dans Un monde à part, l’écrivain né sur les côtes mangées par l’Atlantique de l’Écosse retrace un parcours intellectuel fait de voyages et de méditations poétiques, avant de se perdre soigneusement et de dériver entre planisphères et portulans. « Amoureux d’obscurs excursions érudites » comme il le rappelle, White ouvre ainsi sa bibliothèque cartographique, déplie sur le sol le parcours de ces prédécesseurs grecs, arabes ou perses, pour aborder ses spatialités propres. Ce sont des terres râpeuses, raclées par les glaces puis giflées par les vents que le poète affectionne en premier lieu. Il y a son île d’origine, dont la dernière partie du livre retrace la formation depuis que le gneiss et le schiste des Hébrides se sont formés deux milliards d’années en amont ; il y a les steppes d’Asie centrale, cœur intellectuel toujours des plus vifs au cours de l’Histoire ; il y a des côtes baltes, dont « le nom de ces vieilles villes que sont Revel, Dorpat, Riga » mettent en joie l’auteur. À l’instar du moine Beatus, l’un des tuteurs contre lequel s’est élaboré ce livre, White « suit une méthode qui consiste en citations, explications et illustrations » : un conte, un plan, une enluminure ou le parcours d’un épigone lointain, tout support, tout événement fait signe vers un autre pour que jamais la digression ne cesse. Poésie et géographie cheminent donc main dans la main, depuis les hauts plateaux de la mémoire jusqu’aux rives de la mer Noire. [E.M.]
Éditions Héros-Limite, 2018
☰ La Révolution palestinienne et les Juifs, du Fatah
Printemps 1970. Le Fatah — Mouvement de libération national de la Palestine — a onze ans d’âge lorsqu’il fait paraître ce texte dans son journal. L’organisation avait été cofondée par Yasser Arafat au Koweït ; l’objectif était clair : libérer le territoire palestinien de l’occupation gouvernementale et militaire sioniste, c’est-à-dire de l’État inventé par l’ONU en 1947 puis introduit par la force armée l’année suivante. En juin 1967, Israël attaquait les pays frontaliers et triplait son emprise territoriale ; la vieille ville de Jérusalem tombait entre ses mains. C’est donc dans ce contexte qu’est publié ce texte. À la faveur d’un partenariat entre Orient XXI et Libertalia, le journaliste Alain Gresh en signe aujourd’hui l’introduction. L’auteur ne se contente pas de resituer les coordonnées de l’époque : il existe, dit-il en conclusion, une « actualité à l’utopie » proposée en ces pages vieilles d’un demi-siècle. En ressusciter l’esprit, poursuit Gresh, permettrait d’en finir avec les « vieux schémas » et de rouvrir, face à l’apartheid institué par le régime israélien, « la voie révolutionnaire et humaniste ». Le Fatah se posait en défenseur d’une « Palestine progressiste, démocratique et non confessionnelle ». La paix était possible ; la coexistence entre les peuples et les religions, aussi. Le mouvement dénonçait l’antisémitisme présent dans le monde arabe et récusait « le désir de vengeance ». Il faisait savoir qu’il attendait « avec impatience » l’arrivée « de milliers de Juifs » à ses côtés. Et le Fatah d’insister : il faut « gagner les Juifs à sa cause par des actes et pas seulement par des mots ». Plaidant pour le réalisme et non pour quelque « rêve romantique », le mouvement avançait que la Palestine future — débarrassée de la structure étatique et raciste introduite en 1948 — intégrera l’ensemble des habitants dans une citoyenneté égalitaire et laïque. Les Juifs du monde entier pourront à loisir s’installer en Palestine et voir l’un d’eux occuper la présidence, une fois refermée la parenthèse coloniale — le sionisme. S’il s’agit là d’une ébauche plus que d’un programme abouti — tout n’était « pas encore tout à fait clair » —, elle ne s’avance pas moins comme « la seule solution permanente qui apportera une paix durable et la justice ». [E.C.]
Libertalia, 2021
☰ Ne faites pas croire à des victoires faciles, d’Amílcar Cabral
L’Europe, sous les couleurs du Portugal, a pris possession du territoire guinéen en 1879. Amílcar Cabral naîtra près d’un demi-siècle plus tard. Ingénieur agronome de formation, il cofonde le PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert) en 1956 : l’orientation est ouvertement marxiste-léniniste. L’Indochine s’est libérée de l’occupation française ; l’Algérie s’y emploie. Sept ans plus tard, le jeune parti se lance au grand jour dans la lutte armée contre le pouvoir portugais, alors tenu par le dictateur pro-franquiste Salazar — depuis 1961, le PAIGC menait déjà des opérations diverses de sabotage : faire sauter des ponts, couper des lignes de communication, détruire des routes. La guerre de libération durera onze ans. Elle coûtera la vie à plus de deux mille membres de l’armée d’occupation. Dans les années 1970, les éditions Maspero avaient publié deux recueils de textes de Cabral : les ouvrages sont épuisés de longue date. Les éditions Premiers matins de novembre ont donc eu l’heureuse idée de remettre en circulation une sélection de discours et de textes du leader révolutionnaire. L’occasion d’approcher la pensée méconnue de celui qui présentait les combattants indépendantistes comme des « militants armés » et non des « militaristes ». L’ambition est posée : « la liquidation totale de la domination étrangère sur nos patries africaines ». Reprenant à son compte l’idée léniniste selon laquelle il ne saurait exister de révolution sans théorie révolutionnaire, Cabral se proposer notamment d’examiner ou de réexaminer — dans les conditions géographiques, historiques et culturelles qui sont les siennes — certains points de la doctrine socialiste dominante : la formation des classes sociales, le développement des forces productives ou encore le colonialisme et le néocolonialisme. Amílcar Cabral est assassiné au mois de à Conakry, par des membres de son parti ; six mois plus tard, l’indépendance de la Guinée-Bissau est proclamée. [E.B.]
Éditions Premiers matins de novembre, 2021
☰ Le Suicide et le chant — Poésie populaire des femmes pashtounes, de Sayd Bahodine Majrouh
Alors que les Talibans font de nouveau peser la chape de plomb de leur ultra-conservatisme sur l’Afghanistan, les femmes afghanes sont les premières cibles de la répression. À ce drame s’ajoute l’instrumentalisation de leur oppression par les réactionnaires occidentaux afin de justifier, ici, leurs politiques racistes. Mais quand donc écoutera-t-on enfin la voix des femmes ? Jusqu’à son trouble assassinat en 1988 lors de son exil au Pakistan, le poète et homme d’État Sayd Bahodine Majrouh recueillait des morceaux de poésie populaire chez les femmes pashtounes. À travers les landays, poèmes en deux vers libres, ces dernières racontent leur labeur quotidien et leurs amours, leurs peines et leurs joies. Sans oublier l’exil. Surtout, dans ce rare espace de liberté qu’on leur laisse, les femmes pashtounes cultivent la révolte et la contestation de l’ordre patriarcal établi — l’autre possibilité de le défier étant le suicide, tabou dans la société. Leurs mots sont sans pitié contre le mari imposé : « Le petit affreux ne veut pas mourir de sa propre fièvre / J’ai décidé demain de l’enterrer vivant ». Parfois même elles retournent contre lui les valeurs de l’honneur pour l’envoyer se faire tuer. Mais pour celui — ou ceux — qu’elles aiment secrètement, les vers se font passionnés : « Prends moi dans tes bras, serre-moi / Après seulement tu pourras te lier à mes cuisses de velours. » Et pas question de se morfondre : « Va-t’en mon ami, et bon voyage ! Tu n’étais qu’un de mes amants, j’en retrouve cent ». Elles exaltent également le courage et la défense du pays : « Mes sœurs nouez vos voiles comme des ceintures / Prenez des fusils et partez pour le champ de bataille ». Nulle faiblesse n’est acceptée : « Que peux-tu faire d’autre sinon te battre ? / Soumis, tu ne serais plus que l’esclave d’un esclave ». Le deuil et l’exil ne sont jamais loin dans les landays. « Dieu ne laisse pas mourir une femme en exil ! Avec son dernier souffle elle oublierait Ton nom pour ne plus penser qu’à sa terre natale ». [L.]
Gallimard, 1994
☰ L’Ensauvagement du capital, de Ludivine Bantigny
Depuis le début des années 2010, un terme a fait tache d’huile en France : « ensauvagement ». De l’extrême droite au macronisme, on le convoque pour désigner l’augmentation des violences quotidiennes : une augmentation que ce spectre idéologique rattache aux politiques d’immigration. Darmanin le mobilisait ainsi à l’été 2020 — pour la plus grande joie du syndicat de policiers Synergie-Officiers, « satisfait » que le ministre « reprenne [sa] sémantique ». Dans ce texte bref, vif et acéré, l’historienne Ludivine Bantigny entend le recoder. Le resignifier depuis ce qu’Aimé Césaire avançait en 1950, dans son fameux Discours sur le colonialisme : « Il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. » Autrement dit : la décivilisation que le supposé « civilisateur » subit en répandant ses « lumières » par les moyens que chacun connaît. L’impérialisme, avançait le leader indépendantiste Amílcar Cabral, est du « capital en action ». Et c’est précisément de capitalisme dont il est question tout au long de cette soixantaine de pages. Bantigny n’en refait pas l’histoire. Pas plus qu’elle ne revient sur les modalités économiques de ce mode de production. Elle se contente, dans une langue plus littéraire qu’académique, de tisonner les braises — et les sentiments peut-être épars, inarticulés, du lecteur ordinaire — puis d’esquisser un horizon. Balayant d’un revers de la main à la fois sensible et sourcé les accusations de « totalitarisme » visant quiconque ne consent pas au cour des choses, le livre défend rien de moins la nécessité d’une nouvelle révolution. Le peuple français a abattu l’Ancien Régime ; reste à abattre le régime de l’argent-maître. Sans têtes coupées, « cette fois », tient-elle à préciser. Et à la condition de se fédérer, d’en finir avec les querelles de clans. Voilà qui pourrait s’appeler « le communisme », indique Bantigny après Frédéric Lordon et Bernard Friot. Ou autrement si, décidément, le mot est par trop lourd à relever — car est là l’essentiel : la vie bonne. [L.T.]
Seuil, 2022
☰ Pour saluer Melville, de Jean Giono
Melville. Un auteur qu’« on ne peut classer qu’à son nom » et que Giono salua par deux fois. D’abord, en faisant don de plusieurs années de sa vie pour proposer une traduction de Moby Dick — d’aucuns parleraient de réécriture — entreprise aux côtés d’un certain Joan Smith et du poète, peintre et éternel ami Lucien Jacques. Ensuite, par la préface qu’il accepta après plusieurs relances de rédiger. Dire de celle-ci qu’elle est atypique est s’avancer de peu. Ce pourrait être une vulgaire notice biographique — des dates, le père et la mère, un ou deux traumatismes, puis les remerciements. Mais Giono en fit une histoire autant qu’un hommage. Et l’océan y occupe tout l’espace. D’abord, Melville en rêve. Il habite New York et vit sous la férule d’une génitrice fine trésorière — savoir vendre et compter, voilà ce qui importe. Les eaux sont proches, oui, mais vives seulement dans l’esprit de l’enfant. Bien vite le voici qui embarque ; ces mêmes eaux lui paraissent alors bien décevantes. Des rencontres le mettent toutefois sur le chemin du livre qu’on a dit — ainsi de ce capitaine de whaler qui pêche la baleine « avec des gifles et des coups de pied au cul ». Tandis qu’il découvre les ports et les courants du monde qu’il parcourt, Melville publie quelques récits. Le succès est là — les aventures sont il est vrai attrayantes. Mais ça n’est pas assez. Il y aura plus : ce sera Moby Dick. Et c’est dans les terres de la Grande-Bretagne que le roman trouve son origine. À terre, car autant que les vagues « le fumier de cheval est un grand poète ». Tout soudain, Melville devient Herman. Il s’ennuie à Londres quelques jours, quitte la ville pour une autre et partage son voyage avec une femme aux yeux « couleur de tabac avec des reflets verts ». Le récit s’emporte — est-ce de Melville ou Giono dont il est alors question, on ne sait plus. C’est en 1849. Quelques jours hallucinés. Puis Herman rentre aux États-Unis. Il achète une ferme, s’y installe et s’y sent bien. Deux ans plus tard, Moby Dick est publié et la littérature s’en voit transformée. [R.B.]
Gallimard, 2020 [1941]
☰ Ne pas mourir comme des chiens, de Mamoste Dîn
Un dessin hybride, mêlant les couleurs des encres et du crayon au noir et blanc de la gravure, se déploie sur une centaine de pages pour nous faire entrer dans une histoire qui, elle aussi, a deux visages. Dans le camp autogéré de Lavrio, en Grèce, vivent et s’organisent des exilé·es kurdes soutenu·es par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ; au même moment, dans la France de 2018, les gilets jaunes se battent dans la rue pour la justice sociale. C’est de ces deux situations politiques que proviennent les personnages principaux, Judith et Bijîșk, qui trouvent en l’un et l’autre un semblable désir de liberté et de justice. Dans cette bande dessinée qui est la première publication papier des éditions Plagiat — dont l’intégralité du catalogue est disponible gratuitement en ligne —, Mamoste Dîn explore ce que peut signifier, humainement comme politiquement, une rencontre qui a sa beauté, mais aussi ses limites. On entrevoit ainsi la vie au camp de Lavrio, véritable espace de « recompositions politiques » sur le sol européen, où, « à partir de 1981, les réfugiés turcs et kurdes membres d’organisations révolutionnaires et qui transitent par la Grèce se retrouvent à devoir cohabiter ». Trois règles élémentaires y ont cours, devant garantir la bonne coexistence des résident·es et militant·es de passage : il est interdit d’y posséder des armes et d’y consommer des drogues ; il faut participer à l’organisation collective pour y vivre ; les relations amoureuses y sont proscrites. On se doute bien, cependant, qu’embrasser la cause révolutionnaire et tomber en amour ne s’excluent pas à tous les coups… Neuf chapitres dessinent un va-et-vient entre la France et la Grèce, laissant entrevoir des motivations, des espoirs, des colères et des déterminations, comme autant de préalables à la construction d’une action collective dont la violence n’est pas, ou plutôt ne doit pas être exclue, d’autant plus que « si [on] se bat, c’est pour ce [qu’on] aime ». [L.M.]
Éditions Plagiat, 2021
☰ Certifié conforme — Histoires de Diyarbakır, de Murat Özyaşar
L’auteur a quelque chose comme 40 ans. Il est né au Kurdistan du Nord (c’est-à-dire, officiellement, en Turquie) ; plus précisément, dans la ville d’Amed (c’est-à-dire, officiellement, Diyarbakır). La « capitale » du Kurdistan turc — « illégale », précise aussitôt l’écrivain. Son premier ouvrage a paru en 2008 ; celui-ci est son troisième, publié à Istanbul onze ans plus tard. On doit sa traduction à la jeune maison d’édition française Kontr, spécialisée en littérature turque et kurde. L’ouvrage rassemble neuf textes, composés entre 2015 et 2016. Ils s’ancrent dans une séquence politique pour le moins déterminante de l’histoire récente de la région : tandis que se structure en Syrie la révolution confédéraliste démocratique du Rojava, le PKK se soulève de l’autre côté de la frontière, en 2015, dans l’espoir d’entraîner le Kurdistan turc vers l’autogestion sociale et politique. Ankara écrasera la révolte. Quelques mois plus tard, une tentative de coup d’État militaire a lieu dans la nuit du 15 au [V.C.]
Kontr, 2020
Photographie de bannière : Willy Ronis
REBONDS
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