☰ Marathon, de Nicolas Debon
L’histoire est celle d’une simple course qui tient son nom d’une ville grecque, rejointe à pied par un homme en armes il y a plus de 2 500 ans. La ville, la course : Marathon. À peine plus de quarante-deux kilomètres. Aujourd’hui, c’est l’apanage de cadres en quête de défis, de sportifs et de sportives longilignes qui se battent pour quelques dixièmes. Hier, c’était une aventure dont il était difficile de connaître la fin. Parmi toutes les courses disputées, Nicolas Debon a choisi de dessiner celle-là : Amsterdam, Jeux olympiques, 1928. Il s’empare d’un événement peu connu de l’histoire du sport et le décortique lentement, avec des rouges qui rappellent les couleurs de la piste que foulent les athlètes. D’abord, les planches cernent la ville, le stade, la foule. Puis ce sont les routes, les champs et des hommes en petits groupes ou solitaires. Il y a un journaliste sportif volontiers raciste, un entraîneur omnipotent, une centaine de coureurs avec, parmi eux, ces Français qui vont « sans bruit, sans à‑coups et sans éclat ». Il y a le vent, aussi, le terrible vent qui balaye la plaine hollandaise à partir du vingtième kilomètre. Devant, les cadors se disputent la tête. L’équipe finlandaise impressionne, les Japonais intriguent, les Américains énervent. Peu à peu, un membre de l’équipe de France remonte jusqu’à talonner les premiers. Son nom échappe au journaliste sportif, est prononcé avec mépris par l’entraîneur, ignoré par les autres participants. Cet homme, c’est Boughéra El Ouafi. Il est Algérien à une époque où on ne peut pas le dire comme tel, travaille en tant que décolleteur chez Renault et a combattu au nord-est de la France pendant la guerre. Qui sait : cette course pourrait être la sienne ! [R.B.]
Dargaud, 2021
☰ Chiffre, d’Olivier Martin
« On peut débattre de tout, sauf des chiffres » est sans doute l’un des lieux communs les plus souvent entendus lors de débats de société, quand des données numériques viennent servir d’argument d’autorité pour appuyer tel ou tel point de vue. Et du fait du rapport élitiste entretenu en France avec les mathématiques, associées assez largement à tout ce qui a trait aux nombres, cette croyance semble bien ancrée. Olivier Martin, sociologue et statisticien, s’attelle à la déconstruire dans Chiffre, dernier opus de la collection « Le mot est faible » des éditions Anamosa, qui a pour objectif de « s’emparer d’un mot dévoyé par la langue au pouvoir, de l’arracher à l’idéologie qu’il sert et à la soumission qu’il commande pour le rendre à ce qu’il veut dire ». En l’occurrence, il s’agit ici d’arracher le masque d’objectivité que portent les chiffres pour rappeler qu’eux aussi sont une construction au service de pouvoirs qui non seulement les utilisent, mais aussi les produisent et les définissent. Ainsi, le terme « mesure » sous-entend qu’il existerait « une grandeur définie et repérable de manière non ambiguë », grâce à un dispositif « neutre ». Autant d’assertions fausses, car « en la matière, la neutralité n’existe pas. L’acte de mise en chiffre participe au façonnage des sociétés ». Que ce soit par le recensement, par l’imposition d’unités de mesure uniques pour faciliter le contrôle et la taxation, par l’évaluation… mesurer, c’est définir des catégories : quand on cherche à quantifier le chômage dans une société, encore faut-il définir qui est chômeur ou chômeuse. La question se pose également de savoir si tout doit être quantifié, et si la mesure chiffrée est toujours la plus appropriée. Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause l’utilisation des chiffres mais de se réapproprier les savoirs qui permettent de les remettre en question, et de produire des données alternatives à même de contester celles des pouvoirs dominants — comme le font les féministes qui comptabilisent les féminicides ou encore les études sur les discriminations à l’embauche. [L.]
Anamosa, 2023
☰ Quotidien politique, de Geneviève Pruvost
La capacité de s’abstraire des tâches liées à la subsistance, de se détourner de la fabrique de ce qui fait une vie, au quotidien, sont des évolutions récentes dont le bénéfice échoit surtout aux classes les plus privilégiées. Pour elles, « les arts de faire du quotidien ont été réduits au rang de loisirs créatifs » — des petites choses qui délassent, raccordent au présent, servent de matière à une valorisation familiale ou amicale. À rebours de cette dévaluation du quotidien, la chercheuse Geneviève Pruvost s’est attachée à retrouver ce qu’implique un quotidien politique, c’est-à-dire le fait de donner une portée émancipatrice aux activités de tous les jours qui assurent la subsistance d’un individu, d’un foyer, d’un collectif. On a vite fait de railler ce fantasme : « vivre à la campagne et s’y bricoler une vie alternative ». Pourtant, peu sont celles et ceux qui mettent en œuvre un tel changement. Sur trois terrains ethnographiques, Geneviève Pruvost a exploré les facteurs permettant ces installations, de la critique primordiale de « la quotidienneté en régime capitaliste-industriel » jusqu’à la mise en réseau, à l’échelle régionale, des initiatives semblables aux siennes. On parcourt dans cet essai les environs d’une commune ayant accueilli une lutte écologiste dans les années 1970, là où plusieurs vagues d’installation se sont succédé. Puis, un hameau dans lequel un groupe de citoyen·nes insuffle des actions collectives avec le soutien de la municipalité. Enfin, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, dont l’expérimentation quotidienne a été et reste l’un des moteurs. L’autrice prévient dès les premières pages : l’enquête ethnographique s’est doublée d’une plongée bibliographique dont Quotidien politique rend compte. Elle a exhumé ainsi un corpus de textes écrits dans les années 1970 et 1980 par plusieurs écrivaines constituant une partie du courant écoféministe, centré autour de la subsistance : parmi elles, les économistes allemandes Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen, la chercheuse d’origine italienne Sylvia Federici, la militante et essayiste française Françoise d’Eaubonne. Une mine d’or conceptuelle pour Geneviève Pruvost, qui conclut : « C’est à partir de la nécessité de la subsistance que se pense la démocratie — la révolution — la bascule. » [R.B.]
La Découverte, 2022
☰ Pikinini, de Jose Miguel Varas et Raquel Echenique
« Pikinini ! » Ce cri s’échappe de la bouche des mères Selk’nam à qui les soudards de riches propriétaires de la région de Punta Arenas en Terre de Feu ont arraché les enfants pour les vendre comme main‑d’œuvre corvéable. Cet album jeunesse, pour adolescent⋅es, est tiré d’une chronique du journaliste chilien José Miguel Varas, qui a vécu dix-sept ans en exil sous le régime de Pinochet. Il est illustré par les dessins de Raquel Echenique qui, tout en restant pudiques, parviennent à retransmettre le sentiment d’horreur de la narratrice, Clémentine Fridet, et de sa famille face aux exactions des colons. Elle a livré son témoignage en 1958, alors qu’elle habitait toujours Punta Arenas. Si Pikinini raconte un épisode de la colonisation des régions australes de l’Amérique, c’est aussi une histoire d’exil, et une histoire de femmes. Celle des mères à qui on arrache leurs enfants, et celle des cinq femmes qui composent la famille de Clémentine. Sa mère, à la mort de son époux, décide de partir pour Buenos Aires, séduite par les récits de propagande qui promettaient « argent facile et abondance ». Mais « après sept années […] d’une vie faite de privations », elle décide de nouveau de larguer les amarres et part avec ses filles à Punta Arenas, au bord du détroit de Magellan, rêvant cette fois « d’or abondant et de terres offertes ». Mais en fait d’or, c’est le froid et le sang que croiseront la famille. La ville est connue pour sa colonie pénitentiaire où l’on envoie les criminels les plus dangereux. Avec pour les garder, des soldats faisant eux-mêmes l’objet de sanctions disciplinaires. Les cinq femmes survivent ainsi dans « une ambiance brutale où [règne] une domination masculine absolue », à l’époque où les propriétaires des estancias recrutent des armées privées pour surveiller les terres qu’ils s’approprient, massacrant les animaux sauvages et les peuples autochtones pour une pratique d’élevage de moutons toujours plus extensif. Et plantent ainsi les graines de la dictature à venir. [L.]
Éditions Petit poulpe, 2021
☰ Guide d’auto-défense numérique, Collectif
En même temps que la répression des mouvements sociaux s’accentue, les outils numériques deviennent incontournables dans leur organisation, qu’il s’agisse de planifier une action, de communiquer, d’échanger et de publier des informations. Les États l’ont bien compris : ils se sont dotés de capacités de surveillance et de contrôle des réseaux de plus en plus sophistiquées. Si ces outils étaient l’apanage des seuls services anti-terroristes il y a quelques années encore, ils sont désormais largement utilisés pour réprimer la contestation sociale. « Ainsi, dans une enquête visant le mouvement antinucléaire autour de Bure, des dizaines d’ordinateurs et de téléphones ont été expertisés. » Les milieux militants, eux, restent à la traîne sur la question des bonnes pratiques et de l’auto-défense numérique. Or nul ne sait à quel moment la diffusion de ses données peuvent nuire, à soi ou à ses proches, si elles tombent entre de mauvaises mains. « Beaucoup de gens, que ce soient les gouvernants, les employeurs, les publicitaires ou les flics, ont intérêt à obtenir l’accès à nos données. La place croissante que prend l’information dans l’économie et la politique mondiale ne peut que les encourager. » C’est à ce manque de formation que le Guide d’autodéfense numérique, téléchargeable librement, entend apporter une réponse, en proposant des éléments de compréhension et des solutions pour reprendre le contrôle de ses données, et sécuriser autant que possible les usages informatiques. Le guide, qui se veut pédagogique et prend soin d’éviter de tomber dans le jargon informatique, ne traite toutefois pas de l’utilisation des Smartphones et de leur sécurisation, les auteur·es expliquant que le sujet mériterait un ouvrage en soi. La lecture des deux tomes, l’un traitant de l’utilisation hors connexion et l’autre de l’utilisation en ligne des ordinateurs, donne à la fois des clés de compréhension théorique des enjeux de la confidentialité, de l’intégrité et de la sécurité de nos données, et des solutions concrètes à mettre en œuvre. [L.]
Auto-édition, 2023
☰ Ils étaient l’Amérique — De remarquables oubliés, tome 3, de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque
Ils étaient l’Amérique est le troisième tome des « Remarquables oubliés », un projet éditorial qui a commencé dans une émission de Radio-Canada en 2005, et s’est prolongé chez Lux Éditeur. Marie-Christine Lévesque et Serge Bouchard, disparus respectivement en 2020 et en 2021, ont voulu écrire « un autre roman national pour l’Amérique du Nord », qui redonne sa juste place à celles et ceux oubliés par les colons, qui ont eu l’apanage de la mémoire écrite. Décédé avant d’avoir pu achever son œuvre, les écrits de Serge Bouchard s’arrêtent à la fin du XVIIIe siècle sur l’histoire de Pontiac, guerrier odawa, « grand personnage de l’histoire nord-américaine, bien plus grand que tous ces criminels de guerre qui ont gravité autour de lui ». « L’Anglais royaliste ne cède en rien au Français catholique : le premier couronne la terre […], tandis que l’autre la sacralise […]. Dans les deux cas, un pathétique besoin d’effacer le passé se paye du lourd prix de l’insignifiance ». Bouchard conclut qu’« il nous revient […] de ne pas oublier les drames, la fierté et la beauté des peuples d’une Amérique qui aurait pu être et de celle qui pourrait encore être ». À travers la série de courtes histoires et de portraits narrés par Bouchard et Lévesque, se déroule au fil des pages le récit de la colonisation de l’Amérique du Nord. Trop méconnue, elle mérite pourtant qu’on s’y arrête, pour mieux comprendre à la fois l’histoire du Canada et des États-Unis, mais également celle de l’Europe. En France, on aime se gargariser des Lumières et de leurs avancées ; il serait bon de se rappeler la mémoire de Kandiaronk. Ses discours ont été rapportés en Europe par le baron de Lahontan sous le titre de Dialogues avec un sauvage ; l’ouvrage influencera fortement Les Lettres persanes de Montesquieu. Et les auteurs de conclure : « Des hommes d’éloquence comme Kandiaronk ont su, par leur sagacité, imposer aux Européens l’image de sociétés égalitaires et libres, plus grandes que nature. » [L.]
Lux, 2022
☰ La Bataille de la Sécu, de Nicolas Da Silva
Déserts médicaux, pénurie de médecins généralistes, hôpital public sous pression managériale et austérité budgétaire : c’est peu dire que bien se faire soigner en France n’a rien d’évident, surtout pour les classes populaires. L’économiste Nicolas Da Silva ne traite pas directement de ces problématiques actuelles, mais s’inscrit dans un temps plus long en écrivant une « histoire de la production de soin de santé en France ». La construction du système de santé est intimement liée à l’État : dès la Révolution française, il réglemente et organise les producteurs de soin. La mutualité s’étend durant le Second Empire, tout en étant vidée de « tout potentiel subversif », ce qui témoigne pour l’auteur d’une « récupération de la critique sociale » par l’État, et pas seulement par le capital. C’est ici la thèse centrale développée par Da Silva au fil des chapitres : l’État social — souvent défendu comme protecteur face à un néolibéralisme ravageur — n’est pas une institution favorisant le déploiement du mouvement social autogéré. C’est même le contraire, car l’accroissement du rôle de l’État au début du siècle précédent (dans l’économie et toutes les dimensions de la société), a aussi eu pour rôle de « maintenir l’ordre social ». À cet État social, davantage « allié » du « capitalisme pharmaceutique » que rempart, l’économiste lui oppose la Sociale. C’est-à-dire la « protection sociale auto-organisée contre l’État, contre le capital et contre les formes de paternalisme antérieur » — dont la Commune et le régime général de la sécurité sociale de 1946 sont des réalisations historiques. La seconde moitié du XXe siècle est en effet marquée par la lutte entre l’auto-organisation des travailleurs et l’étatisation de la Sécu : « Non seulement l’État s’est réapproprié la sécurité sociale, mais il s’est aussi réapproprié la définition du travail de soin — au détriment des professionnels et des patients. » Préfacé par Bernard Friot, l’ouvrage constitue une brique essentielle de l’histoire ouvrière, nous invitant à « embrasser à nouveau l’idéal de la Sociale ». [M.B.]
La Fabrique, 2022
☰ Du Sexisme dans le sport, de Béatrice Barbusse
Apolitique, le sport ? Rien n’est moins sûr. Parfois outil géopolitique, souvent creuset des discriminations et toujours enjeu de pouvoir, la pratique sportive est pleinement intégrée dans le régime politique dans lequel elle s’inscrit et dans le modèle économique hégémonique de son temps. Béatrice Barbusse, sociologue, ancienne joueuse de handball et dirigeante d’un club professionnel masculin, en est bien consciente. Dans Du sexisme dans le sport, elle entremêle enquêtes sociologiques et récit de sa longue fréquentation du milieu sportif pour dévoiler à quel point les institutions sportives, les pratiquant·es et les dirigeant·es sont traversés par les inégalités et discriminations de genre. L’autrice fait de sa position d’observatrice et de participante une force et, parfois, un bouclier lorsque les situations dans lesquelles elle est impliquée sont invraisemblables. « Participation observante », c’est en effet ainsi qu’elle définit sa méthode d’enquête, engagée d’abord comme professionnelle du sport. Le propos alterne entre les pages de son journal, où les anecdotes sont plus édifiantes les unes que les autres (que ce soit depuis les loges d’une salle omnisports, sur le trajet de retour d’un déplacement de l’équipe première du club, ou lors d’une réunion fédérale qui, pourtant, a pour objet la « féminisation du sport ») et les analyses des normes de « féminité » imposées par les instances internationales, des évolutions de l’habillement des sportives ou encore de la place des dirigeantes dans un univers où les hommes n’entendent pas céder d’un pouce sur leurs prérogatives. Cet entremêlement donne un essai riche et vif, dont la conclusion fait figure d’appel autant que de programme : « Il faut au fond qu’un féminisme sportif émerge ». [R.B.]
Anamosa, 2022
☰ Le Tyran, anonyme
Texte énigmatique par son origine et son contenu, Le Tyran paraît de manière anonyme à Londres en 1870 dans une édition bilingue français-latin et constitue un guide pour débusquer, partout au sein de la société, les symptômes de la tyrannie. Il cherche à convertir nos regards sur les institutions, les hommes et les idéaux qui nous gouvernent : quelle différence y a‑t-il, fondamentalement, entre une armée et une horde de pillards ? entre un souverain et n’importe quel autre homme, qui possède comme lui deux yeux et deux bras ? La radicalité du questionnement peut parfois donner l’impression que c’est, entre les lignes, toutes les formes de domination qui sont condamnées par l’auteur. Mais derrière l’analyse critique de la tyrannie se cache aussi un appel révolutionnaire, qui trahit sans doute la rédaction relativement tardive du texte : dans la lignée de La Boétie, l’auteur du Tyran décrit surtout le peuple opprimé par le despote comme un troupeau qui a abdiqué et renoncé à son propre gouvernement. La personnalité du tyran importe finalement peu : « On peut changer le despote, on ne change pas la nature du despotisme. » En pensant la tyrannie comme un véritable régime, l’auteur du traité nous avertit ainsi qu’aucune nation n’est immunisée contre elle ; mais la modernité de l’analyse réside aussi dans la description, sous un régime despotique, d’une fusion dans l’atomisation qui préfigure, d’une manière saisissante, ce que certains philosophes politiques du XXe siècle rangeront sous le terme de « totalitarisme » — les citoyens, ou du moins ce qu’il en reste, répondent tous en chœur aux mêmes signaux de leur maître sans pour autant faire communauté. Car le principe même de la tyrannie, la convoitise et l’esprit de servitude qu’elle dissémine dans le corps social renvoient les hommes à une barbarie hyperbolique puisque tous entrent en compétition pour devenir le meilleur des valets. Leçon de lucidité que nous ferions bien d’appliquer à notre temps, en faisant valoir « la loi des révolutions » contre celle du despotisme. [A.C.]
Allia, 2023
Revenir, l’épreuve du retour, de Céline Flécheux
La philosophie française a conservé cette singularité de nous offrir à intervalles réguliers, noyés dans une production académique relativement impersonnelle, des ouvrages qui se présentent comme de libres méditations existentielles, tels ceux de Jean-Louis Chrétien hier ou ceux de Claire Marin aujourd’hui, pour ne citer que quelques noms. C’est dans cette veine que s’inscrit le dernier livre de Céline Flécheux, Revenir. Constatant « l’importante dissymétrie entre le grand nombre d’ouvrages consacrés aux voyages, aux départs, aux récits d’aventure, de rencontres avec l’inconnu, et, inversement, le peu de livres portant sur des voyages de retour », l’autrice s’évertue à scruter l’histoire de l’art, de la littérature et de la philosophie, mais aussi celle des grandes explorations, pour penser le retour. Sont ainsi successivement convoqués Homère et la figure légendaire d’Ulysse, Piero Della Francesca, Christophe Colomb, Magellan, Kafka, Nietzsche, etc. Aussi différentes qu’aient été leurs expériences, toutes ces figures révèlent à leur façon l’irréversibilité de temps qui ne révèle jamais mieux que dans l’épreuve du retour : « Là où, avant son départ, il était plongé dans un monde social où les relations sociales et réciproques se nourrissaient tacitement les unes les autres, il se retrouve à son retour avec des souvenirs qui remontent à un moment temporel différé, des relations avec les membres du groupe qui se sont interrompues et des bribes d’expériences partagées ». L’épreuve du retour ne serait-elle pas, avec la naissance, l’amour et la mort, « l’un des rares événements qui viennent briser la répétition constitutrice de la vie quotidienne » ? [P.M.]
Le Pommier, 2023
Photographie de bannière : Ernö Vadas | Budapest, 1957
REBONDS
☰ Cartouches 81, novembre 2022
☰ Cartouches 80, octobre 2022
☰ Cartouches 79, septembre 2022
☰ Cartouches 78, juillet 2022
☰ Cartouches 77, juin 2022