Une histoire des féminismes au Moyen-Orient et au Maghreb, les archives de l’exil arménien dans l’entre-deux-guerres, les poèmes d’une révoltée marocaine, une théorie pour un réalisme climatique socialiste, une brochure joyeusement incendiaire, l’histoire critique du mouvement révolutionnaire chilien, le Louvre en bande dessinée et sans ses icônes, le football à l’heure néolibérale, le maoïsme d’un point de vue anarchiste et la musique acide de Bruit Noir : nos chroniques du mois de novembre.
☰ Genres & féminismes au Moyen-Orient & au Maghreb, de Abrir Kréfa et Amélie Le Renard
C’est une petite musique bien connue : les vêtements faisant référence à l’islam, ceux renvoyant indistinctement à l’aire culturelle arabe — voire, au Moyen-Orient — font l’objet de joutes médiatiques récurrentes et d’interdictions régulières dans l’espace public. Lorsqu’il est question de politique internationale, le voile islamique est perçu essentiellement comme la marque d’un régime théocratique qu’il conviendrait de libéraliser. Souvent, la voix de celles qui le portent et, plus largement, de celles qui vivent dans des sociétés majoritairement musulmanes ne sont pas écoutées, comme si elles n’existaient pas au-delà d’un morceau de tissu. Le constat d’un silence médiatique et académique entourant les femmes et les minorités de genre au Moyen-Orient et au Maghreb a poussé Abrir Kréfa et Amélie Le Renard à revenir sur l’histoire méconnue des féminismes en Tunisie, au Soudan, en Égypte ou encore en Iran. « Du postulat d’un islam intrinsèquement tyrannique envers les femmes découlent deux stéréotypes complémentaires : celui, d’une part, de la femme musulmane aliénée car adhérant à une religion qui ne peut que l’opprimer ; celui, d’autre part, de la femme qui, née dans une famille ou une communauté
musulmane, ne peut se libérer qu’en rompant avec l’islam. » Sommées de montrer des gages de « modernité » vis-à-vis des observateurs extérieurs, européens au premier chef, les femmes qui militent pour leurs droits au Moyen-Orient et au Maghreb doivent également composer avec les attentes de leurs propres régimes : « Parce que des colonialismes et des guerres impérialistes ont été conduits au nom de la libération des femmes musulmanes, les mouvements féministes sont sans cesse contraints de prouver leur loyauté à la communauté nationale et leur indépendance par rapport aux mouvements féministes occidentaux comme aux sociétés et États qui les abritent. » Le peu de visibilité des recherches sur ces sujets est, pour les deux autrices, « significatif d’une réticence à déconstruire les stéréotypes omniprésents sur ces questions ». Il fallait d’urgence combler un vide, tâche qu’elles ont endossée de fort belle façon. [R.B.]
Amsterdam, 2021
☰ Au bord de l’effacement — Sur les pas d’exilés arméniens dans l’entre-deux-guerres, d’Anouche Kunth
Au « sous-sol d’un établissement public français », des liasses de feuillets, entassées dans des boîtes Cauchard, sommeillent. « Sans doute étaient-ils destinés à finir ainsi, ensevelis dans la pénombre, rongés par le temps. » C’était sans compter sur le travail opiniâtre de l’historienne Anouche Kunth. Celle-ci a épluché méthodiquement les archives de l’OFPRA pour retrouver les traces des Arménien·nes exilé·es en France dans l’entre-deux guerres, à la suite du génocide commis dans un Empire ottoman alors en cours d’effondrement. La matière de son livre, ce sont ces formulaires qu’elle épluche un à un. Elle décrit la texture des feuilles, les écritures, les annotations, les photos qui parfois les accompagnent. « Les libellés des certificats ne sont pas de ceux que l’on pétrit longuement. En eux, pourtant, un constant mélange : de formules et d’informulé, de longue durée et de discontinuité, de vieillesses à secourir, de jeunesses à apparier, d’enfants à venir. » En perçant le code du langage administratif formel, la chercheuse remonte le fil de vies désormais apatrides et dont l’existence officielle tient à des morceaux de papier. Chaque élément sous ses yeux est propice à l’analyse : les annotations dans les marges retracent ainsi des parcours de migrations et refont la chronologie du nettoyage ethnique des Arménien·nes. Les manques parlent aussi : quand un enfant ne sait indiquer le nom de sa mère, remplacé alors par trois petits points, ou quand une veuve ne peut produire les certificats de décès d’un époux disparu. Elle dévoile enfin les stratégies des employés du consulat arménien à Marseille, chargés de jouer les intermédiaires entre les autorités françaises et les exilé·es, et qui remettent à ces derniers les précieux certificats qui leur permettront de reprendre le cours de leur vie, en émigrant ailleurs, en se remariant, en trouvant un travail. Paru dans la collection À la source dirigée par Clémentine Vidal-Naquet aux éditions La Découverte, l’ouvrage est une plongée d’une sensibilité inattendue dans le monde des archives administratives. [L.]
La Découverte, 2023
☰ Les bras chargés de fusils, la tête de poèmes, de Saïda Menebhi
« Je suis un volcan en activité », lance Saïda Menebhi dans un poème. Jeune enseignante d’anglais, féministe communiste, poétesse et membre de l’organisation Ila Al Amame, elle est arrêtée, torturée et emprisonnée en 1976, au cœur des décennies de plomb du règne de Hassan II, où de nombreuses figures et mouvements révolutionnaires au Maroc sont violemment réprimés. Les éditions Premiers matins de novembre rééditent ici une brochure regroupant plusieurs écrits de prison de la militante — des poèmes, des lettres et un article sur la prostitution — initialement parue en 1978. Dans la préface à cette édition, Hajer Ben Boubaker rappelle que lors du procès de Casablanca qui s’est tenu en janvier et février 1977, 138 militant·es sont condamné·es à « l’équivalent de trente siècles de prison ». Même si « tout en [elle était] feu / pour brûler les lourdes portes », Saïda Menebhi n’en sortira jamais : elle meurt à 25 ans, le 11 décembre 1977, après 34 jours de grève de la faim. D’elle, de sa parole et de son militantisme volcanique demeurent aujourd’hui ces traces précieuses, où tous les pronoms personnels, je, tu, nous, vous, elle sont mobilisés, rapprochant toujours l’intimité politique de l’expérience carcérale des luttes de « tous les peuples combattants », au Maroc, mais aussi au Chili, au Vietnam ou en Palestine, dans un internationalisme convaincu. En écrivant et en enquêtant depuis les geôles de Casablanca, Menebhi dénonce aussi le patriarcat qui étouffe et abîme les femmes dans la société de son temps, les prostituées en particulier. À leurs côtés, en cellule, et en dialogue poétique permanent avec ses camarades et proches libres ou, eux aussi, arrêtés, elle s’est obstinée à faire entrer la lumière en prison : « je cherche à tâtons / un repère dans le temps / celui de la victoire / de l’ouvrier, du paysan / de tous les révolutionnaires / en ce jour de lumière / je me verrais dans tes yeux / nue comme une pensée / vêtue comme un lierre / en ce jour de lumière / tes mains et les miennes / auront jeté les menottes en métal blanc / au visage des chiens aboyant. » [L.M.]
Premiers matins de novembre, 2023
☰ Avis de tempête — Nature et culture dans un monde qui se réchauffe, d’Andreas Malm
« Moins de Latour, plus de Lénine : voilà ce qu’exige l’état de réchauffement. » On ne saurait résumer la densité du propos du géographe et militant écologiste Andreas Malm à cette seule phrase provocatrice. Néanmoins, elle contient une question fondamentale qui irrigue Avis de tempête : à quel besoin répond une élaboration théorique et dans quel but politique ou stratégique ? Si l’auteur reconnaît que « la théorie ne semble pas être l’activité la plus urgente dans un monde qui se réchauffe rapidement » et « ne pourra jamais jouer qu’un rôle » dans le démantèlement du capitalisme fossile — celui de « dégager des marges d’action et de résistance » — il note que certains cadres conceptuels constituent à l’inverse un véritable frein politique. Paru en anglais en 2018, Avis de tempête porte un regard critique encore trop rare sur les diverses tentatives théoriques proposées pour saisir « l’imbroglio du social et du naturel » qu’induit notre période historique, caractérisée par « l’état de réchauffement ». Sont tour à tour analysés le constructivisme, l’hybridisme et le néomatérialisme, trois courants majeurs soutenant que la catégorie de nature n’a plus lieu d’être dans les approches théoriques contemporaines. D’ailleurs, l’idée de nature ne serait-elle pas une construction humaine ? Chaque chose ne serait-elle pas toujours interpénétrée de social et de naturel ? Les objets qui nous entourent et influent sur nos actions n’auraient-ils pas, finalement, une puissance d’agir nuançant la nôtre ? Autant de questions auxquelles l’auteur répond par la négative. Devant la catastrophe en cours, un « réalisme climatique socialiste » lui paraît plus proche d’une « théorie de l’état de réchauffement » efficace politiquement que tout autre élaboration récente. Surtout, celle-ci se doit d’être directement connectée à des propositions concrètes, impliquant des leviers sur lesquels agir, des responsables dont les activités nocives doivent être mises hors d’état de nuire et un horizon sinon désirable, du moins qui éviterait la destruction des conditions d’habitabilité de la planète. Ainsi, « il faudrait sans doute envisager la stabilisation du climat […] comme un projet révolutionnaire pour les quelques siècles à venir ». Et de conclure : « Ce n’est pas le moment d’abandonner la radicalité politique. » [R.B.]
La Fabrique, 2023
☰ Les colibris pyromanes — Fables mutines, du collectif The chômeuse go on
En voyant ce fanzine dans un café associatif près de chez moi, j’ai d’abord eu un mouvement d’inquiétude. Quoi, encore cette histoire de colibris et de Rabhi ? La première page m’a vite rassurée : « C’est seulement lorsque le dernier arbre aura été coupé, le dernier poisson pêché et la dernière rivière polluée, que les humains réaliseront à quel point réciter des fables indiennes est un vrai truc de bouffon. » Propos attribués à Banksy. Les colibris eux-mêmes préfèrent « tout faire péter ». Réalisée par le collectif The chômeuse go on, téléchargeable librement pour la diffuser allègrement, cette bande dessinée invite avec humour à se questionner sur les possibilités de l’action directe. Une bouffée d’air frais qui aide à combattre la morosité de l’autoritarisme ambiant, à l’heure où manifester est désormais susceptible d’être interdit. De la lutte contre la pub à la gratuité des transports, le collectif invite à relier pratiques collectives et individuelles, à la fois pour se protéger de la répression et pour étendre la lutte. Qui aurait cru qu’une lentille suffit pour dégonfler un pneu de SUV, et que les clés pour ouvrir les panneaux publicitaires se trouvent facilement dans le commerce, ce qui permet de laisser libre cours à sa créativité ? Avec ses images, présentes notamment sur des stickers qu’on a vu fleurir dans les rues un peu partout « face au matraquage de la pub et des médias, [le] collectif The chômeuse go on essaie de contribuer à un imaginaire populaire et engagé ». Une fois lu, le collectif invite à faire circuler l’ouvrage car alors « nul n’est en mesure de prévoir les phénomènes qui pourraient s’enclencher ». [Y.R.]
The chômeuse go on, 2022
☰ Naissance d’une révolution — Histoire critique du MIR chilien, d’Eugénia Paliéraki
Septembre 2023 a marqué les cinquante ans du coup d’État de Pinochet qui a renversé Salvador Allende. Parmi les ouvrages qui ont fleuri pour en rendre compte, Naissance d’une révolution est particulièrement appréciable. L’historienne Eugénia Paliéraki établit une histoire critique du Mouvement de la gauche révolutionnaire chilien (Movimiento de Izquierda Revolucionaria, MIR). Dans les bouillonnantes années 1960, la gauche chilienne est composée d’une multitude de partis et de syndicats entre lesquels des points de convergences coexistent avec de nombreuses tensions. Le MIR est créé dans ce contexte, en août 1965, par des syndicalistes révolutionnaires, des trotskistes et des dissidents communistes. Ces militants rejettent le réformisme, mais « leur position face à la démocratie représentative n’est pas univoque ni dépourvue de contradictions ». La ligne politique du mouvement pourrait se résumer en un « mélange entre le marxisme-léninisme et le guévarisme ». Quant aux relations du MIR avec Cuba, elles s’inscrivent entre la recherche d’un certain soutien et le maintien de son autonomie. L’anti-impérialisme du MIR tient une place importante : il se traduit notamment par des actions de terrain qui lui donnent du crédit à gauche. Le mouvement privilégie en effet la légitimité par rapport à la légalité dans ses actions — allant jusqu’au braquage de banques, avec plus ou moins de succès. Pour autant, la question de la lutte armée divise la « jeune génération » et la « vieille génération », traduisant là de réelles divergences théoriques. En faisant cette « sociologie du militantisme miriste », l’autrice déconstruit les « lectures mythifiées de ce passé », mais n’oublie pas les dimensions les plus enthousiasmantes de ce mouvement. En 1970, le MIR passe un accord avec Salvador Allende : il s’engage à abandonner la lutte armée contre une amnistie pour les miristes en cas de victoire électorale. Si on sait comment se terminera tristement cette histoire trois ans plus tard, la nécessité d’un socialisme populaire reste, elle, bien actuelle. Postfacé par Carmen Castillo, ce précieux ouvrage y plaide à sa manière. [M.B.]
Éditions terre de Feu, 2023
☰ Le Grand incident, de Zelba
La bédéiste germano-stéphanoise Zelba signe une bande dessinée fantastique, féministe et littéralement iconoclaste ! Elle porte un regard sévère — mais avec toujours beaucoup d’humour — sur l’histoire de l’art et dénonce la culture du viol qui l’imprègne. Dans la peinture classique comme dans la sculpture, les corps masculins nus expriment, la plupart du temps, force virile et courage, tandis que les nus féminins sont représentés dans des poses de soumission ou d’humiliation, à la merci des hommes. L’histoire de « Suzanne et les Vieillards », peinte notamment par le Tintoret, en est un exemple emblématique : c’est toujours la nudité de la première qui est représentée — jusqu’à rejeter souvent la responsabilité de sa lapidation sur elle — mais jamais les actes de ses agresseurs. Mais, une fois n’est pas coutume, c’est la panique au Musée du Louvre ! « En réaction à la représentation dévalorisante des femmes dans les œuvres ainsi qu’aux comportements misogyne de certains visiteurs », la quasi-totalité des nues féminins du musée ont décidé de s’effacer. Les statues sont devenues transparentes et les personnages féminins dénudés ont disparu des tableaux. Impossible de dire la vérité ni de les retirer sans que la presse ne soupçonne « un rachat par les Émirats ou alors l’adoption d’une pudibonderie à l’américaine ». On préfère parler, pudiquement, d’un « grand incident ». Fort heureusement, une femme de ménage a gagné la confiance des œuvres et recueilli leurs doléances. Après qu’elle a tenté en vain d’alerter la direction, elle propose une sortie de crise pour le moins inattendue ! L’utilisation de la bichromie, les personnages au trait noir évoluant dans des décors tantôt bleus, tantôt rouges, permettent de mettre en valeur les reproductions des œuvres. Quant aux statues, elles deviennent sous les coups de crayons de Zelba singulièrement expressives. Un livre judicieux sans être sentencieux, provocateur en restant toujours drôle, subtil mais terriblement efficace. [E.L.]
Futuropolis, 2023
☰ Ce que le football est devenu, de Jérôme Latta
« Il y a toujours eu de l’argent dans le football, c’est un truisme, et il a toujours posé problème. » Dans Ce que le football est devenu, inventaire retraçant trente années d’offensive libérale et de réformes du secteur, Jérôme Latta n’invoque pas un passé glorieux ni ne pose un regard nostalgique sur le football. Le journaliste indépendant et co-fondateur du site « Les Cahiers du football » repère toutefois un double moment de bascule qui a infléchi le cours des trois dernières décennies : l’arrivée massive des droits de diffusion télévisuels et la métamorphose en 1992 de deux mastodontes du football moderne (la Ligue des champions et la Premier League, le championnat national anglais). Nouveau modèle économique inique, répartition inégalitaire des revenus, rafistolages incessants des compétitions, guerre menée contre l’incertitude du sport, l’auteur détaille les mécanismes qui ont favorisé l’émergence d’une caste de super-clubs captant la majorité des richesses et s’appropriant les meilleurs joueurs. Ce phénomène de ruissellement vers le haut s’est organisé au moment où, simultanément, le football a embrassé une logique de divertissement pour se muer en spectacle toujours plus coûteux. Explosion du prix des places, multiplication des chaînes payantes de diffusion, gentrification des stades, surveillance et contrôle accru des supporters visant à neutraliser toute force protestataire dans les tribunes : autant de signes d’une révolution néolibérale jamais nommée comme telle, encore moins débattue ou analysée. Une révolution encouragée par la démission ou la complicité des pouvoirs publics et qui a profondément transformé l’industrie du football. Pour Jérôme Latta, il n’en demeure pas moins un « bien commun produisant du lien social », une « culture entière digne de considération » — dont le journaliste Mickaël Correia avait montré la dimension populaire et les possibles appropriations contestataires. Le football reste plus que jamais un champ de bataille politique à (ré)investir. [J.C.]
Éditions Divergences, 2023
☰ Révolution et contre-révolution en Chine maoïste, de Elliott Liu
Partant du constat que le maoïsme a continué de nourrir différents groupes révolutionnaires bien après la mort du Grand Timonier en 1976, Elliott Liu propose ici une « analyse critique d’un point de vue anarchiste et communiste de la Révolution chinoise et de la politique maoïste ». Adressé à un lectorat militant, ce livre historicise les différents aspects du maoïsme qui ont vu le jour entre les années 1920 et 1970 en Chine et dont il faut dénoncer les principaux « fourvoiements » — notamment en matière d’émancipation des femmes, comme en témoigne un texte de l’autrice Ding Ling datant de 1942 et reproduit en annexe —, à toutes fins utiles. Sont ainsi présentées les stratégies successives du Parti communiste chinois, les relations qu’il a entretenues avec le Komintern, l’URSS ou encore le Parti nationaliste chinois, mais aussi son rapport à la « bourgeoisie nationale » ou à la paysannerie et au prolétariat dont il se targue d’être l’incontestable représentant. Or, textes de Mao à l’appui, Elliott Liu met au jour le processus qui a conduit à la formation d’un capitalisme d’État et à une canalisation systématique du dissensus par le Parti — ce dernier se réclamant d’un « matérialisme réducteur qui minimise la conscience sociale ». En témoignent les grands épisodes de l’histoire contemporaine ici analysés : la période de Yan’an, entre 1935 et 1945, qui est souvent présentée comme la « phase héroïque de la révolution chinoise », le mouvement des Cent Fleurs et la campagne anti-droitière de 1957, le Grand Bond en avant, la grande famine de 1960, et l’explosive « Révolution Culturelle » qui secoua le pays de 1966 à 1976. Affirmant que la « loi de la valeur » est demeurée centrale sous le régime communiste en Chine, Elliott Liu propose, en anarchiste, un bilan provisoire des grandes notions maoïstes (« ligne de masse », « lutte de classe sous le socialisme », etc.). Enfin, le lecteur ou la lectrice trouvera reproduit un texte étonnant datant de 1967. Écrit par un rebelle de 18 ans dans un contexte de prises de pouvoir révolutionnaires et de luttes entre factions, il compte parmi les « textes antibureaucratiques les plus aboutis de cette période » et s’intitule : Où va la Chine ? [L.M.]
Éditions Syllepse, 2017
☰ IV/III, de Bruit Noir
Tout commence par un nom, « Bruit Noir », soupiré par le poète, parolier et chanteur Pascal Bouaziz, comme Brigitte Fontaine soupire ailleurs des appels à l’insurrection armée et à la vendetta. « Alors quoi, on va encore écrire des chansons ? » Oui. Voilà treize titres brutaux, acides, tristes et parfois drôles, soutenus par les boucles industrielles de Jean-Michel Pirès — « C’est parti pour l’album de trop. » Dans les loges d’une salle de concert, Pascal Bouaziz nous disait il y a quelques années : « Je pense qu’il existe une chanson résistante, qui voudrait s’attacher à la réalité, et une chanson collaboratrice qui participe au monde tel qu’on nous le fait manger tous les jours, pour que les gens dansent, soient contents, que la mélodie tourne dans leur tête et qu’ils oublient ainsi le bruit noir. » Plus dépouillé et strident encore que les albums précédents, IV/III est de part en part politique, depuis ses attaques contre l’industrie culturelle (et un peu contre lui-même) (« Chanteur engagé », « Artistes »), jusqu’au récit terrassant d’une rencontre qui vous ouvre en deux entre « monsieur Pascal » et « monsieur Hassan », survenue à l’Armée du Salut, pendant un atelier d’écriture déserté par son public (« Le visiteur »). À tous ceux et toutes celles qui pensent que la musique peut encore être insouciante, riante et, surtout, loin du fracas du monde, Bruit Noir oppose une fin de non recevoir : « Calme ta joie ». Dans une chanson vieille de quinze ans d’un album de Mendelson, groupe désormais dissout, Pascal Bouaziz rappelait qu’enfant déjà, c’était en 1983, il était doué, « tellement doué », pour la nostalgie. Le saisissant « Communiste » donne une nouvelle image de ce sentiment : à Champigny-sur-Marne, où le chanteur a grandi, les rues ont pour nom Paul Vaillant-Couturier et Louise Michel comme demain, espère-t-il, elles seront nommées sous-commandant Marcos et Greta Thunberg. On en doute. Lui aussi sûrement. Et alors ? [R.B.]
Ici d’ailleurs, 2023
Photographie de bannière : Pierre Perrault, extrait de Pour la suite du monde, 1962
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