Un voyage de noces dans les ruines de la Grande guerre, deux récits portuaires, l’histoire orale d’une mine d’or et d’arsenic, une voix poétique comme un geyser, une plongée dans la machine de mort nazie, l’extrême droite et les réseaux sociaux, des Allemands prisonniers en France durant la Première guerre mondiale, les textes de prison d’Ulrike Meinhof, un récit choral dans les prisons mexicaines, l’urgence d’écrire pour Gaza : nos chroniques du mois de septembre 2024.
☰ Noces de cendre, de Clémentine Vidal-Naquet
En 2011, dans un fonds d’archives sur lequel elle travaille, l’historienne Clémentine Vidal-Naquet découvre un intrigant album « à la couverture de cuir et aux pages cartonnées, renfermant des photographies jaunies, parfois à moitié effacées, et des cartes postales touristiques, toutes soigneusement légendées ». Composé par Gérald Debaecke, l’album se veut un cadeau à sa femme Berthe et retrace, en images, leur voyage de noces en 1919, à la sortie de la Première Guerre mondiale. Une lune de miel en apparence peu banale : les jeunes mariés sont retournés sur les champs de bataille où Gérald s’est battu, dans le nord de la France. Ils ont visité Reims dévastée, ont marché dans les tranchées pas encore nettoyées, se sont promenés dans les paysages redessinés par les bombardements intensifs. « Tout juste démobilisé, [Gérald] aura souhaité inscrire son passé guerrier au cœur de son histoire conjugale. [I]l montre son expérience de guerre et l’inscrit dans une histoire partagée avec son épouse », qui elle n’aura pas connu l’extrême violence des lignes de front. Par l’intermédiaire de cet album, l’historienne cherche à « comprendre […] la Première Guerre mondiale à travers son lendemain immédiat » et à « s’autoriser une échelle micro-historique afin de sonder certaines expériences collectives ». Ce point de vue, décalé par rapport à la démarche historienne habituelle, permet de s’approcher de « la complexité d’une société en sortie de guerre ». Pour le lectorat non-historien, la forme adoptée se lit comme une enquête qui tient en haleine, passionnante de par ce qu’elle met à jour et ses rebondissements. Alors qu’on croit l’histoire terminée et que se referme l’album, le destin de Gérald et Berthe prend des bifurcations que l’autrice n’a pas pu passer sous silence. Cette dernière tente aussi de donner de l’épaisseur à Berthe à travers des « contrepoints » narratifs où, s’aidant de diverses sources, elle a « tenté de reconstituer l’entour possible de son existence ». [L.]
La Découverte, 2024
☰ Dîner à Douarnenez, de Claude MacKay
Claude MacKay, romancier et poète jamaïcain, écrivain voyageur autant que politique, défenseur de la cause des Noirs qui n’a pas hésité à se rendre en URSS par ses propres moyens pour assister au quatrième congrès de l’Internationale communiste, n’a pas seulement écrit des romans et des poèmes : il est aussi l’auteur de nouvelles, dont deux inédites, récemment exhumées et publiées par les éditions Héliotropisme. Dîner à Douarnenez, écrite en 1925, aurait pu figurer dans l’autobiographie du romancier, Un sacré bout de chemin, entre deux traversées de l’Europe. Dans le port breton, quelques mois après la grève des sardinières, un Noir ne passe pas inaperçu : à travers lui, un vieux marin local retrouve son grand ami de jeunesse, guadeloupéen. L’anecdote vaut un repas à l’écrivain, et un récit rempli d’une tendre ironie. Avec « Nigger Lover », écrite en 1932, on retrouve l’univers de son grand roman, Banjo : le Marseille du quartier réservé, ce monde de marins et de prostituées, où le jazz est aussi présent que les Noirs occultés par la mémoire collective provençale. Claude Mackay nous plonge cette fois dans le gris quotidien d’une prostituée vieillissante méprisée pour son « vice » : elle aime les Noirs. Sombre vie que celle de « Nigger Lover » : elle ne trouve de lumière, là encore, que dans le souvenir d’un client respectueux. Deux récits, deux horizons, deux états d’esprit. À Douarnenez, l’analyse politique côtoie la délectation presque enfantine de l’écrivain qui, lui aussi, prend sa part d’exotisme ; à Marseille, par le jeu d’une langue pleine de rythme, il lève délicatement le voile sur la triste vie d’une femme qui chercha dans les Noirs l’homme d’une de ses nuits de jeunesse. Claude MacKay, par ces pas de côté, rend compte de l’essentialisation dont les Noirs font l’objet. Derrière l’ironie, il livre deux récits remplis d’humanité. [N.P.]
Héliotropismes, 2024
☰ L’or et l’arsenic, de Nicolas Rouillé
Dans l’imaginaire populaire, la mine est souvent associée au charbon et aux corons du Nord dominés par les terrils. Pourtant, l’industrie minière française s’est déployée dans plusieurs régions. Dans l’Aude, en plein cœur de la région de la Montagne noire, la mine d’or et d’arsenic de Salsigne a été l’une des plus grandes d’Europe avant sa fermeture en 2004. Nicolas Rouillé l’apprend lors d’une présentation d’un de ses précédents ouvrages, portant également sur le sujet de l’extractivisme mais à l’autre bout du monde. Ignorant l’existence de cette industrie minière toute proche, il se rend sur les lieux, où il réalise que pour l’œil non-exercé, il ne reste que peu de traces visibles de cette activité qui a pourtant été au cœur de la vie de tout un bassin de population. Les traces invisibles, en revanche, sont bien là. La pollution des sols et des eaux par l’arsenic continue de faire des victimes. En prenant contact avec un ancien délégué mineur, l’auteur réalise que l’histoire est complexe : beaucoup d’anciens ouvriers refusent d’aborder la question de la pollution, préférant raconter le travail de la mine et de l’usine. Les entretiens se multiplient au fil des visites, 140 au total : anciens travailleurs, cadres, dirigeants, habitants, élus, fonctionnaires, commerçants… L’auteur fait alors un choix : « faire entendre les différentes versions, parfois contradictoires, en les juxtaposant, sans nécessairement chercher à aboutir à une conclusion ». Car, « qui croire ? » Dès lors, le travail d’écriture se fera sur l’assemblage des entretiens pour construire une narration et « écouter ces voix qui s’enchaînent, tantôt à l’unisson, tantôt dissonantes ». Ces passages « choraux » sont entrecoupés de monologues laissant à certains témoignages choisis par l’auteur l’espace de se dérouler plus longuement. [L.]
Anacharsis, 2024
☰ intiment [3e personne du pluriel], de Marina Skalova
« On te disait : Nielzia jé molodovo tcheloveka obidet’ Tu ne peux quand même pas froisser le jeune homme / Moujchinou smouchiat’ nielzia L’homme, on n’a pas le droit de le vexer ». Les jeunes filles et les femmes sont pour les familles et les nations, des investissements. Les jeunes filles et les femmes voient leurs bouches, leurs cuisses, leurs lèvres, leurs utérus forcés à coups de langues, de doigts sales et de sondes missionnées par les tenants de l’obstétrique. Dans ce poème dramatique, tressautant, gorgé, Marina Skalova engage et déchaîne un dialogue de femme à fille — de soi à soi. Un dialogue différé, échafaudé sur les échos qui, de la Russie soviétique et actuelle, parviennent aux villes d’Europe où pèse encore, partout, la dette familiale, la dette nationale, la dette au mari, au copain, au quidam. La dette, au fond, d’être née, qui ne saurait pour faire honneur, qu’être soldée par l’accouchement. Ce poème, polyphonique, hanté, glossique, nous enfonce dans les dédales du piège insidieux de la maternité quand elle est ordonnée — à celles à qui on intime tant d’acquiescements : « Sdelaï priyatno Fais-moi plaisir / Sladenkiy moï Mon petit sucre d’orge / Ty chto moltchich ? Pourquoi tu ne dis rien ? Yazyk proglotila ? Tu as avalé ta langue ? ». Dans le poème les scènes s’enchaînent, croquées crûment : elles sont brutales et poisseuses, charrient une bizarre cacophonie harmonieuse : on entend parler la mère, les séries télévisées russes, un vieux manuel de gestion domestique, des brochures pour régenter la vie sexuelle soviétique, des inconnus dans des bus ou des squats, un gynécologue averti, des aides-soignantes bourrées de sollicitude douceâtre. Au milieu d’elles, au milieu d’eux : la voix d’une femme comme un geyser. « Une question, juste une question : si on vous réduisait votre fonction érectile, vous accepteriez d’avoir des enfants ? » [L.M.]
Éditions des Lisières, 2024
☰ Retour à Lemberg, de Philippe Sands
« Là, pendant un bref instant, j’ai compris. » Ce sont les derniers mots de l’impressionnante enquête réalisée par l’avocat et écrivain Philippe Sands sur l’origine des notions de crime contre l’humanité et de génocide. Ils décrivent le sentiment qui gagne l’auteur lorsqu’il voit la fin du jour approcher au bord de deux étangs situés à proximité de l’actuelle Jovkva, en Ukraine, anciennement Żółkiew, petite bourgade proche de Lviv, Lwów ou Lemberg selon l’époque et la situation politique de la région. Sous l’eau noire et les roseaux se trouvent les corps de 3 500 personnes, « autant d’individualités singulières formant ensemble un groupe » massacrés par les Einsatzgruppen parce que, Juifs et Juives, « ils avaient eu le tort d’appartenir au mauvais groupe ». Une simple pierre blanche honore la mémoire des morts. On comprend à notre tour, alors, que les fils que déroule l’auteur depuis les premières pages du livre forment en ce lieu un nœud. La défense des individus, promue dans le droit international à travers la condamnation des crimes contre l’humanité et celle des groupes, que cherche à entériner le recours à la notion de génocide, sont ici convoqués ensemble et apparaissent indissociables. Et ça n’est peut-être pas fortuit que ces notions aient été forgées par deux juristes, Hersch Lauterpacht et Rafael Lemkin, qui ont grandi dans la ville voisine de Lviv, Lwów, Lemberg — cette ville où, aussi, le grand-père de Philippe Sands, Léon Buchholtz, a passé le début de sa vie. À partir de ces seules correspondances biographiques et géographiques, l’auteur s’est mis en quête des éléments manquants de son passé familial et s’est efforcé de recomposer le parcours de ceux qui luttèrent, par le droit, pour que cessent les crimes qu’ils ont cherché, leur vie durant, à décrire et circonscrire. Il livre ainsi une fresque historique vertigineuse au cœur de la machine exterminatrice nazi, depuis les premiers décrets émis jusqu’au jugement de ses principaux responsables lors du procès de Nuremberg. [R.B.]
Le Livre de Poche, 2019
☰ Pop fascisme, de Pierre Plottu et Maxime Macé
La vague brune aux élections législatives de 2024 n’a pas manqué de susciter une série d’interrogations à gauche. Comment l’extrême droite a-t-elle pu passer en 20 ans d’un parti marginalisé à une force politique capable de récolter les votes de 13 millions d’électeurs ? Parmi les raisons avancées, le rôle de millionnaires réactionnaires qui ont dédié leur fortune et leur influence à rendre possible l’arrivée au pouvoir de candidats portant leurs idées conservatrices et xénophobes. Ainsi de Vincent Bolloré, patron de CNews, feu-C8, Europe 1, le JDD et d’un certain nombre des plus grandes maisons d’édition. Ses acquisitions lui permettent de diffuser et banaliser auprès du grand public les idées d’extrême droite, en particulier autour de l’immigration et du concept de « grand remplacement » popularisé par Renaud Camus. Alors qu’à la fin des années 1990 la presse d’extrême droite était exsangue, elle a réussi à faire peau neuve et à renouveler et faire grimper son audience. C’est cette évolution que les journalistes Pierre Plottu et Maxime Macé ont documentée dans Pop fascisme. Le succès des médias à la botte de Bolloré, notamment ses chaînes de télévision, doit beaucoup à un long travail réalisé dans le « far west » des réseaux sociaux par un petit nombre d’influenceurs d’extrême droite, dont les deux journalistes retracent la chronologie. De Soral et Dieudonné à Thaïs d’Escufon et Alice Cordier, en passant par Baptiste Marchais et Papacito, ce sont les grandes plateformes de réseaux sociaux, à la modération laxiste jusqu’en 2020, qui ont permis l’émergence de ces figures d’extrême droite. Elles ont su se créer un public grâce à un style direct « face caméra » et des contenus prétendument varié — et rémunérateurs. Baptiste Marchais, ancien des Jeunesses nationalistes, se présentait ainsi amateur de bonne chair et de développés-couchés. Thaïs d’Escuffon, ancienne porte-parole de Génération identitaire, propose aux hommes de leur apprendre à trouver des « femmes de valeur ». Décortiquer ce « soft power » — pas si soft — d’extrême droite est essentiel dans la recherche de stratégies de lutte pour l’empêcher d’accéder au pouvoir en 2027. En cela, Pop fascisme est un outil de formation important. [L.]
Divergences, 2024
☰ Boulevard des étrangers, de Hugo Ringer, adapté et annoté par Ronan Richard
L’internement des ressortissants allemands et autrichiens durant la Première Guerre mondiale en France est une histoire peu connue. Le 12 septembre 1914, le ministère de l’Intérieur prend la décision de les interner dans des locaux proches des côtes. Cette privation de liberté durera toute la guerre, même si en 1916, un accord signé entre l’Allemagne et la France prévoit l’évacuation des malades et blessés en Suisse. Hugo Ringer fera partie de ceux-ci. Au moment de son évacuation, il laissera derrière lui un carnet manuscrit que Ronan Richard, historien, trouvera au milieu d’un « carton d’archives brutes ». « Telle une bouteille jetée à la mer », l’auteur écrit : « Si je m’assois aujourd’hui pour remplir ces feuilles, ce n’est pas pour décrire le déroulement des événements […] mais pour essayer de mettre sur papier mes pensées et mon expérience personnelle ». Il veut parler de « ceux qui, ayant vécu en France, ont été arrachés à une existence sûre et insouciante, des évacués, et de la haine sauvagement enflammée d’une nation qui, au mépris des lois de l’hospitalité, a souillé les feuilles de son histoire […] du fait de sa brutalité du mépris des droits des gens ». « Employé dans la ville d’Amiens », il fuit les exactions de la population française envers « les Boches » et se retrouve à Paris. Manquant le train pour la Suisse, il finira interné à l’usine du Jonguet près de Saint-Brieuc. Si la première impression est chaleureuse, les nouveaux arrivants déchantent vite. Pour dormir, on leur donne de la paille. Ils doivent s’installer à même le sol, au milieu des machines « sales et rouillées, pleines de poussières ». Dans ces lieux livrés à l’abandon et n’offrant aucune accommodation, les prisonniers civils, de plus en plus nombreux, vont devoir vivre. Hugo Ringer raconte leur quotidien, entre dénuement complet, rapports ambivalents avec des autorités plus ou moins souples selon les moments et les grades, indignation face aux conditions de vie et tentatives d’occuper le temps qui passe. [L.]
Les Archives Dormantes, 2018
☰ Flingue, conscience et collectif, d’Ulrike Meinhof
Rencontrer une révolutionnaire par le biais de ses textes de prison aide à l’entendre sans voix parasites, à échapper autant au récit dominant et diabolisant du « terrorisme d’extrême gauche », qu’à l’hagiographie partisane. Lire Ulrike Meinhof, journaliste politique et figure emblématique de la Fraction armée rouge (RAF), permet autant d’éprouver le tranchant de sa plume que de prendre la mesure de son intransigeance, de la netteté de sa conscience politique. Une conscience inébranlable durant toute sa période d’incarcération et jusqu’à sa mort en prison en mai 1976, malgré la torture par isolement sensoriel qu’elle a subie plusieurs mois durant, malgré les « campagnes de diffamation » lancées dans la presse bourgeoise contre ce qu’on se plaisait à nommer la « Bande à Baader », malgré les assauts incessants de l’armada judiciaro-carcérale et du pouvoir d’État pour scinder, briser le collectif de la RAF. À n’en pas douter, c’est bien une « guerre psychologique » alliée d’une guerre idéologique qui opposait ceux que Meinhof appelle les « porcs » capitalistes, aux révolutionnaires communistes et anti-impérialistes. Car le contexte international était alors celui de la guerre coloniale menée par les États-Unis au Vietnam — dont l’Allemagne constituait une base logistique essentielle, que la RAF cherchait précisément à détruire. Or depuis leurs geôles, les militant·es n’ont pas abandonné la lutte : contre la propagande, pour « comprendre », en ne cessant jamais d’analyser, de travailler en pensée. Lutter, surtout, contre leur isolement organisé — ainsi la plupart des textes de ce livre sont des lettres d’Ulrike adressées nominativement, mais auxquelles tous les membres de la RAF emprisonné·es avaient accès, par avocats interposés. Ces lettres attaquent autant qu’elles préparent : « Il n’y a qu’une façon de guérir de la névrose fasciste et coloniale du marché et de l’exploitation — c’est la violence contre les porcs [capitalistes] : flingue, conscience et collectif. Nous sommes désarmés. mais ce qu’ils ne pourront jamais nous prendre, tant que nous le défendons bec et ongles, c’est notre conscience et le collectif. » [L.M.]
Premiers matins de novembre, 2024
☰ Mille vies, ouvrage collectif
Mille vies. Ou plutôt, ici, 82. Des vies que des taulard·es mexicain·es ont raconté lors d’ateliers d’écriture organisés par Tania Bohorquez dans plusieurs prisons au Mexique. Des espaces « où nous pouvons exister », lui confient des participant·es. À côté des activités d’écriture, le photographe Antoine d’Agata a animé un travail sur l’image. Celui-ci a débouché sur des photographies, transformées en gravures sur bois, qui illustrent l’ouvrage édité par les éditions Ici-bas. Ces dernières continuent leur travail autour de l’idée « d’écrire en écoutant », chère à John Gibler, un autre de leurs auteurs qui a travaillé à documenter la violence au Mexique. On retrouve ici ce thème, abordé d’un autre point de vue, celui des auteur·es — et souvent aussi victimes — de cette violence. Le travail éditorial a respecté la volonté des prisonnier·es de former un grand « récit choral », « qui mélange les textes de différent·es auteur·es pour produire une sorte de récit collectif, de la naissance à la mort ». L’arrangement des textes entre eux, leur découpage en une série de dix chapitres et l’harmonisation des temps a été du choix d’Ici-bas. Dans ce miroir brisé se reflètent les vies emprisonnées. Les voix se répondent les unes aux autres, celles des hommes s’entremêlent à celles des femmes, le quotidien de la prison aux pensées les plus intimes, les témoignages brefs aux récits plus long… Certains personnages ou événements resurgissent à plusieurs moments du livre, racontés de différents points de vue. Les prisons elles-mêmes deviennent des protagonistes : Ixcotel, Tanivet… Les questions les plus dures, la torture aux mains des agents de l’État, la drogue, le manque de soins, la corruption, sont abordées par celles et ceux qui les vivent en première ligne — et il faut parfois s’accrocher pour continuer à lire. Mais il y a aussi, malgré tout, une vie qui continue : des amours qui se font et se défont, des promesses échangées, des rêves impossibles à enfermer. [L.]
Ici-bas, 2024
☰ Gaza devant l’histoire, d’Enzo Traverso
Cela fait bientôt un an que l’armée israélienne continue à mener en toute impunité des massacres dans la bande de Gaza — et s’attaque à présent au Liban. Sous nos yeux, le droit international se désagrège peu à peu face à l’absence de réaction et aux condamnations du bout des lèvres, au nom de la « raison d’État » comme a pu le dire le chancelier allemand Olaf Scholz, de l’hybris guerrière israélienne de la part des « grandes » puissances mondiales. Face à l’horreur, l’historien Enzo Traverso a décidé d’écrire un texte qui soit « une tentative d’élaborer une première réflexion sans cacher les sentiments d’étonnement, d’incrédulité, de découragement et de colère qui [l]’ont assailli ces derniers mois ». Plus précisément, il tente de « porter un regard sur le débat politique et intellectuel que la crise de Gaza a suscité ». Et même si le sujet mériterait un examen plus approfondi, il y a « urgence ». En France, le mouvement de soutien à la Palestine a été la cible de violentes attaques orchestrées par les organisations pro-israéliennes, soutenues et relayées par un arc politique large, allant de la gauche réformiste à l’extrême droite. En particulier, l’accusation d’antisémitisme, utilisée à tort et à travers, a été utilisée pour discréditer nombre de paroles publiques. L’essai de Traverso est un outil précieux pour les soutiens à la Palestine. De façon condensée, il réunit des arguments historiques et chiffrés utiles pour répondre à la propagande — et aux mensonges — des soutiens à Israël. Car c’est également une guerre de l’information à laquelle se livre Israël. Après l’attaque du Hamas le 7 octobre, comme si l’horreur des massacres de civils ne suffisait pas, nombre de fausses informations ont été diffusées à grand bruit pour justifier l’attaque de Gaza — et démenties ensuite en toute discrétion. L’historien s’appuie également sur certains points qu’il a étudiés par le passé. En particulier, la question de la mémoire de l’Holocauste en Europe, qui se retrouve, d’après lui, mise en péril par les égarements actuels du gouvernement allemand dans son « soutien inconditionnel à Israël ». [L.]
Lux, 2024
Photographie de bannière : John Vachon, Les mineurs jouant aux cartes durant la grève de 1939 à Kempton, États-Unis, 1939
REBONDS
☰ Cartouches 92, juillet 2024
☰ Cartouches 91, mai 2024
☰ Cartouches 90, avril 2024
☰ Cartouches 89, mars 2024
☰ Cartouches 88, février 2024
☰ Cartouches 87, décembre 2023