Chasse et conservation : faire cas d’une histoire commune


Texte inédit | Ballast | En partenariat avec Terrestres

« J’en ai rien à foutre de régu­ler ! » C’est Willy Schraen qui parle, le pré­sident de la Fédération natio­nale des chas­seurs et récent can­di­dat « de la rura­li­té » au Parlement euro­péen. Excédé qu’on lui demande de se jus­ti­fier sur l’abattage d’animaux gar­dés dans des enclos, il affirme que sa pra­tique est avant tout moti­vée par le plai­sir de la traque. Exit, donc, les argu­ments éco­lo­giques et ges­tion­naires des pré­ten­dus « pre­miers éco­lo­gistes de France ». Voilà un épi­sode, par­mi d’autres, d’une his­toire explo­sive : chasse et éco­lo­gie ou, plus pré­ci­sé­ment, chasse et pro­tec­tion des éco­sys­tèmes et des ani­maux, entre­tiennent des liens ser­rés depuis plu­sieurs siècles — reste à com­prendre les­quels. C’est ce qu’examine cet article, publié en par­te­na­riat avec la revue Terrestres. ☰ Par Roméo Bondon


I.

Un jour de juin, pro­vince de Jaén, Andalousie, Espagne.

Une antique voi­ture tout-ter­rain sta­tionne sur le bord du che­min, là où se trouve, à l’abri d’un arbre, le seul point d’ombre des envi­rons. Les portes arrière sont ouvertes. L’intérieur a été amé­na­gé pour qu’on puisse y dor­mir, et des gens y dorment. Les tem­pé­ra­tures sont suf­fi­sam­ment éle­vées pour impo­ser la sieste aux heures les plus chaudes. Sur le che­min de Los Escoriales, rien ne bouge, si ce n’est, par­fois, quelques véhi­cules cli­ma­ti­sés qui se rendent à un lac de rete­nue. Je marche dans la frange sud de la Sierra d’Andujar, située dans le mas­sif occi­den­tal de la Sierra Morena — une chaîne mon­ta­gneuse qui s’étend sur plu­sieurs cen­taines de kilo­mètres au nord de l’Andalousie, de part et d’autre de Cordoue. Elle sépare ain­si la mese­ta, ce pla­teau qui forme le centre de l’Espagne, de la val­lée du Guadalquivir.

Les reliefs paraissent s’être assou­pis. Des cerfs et des biches dorment à l’ombre des chênes verts, lièges ou por­tu­gais. Les ongu­lés ne s’enfuient pas lorsqu’on approche. En cette sai­son, ils ne craignent rien. Ils pro­fitent d’un vaste espace et, grâce aux infra­struc­tures cyné­gé­tiques — c’est-à-dire propres à la chasse —, dis­posent de points d’eau régu­liers ain­si que de res­sources ali­men­taires inépui­sables. Leurs condi­tions de vie sem­ble­raient bonnes à tout obser­va­teur pour peu qu’il oublie qu’elles n’ont été amé­lio­rées que pour mieux les mettre à mort. Pour les tuer plus beaux. La mon­tería, une chasse au grand gibier, en bat­tue et avec des chiens, pour col­lec­tion­neurs de tro­phées ou pour « gérer » des popu­la­tions d’animaux jugées trop impor­tantes, s’est impo­sée depuis le XIXe siècle comme le prin­ci­pal usage du ter­ri­toire. Des géo­graphes l’expliquent : « Au cours des siècles, le taux de fré­quen­ta­tion de l’actuel espace pro­té­gé a dimi­nué. Hommes et bétails ont ces­sé de s’y dépla­cer. Parallèlement, s’est déve­lop­pée une mise sous enclos des grandes pro­prié­tés publiques et pri­vées, afin de les consa­crer exclu­si­ve­ment à l’activité cyné­gé­tique1. »

De hautes clô­tures contraignent tout dépla­ce­ment — les miens, pour sor­tir du sen­tier et péné­trer dans une par­celle, comme ceux des ani­maux, empê­chés d’en sor­tir. À moins qu’ils ne volent, qu’ils par­viennent à esca­la­der ou sau­ter les clô­tures, ces der­niers sont enfer­més. Je remarque d’abord les cerfs et les biches, les plus nom­breux et les plus visibles. Avec un peu de chance, il est pos­sible d’apercevoir éga­le­ment des mou­flons, des san­gliers, des che­vreuils, des daims. Sur un site dédié au tou­risme cyné­gé­tique, je lirai que dans la région, « le tableau final est dif­fi­cile [à] ima­gi­ner pour un chas­seur étran­ger », tant il est divers et abondant.

Il y a des oiseaux aus­si, qu’on laisse pour un temps tranquilles.

Aidé de jumelles, j’aperçois régu­liè­re­ment un vau­tour fauve, par­fois deux. Ce matin-là, j’ai sur­pris une chouette che­vêche éga­rée sur un fil élec­trique. De loin, on aurait cru un de ces mor­ceaux de laine que les bre­bis laissent sur les bar­be­lés quand elles s’y frottent. Je l’ai regar­dée long­temps. Elle ne bou­geait pas. Enfin, j’ai cher­ché sans suc­cès l’aigle ibé­rique dont des pan­neaux indiquent la pré­sence. Plus sou­vent, le regard ne porte que sur une ample flaque bleue. Le ciel.

Le temps passe.

« Les condi­tions de vie des ongu­lés sem­ble­raient bonnes à tout obser­va­teur pour peu qu’on oublie qu’elles ont été amé­lio­rées pour mieux les mettre à mort. Pour les tuer plus beaux. »

Les occu­pants du vieux véhi­cule semblent reprendre vie peu à peu. La soi­rée com­mence. Avec elle, Los Escoriales devient sou­dain un lieu d’attraction sur plu­sieurs cen­taines de mètres. Bientôt arrivent des hommes seuls, des couples, des familles. D’autres, reve­nant de la rete­nue d’eau, ne font que pas­ser, demandent les der­nières infor­ma­tions avant de repar­tir. « L’avez-vous vu ? » Les pan­neaux qu’on trouve devant des mira­dors amé­na­gés pour aider à la lec­ture de pay­sage et faci­li­ter l’observation natu­ra­liste l’indiquent : par­mi les ongu­lés et les cha­ro­gnards vivent ici des lynx ibé­riques. Ils seraient aujourd’hui plus de 500 en Andalousie et presque autant dans la Castille-La Manche voi­sine. Au début des années 2000, pour­tant, on ne dénom­brait plus que 94 indi­vi­dus dans toute la pénin­sule. L’espèce était alors en dan­ger cri­tique d’extinction et, on s’en doute, il était d’autant plus rare d’en obser­ver. En cause : la chasse et le bra­con­nage au début du XXe siècle, puis la raré­fac­tion dras­tique des lapins, la proie prin­ci­pale des lynx ibé­riques et, enfin, une aug­men­ta­tion des col­li­sions rou­tières à cause de la den­si­fi­ca­tion du réseau routier.

Aujourd’hui, avec un peu de patience, il est pos­sible de voir un lynx, ce qui réunit jus­te­ment toutes les per­sonnes pré­sentes sur le che­min. Chance et patience ne font pas tout : il faut aus­si comp­ter sur le maté­riel optique adé­quat, un véhi­cule pour venir jusque dans le Parc natu­rel de la Sierra d’Andujar et, pour cer­tains, les moyens finan­ciers suf­fi­sants pour s’offrir l’aide d’un des guides que pro­pose une entre­prise spé­cia­li­sée dans l’écotourisme. À pre­mière vue, trou­ver un lynx dans ces ver­sants faits de gra­nit et de quart­zite, de buis­sons de gené­vriers ou de cistes paraît réser­vé aux natu­ra­listes che­vron­nés. À ma droite, un homme a fini d’installer une deuxième lunette à côté d’une pre­mière à laquelle il a relié une camé­ra pour enre­gis­trer le moment espé­ré. Il s’assoit dans un siège de cam­ping, observe, attend. Nos chances n’ont pas vrai­ment l’air égales. J’essaye tout de même.

Disons-le tout de suite : le lynx ne sera pas vu ce soir-là.

Le lynx, el lince, oui : car jusqu’à ce que l’on voie des indi­vi­dus, petits, femelles, mâles, l’animal se dit au sin­gu­lier. À mesure que les minutes passent, la ten­sion retombe. La dis­cus­sion s’amplifie, l’observation se fait moins sou­te­nue et com­mence à trou­ver d’autres objets d’intérêt, jusque-là délais­sés. Pour se dis­traire, on regarde des biches à la lunette et des vau­tours aux jumelles ; une pie toute proche fait une cible facile pour les pho­to­graphes. Plus loin, une vipère bles­sée dans un four­ré sus­cite des excla­ma­tions. Insensiblement, le nombre de pré­sents s’amenuise. Certains sont par­tis depuis déjà un moment. D’autres atten­dront de ne plus rien voir pour plier leurs affaires avant de recom­men­cer le jour suivant.

[David Akemata]

Je revien­drai le len­de­main et en ver­rai un — une, plu­tôt, car on m’assurera qu’il s’agit d’une femelle. Je man­que­rai les petits de peu. Leur mère sera pour moi une simple tache grise dans la lunette d’un de mes com­pa­gnons du jour. Je lui deman­de­rai ensuite s’il n’est pas gêné par les clô­tures devant lui et le fait que le sup­port de son obser­va­tion, le ter­ri­toire des lynx, soit aus­si un ter­rain de chasse. Pas vrai­ment, me répon­dra-t-il, avant de me mon­trer sur son télé­phone les vau­tours moines qu’il a vus dans un autre parc natu­rel plus tôt dans l’année. Il faut avouer qu’à pre­mière vue, la chasse ne semble pas déran­ger les félins. Ceux-ci se nour­rissent prin­ci­pa­le­ment de lapins, qu’ici les chas­seurs ne regardent pas. Ils ont même par­ti­ci­pé à sou­te­nir les popu­la­tions locales en en relâ­chant après que diverses mala­dies les ont déci­més. Et il a fal­lu en relâ­cher beau­coup, près de 150 000 lapins en vingt ans, pour que les lynx ibé­riques ne soient plus mena­cés d’extinction.

Alors qu’on les oppose fré­quem­ment, la chasse et la conser­va­tion, c’est-à-dire la pro­tec­tion d’espèces ani­males et d’habitats natu­rels d’où cer­tains usages humains ne sont pas néces­sai­re­ment exclus mais régu­lés, paraissent aller de pair et faire même bon ménage dans le mas­sif d’Andujar2. Ça n’est pas si éton­nant : nombre d’anthropologues, de géo­graphes et de socio­logues sou­tiennent que l’exploitation et la pro­tec­tion du vivant sont deux notions qui par­ti­cipent d’une même logique3. Pour Charles Stépanoff, elles seraient même « l’âme et le corps de notre moder­ni­té », « le pen­dant éco­lo­gique du binôme méta­phy­sique nature-culture4 », la grande dua­li­té sur laquelle repo­se­rait l’histoire occi­den­tale moderne5. La chasse, ajoute-t-il, vient désta­bi­li­ser une oppo­si­tion désor­mais bien ins­tal­lée, en ce qu’elle se situe de façon variable, selon les contextes, sur un axe reliant la des­truc­tion d’animaux et leur conser­va­tion, qu’il s’agisse d’individus, de popu­la­tions ou d’espèces. De là à défi­nir la chasse comme un poten­tiel outil à dis­po­si­tion des mesures conser­va­tion­nistes, il n’y a qu’un pas, que cer­tains, sou­te­nus par l’histoire en par­tie com­mune des deux pra­tiques, fran­chissent sans peine. Mais les conver­gences pas­sées, celles entre­te­nues par une élite éco­no­mique et, nous le ver­rons, colo­niale, ne font pas néces­sai­re­ment les com­pa­ti­bi­li­tés d’aujourd’hui. Alors, de quelle his­toire parle-t-on ? Comment s’actualise-t-elle dans les débats contem­po­rains ? Et que viennent faire les lynx là-dedans ?

II.

Il y a quelques années, la géo­graphe Laine Chanteloup décri­vait un cas sem­blable, cette fois-ci en Gaspésie, au Québec. Selon elle, si « les acti­vi­tés de chasse et d’observation sont com­pa­tibles au sein d’un même ter­ri­toire, elles res­tent cepen­dant dif­fi­ci­le­ment conci­liables dans le même cadre spa­tio-tem­po­rel. De ce point de vue, les enjeux ne portent pas tant sur une dis­tinc­tion éthique entre chasse et obser­va­tion, mais plu­tôt sur une com­pé­ti­tion d’usages consomp­tifs pour l’accès à la faune sau­vage au même moment de l’année6. » Tout serait donc affaire de public et de sai­son. Les pra­tiques cyné­gé­tique et natu­ra­liste seraient moins oppo­sées qu’on ne le croit, du moins si elles ne se croisent pas. D’autres, comme l’agronome Raphaël Larrère, ont mis l’accent sur un cri­tère poli­tique. Les oppo­si­tions entre chas­seurs et pro­tec­teurs de la nature, sans cesse recon­duites depuis la moi­tié du XXe siècle, relè­ve­raient moins d’un conflit d’intérêt, que d’un conflit d’usage et, sur­tout, de légi­ti­mi­té : les deux groupes s’excluraient mutuel­le­ment, en théo­rie comme en pra­tique et cette exclu­sion réci­proque ne lais­se­rait guère de place à la diplo­ma­tie7. Puis l’agronome de convo­quer la figure du chas­seur, natu­ra­liste et peintre Jean-Jacques Audubon pour mon­trer que, fut un temps, un tel conflit n’avait pas lieu d’être : on pou­vait alors très bien tuer un fla­mant rose avant de le peindre à par­tir de sa dépouille comme s’il était vivant.

« Alors qu’on les oppose fré­quem­ment, la chasse et la conser­va­tion, c’est-à-dire la pro­tec­tion d’espèces ani­males et d’habitats natu­rels d’où les usages humains ne sont pas néces­sai­re­ment exclus, paraissent aller de pair et faire même bon ménage. »

Plusieurs dimen­sions manquent à cette der­nière ana­lyse. Les figures situées au car­re­four de la chasse, de l’observation natu­ra­liste et de la conser­va­tion ont toutes eu en com­mun d’être mas­cu­lines, blanches et for­tu­nées — Jean-Jacques Audubon, par exemple, est né à Saint-Domingue, l’actuelle Haïti, d’un père plan­teur et escla­va­giste. Ce sont de tels sports­men8, bri­tan­niques ou amé­ri­cains, bien­tôt conver­tis en fer­vents conser­va­tion­nistes, qui ont les pre­miers pro­cla­mé une coha­bi­ta­tion pos­sible entre les pra­tiques cyné­gé­tiques et conser­va­tion­nistes, avan­çant pour preuve leur propre tra­jec­toire hybride. Mais n’est-il pas plus simple de plai­der pour une forme de pro­tec­tion ou de contem­pla­tion dés­in­té­res­sée après avoir été opé­ra­teur de des­truc­tion9 ? Pour refaire l’histoire croi­sée de la chasse, de l’observation natu­ra­liste et de la conser­va­tion, pre­nons l’une de ces figures. Son nom : Abel Chapman.

Enfant, Abel Chapman par­tage son temps entre son ins­truc­tion à la public school de Rugby, dont il est ori­gi­naire, et de fré­quents séjours dans le Northumberland, à la fron­tière de l’Écosse. Son grand-père, et sur­tout son oncle, sont des chas­seurs renom­més et des natu­ra­listes confir­més. Ils lui enseignent le manie­ment du fusil et les rudi­ments de l’observation orni­tho­lo­gique. Abel Chapman part ensuite en Espagne, au Portugal, au Maroc pour vendre les vins que com­mer­cia­lise son père. Il com­mence à voya­ger pour le plai­sir mélan­gé de la chasse, de la vie au grand air, de la contem­pla­tion, et monte plu­sieurs expé­di­tions, en Scandinavie d’abord, puis en Espagne, où il gère avec son com­pa­gnon de route Walter J. Buck un ter­rain qui borde la côte sur plus de 60 kilo­mètres à proxi­mi­té de l’embouchure du Guadalquivir. Ils en feront une réserve natu­relle, près de l’actuel parc natio­nal de Doñana. Il conti­nue de voya­ger, de chas­ser, tout en fai­sant des pieds et des mains pour pro­té­ger le bou­que­tin des Pyrénées, mena­cé d’extinction.

Il écri­ra deux livres sur l’Espagne. En 1893, c’est Wild Spain. Parmi mille anec­dotes, il raconte avoir vu et abat­tu un lynx, avant d’en goû­ter la chair : « Nous avons cepen­dant essayé le lynx, en abor­dant le repas avec un esprit par­fai­te­ment ouvert, et nous l’avons trou­vé assez bon. La chair était tendre, blanche et dépour­vue de toute saveur désa­gréable. Sans pré­ju­gés, un ragoût de lynx est aus­si bon qu’un ragoût de per­drix ou de veau10. » Il ten­te­ra aus­si, pen­dant une année, d’apprivoiser une femelle, sans suc­cès. Selon lui, l’espèce est cruelle et rétive à ce qui entrave sa liber­té. En 1910, il ajoute un second volume et publie Unexplored Spain. Les titres de ses ouvrages l’indiquent : Abel Chapman aime les grands espaces sau­vages, pour­vu qu’ils soient giboyeux. Dans ses mémoires, sobre­ment inti­tu­lées Retrospect, il aura encore quelques lignes pour les félins, à l’occasion d’une chasse où il avoue­ra avoir tiré un lièvre alors qu’il pen­sait tou­cher un lynx11.

[David Akemata]

À che­val sur les deux siècles, il explore le Soudan et l’Afrique du Sud. Il observe et chasse le lion, l’éléphant, toutes les anti­lopes qu’il ren­contre. Une salle accueille ses tro­phées dans sa mai­son du Northumberland, à côté de laquelle il crée une nou­velle réserve, amé­na­gée de sorte qu’elle attire de nom­breux oiseaux ain­si que tous les orni­tho­logues du nord de l’Angleterre. Il observe et chasse en Afrique, donc, avant de s’apercevoir, en pleine guerre des Boers, que la faune est mal en point. Pour conti­nuer de voir les grandes bêtes, pour les chas­ser encore, une idée lui vient qu’il fait aus­si­tôt vali­der dans une confé­rence inter­na­tio­nale : la créa­tion d’une réserve de chasse, qui fait aujourd’hui par­tie de l’emblématique parc natio­nal Kruger, le plus grand d’Afrique du Sud avec ses 20 000 kilo­mètres car­rés. Il faut dire que ça n’est pas n’importe quelle confé­rence : c’est celle de Londres, en 1900, où est écrite une Convention pour la pré­ser­va­tion des ani­maux, des oiseaux et des pois­sons sau­vages d’Afrique. Abel Chapman figure par­mi les pion­niers de la conser­va­tion. Il est membre de la fameuse Society for the Preservation of the Wild Fauna of the Empire (SPWFE), qui influence le British Colonial Office en matière de ges­tion de la faune sau­vage dans l’est et le sud du conti­nent afri­cain12. Avec d’autres « chas­seurs de tro­phées, admi­nis­tra­teurs colo­niaux ou natu­ra­listes col­lec­tion­neurs de spé­ci­mens13 », Abel Chapman œuvre donc pour pro­té­ger la grande faune dans les colo­nies bri­tan­niques après l’avoir chassée.

À sa mort, la revue Nature le décri­ra comme « un chas­seur-natu­ra­liste de la meilleure espèce, aus­si pas­sion­né par l’observation des allées et venues de sa proie que par l’éventualité d’en faire un tro­phée14 ». Plusieurs musées abritent encore aujourd’hui les cen­taines de têtes et de peaux récol­tées lors de ses chasses afri­caines. Ce sont, selon un conser­va­teur, autant « de par­faits exemples de la manière dont le colo­nia­lisme a à la fois par­ti­ci­pé à façon­ner la pra­tique natu­ra­liste (natu­ra­lism), les col­lec­tions des musées et jusqu’à nos idées concer­nant la conser­va­tion de la faune sau­vage15 ». Abel Chapman ou l’archétype, en somme, d’une époque où chasse et conser­va­tion mar­chaient main dans la main, quand elles ne s’incarnaient pas dans les mêmes per­sonnes. Conclure, dès lors, que la pra­tique de la chasse et les mesures de conser­va­tion com­po­saient et com­posent encore une seule chose har­mo­nieuse, serait néan­moins aller trop vite. C’est pour­tant ce qu’affirment par­fois les pro­prié­taires des plus impor­tants domaines de chasse anda­lous, de même que cer­tains cher­cheurs spé­cia­li­sés dans la conser­va­tion de la grande faune.

III.

Longtemps, les recherches his­to­riques sur la pro­tec­tion de la nature se sont foca­li­sées sur les débats nord-amé­ri­cains entre les tenants de la pré­ser­va­tion et de la conser­va­tion16. Les « sport hun­ters », c’est-à-dire « ceux inté­res­sés par la pré­ser­va­tion du gibier pour des rai­sons cyné­gé­tiques », ont été, selon Thomas R. Dunlap, mis à l’écart de ce récit, alors même qu’ils com­po­saient « le groupe le plus nom­breux à s’organiser pour sau­ve­gar­der la faune sau­vage17 ». Un tel constat, fait dans les années 1980, a depuis été lar­ge­ment revu. Ces sports­men, en effet, ont été réin­té­grés au grand récit de la conser­va­tion, au point de le ren­ver­ser, ce qui n’est pas allé sans confu­sion quant à leur rôle. Le géo­graphe William M. Adams le rap­pelle : « Il existe [désor­mais] un récit his­to­rique stan­dard quant à la façon dont la chasse a sti­mu­lé, voire ini­tié la conser­va­tion dans la pre­mière moi­tié du XXe siècle18. » Outre le fait que ce récit ajoute des valeurs — posi­tives — à des don­nées his­to­riques, il élude uti­le­ment un contexte colo­nial et, aujourd’hui, post-colo­nial, ain­si qu’une lec­ture en termes de classe.

« Malgré les déco­lo­ni­sa­tions, l’omniprésence d’une élite blanche per­dure par le biais des prin­ci­pales ins­ti­tu­tions conservationnistes. »

À mesure qu’ils par­courent l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, mais aus­si la Norvège, l’Espagne ou leur propre pays, ces élites s’aperçoivent, c’est vrai, que le nombre d’animaux dimi­nue, et s’en inquiètent. L’historien Guillaume Blanc l’analyse lon­gue­ment dans son ouvrage L’Invention du colo­nia­lisme vert : en pre­nant des mesures de conser­va­tion, ils « repro­duisent en Afrique le modèle aris­to­cra­tique de l’Europe moderne » et contri­buent à dis­tin­guer « les élites blanches qui chassent le tro­phée avec bra­voure et au fusil », des « Africains qui tuent l’animal avec cruau­té, au filet, à l’arc et à la lance19 ». Dans La Nature des hommes, l’historien se fait encore plus expli­cite : les pre­miers conser­va­tion­nistes « inventent le mythe du bon et du mau­vais chas­seur20 ». Ailleurs, par­ti­cu­liè­re­ment en Amérique du Nord, ce sont les pauvres, les agri­cul­teurs, les cher­cheurs d’or, les bûche­rons, les autoch­tones qui sont incri­mi­nés21.

Si cer­tains chas­seurs trouvent alors que « le drôle de couple pré­da­tion-conser­va­tion20 » est fina­le­ment trop contra­dic­toire — cer­tains les appel­le­rons d’ailleurs les « bou­chers repen­tis » (penitent but­chers) — et ne conçoivent plus de par­ti­ci­per à la des­truc­tion de ce qu’ils sou­haitent pré­ser­ver, la plu­part dénoncent sur­tout la chasse vivrière, que de nou­velles règles trans­forment en bra­con­nage. C’est une constante : l’identification de mau­vais pra­ti­quants, jugés irra­tion­nels, per­met de ren­for­cer la légi­ti­mi­té de sa propre pra­tique. En l’occurrence, de ces chasses inter­na­tio­nales qui reposent sur des valeurs aris­to­cra­tiques. La conser­va­tion, explique le géo­graphe Étienne Rodary, devient au début du XXe siècle « un élé­ment de pres­tige social pour les élites colo­niales » qui, « après avoir elles-mêmes pra­ti­qué de manière inten­sive la chasse des grands mam­mi­fères, se sont peu à peu tour­nées vers des actions de pro­tec­tion du gibier22 ». Finalement, « ces enclos de nature signi­fient qu’ils [les ani­maux] ont main­te­nant pour pro­tec­teurs ceux qui les tuent23 ».

D’où vient alors que les chas­seurs aient été « exclus », un temps, des annales de la conser­va­tion ? Que la col­lu­sion des mondes de la chasse et de la conser­va­tion semble aujourd’hui si étrange ? À par­tir des années 1930 et, sur­tout, après la Seconde Guerre mon­diale, la conser­va­tion gagne en légi­ti­mi­té grâce au tra­vail for­ce­né des experts-gent­le­men, bio­lo­gistes, éco­logues ou zoo­logues renom­més, qui par­ti­cipent à l’émergence et façonnent les prin­ci­pales ins­ti­tu­tions d’une « Internationale conser­va­tion­niste », dont le pre­mier ter­rain de jeu est le conti­nent afri­cain20. La chasse n’est plus son prin­ci­pal moteur finan­cier, elle est pro­gres­si­ve­ment sup­plan­tée par le tou­risme. La conser­va­tion se construit doré­na­vant « sur l’idée de regar­der la faune dans des zones où elle est nour­rie et pro­té­gée, plu­tôt que sur les reve­nus que les élites cyné­gé­tiques apportent en venant leur tirer des­sus24 ». Malgré les déco­lo­ni­sa­tions, l’omniprésence d’une élite blanche per­dure par le biais des prin­ci­pales ins­ti­tu­tions conser­va­tion­nistes — et les safa­ris n’ont pas dis­pa­ru pour autant25.

[David Akemata]

IV.

En Europe, le sort réser­vé aux lynx, pas­sés dans l’imagerie popu­laire d’un sta­tut de « ver­mine » à celui d’« emblème26 », a héri­té, lui aus­si, de cet entre­la­ce­ment entre une chasse éli­tiste et l’histoire de la conser­va­tion. Depuis le siècle der­nier, les termes de l’équation ont néan­moins chan­gé. Désormais, cer­tains se demandent si la chasse, notam­ment la chasse spor­tive, dont le but est d’acquérir des tro­phées, ne serait pas tout sim­ple­ment béné­fique pour la conser­va­tion d’une espèce ou d’un éco­sys­tème27. Soit direc­te­ment, en régu­lant une popu­la­tion ou en per­met­tant de sélec­tion­ner les « meilleurs » indi­vi­dus28 ; soit indi­rec­te­ment, en sus­ci­tant des retom­bées éco­no­miques inves­ties ensuite dans des mesures de pro­tec­tion ou, comme c’est le cas à Andujar et plus lar­ge­ment dans le centre et le sud de l’Espagne, en pré­ser­vant des espaces dans les­quels pros­pèrent de manière inci­dente des espèces protégées.

Il est en effet désor­mais fré­quent d’entendre que les chas­seurs, et par exten­sion la chasse, ont par­ti­ci­pé à sau­ver l’espèce Lynx par­di­nus de l’extinction, comme ils par­ti­ci­pe­raient à la bonne conser­va­tion, ailleurs, de car­ni­vores emblé­ma­tiques — que ce soit en par­ti­ci­pant à atté­nuer les conflits avec les popu­la­tions locales, en rédui­sant le risque de bra­con­nage ou en créant un reve­nu issu du tou­risme cyné­gé­tique. Aussi peut-on lire sur une pla­te­forme espa­gnole regrou­pant des annonces de par­ties de chasse all inclu­sive — par­mi les der­nières en date, une chasse à l’approche « recom­man­dée » de femelles de mou­flons à man­chette pour la modique somme de 500 euros — un article dont le titre ne manque pas d’intriguer sur « Le futur de la chasse, la conser­va­tion ». On y apprend que le monde de la chasse serait en train de chan­ger, sur la base d’intérêts com­muns avec la conser­va­tion des espèces et de leurs habi­tats. Et l’auteur de prendre pour preuves des réin­tro­duc­tions de lynx dans la pro­vince de l’Estremadure, « un des meilleurs exemples de l’aide appor­tée par la chasse à la conser­va­tion des espèces mena­cées dans le pays ». Ces affir­ma­tions, tou­te­fois, trouvent en Espagne comme ailleurs de sérieux contra­dic­teurs, qui insistent sur le fait que les preuves scien­ti­fiques sont bien peu nom­breuses et trop incer­taines pour l’attester29. Il a même été prou­vé qu’aux États-Unis, la libé­ra­li­sa­tion du droit de des­truc­tion des loups avait plu­tôt accen­tué les risques de bra­con­nage que l’inverse30.

Rappelons que ce n’est jamais la chasse qui béné­fi­cie à la conser­va­tion, mais bien sa limi­ta­tion31 et repre­nons un des argu­ments posés plus haut. Sans l’accord des pro­prié­taires des domaines de chasse, il est vrai qu’il n’aurait pas été pos­sible de suivre l’évolution des popu­la­tions dont c’est le ter­ri­toire. Un tel constat sert d’argument com­mer­cial aux ges­tion­naires du domaine de chasse « La Garganta », situé au nord-ouest du mas­sif d’Andujar, leur per­met­tant de reven­di­quer la plus impor­tante popu­la­tion de lynx du pays. Attardons-nous un ins­tant sur ce domaine. Longtemps pro­prié­té de Rio Tinto, la deuxième plus grosse com­pa­gnie minière mon­diale, « La Garganta » appar­tient désor­mais à plu­sieurs muni­ci­pa­li­tés, qui ont suc­ces­si­ve­ment cédé l’usage des lieux à François de Bavière, des­cen­dant d’une des plus puis­santes familles alle­mandes, déten­teur de droits sur le trône d’Angleterre, puis à Gerald Grosvenor, Duc de Westminster, dont la famille détien­drait une for­tune de quelque douze mil­liards de dol­lars32. On peut sup­po­ser que, pour de tels phi­lan­thropes cou­ron­nés, la grande faune en dan­ger trouve une place simi­laire dans la hié­rar­chie de leurs pré­oc­cu­pa­tions que l’art ou le patri­moine : assez haut pour jus­ti­fier les acti­vi­tés autre­ment rému­né­ra­trices qui les sup­plantent, mais pas suf­fi­sam­ment pour en faire la cause de leur exis­tence ou céder leur pri­vi­lège ter­ri­to­rial. Un article du média El Salto rap­pe­lait par ailleurs qu’en Espagne, ce « grand domaine de chasse », les pro­prié­tés comme « La Garganta » sont prin­ci­pa­le­ment « utilisé[es] pour obte­nir des contacts et mettre en rela­tion les élites entre elles ». Plus que la chasse, ce sont donc cer­tains de ses pra­ti­quants appar­te­nant à une élite éco­no­mique inter­na­tio­nale qui inves­tissent dans la conser­va­tion, refai­sant leur image de marque à peu de frais — ce que d’aucuns appellent du green washing.

V.

Un jour de juillet, Wanapitei District, Ontario, Canada.

« Là où Abel Chapman conce­vait la chasse et la conser­va­tion comme une seule et même pra­tique, Georges Shiras III, lui, est allé de l’une vers l’autre. »

Imaginons un canoë, char­gé d’une petite lan­terne, d’un appa­reil pho­to­gra­phique et de quelques hommes. C’est l’été de l’année 1902, sur un lac de la pro­vince de l’Ontario, au Canada. À l’avant de l’embarcation se tient Georges Shiras III. L’homme est pho­to­graphe33. Avant ça, il a été enfant dans le Michigan, avide de traque, de pêche et de chasse auprès de son père, de son grand-père et de guides ojibwés ; il a ensuite été avo­cat en Pennsylvanie, puis poli­ti­cien dans le même État. Quelques jours plus tôt, il a pris, écrit-il dans ses mémoires, « la pre­mière pho­to­gra­phie jamais faite au flash d’un ori­gnal34 ».

Accroupi dans ce canoë, George Shiras III a qua­rante-trois ans.

L’équipée avance silen­cieu­se­ment dans la nuit et, après avoir explo­ré plu­sieurs rives du lac, prend la direc­tion de l’est où le ciel s’éclaircit déjà. Soudain, il entend « un léger bruis­se­ment », une bête sans doute, qu’il ne recon­naît pas spon­ta­né­ment. « Quand le bruit s’est arrê­té, deux yeux jaunes tirant sur le vert, dont l’éclat brillait au bord de l’eau, sont appa­rus » raconte-t-il. Les yeux d’un félin. Un chat sau­vage ou un lynx ? Joe, l’un des guides embar­qués l’affirme : il n’y a pas de chats sau­vages dans la région. C’est donc pro­ba­ble­ment un lynx cana­dien, « du Canada » écrit le pho­to­graphe, Lynx cana­den­sis lit-on dans les livres savants. Tandis que l’embarcation s’avance, l’animal s’est abs­te­nu de boire dans les eaux du grand lac. Il attend. Une pous­sée légère de la pagaie rap­proche le canoë du pré­da­teur, qui sou­dain devient une proie : l’œil, aug­men­té par la tech­nique de l’un, s’apprête à se sai­sir de l’autre. Encore quelques mètres, puis le pouce appuie sur le com­mu­ta­teur et arrache un cli­ché désor­mais vieux de cent vingt ans.

Là où Abel Chapman conce­vait la chasse et la conser­va­tion comme une seule et même pra­tique, Georges Shiras III, lui, est allé de l’une vers l’autre. Serait-il le pas­seur exem­plaire d’un para­digme vers le sui­vant35 ? Moins qu’une rup­ture, c’est plu­tôt une conti­nui­té para­doxale qu’il indique et l’une des figures du couple pré­da­tion-conser­va­tion. La tech­nique d’approche qu’il emploie lui est ensei­gnée par un trap­peur, « le meilleur homme que j’ai pu trou­ver, car il avait chas­sé et posé des pièges toute sa vie dans cette par­tie du pays », ajoute-t-il. Le déclen­che­ment est presque aus­si violent qu’un coup de fusil — le flash explose au visage de son guide, qui se retrouve long­temps étour­di. Autant d’éléments, donc, qui rap­prochent étran­ge­ment les enjeux liant l’attention pour les bêtes, par­fois leur pro­tec­tion, et l’action de les tuer.

Les chas­seurs-natu­ra­listes ont le goût des mémoires. Le titre que donne Georges Shiras III aux siennes est le sui­vant : Hunting Wild Life with Camera and Flashlight. Tout est dit. Il y retrace un par­cours for­cé­ment édi­fiant l’ayant mené du fusil à la pho­to­gra­phie, sans pour autant désa­vouer son pas­sé ni ses anciens cama­rades. Au contraire : « Je ne suis pas d’accord avec les huma­ni­taires bien inten­tion­nés mais mal ins­pi­rés qui exigent une pro­tec­tion conti­nue de tous les ani­maux sau­vages, car dans quelques décen­nies, le sur­plus incon­trô­lé de gros gibier amè­ne­rait leur nombre crois­sant au bord de la famine en rai­son de la des­truc­tion de leurs réserves de nour­ri­ture. » Une posi­tion ges­tion­naire qui n’a ces­sé, depuis, de ser­vir d’argument afin de légi­ti­mer un usage ration­nel de la chasse — et, par­tant, d’affirmer sa néces­si­té pour contrô­ler des popu­la­tions for­cé­ment pro­li­fiques voire, par exten­sion, pour atté­nuer la pres­sion occa­sion­née par ces mêmes popu­la­tions sur un milieu don­né. Gardons-nous de confondre l’élan qui motive une action avec ce qui, après coup, lui sert de justification.

*

Histoire de Lynx : l’expression mise au plu­riel, voi­là qui aurait pu ser­vir de titre au pré­sent texte. C’était déjà pris. En 1991, Claude Lévi-Strauss fait paraître un ouvrage du même nom36. L’ethnologue y ana­lyse plu­sieurs ver­sions de mythes pré­sents dans le Nord-Ouest des Amériques, dans les­quels s’opposent deux per­son­nages, Lynx et Coyote, comme les deux faces d’une même pièce. Dans l’une des ver­sions du mythe, un enfant naît sans que sa mère ne sache pour­quoi. On cherche le père par­mi les hommes du vil­lage, en les fai­sant por­ter l’enfant, qui pleure sans dis­con­ti­nuer. L’enfant se tait dans les bras de Lynx. Serait-il le géni­teur ? Coyote n’aime pas ce der­nier : il refuse l’évidence et demande une nou­velle épreuve pour déter­mi­ner la pater­ni­té. Ce sera une par­tie de chasse, qu’il entend bien rem­por­ter. Pour cela, Coyote cache dans un tronc la dépouille d’une proie : il pour­ra la sor­tir au moment oppor­tun. C’était sans comp­ter sur Lynx qui, enter­rant un poil de sa mous­tache, sus­cite un épais brouillard. Coyote ne retrouve pas sa proie et c’est Lynx qui abat une bête le pre­mier. Coyote ne s’arrêtera pas là, renou­vè­le­ra ses ruses mais, tou­jours, Lynx s’en sor­ti­ra. À l’instar des deux per­son­nages, doit-on com­prendre la rela­tion entre la chasse et la conser­va­tion comme celle d’un couple contra­rié, tou­jours en conflit, jamais sépa­ré ? Sans doute. Gageons qu’un rap­port hon­nête à cette his­toire et à ses échos contem­po­rains per­met­tra de dis­si­per le brouillard que Lynx ne manque pas de susciter.


Illustrations de ban­nière et de vignette : David Akemata


  1. La plu­part des infor­ma­tions his­to­riques sur le mas­sif d’Andujar sont tirées de Araque Jiménez, E., Sánchez Martinez, J. D., et Manuel Crespo Guerrero, J. « Prépondérance de l’activité cyné­gé­tique dans le Parc régio­nal de la Sierra de Andújar (Communauté d’Andalousie, Espagne) », Revue géo­gra­phique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen, vol. 23, n° 1, 2007, p. 127-141.[]
  2. Il est plus cou­rant, en fran­çais, de recou­rir à la notion de « pro­tec­tion » ou de « pré­ser­va­tion ». Néanmoins, le terme « conser­va­tion » s’est impo­sé dans la lit­té­ra­ture scien­ti­fique anglo-saxonne pour englo­ber toute forme de pro­tec­tion, qu’il soit ques­tion d’habitats, d’espèces ou de popu­la­tions, et tend à le faire éga­le­ment en fran­çais. Pour aller plus loin, on peut lire Bram Büscher et Robert Fletcher, Le Vivant et la révo­lu­tion. Réinventer la conser­va­tion de la nature après le capi­ta­lisme, tra­duc­tion d’Antoine Chopot, Actes Sud, 2023.[]
  3. C’est la thèse que défend par­mi d’autres Nastassja Martin dans Les Âmes sau­vages, La Découverte, 2016.[]
  4. Charles Stépanoff, L’Animal et la mort — Chasse, moder­ni­té et crise du sau­vage, La Découverte, 2021.[]
  5. « Voir la nature comme un·e natu­ra­liste : une contre his­toire de la moder­ni­té », Terrestres, 30 novembre 2022.[]
  6. Laine Chanteloup, « Du tou­risme de chasse au tou­risme d’observation, l’expérience tou­ris­tique de la faune sau­vage. L’exemple de la réserve fau­nique de Matane (Québec) », Teoros, vol. 32, n° 1, 2013.[]
  7. Raphaël Larrère, « Le conflit entre les chas­seurs et les pro­tec­teurs de la nature », La Ricerca Folklorica, n° 48, 2003.[]
  8. Maxime Michaud, « Chasser en gent­le­man : évo­lu­tions de l’éthique de la chasse spor­tive », Journal des anthro­po­logues, vol. 120-121, 2010.[]
  9. L’histoire de cette conver­sion est brillam­ment contée par l’historien Guillaume Blanc dans La Nature des hommes — Une mis­sion éco­lo­gique pour « sau­ver l’Afrique », La Découverte, 2024.[]
  10. Abel Chapman et Walter J. Buck, Wild Spain, London, Gurney and Jackson, 1893.[]
  11. Abel Chapman, Retrospect : Reminiscences and impres­sions of a hun­ter-natu­ra­list in three conti­nents 1851-1928, Londres, Gurney and Jackson, 1928.[]
  12. David K. Prendergast et William M. Adams, « Colonial wild­life conser­va­tion and the ori­gins of the Society for the Preservation of the Wild Fauna of the Empire (1903–1914) », Oryx, vol. 37, n° 2, 2003.[]
  13. Guillaume Blanc, L’Invention du colo­nia­lisme vert, Paris, Flammarion, 2020.[]
  14. Nature, n° 3096, vol. 123, 1929.[]
  15. Dan Gordon, « Behind The Heads : Natural History, Empire and The Abel Chapman Collection. Part 1 », Tyne & Wear Archives & Museums, 16 juillet 2021.[]
  16. Le pré­ser­va­tion­nisme consi­dère que la nature a une valeur intrin­sèque, qui implique qu’elle doive être pro­té­gée de manière stricte, en excluant autant que pos­sible les acti­vi­tés humaines des sites ciblés. Le conser­va­tion­nisme entend pour sa part pro­té­ger un site tout en pour­sui­vant l’exploitation des res­sources natu­relles qui s’y trouve — les acti­vi­tés humaines ne sont pas exclues. Voir l’article de Samuel Depraz, « Notion à la une : pro­té­ger, pré­ser­ver ou conser­ver la nature ? », Géoconfluences, avril 2013.[]
  17. Thomas R. Dunlap, « Sport Hunting and Conservation », Environmental Review, vol 12, n° 1, 1987.[]
  18. William M. Adams, « Sportsman’s Shot, Poacher’s Pot : Hunting, Local People and the History of Conservation », dans Barney Dickson, Jon Hutton et William M. Adams (éd.), Recreational Hunting, Conservation and Rural Livelihoods : Science and Practice, Blackwell Publishing, 2009.[]
  19. Guillaume Blanc, op. cit., 2020.[]
  20. Guillaume Blanc, op. cit., 2024.[][][]
  21. Karl Jacoby, Crimes contre la nature, Toulouse, Anacharsis, 2021.[]
  22. Etienne Rodary, L’Apartheid et l’animal, Marseille, Wildproject, 2021.[]
  23. Guillaume Blanc, op. cit., 2020.[]
  24. William M. Adams, art. cit.[]
  25. Maxime Michaud, art. cit.[]
  26. Margarida Lopes-Fernandes et Amélia Frazão-Moreira, « The (In)visibility of the Iberian Lynx. From Vermin to Conservation Emblem », Anthropological Journal of European Cultures, vol. 25, n° 2, 2016.[]
  27. Andrew J. Loveridge, Jonathan C. Reynolds et E. J. Milner-Gulland, « Does sport hun­ting bene­fits conser­va­tion ? », dans Key Topics in Conservation Biology, 2007.[]
  28. Je ne dis­cu­te­rai pas ce point, qui n’est pas cen­tral ici et qu’une abon­dante lit­té­ra­ture scien­ti­fique aborde par ailleurs.[]
  29. Adrian Treves, « Hunting for large car­ni­vore conser­va­tion », Journal of Applied Ecology, vol. 46, n° 6, 2009.[]
  30. Guillaume Chapron et Adrian Treves, « Blood does not buy good­will : allo­wing culling increases poa­ching of a large car­ni­vore », Proceedings of the Royal Society B, vol. 283, n° 1830, 2016.[]
  31. Adrian Treves, Kyle A. Artelle, et Paul C. Paquet, « Differentiating bet­ween regu­la­tion and hun­ting as conser­va­tion inter­ven­tions », Conservation Biology, vol. 33, n° 2, 2019.[]
  32. Aux der­nières nou­velles, Camilla Parker Bowles, épouse de Charles III et donc reine du Royaume-Uni, s’était reti­rée dans le domaine pour se repo­ser d’une crise ins­ti­tu­tion­nelle érein­tante et chas­ser la per­drix.[]
  33. Jean-Christophe Bailly et Sonia Voss, George Shiras — L’intérieur de la nuit (cata­logue d’exposition, Paris, Musée de la chasse et de la nature), Éditions Xavier Barral, .[]
  34. Georges Shiras III, Hunting Wildlife with Camera and Flashlight, National Geographic Society, 1935.[]
  35. James G. Sanderson and Mogens Trolle, « Monitoring Elusive Mammals : Unattended came­ras reveal secrets of some of the world’s wil­dest places », American Scientist, vol. 93, n° 2, 2005.[]
  36. Claude Lévi-Strauss, Histoire de Lynx, Pocket, 2005 (1991).[]

REBONDS

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☰ Lire une dis­cus­sion entre Jean-Marc Gancille et Pierre Medelin : « Animalisme et éco­lo­gie », mai 2022
☰ Lire notre article « Les ani­maux avec nous, nous avec les ani­maux », Kaoutar Harchi, mai 2022
☰ Lire notre article « Combattre la chasse à courre », Yanna Rival et Élie Marek, décembre 2021
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Roméo Bondon

Doctorant en géographie. Il a récemment coordonné avec Elias Boisjean Cause animale, luttes sociales (Le Passager clandestin, 2021) et publié avec Raphaël Mathevet Sangliers - Géographies d'un animal politique (Actes Sud, 2022).

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