Écosse, quelle voix pour l’indépendance ?


Texte inédit pour le site de Ballast

« Difficile à arrê­ter, le SNP sera impos­sible à igno­rer », s’est enthou­sias­mé Alex Salmond, l’ex-dirigeant du SNP (Scottish National Party : le par­ti natio­nal écos­sais) dans une inter­view au Guardian. De fait : 56 dépu­tés indé­pen­dan­tistes écos­sais ont fait leur entrée à la Chambre des com­munes. À la vic­toire écos­saise répond la vic­toire des très bri­tan­niques Tories (le Parti conser­va­teur), dont les 36,9 % de voix main­tiennent David Cameron au poste de Premier ministre. Le Labour Party (Parti tra­vailliste) a lui aus­si sur­pris… mais par son faible nombre de voix — avec 30,5 %, il connaît ses pires résul­tats depuis 1987. Neuf mois ont pas­sé depuis le réfé­ren­dum sur l’indépendance de l’Écosse (auquel les Écossais dirent « non » à 55 %) et la ques­tion écos­saise reste pour­tant au cœur du débat poli­tique. Grand vain­queur sur le Parti tra­vailliste en Écosse et cible poli­tique directe de Cameron au niveau natio­nal, le SNP sur­git en outre-Manche, bou­le­ver­sant l’équilibre poli­tique du pays et intri­guant, à l’international, par sa ligne poli­tique : natio­na­liste ou de gauche ? L’un de nous s’est ren­du sur place. 


licorne Dès l’origine, la rela­tion entre les nations anglaise et écos­saise s’est mon­trée ambi­guë. Présent sur tous les bâti­ments offi­ciels, l’emblème royal illustre ô com­bien cette rela­tion : un lion, sym­bole du pou­voir royal bri­tan­nique, fait face à une licorne entra­vée. Cet ani­mal légen­daire, méta­phore du carac­tère insai­sis­sable de l’Écosse, est enchaî­né à la cou­ronne d’Angleterre. C’est le trai­té d’Union de l’Écosse au Royaume bri­tan­nique, en 1707, qui par­vint à réa­li­ser cette prouesse : sai­sir l’insaisissable Écosse. D’après le poli­to­logue écos­sais Tom Nairn, l’Union a, dans un pre­mier temps, pro­fi­té à cette région du nord de la Grande-Bretagne, lui per­met­tant l’entrée dans « un sys­tème poli­tique ouvert et un modèle éco­no­mique flo­ris­sant ». Mais les années 1960 et 1970, char­riant la fin de l’Empire et l’aggravation de la crise éco­no­mique, ont fait resur­gir à la sur­face « les pro­blèmes d’un État mul­ti­na­tio­nal archaïque1 ». Au déclin de la puis­sance bri­tan­nique répon­dait l’émergence de l’Écosse comme puis­sance éco­no­mique. La licorne écos­saise, à même de riva­li­ser avec le vieux lion anglais, reven­dique à pré­sent son indépendance.

L’indépendantisme à l’écossaise

« Perspectives de gauche et ques­tion iden­ti­taire ne font qu’un dans cette région où le Parti conser­va­teur, hon­ni des Écossais, ne compte que quatre représentants. »

Parvenir à trai­ter la ques­tion de l’indépendance d’une par­tie d’un pays comme la Grande-Bretagne, de sur­croît de façon démo­cra­tique, c’est l’exploit qu’a réa­li­sé le réfé­ren­dum écos­sais du 18 sep­tembre 2014. Curiosité poli­tique pour les uns, rêve d’indépendance pour d’autres (à com­men­cer par les mou­ve­ments indé­pen­dan­tistes du Pays basque ou de Catalogne). Si le mou­ve­ment écos­sais a reçu le sou­tien de ces deux der­niers, la réci­proque n’a pas eu lieu : le pre­mier ne semble guère s’identifier à ses sup­po­sés homo­logues. Des ana­lo­gies sont tou­te­fois à signa­ler. Des régions à l’identité cultu­relle forte, avec une langue propre ain­si qu’une crois­sance éco­no­mique impor­tante (sou­vent motrice pour le reste du pays), se vivant comme des nations à part entière — dans les trois cas, la reven­di­ca­tion d’indépendance est vue comme un moyen d’officialiser une réa­li­té déjà exis­tante. C’est au niveau poli­tique que les mou­ve­ments indé­pen­dan­tistes marquent leurs diver­gences, et non des moindres. De la Gauche répu­bli­caine (Esquerra Republicana de Catalunya) à la très conser­va­trice Convergence démo­cra­tique (Convergència Democràtica de Catalunya) de Jordi Pujol, la reven­di­ca­tion cata­lane ras­semble l’ensemble de l’échiquier poli­tique. Dans un article paru dans El Pais, le jour­na­liste Lluis Bassets affirme : « L’indépendance écos­saise est clai­re­ment euro­péeiste et de gauche, alors qu’en Catalogne on nous pro­pose le che­min inverse, d’abord déci­der que nous sommes indé­pen­dants et ensuite voir quel type de pays indé­pen­dant nous vou­lons être. »

Au modèle cata­lan de l’indépendance comme fin en-soi répond un indé­pen­dan­tisme pro­gram­ma­tique écos­sais : la reven­di­ca­tion à la sépa­ra­tion per­met, jurent ses par­ti­sans, de mener à bien un pro­gramme poli­tique éman­ci­pa­teur. Perspectives de gauche et ques­tion iden­ti­taire ne font qu’un dans cette région où le Parti conser­va­teur, hon­ni des Écossais, ne compte que quatre repré­sen­tants. L’indépendantisme écos­sais serait-il incom­pa­tible avec une poli­tique de droite ? Conserver l’université publique, défendre le ser­vice de san­té, déve­lop­per une éco­no­mie éco­lo­gique ou encore lut­ter contre la pré­sence du sous-marin nucléaire anglais Trident en mer écos­saise : il ne s’agit pas du pro­gramme de quelque par­ti de la gauche radi­cale, et encore moins des mots d’ordre du Parti tra­vailliste, mais de ce qu’on peut lire dans le Guide pour le réfé­ren­dum écos­sais. Séparation rime ici avec refus de l’austérité et renou­veau politique.

Le mou­ve­ment indé­pen­dan­tiste se ras­semble néan­moins autour d’un par­ti qui se pré­sente comme « natio­nal écos­sais ». Une approche natio­na­liste de la ques­tion, sous des abords pro­gres­sistes ? Donnie Macleod, un fer­mier éco­lo­giste que nous ren­con­trons à Ardersier, petit vil­lage écos­sais, objecte sans tar­der : « Le mou­ve­ment indé­pen­dan­tiste écos­sais n’est pas une reven­di­ca­tion natio­na­liste, mais la pro­messe de construire un meilleur pays, par rap­port à ce qu’on nous auto­rise sous le contrôle de Londres. La jus­tice sociale et éco­lo­gique et une socié­té de par­tage et d’écoute, c’est irréa­li­sable si l’on est blo­qué par le cen­tra­lisme et le va-t-en-guerre anglais. »

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[La reine d’Angleterre (DR)]

La victorieuse défaite du référendum

55 % de « non » au réfé­ren­dum de 2014, disions-nous. La cam­pagne d’opposition à l’indépendance fut féroce et orga­ni­sée. Médiatique, bien sûr. Quelques jours avant les élec­tions, le Daily Mail titra : « Les experts aver­tissent que l’économie bri­tan­nique per­drait 17 mil­liards de livres d’investissement, l’indépendance écos­saise pour­rait conduire à une nou­velle Grande Dépression. » Les grandes entre­prises mirent la main à la pâte, Marks & Spencer jura d’une impor­tante aug­men­ta­tion des prix et 8 % des entre­prises mena­cèrent de quit­ter l’Écosse en cas de vic­toire du « oui ».

« Soudés le temps de la cam­pagne, les par­tis conser­va­teur et tra­vailliste affi­chèrent, mal­gré leurs dif­fé­rences, entente et connivences. »

Politique, aus­si. Tandis que la reine Élizabeth rap­pe­lait dis­crè­te­ment aux Écossais de « vrai­ment bien pen­ser au futur », le Parti tra­vailliste s’allia aux conser­va­teurs ain­si qu’aux libé­raux-démo­crates autour de la cam­pagne « Better Together » (« Mieux ensemble »), enchaî­nant mani­fes­ta­tions et pas­sages télé­vi­sés afin de mar­te­ler, sur tous les tons, l’importance et, même, le carac­tère indis­pen­sable de l’union. Malgré la défaite élec­to­rale, le par­ti écos­sais fut à son apo­gée — le bipar­tisme, pour gagner, fut repous­sé jusque dans ses der­niers retran­che­ments. Soudés le temps de la cam­pagne, les par­tis conser­va­teur et tra­vailliste affi­chèrent, mal­gré leurs dif­fé­rences, entente et conni­vences. Deux jours avant les élec­tions, les trois lea­ders David Cameron, Nick Clegg (par­ti libé­ral-démo­crate) et Ed Miliband (Labour) allèrent jusqu’à publier ensemble le mani­feste « The Vow », assu­rant aux Écossais que la nation obtien­drait davan­tage de pou­voir si le « non » l’emportait. La pro­messe ne sera bien sûr pas tenue ; les par­tis tra­di­tion­nels sor­tirent vain­queurs mais per­dirent en cré­di­bi­li­té, au pro­fit du SNP. Ce der­nier qua­dru­pla en effet son nombre de membres (avec plus de 100 000 mili­tants), deve­nant la troi­sième force mili­tante du pays — et, dès lors, un par­ti de masse. À la vic­toire mili­tante s’ajouta la vic­toire sociale : le réfé­ren­dum per­mit au par­ti écos­sais de mettre en lumière ses capa­ci­tés à fédé­rer les dif­fé­rentes paroles indépendantistes.

Nicola Sturgeon

« Notre Braveheart à nous, c’est une femme : Nicola Sturgeon », s’amuse Alexandra, mili­tante au SNP, lorsque nous la ren­con­trons à Inverness, la « capi­tale des Highlands ». Le suc­cès du pro­pos indé­pen­dan­tiste lui doit en effet beau­coup. Elle est ado­rée par la presse écos­saise et vili­pen­dée par celle des Anglais — qui l’a rebap­ti­sée « la femme la plus dan­ge­reuse de Grande-Bretagne » (Daily Mail). Si Sturgeon s’avance sous les pro­jec­teurs, son par­ti est avant tout le fruit d’un long tra­vail : né en 1934, ce n’est qu’en 2007, lorsqu’il rem­por­ta les élec­tions par­le­men­taires écos­saises, que le SNP, par­ti jusqu’alors mino­ri­taire et volon­tiers consi­dé­ré comme folk­lo­rique, put faire ses preuves. Sauvegarde du sys­tème de vieillesse et de l’enseignement supé­rieur, résis­tance à la pri­va­ti­sa­tion des ser­vices de l’eau ou du sys­tème de san­té (NHS), oppo­si­tion aux guerres du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique : le SNP tient bon. Manquait encore l’engouement popu­laire. « Le coup de maître d’Alex Salmond [diri­geant his­to­rique du SNP, ndlr] a été d’avoir pas­sé le flam­beau à Nicola Sturgeon », nous explique Alexandra. À nou­velle diri­geante, nou­velle poli­tique : le SNP de Sturgeon se veut plus proche des citoyens.

Porte-à-porte et créa­tion d’espaces de dis­cus­sions. Plus de 300 centres locaux du SNP voient le jour, ain­si que des « YES » cafés, un mou­ve­ment de jeu­nesse « GenerationYES », le « Collectif National de musi­ciens, artistes et écri­vains » ou encore « Femmes pour l’indépendance ». Le par­ti se veut dyna­mique, moderne, connec­té. « Les conser­va­teurs sont le par­ti des sel­fishs [des égoïstes, ndlr]. Nous sommes le par­ti des sel­fies », va même jusqu’à confier l’une de ses mili­tantes au Guardian. La presse, rem­plie des désor­mais célèbres sel­fies de Sturgeon aux côtés d’anonymes, donne à voir une for­ma­tion poli­tique jeune, acces­sible et modé­rée — mais sous l’apparente décon­trac­tion, Sturgeon n’en démord pas : « Nous pou­vons, si nous le choi­sis­sons, faire en sorte que Westminster s’assoit et prenne note. » La ville où, rap­pe­lons-le, se trouvent les Chambres des com­munes et des Lords.

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[Nicola Sturgeon (DR)]

Les deux meilleurs ennemis

Si la récente vic­toire de David Cameron est incon­tes­table, elle n’est pas confor­table pour autant. Après avoir mené cam­pagne contre le réfé­ren­dum écos­sais, le Britannique a fait de la ques­tion écos­saise le centre de son argu­men­ta­tion pour les élec­tions natio­nales : voter conser­va­teur, c’était l’assurance de blo­quer la route aux vel­léi­tés indé­pen­dan­tistes du SNP. L’ancien lea­der tra­vailliste Gordon Brown accu­sa d’ailleurs les conser­va­teurs d’avoir « mon­té les Écossais contre les Anglais ». Les élec­tions ter­mi­nées, les deux par­tis vont pour­tant devoir tra­vailler ensemble au Parlement. L’arrivée du SNP à la Chambre des com­munes change cepen­dant le jeu par­le­men­taire : si l’Écosse pos­sède son propre par­le­ment (à même de légi­fé­rer sur un cer­tain nombre de com­pé­tences décen­tra­li­sées, du trans­port à l’éducation), l’Angleterre dépend de Westminster. En votant pour des lois à Westminster, les membres indé­pen­dan­tistes pour­ront donc peser sur l’Angleterre tout entière. Situation pour le moins paradoxale.

« Le chat conser­va­teur gagne en s’attaquant à la sou­ris écos­saise, qui, de son côté, jouit de son image de vic­time de la machine conservatrice. »

Cette situa­tion conduit le Premier ministre à envi­sa­ger un rema­nie­ment de l’ordre poli­tique de l’union. Il s’agirait de ren­for­cer le pou­voir des par­le­men­taires anglais face aux écos­sais ; une loi devra être votée par la majo­ri­té de la Chambre des com­munes et par la majo­ri­té des dépu­tés anglais afin d’être approu­vée. Cette idée sonne comme un aveu de la part de David Cameron : les élec­tions n’ont rien réglé à la ques­tion écos­saise — deve­nue, à pré­sent, une ques­tion ins­ti­tu­tion­nelle. Si les ten­sions s’avèrent pro­fondes, on serait pour­tant ten­té d’y voir un jeu du chat et de la sou­ris : le chat conser­va­teur gagne en s’attaquant à la sou­ris écos­saise, qui, de son côté, jouit de son image de vic­time de la machine conser­va­trice. C’est contre l’autre, mais par l’autre, que cha­cun de ces deux mou­ve­ments par­vient à des­si­ner son iden­ti­té poli­tique et à construire sa propre image. Lorsque David Cameron pro­met la tenue d’un réfé­ren­dum sur le main­tien dans l’Union euro­péenne pour 2017, Nicola Sturgeon réplique aus­si­tôt : « Nous ne vou­lons pas être mis en dehors de l’UE, donc nous étu­die­rons ça, c’est au public de déci­der » — sous-enten­dant la tenue d’un nou­veau réfé­ren­dum sur l’indépendance en cas de sor­tie de l’UE. Meilleurs enne­mis, les affaires de l’un font les affaires de l’autre et le jeu poli­tique bat son plein.

Un séparatisme au secours de la gauche britannique ?

La gauche est morte, vive le SNP ? C’est ce que semble dire la presse inter­na­tio­nale au vu des résul­tats élec­to­raux. À l’extraordinaire per­cée du SNP (qui n’obtenait que six sièges en 2010, pour les 56 actuels) répond l’impressionnante défaite du Labour : 100 sièges, der­rière les 331 conser­va­teurs élus. Tandis que la revue amé­ri­caine Jacobin conclut sans détour à « la fin du Labour », l’économiste Tony Travers élar­git la crise au reste de l’Europe, avec son article « L’échec des gauches en Europe à répondre à la crise » (Médiapart). Quand les uns perdent pied, le SNP assume un pro­gramme de défense des ser­vices publiques et de rejet de l’austérité. La vic­toire de ce der­nier signi­fie­rait-elle la nais­sance d’une nou­velle gauche — ou, du moins, d’un renou­veau de la gauche bri­tan­nique ? Au niveau par­le­men­taire, force est de consta­ter que le SNP se trouve en posi­tion d’impulser des réformes et des lois de gauche — il pour­rait même, iro­nie du sort, deve­nir un rem­part bri­tan­nique contre les poli­tiques d’austérité qui frappent le Royaume-Uni. « Le rôle du SNP à Westminster doit être de cau­ser autant de pro­blèmes que pos­sible aux Tories [conser­va­teurs]. La prin­ci­pale oppo­si­tion reste le Labour, mais l’aide du SNP les ren­dra plus fort et leur main­tien­dra la pres­sion de gauche », nous dit à ce sujet Donnie Macleod.

Le dis­cours social, autre­fois por­té par le Labour, s’est dépla­cé vers le SNP. Bilan impla­cable pour les tra­vaillistes : lan­ce­ment de la cam­pagne du « non » au réfé­ren­dum écos­sais, alliance avec les conser­va­teurs et les libé­raux-démo­crates et main­tien du dis­cours néo­li­bé­ral d’austérité au niveau natio­nal — des réduc­tions bud­gé­taires dans la san­té et l’éducation au main­tien de la très impo­pu­laire « Bedrom Tax » (impôt sur le nombre de chambre par foyer) : tra­vaillistes et conser­va­teurs che­minent d’un même pas. Le Labour, comme le Parti socia­liste en France, s’est lui-même cou­pé de ses élec­teurs et de son ancrage popu­laire en s’intégrant, sans cil­ler, au sys­tème d’alternance unique. Si les coupes tra­vaillistes s’annoncent moins dras­tiques que celles pro­mises par les conser­va­teurs, l’original, élec­to­ra­le­ment, séduit tou­jours plus que la copie. L’absence d’une alter­na­tive poli­tique à l’austérité a géné­ré un vide poli­tique que le SNP n’a pas eu grande dif­fi­cul­té à com­bler. Traditionnellement tra­vaillistes de géné­ra­tion en géné­ra­tion, des zones entières ont rapi­de­ment viré aux cou­leurs du SNP.

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David Cameron à Giant’s Causeway (National Trust/Harrison)

Le SNP s’est mis à la tête d’un puis­sant mou­ve­ment de la socié­té civile. Par ses occu­pa­tions des places (comme à Glasgow) et la mise en avant de la par­ti­ci­pa­tion citoyenne, le par­ti rap­pelle par­fois, par ses méthodes inclu­sives, les grands mou­ve­ments citoyens d’Espagne ou de Grèce. Les cam­pagnes se font à pré­sent par les citoyens, via les tour­nées d’affichages, et en leur nom, via les réunions de quar­tier où cha­cun est appe­lé à s’exprimer. La jeu­nesse écos­saise joue ici un rôle majeur : auto­ri­sés à voter dès l’âge de seize ans, les Écossais per­çoivent dans l’indépendance un pro­jet plus ambi­tieux et sti­mu­lant que l’accablante ren­gaine aus­té­ri­taire. Pourtant, en dépit de l’image pro­gres­siste et éman­ci­pa­trice que le par­ti est par­ve­nu à se for­ger, ses diri­geants veillent à ne pas divi­ser les Écossais ; deux idées doivent à leurs yeux pré­do­mi­ner : la nation écos­saise a voca­tion à se doter de son propre État et l’unité natio­nale sup­plante la divi­sion sociale. Discours non sans ambi­guï­tés, on l’imagine bien. La nation et non la lutte des classes : le SNP serait « de gauche » du bout des lèvres, « de gauche » tant la gauche ins­ti­tu­tion­nelle aime désor­mais à pen­ser à droite (une gauche écos­saise sans vision mar­xiste ni pers­pec­tive nette de remise en cause de la répar­ti­tion des richesses). De ce point de vue, le SNP se dif­fé­ren­cie radi­ca­le­ment des mou­ve­ments sociaux comme Podemos et, plus encore, Syriza. Le pro­blème se situe à l’extérieur de la nation — Westminster — et non en son sein, comme la caste vive­ment dénon­cée par l’organisation espagnole.

« Le Labour, comme le Parti socia­liste en France, s’est lui-même cou­pé de ses élec­teurs et de son ancrage popu­laire en s’intégrant, sans cil­ler, au sys­tème d’alternance unique. »

Mais l’indépendantisme écos­sais demeure un mou­ve­ment ample et hété­ro­gène, qui, quoique ras­sem­blé sous la ban­nière du SNP, peut se dis­tin­guer de la ligne de ses lea­ders. Dans le cadre du réfé­ren­dum comme des der­nières élec­tions, le mou­ve­ment de gauche radi­cale Radical Independence fut un élé­ment incon­tour­nable de la cam­pagne. Animant les actions de proxi­mi­té et les réunions de quar­tier, il tend à tirer le SNP sur sa gauche. Un rap­port de force entre le mou­ve­ment radi­cal et le par­ti (ou, plu­tôt, sa direc­tion) s’est enga­gé — les élec­tions par­le­men­taires écos­saises de 2016 main­tiennent plus encore la pres­sion. Une chose est sûre, la vic­toire du mou­ve­ment indé­pen­dan­tiste a enclen­ché un nou­veau temps poli­tique en Grande-Bretagne. L’Écosse a ôté ses chaînes : bien­tôt son entière libé­ra­tion ? Les pro­chains scru­tins écos­sais et le réfé­ren­dum sur la pré­sence bri­tan­nique dans l’UE vien­dront cer­tai­ne­ment y répondre.


  1. « A Scottish Watershed », New Left Review, sep­tembre-octobre 2014.[]

REBONDS

☰ Lire notre série « Que pense Podemos ? », Alexis Gales, avril 2015

Arthur Brault Moreau

Membre du syndicat Solidaires et militant gay.

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