En Inde, le combat des Adivasis pour la forêt


Traduction d’un article paru dans The Funambulist

Jacinta Kerketta appar­tient à la com­mu­nau­té Oraon Adivasi du Jharkhand. Elle est poète, écri­vain et jour­na­liste indé­pen­dante. Elle a publié trois recueils de poé­sie, dont Angor, tra­duit en fran­çais en 2016. Dans ce texte, publié dans la revue The Funambulist et que nous tra­dui­sons, elle met en lumière les luttes poli­tiques des com­mu­nau­tés Adivasi en Inde, qui se battent depuis des décen­nies contre la répres­sion éta­tique et l’extractivisme. Avec le vol de leurs rivières, de leurs forêts et de leurs terres, les Adivasis voient leur exis­tence même mena­cée d’effacement et s’appuient sur la sagesse de leurs ancêtres, la force de leurs mon­tagnes et leur atta­che­ment à la vie pour orga­ni­ser une puis­sante résis­tance.


भागते हुए छोड़कर अपना घर
पुआल मिट्टी और खपरे 
पूछते हैं अक्सर 
ओ शहर !
क्या तुम कभी उजड़ते हो
किसी विकास के नाम पर ?
(अंगोर, २०१६) 
Ils ont quitté leur maison,
Leur ferme, leur paille, pour l’exode
Et demandent encore et encore :
« Ô ville !
T’arrive-t-il jamais d’être arrachée à toi
Au nom d’un prétendu progrès ? »
(Angor, Banyan, 2016)

L’Inde compte plus de 120 mil­lions d’Adivasis. Le terme Adivasi désigne ceux qui vivent depuis la nuit des temps, ceux qui sont les pre­miers habi­tants de cette terre. Notre vie ne peut s’imaginer sans les forêts. Elles sont syno­nymes de diver­si­té, c’est pour­quoi les Adivasis qui les res­pectent cultivent éga­le­ment une valo­ri­sa­tion de cette même diver­si­té. Lorsqu’une forêt est déra­ci­née, c’est tout le monde de la vie des Adivasis qui est déra­ci­né. Autour de nous, de nom­breuses per­sonnes parlent de pré­ser­ver les forêts, mais aucune part de leur exis­tence n’est liée à ces éco­sys­tèmes natu­rels. Ils veulent pro­té­ger les forêts, mais ne pensent pas à ceux dont la vie en dépend et qui par­tagent une pro­fonde rela­tion avec elles. Ils ne veulent pas non plus que leur mode de vie change. Parler de la pré­ser­va­tion des forêts et avoir son exis­tence liée à elles sont deux choses dif­fé­rentes. Les Adivasis ont façon­né chaque aspect de leur vie en fonc­tion des forêts ; nous véné­rons la nature, nos dieux et déesses habitent la forêt, tout comme nous. Nos rituels et nos fêtes sont éga­le­ment liés aux forêts, où nous entre­te­nons, ensemble, une rela­tion aus­si intime et sûre qu’au sein d’une famille. C’est cette pers­pec­tive qui nous dis­tingue de ceux qui sont sépa­rés de la nature, et qui informe notre vision du monde naturel.

Supporter la colonisation interne

Pendant long­temps, avant l’indépendance de la nation indienne, les Adivasis ont lut­té pour leur auto­no­mie contre les pro­prié­taires ter­riens, les bailleurs de fonds et les Britanniques. Leur mou­ve­ment a com­men­cé bien avant le début de la lutte des natio­na­listes indiens pour l’indépendance — un aspect de l’histoire qui est encore trop peu explo­ré. Même après l’indépendance, les Adivasis ont conti­nué à lut­ter contre le gou­ver­ne­ment de leur propre nation. Et au nom du déve­lop­pe­ment de celle-ci, nous avons été for­cés d’endurer la dou­leur cui­sante du dépla­ce­ment per­pé­tuel et de la migra­tion. Il existe deux grands par­tis dans le pays : le Congrès et le Bharatiya Janata Party (BJP). Sous leur règne, le déve­lop­pe­ment a été uti­li­sé comme cou­ver­ture pour l’acquisition for­cée de terres et de forêts appar­te­nant aux Adivasis.

« Il existe deux grands par­tis dans le pays : le Congrès et le Bharatiya Janata Party (BJP). Sous leur règne, le déve­lop­pe­ment a été uti­li­sé comme cou­ver­ture pour l’acquisition for­cée de terres et de forêts appar­te­nant aux Adivasis. »

Les maoïstes rendent la lutte des autoch­tones plus dif­fi­cile car il est aisé pour l’État d’incarcérer les Adivasis en les qua­li­fiant de com­bat­tants maoïstes. Appelés loca­le­ment « naxa­lites », les maoïstes, après une rébel­lion armée contre l’État indien dans le vil­lage de Naxalbari au Bengale occi­den­tal en 1967, ont dû se cacher dans les forêts, où ils ont éga­le­ment dif­fu­sé leurs idées par­mi les peuples indi­gènes. Cependant, bien avant l’apparition du maoïsme dans les régions adi­va­sis, nous avions nos propres méthodes d’organisation, de résis­tance et de lutte. Au nom de la lutte contre le maoïsme, l’État a éta­bli des centres de police dans les vil­lages adi­va­sis, et ce pay­sage mili­ta­ri­sé a ren­du la vie des Adivasis encore plus dif­fi­cile, un véri­table enfer quo­ti­dien. Nos forêts ont été occu­pées par des uni­tés de la Central Reserve Police Force (CRPF), dont les sol­dats violent nos femmes et brûlent nos mai­sons. Nous sommes fouillés et contrô­lés avant d’entrer dans nos forêts et nos vil­lages, et nous ne sommes pas auto­ri­sés à aller et venir libre­ment. Cette situa­tion nous prive de notre liber­té, jusqu’à l’intérieur des forêts. Souvent, de nom­breuses luttes indi­gènes non vio­lentes sont qua­li­fiées de vio­lentes, et des Adivasis inno­cents sont empri­son­nés en voyant bran­dis contre eux l’étiquette de « maoïsme ». Des per­sonnes appar­te­nant à dif­fé­rentes reli­gions se sont éga­le­ment enga­gées dans un bras de fer avec les Adivasis, mena­çant ain­si notre langue et notre culture, et pous­sant notre iden­ti­té, telle qu’elle est défi­nie par les forêts, vers l’effacement.

Pourquoi pointe-t-on les canons sur les forêts et les montagnes ?

Il y a quelques années, pour s’opposer à la mul­ti­pli­ca­tion des camps de police dans leur voi­si­nage, les Adivasis Munda du Jharkhand1 ont gra­vé sur la pierre cer­tains articles de la consti­tu­tion indienne qui traitent des droits consti­tu­tion­nels des Adivasis, ce qui a mar­qué le début du mou­ve­ment Pathalgadi. À l’époque, le Jharkhand était gou­ver­né par le BJP, qui a qua­li­fié le mou­ve­ment comme étant ins­pi­ré par les maoïstes et a por­té des accu­sa­tions contre plu­sieurs vil­la­geois. Dans les vil­lages des Munda Adivasis, de nou­veaux camps de police ont vu le jour.

[Constitution de l’Inde à l’entrée d’un village Adivasi | Niraj Sinha, The Wire]

Dans plu­sieurs régions adi­va­si, le gram sabha (assem­blée vil­la­geoise) a été ren­for­cé dans le cadre de la loi de 1996 sur l’extension des pan­chayats aux zones réper­to­riées (Panchayats Extension to Scheduled Areas, PESA). Toutefois, en rai­son de leur manque de pré­sence sur le ter­rain, ils n’ont pas été en mesure de fonc­tion­ner effi­ca­ce­ment. La loi PESA de 1996 sti­pule que l’eau, la forêt, la terre et les miné­raux sont les res­sources natu­relles qui sont désor­mais contrô­lées par les vil­la­geois. Elle indique en outre que, sans l’autorisation du gram sabha, per­sonne ne peut inter­fé­rer avec ces res­sources qui appar­tiennent exclu­si­ve­ment à ces vil­lages et aucune entre­prise n’est auto­ri­sée à exploi­ter des mines dans la région sans leur per­mis­sion. Mais les gou­ver­ne­ments eux-mêmes tentent d’affaiblir cette légis­la­tion et les entre­prises demandent l’autorisation des fausses auto­ri­tés du gram sabha pour lan­cer les opé­ra­tions minières. Cette situa­tion a conduit, dans plu­sieurs régions du pays, à une résis­tance inter­mi­nable, qui s’étend sur plu­sieurs décen­nies. Les Adivasis remettent en ques­tion leur propre gou­ver­ne­ment et demandent pour­quoi des armes sont poin­tées vers leurs forêts et leurs montagnes.

Depuis vingt ans, les habi­tants des monts Deomali, dans le dis­trict de Koraput (Odisha2), résistent à l’exploitation de la bauxite dans leurs mon­tagnes. Les forêts sont la force et la nour­ri­ture des Adivasis, en par­ti­cu­lier des femmes : elles nous per­mettent de deve­nir auto­nomes. La vie des gens est pro­fon­dé­ment liée aux forêts : notre culture, notre langue, nos rituels, nos fêtes, notre foi, tout est lié. Chaque déra­ci­ne­ment signi­fie la fin de tout pour ces com­mu­nau­tés. Déplacés de leurs mai­sons et dis­per­sés dans d’autres par­ties du pays, les Adivasis ne sont même pas appe­lés Adivasis parce que le registre des droits sur nos terres (land’s records of rights) devient la base pour obte­nir un cer­ti­fi­cat de caste pour l’éducation de nos enfants. C’est pour­quoi la mort d’une forêt efface non seule­ment l’identité, mais l’existence même des Adivasis.

À Chhattisgarh, un combat en cours pour protéger la forêt Hasdeo

« la mort d’une forêt efface non seule­ment l’identité, mais l’existence même des Adivasis. »

Dans le Chhattisgarh3, les habi­tants luttent depuis long­temps pour pré­ser­ver Hasdeo Aranya, une vaste forêt de Sal. Le Sal est consi­dé­ré comme un arbre sacré pour les Adivasis. Sans lui, aucune célé­bra­tion, aucune fête, aucune céré­mo­nie de mariage ne peut être com­plète. Il s’agit d’un arbre extra­or­di­naire qui ne peut pas être culti­vé en plan­tant sim­ple­ment un jeune arbuste. Les Sal poussent d’eux-mêmes : lorsque leurs graines tombent, les pluies donnent nais­sance à un mil­lier d’arbres et une nou­velle forêt prend vie. Une fois détruites, il est presque impos­sible que les forêts de Sal repoussent — peut-il y avoir une alter­na­tive à des mil­liers d’années d’un monde de vie ? Dans l’immensité de cette forêt de Sal, les com­mu­nau­tés Gond, Kanwar, Binjhwar et Oraon Adivasi pros­pèrent. Cette forêt qui s’étend sur 170 000 hec­tares est répu­tée pour sa bio­di­ver­si­té et abrite aus­si bien des élé­phants que des humains. C’est la forêt la plus riche du centre de l’Inde. Elle est reliée aux parcs natio­naux du Madhya Pradesh4 et du Jharkhand. À la demande de la Cour suprême de l’Inde, le Wildlife Institute of India a réa­li­sé l’année der­nière une étude qui a conclu que si une seule nou­velle mine de char­bon était approu­vée à Hasdeo Aranya, cela per­tur­be­rait la déli­cate rela­tion entre les élé­phants et les humains, aggra­vant ain­si les conflits entre eux.

En 2010, un comi­té conjoint du minis­tère du char­bon et du minis­tère de l’environnement, des forêts et du chan­ge­ment cli­ma­tique a décla­ré Hasdeo Aranya « No-Go Zone » compte tenu de la bio­di­ver­si­té remar­qua­ble­ment riche et de la sen­si­bi­li­té éco­lo­gique de la forêt, inter­di­sant tout type de pro­jet minier dans la région. C’était le seul gise­ment de char­bon en Inde dont l’accès était tota­le­ment inter­dit. Cependant, en l’espace d’un an, cédant à la pres­sion des entre­prises, le comi­té consul­ta­tif sur les forêts a approu­vé un pro­jet d’extraction de char­bon, à Parsa East et Kete Basan, dans la région. Bien que le National Green Tribunal en ait annu­lé l’approbation en 2014, la Cour suprême a ordon­né la pour­suite du pro­jet d’exploitation minière tout en exi­geant un rap­port sur les effets néfastes de cette exploi­ta­tion sur Hasdeo Aranya. Tant que celui-ci n’a pas été remis, les tra­vaux miniers peuvent conti­nuer et, aujourd’hui, le dos­sier est encore en sus­pens. Entre-temps, en 2014, la Cour suprême a décla­ré illé­gales 204 mines de char­bon attri­buées dans tout le pays, dont 42 mines de char­bon dans le Chhattisgarh. Le pro­ces­sus de vente aux enchères et d’attribution des mines de char­bon a recom­men­cé dans toute l’Inde, mais la situa­tion à Parsa East et Kete Basan est res­tée inchan­gée : les tra­vaux miniers se sont pour­sui­vis sans relâche.

[Destruction de la forêt Hasdeo à Chhattisgarh | Alok Putul]

Pendant ce temps, sept mines de char­bon ont été approu­vées l’une après l’autre à Hasdeo Aranya, dans une indif­fé­rence froide face au mou­ve­ment mené par les Adivasis pour sau­ver leurs forêts, mou­ve­ment qui dure depuis plus d’une décen­nie. L’approbation finale des mines de char­bon de Parsa et Kete Extension, adja­centes à Parsa East et Kete Basan, a été don­née l’année der­nière par le gou­ver­ne­ment du Congrès, dont les prin­ci­paux diri­geants avaient pro­mis de sou­te­nir les Adivasis de Hasdeo Aranya avant les élec­tions. Plus de 700 000 arbres seront abat­tus dans ces deux mines.

Les Adivasis, qui tiennent un dhar­na (sit-in) indé­fi­ni à Hasdeo Aranya depuis l’année der­nière, affirment qu’il s’agit d’une zone de la cin­quième liste, où l’approbation du gram sabha est néces­saire en ver­tu de la loi PESA de 1996, mais que de faux docu­ments du gram sabha ont été uti­li­sés pour obte­nir l’autorisation d’exploiter ces mines de char­bon. En outre, aujourd’hui encore, un grand nombre de per­sonnes vivant dans ces zones se sont vu refu­ser la recon­nais­sance de leurs droits fores­tiers, tels qu’ils sont garan­tis par la loi de 2006 sur la recon­nais­sance des droits fores­tiers des tri­bus réper­to­riées et des autres habi­tants tra­di­tion­nels des forêts (Forest Rights Act). Les terres de dizaines d’Adivasis qui sont accor­dées en ver­tu des droits fores­tiers indi­vi­duels ont été ache­tées illé­ga­le­ment. En 2013, le gou­ver­ne­ment mené par le par­ti du Congrès a mis en œuvre la loi sur le droit à une indem­ni­sa­tion équi­table et à la trans­pa­rence en matière d’acquisition, de réha­bi­li­ta­tion et de réins­tal­la­tion des terres dans l’ensemble du pays. Mais au Chhattisgarh, le gou­ver­ne­ment issu de ce même par­ti est désor­mais occu­pé à acqué­rir des terres pour les mines de char­bon sous cou­vert de la loi de 1957 sur l’acquisition et le déve­lop­pe­ment des zones houillères.

La foi des Adivasis se trouve dans les forêts et les montagnes

« Génération après géné­ra­tion, les ins­ti­tu­tions et la foi des Adivasis dépendent tou­jours des forêts et des montagnes. »

Génération après géné­ra­tion, les ins­ti­tu­tions et la foi des Adivasis dépendent tou­jours des forêts et des mon­tagnes. Dans le Chhattisgarh, les Adivasis Gond croient que les âmes de leurs ancêtres résident dans ces milieux. La socié­té Gond Adivasi pos­sède un sys­tème de naar très fort, que l’on peut éga­le­ment appe­ler sys­tème de vil­lage. Les gens croient que dans les limites d’un vil­lage, les mon­tagnes, les rivières, les étangs, les chutes d’eau, les res­sources en eau douce, les champs, etc. sont tous sou­te­nus par les forces de la nature. On dit que le vil­lage tout entier fonc­tionne grâce aux éner­gies jumelles de ses femmes et de ses hommes, qui com­prennent sept éner­gies appar­te­nant aux pre­mières et dix aux seconds, tan­dis que cinq sont des peyn, qui se réfèrent aux âmes des ancêtres. Toutes ces éner­gies dis­posent d’un espace dis­tinct au sein du vil­lage et, de temps à autre, les habi­tants se rendent dans ces espaces et vénèrent ces éner­gies. Dans le sys­tème naar, tout est lié et la perte de l’un aura inévi­ta­ble­ment un impact sur l’autre. Par exemple, la dis­pa­ri­tion des mon­tagnes signi­fie que le pou­voir des pluies s’affaiblit ; si la rivière s’assèche, le mode de vie des habi­tants se res­treint également.

Dans la socié­té Gond Adivasi, les gens sont très atten­tifs aux signes de la nature. Par exemple, avant de creu­ser un puits ou un étang, ils parlent à la forêt et à la terre et attendent des signes de la nature. Ils essaient d’évaluer s’ils ont sa per­mis­sion. Ils ont leur propre façon d’évaluer les eaux sou­ter­raines : ils se pro­mènent avec un bâton en bam­bou, et là où il bouge le plus vite, ils trouvent le niveau d’eau le plus éle­vé. Les gens consi­dèrent ces forêts et ces mon­tagnes comme leur famille et en prennent soin avec le même sen­ti­ment d’intimité.

[Des femmes adivasi manifestent pour protéger la forêt de Hasdeo | Aranya Bachao Sangharsh Samiti]

Les forêts et la vie, seul livre sacré pour les Adivasis

Le livre sacré des Adivasis est le livre des forêts et de la vie. Nous le lisons en le vivant, et cette lec­ture com­mence par les forêts, par la lec­ture de la nature elle-même. Nous nous situons au-delà des notions de péché et de ver­tu, de para­dis et d’enfer. Nous avons beau­coup de ques­tions : sur les mys­tères de cette terre, sur la vie et la mort, sur l’univers, sur le voyage dans l’au-delà, sur notre exis­tence. Nous trou­vons nos réponses dans la vie, les forêts et la nature. Ce sont ceux qui croient aux écri­tures de la vie et de la nature qui s’appellent eux-mêmes « Adivasi ». Sans com­prendre ceux qui ont une rela­tion si forte avec la forêt, le déve­lop­pe­ment de la soi-disant « socié­té civi­li­sée » n’a ces­sé de les expul­ser de leurs propres rivières, forêts et terres.

Le Dr Ram Dayal Munda, émi­nent intel­lec­tuel, diri­geant et tra­vailleur cultu­rel du Jharkhand, avait l’habitude de dire : « Je naa­chi se baa­chi« . Cela signi­fie que la socié­té qui ne peut pas se syn­chro­ni­ser avec le rythme de la terre ne peut pas sur­vivre sur cette terre. C’est pour­quoi il est cru­cial pour notre socié­té de suivre la cadence de la terre, de mar­cher, de dan­ser avec son pouls. Lorsque nous par­cou­rons les récits ori­gi­nels des Munda Adivasis du Jharkhand, nous consta­tons que le Créateur tra­vaille en inter­ro­geant encore et encore les humains, qu’il est atten­tif à leurs sug­ges­tions et qu’il tient compte de leurs opi­nions. Leur rela­tion n’est pas fon­dée sur une dyna­mique de pou­voir entre supé­rieurs et inférieurs.

Quand l’arrogance du Soleil a pris fin, la Terre est née

« Il faut l’anéantissement com­plet de l’arrogance et du com­plexe de supé­rio­ri­té pour que naisse un monde coexis­tant dans l’harmonie. »

Dans l’Arunachal Pradesh, il existe la com­mu­nau­té Tani Adivasi. L’écrivain Joram Yalam Nabam a com­pi­lé des his­toires Tani. Il explique que dans ces contes, l’histoire ori­gi­nelle relate qu’auparavant, le Soleil était rem­pli d’arrogance. C’est pour­quoi il était sans cesse consu­mé par son propre orgueil. C’est lorsque son arro­gance s’est éteinte que la Terre est deve­nue habi­table pour tous. Il faut l’anéantissement com­plet de l’arrogance et du com­plexe de supé­rio­ri­té pour que naisse un monde coexis­tant dans l’harmonie. Aujourd’hui, afin d’assurer la sur­vie de la nature et des humains, il est néces­saire que l’arrogance des humains s’éteigne éga­le­ment. Le com­plexe de supé­rio­ri­té doit s’effondrer afin que soit construite une rela­tion har­mo­nieuse entre la nature et les humains. Il ne s’agit pas de simples prin­cipes adi­va­si, mais plu­tôt d’une phi­lo­so­phie de vie.

Désormais, la socié­té dite civi­li­sée et les humains se consi­dèrent comme supé­rieurs et, ivres de leurs struc­tures et de leur orgueil, ils en sont arri­vés à se brû­ler et se détruire eux-mêmes. Partout dans le monde, on se pré­oc­cupe du chan­ge­ment cli­ma­tique ; des confé­rences, des débats et des conver­sa­tions se déroulent par­tout. Autant d’événements orga­ni­sés par ceux-là mêmes qui ont joué un rôle dans la des­truc­tion de la nature, dans le dépla­ce­ment glo­bal des popu­la­tions et l’augmentation des migra­tions — eux qui, jus­te­ment, ne veulent appor­ter aucun chan­ge­ment à leur mode de vie. Et c’est là, aus­si, que les voix des per­sonnes en contact direct avec la nature et dont l’existence est liée à celle-ci ne sont pas enten­dues, ne sont pas prises en compte. Aujourd’hui, plus que jamais, il est impor­tant que nous écou­tions ceux qui sont reliés aux forêts à tra­vers le monde, que nous appre­nions à écou­ter les forêts elles-mêmes.

वे हमारे सभ्य होने के इंतज़ार में हैं
और हम उनके मनुष्य होने के. 
(ईश्वर और बाज़ार, २०२२)
Ils attendent que nous devenions civilisés
et nous attendons qu’ils se transforment en humains.
(Ishwar aur Bazar, 2022)

Article tra­duit de l’hindi en anglais par Shivangi Mariam Raj et tra­duit de l’anglais par la rédac­tion de Ballast | Jacinta Kerketta, « Jal-Jangal-Jameen : Adivasis in India fight to pro­tect their exis­tence and forests », The Funambulist, n° 47, mai-juin 2023
Illustration de ban­nière : Mettle30

  1. État situé au nord-est de l’Inde [ndlr].[]
  2. État côtier situé à l’est de l’Inde [ndlr].[]
  3. État voi­sin de l’Odisha, situé au centre de l’Inde [ndlr].[]
  4. État voi­sin du Chhattisgarh qui couvre le centre de l’Inde [nldr].[]

REBONDS

☰ Lire notre article « L’Inde sous la menace de l’hindouisme poli­tique », Siyad Sayid, mai 2019 
☰ Lire notre entre­tien avec Vandana Shiva : « Gandhi est plus per­ti­nent qu’il ne l’a jamais été », février 2017


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