Former à l’action non-violente


Texte inédit pour le site de Ballast

Les forces de contes­ta­tion sociale ont du pain sur la planche pour les cinq pro­chaines années. Face à elles, comme de juste, des forces de l’ordre rom­pues à la répres­sion. Des mili­tants, depuis long­temps déjà, réflé­chissent à des parades : com­ment s’opposer sans don­ner ni rendre les coups ? De l’Inde colo­ni­sée aux États-Unis de la ségré­ga­tion, la pra­tique de la déso­béis­sance civile a ses faits d’armes1 ; en France, le col­lec­tif des Désobéissants compte au nombre de ses par­ti­sans — repor­tage, le temps d’une jour­née de for­ma­tion. Par Amélie Boutet


Le col­lec­tif des Désobéissants pro­pose depuis onze ans des stages où des citoyens viennent s’initier à l’action directe non-vio­lente et à la déso­béis­sance civile. Nous avons sui­vi une for­ma­tion orga­ni­sée par le mou­ve­ment alter­mon­dia­liste fran­çais, à L’Attribut de Draveil, dans l’Essonne, pour apprendre à orga­ni­ser des actions visant à défendre des droits sociaux ou l’avenir de la pla­nète, pour appré­hen­der son rap­port à la police, à la jus­tice, aux médias et à la non-vio­lence. Dans un jar­din encom­bré de chaises mul­ti­co­lores, avec un pou­lailler et des des­sins aux murs qui s’effritent par pans entiers, deux groupes s’affrontent. Gilets fluo­res­cents pour les uns, bras levés pour les autres, ils veillent à évi­ter tout mou­ve­ment brusque. Le slo­gan « OGM, on n’en veut pas ! » résonne avec exal­ta­tion, tan­dis que des mili­tants hilares tentent de for­cer le bar­rage de « poli­ciers ». Le for­ma­teur, qui prend part à l’action en tant que « jour­na­liste », range sa camé­ra ima­gi­naire et met fin au jeu de rôle. « Il faut fran­chir le bar­rage en don­nant une bonne image de vous. Si la dis­cus­sion ne suf­fit pas, je vais vous mon­trer une tech­nique pour évi­ter la méthode fron­tale avec les poli­ciers. Il faut vous lais­ser tom­ber sur eux pour per­mettre à vos cama­rades de pas­ser. » Certains mili­tants pâlissent. « Et s’ils ont des bou­cliers et qu’ils ne nous rat­trapent pas ? » Le for­ma­teur explique : « Cette méthode ne fonc­tionne qu’avec des poli­ciers de cam­pagne, bien évi­dem­ment ».

« L’utopie n’est pas l’irréalisable, mais l’irréalisé »

Ils sont une ving­taine à par­ti­ci­per à cette jour­née. La cita­tion de l’explorateur et huma­niste Théodore Monod, écrite sur un pan­neau sus­pen­du entre deux branches, résume leurs ambi­tions : « L’utopie n’est pas l’irréalisable, mais l’irréalisé. » De nom­breux par­ti­ci­pants entendent pro­tes­ter de manière auto­ri­sée et inof­fen­sive pour se réap­pro­prier l’espace poli­tique. Ils sont déjà mili­tants pour dif­fé­rentes causes : anti­cor­rup­tion, ani­ma­liste, fémi­niste… Rémi Filliau, membre du col­lec­tif, dirige la for­ma­tion à prix libre : une par­ti­ci­pa­tion de 20 euros est sug­gé­rée afin de cou­vrir les frais du repas végé­ta­rien pré­vu le midi et de payer les avo­cats du mou­ve­ment lorsque ses membres passent devant les tri­bu­naux pour avoir, par exemple, fau­ché un champ d’OGM. Après avoir fait connais­sance avec les par­ti­ci­pants, qui veulent « connaître les risques sur le plan juri­dique » et amé­lio­rer « leurs tech­niques de résis­tance non-vio­lente », Rémi pro­pose un pre­mier exer­cice. À quatre endroits du jar­din, il dis­pose les écri­teaux « violent », « non violent », « je ferais », « je ne ferais pas ». Les acti­vistes sont invi­tés à se posi­tion­ner dans l’espace durant les mises en situa­tion. « Faucher un champ d’OGM la nuit en se mas­quant et en par­tant avant que la police arrive : le feriez-vous ? « Je trouve ça violent, dans la mesure où y a un pré­ju­dice éco­no­mique pour l’agriculteur », avance un mili­tant. Certains font la moue, d’autres se repo­si­tionnent dans l’espace afin d’argumenter à leur tour. « Je le ferais sans hési­ter ; la vio­lence est de leur côté puisqu’ils mettent en dan­ger la san­té publique. Par contre, mas­quer mon visage et par­tir comme un délin­quant, c’est hors de ques­tion ! » Entre ceux qui ont par­ti­ci­pé aux cor­tèges et aux assem­blées de Nuit Debout, assu­mant par­fois la confron­ta­tion directe sous l’état d’urgence, et les non-vio­lents, la ques­tion de la cagoule fait débat. Rémi tente de convaincre, en expli­quant que les condam­na­tions sont moins fortes pour des luttes à visage découvert.

Ce que désobéir veut dire

« Ces actions paci­fiques, qui consistent à ne pas se sou­mettre à une loi pour des motifs poli­tiques ou idéo­lo­giques, s’inscrivent dans une longue tra­di­tion de révol­tés adeptes de pra­tiques non-violentes. »

Ces actions paci­fiques, qui consistent à ne pas se sou­mettre à une loi pour des motifs poli­tiques ou idéo­lo­giques, s’inscrivent dans une longue tra­di­tion de révol­tés adeptes de pra­tiques non-vio­lentes. Depuis Thoreau et son essai fon­da­teur La Désobéissance civile (1849), en pas­sant par Gandhi, Martin Luther King et l’icône de la résis­tance bir­mane Aung Sang Suu Kyi, cette contes­ta­tion sociale se per­pé­tue et conduit à l’adoption de la non-vio­lence comme moyen de résoudre les pro­blèmes d’ordre natio­nal et inter­na­tio­nal. Le réseau des Désobéissants, fon­dé en 2006, s’implique lorsque les mili­tants consi­dèrent avoir épui­sé les voies tra­di­tion­nelles d’expression — telles les élec­tions, les péti­tions, les mani­fes­ta­tions ou les grèves. Ils théâ­tra­lisent leurs luttes afin de frap­per les esprits : mes­sages à la craie deman­dant le désar­me­ment nucléaire, fau­chage de chaises dans les agences ban­caires pour pro­tes­ter contre l’évasion fis­cale, clowns acti­vistes orga­ni­sant des hap­pe­nings dans les super­mar­chés, etc. Partant du prin­cipe qu’une socié­té juste ne peut s’accommoder de l’asservissement des êtres, le col­lec­tif des Désobéissants reven­dique dans son « Manifeste » une dyna­mique alter­mon­dia­liste et l’action directe afin de rendre « pos­sible la trans­for­ma­tion radi­cale de notre socié­té, et de ce fait notre sur­vie à tous dans un monde rede­ve­nu vivable ».

Tortue, petit train et poids mort

Les ate­liers reprennent après la pause déjeu­ner. « Une fois que vous avez eu recours à tous les moyens légaux (pétitions, demandes de ren­dez-vous avec un ministre, etc.), vous pou­vez ten­ter une action plus déso­béis­sante », lance Rémi. Les mili­tants révisent alors la métho­do­lo­gie d’une action : repé­rage, iden­ti­fi­ca­tion de ses adver­saires, de ses alliés, éla­bo­ra­tion d’un scé­na­rio, recru­te­ment, pré­pa­ra­tion des ban­de­roles et t-shirts, com­mu­ni­ca­tion au sein du col­lec­tif, avec les médias… S’ensuit un point sur les droits et les devoirs de l’activiste en inter­ro­ga­toire et garde à vue. « La véri­fi­ca­tion d’identité peut durer 4 heures. Moins vous en dites, mieux ce sera. Vous n’avez aucun inté­rêt à répondre aux ques­tions, ce sera for­cé­ment rete­nu contre vous. Après le contrôle d’identité, votre meilleure stra­té­gie est de répondre Je n’ai rien à décla­rer et de ne pas accep­ter les com­pa­ru­tions immé­diates. » Au pro­gramme des der­niers ate­liers pra­tiques, la tor­tue. En arc de cercle, cinq acti­vistes sont entre­la­cés et recro­que­villés pour com­pli­quer l’intervention des forces de l’ordre. « Cette tech­nique de résis­tance donne une image non vio­lente », explique Rémi. « Jambe gauche sous jambe droite. Hanche contre hanche. On ne doit plus voir vos bras ! Maintenant, vous devez déci­der d’un mot de passe, comme ça vous com­pren­drez si un mili­tant souffre et sou­haite s’extraire du groupe ! », pour­suit-il. Lorsque les acti­vistes se font délo­ger par ceux qui jouent les poli­ciers incon­grus, ils se laissent traî­ner sur le sol ter­reux en se fai­sant les plus lourds pos­sible. Dans le même genre, le petit train consiste à s’asseoir les uns der­rière les autres et le poids mort per­met d’expérimenter la tech­nique de l’anguille, où l’on se laisse tom­ber au sol et roule sur le côté. Avant de quit­ter les mili­tants et lorsque les applau­dis­se­ments se taisent, Rémi les invite à s’inscrire sur une liste pour que cha­cun soit tenu infor­mé des actions des Désobéissants. Les ami­tiés qui se sont consti­tuées durant la for­ma­tion per­met­tront de réac­ti­ver ces réseaux le jour venu, pour don­ner l’énergie et la puis­sance d’agir.


  1. Voir, à ce sujet, notre dos­sier « Et la vio­lence, dans tout ça ? » dans notre cin­quième numé­ro papier, avec Serge Quadruppani et Jean-Marie Muller.[]

REBONDS

☰ Lire notre article « Albert Camus et Miguel Benasayag, regards croi­sés », Rémi Larue, mars 2017
☰ Lire notre entre­tien avec Issa Bidard : « Un jeune de Neuilly ne va jamais cou­rir s’il est contrô­lé », mars 2017
☰ Lire notre entre­tien avec Mathieu Rigouste : « Les vio­lences de la police n’ont rien d’accidentel », février 2017
☰ Lire notre article « Trump — Ne pleu­rez pas, orga­ni­sez-vous ! », Richard Greeman, novembre 2016
☰ Lire notre entre­tien avec Manuel Cervera-Marzal : « Travail manuel et réflexion vont de pair », mars 2016
☰ Lire notre article « Thoreau, der­rière la légende », Émile Carme, novembre 2015
☰ Lire l’article « Luther King : plus radi­cal qu’on ne le croit ? », Thomas J. Sugrue (tra­duc­tion), février 2015

Amélie Boutet

Fondatrice du webmagazine « Le Castor ».

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