Entretien inédit pour le site de Ballast
La satire a bien souvent dénoncé, de Lucilius à Coluche, les prétentions et les bassesses des forces politiques en place. La légèreté n’est pas l’ennemie du sérieux ; la parole humoristique peut, aiguisée, viser ou accompagner la prise de conscience transformatrice. Guillaume Meurice officie, tous les jours, dans l’émission radiophonique « Si tu écoutes, j’annule tout », entre billet d’humeur et micro-trottoir tirant à l’absurde : au gré de l’actualité, il balade son micro, d’illustres en inconnus, moqueur ou caustique. Sympathisant écologiste, cartésien et récent parrain d’un taureau rescapé de la corrida, il n’entend pour autant pas compter au nombre des « militants » : « Choisir un camp, c’est s’y enfermer. » Meurice aspire à être, à son niveau, le changement qu’il souhaite voir dans le monde — on en discute.
On a vu l’an dernier Daniel Mermet remercié de France Inter et, plus récemment, Aude Lancelin virée de L’Obs pour des raisons politiques. Avez-vous déjà été inquiété pour avoir tenu un discours « trop à gauche » ou restez-vous dans le cadre du « politiquement acceptable » ?
Je n’ai jamais été inquiété pour avoir tenu un discours « trop à gauche ». Si ça devait arriver, je réserve l’exclusivité du scoop à Ballast ! Mais qu’est-ce qu’un discours « trop à gauche » ? Tout ça est très relatif. Dans une France où un Premier ministre socialiste ferait passer Georges Bush pour Bakounine, les repères sont quelques peu chamboulés. De la même manière, je ne saurais pas bien définir ce qu’est un discours « politiquement acceptable ». Je peux juste vous assurer que ma seule condition pour travailler dans un média est celle de pouvoir dire ce que je veux. Si elle n’est pas garantie, je préfère partir. Lorsque que l’émission de Canal +, La Nouvelle Édition, a refusé de diffuser dans ma chronique un dessin de Charb, une semaine après l’attentat de Charlie Hebdo, je suis parti. Aujourd’hui, sur cette chaîne, les choses ont bien évolué car ils ont confié la liberté d’expression à Vincent Bolloré. Ce qui, dans le classement des meilleures idées du monde, se situe juste avant « confier la gestion d’une crèche à Michel Fourniret » ou « confier la responsabilité d’une région à Laurent Wauquiez ».
Existe-il une ambiance d’autocensure politique ou l’idéologie néolibérale a‑t-elle conquis les esprits de la majorité de la presse mainstream ?
« Pour combattre une structure, peut-être est-ce d’abord intéressant de la tourner en dérision en pointant du doigt ses contradictions. »
Je pense que l’idéologie libérale a conquis les esprits de la majorité de la population grâce, entre autres, à la presse. On sait que la majorité des grands médias appartiennent à de grands groupes industriels. Difficile, dans ce cas de figure, de critiquer une logique économique dans laquelle ils sont pleinement intégrés. Difficile également de critiquer un annonceur, actuel ou potentiel — qui plus est si c’est le copain du patron. Il y en a qui s’y sont essayés. Je le sais, je les ai croisés à Pôle Emploi. Ceci dit, personne n’a un flingue sur la tempe pour acheter Le Figaro plutôt que La Décroissance. Nous vivons dans un pays où nous avons le choix entre regarder Joséphine, ange gardien ou un documentaire sur la fraude fiscale sur Arte (donc entre voir Mimie Mathy disparaître d’un claquement de doigt ou voir notre pognon disparaître par le même procédé). Il faut donc s’interroger sur ce qui rend la doctrine libérale si attractive… Je crois qu’elle s’appuie sur deux choses : tout d’abord, un mensonge initial qui pourrait se résumer à « Quand on veut, on peut » ; le mythe du self made man américain. L’idée que si tu es né aveugle et unijambiste, tu as autant de chances de réussir à battre Usain Bolt en finale du 100 mètres que n’importe qui. En d’autres termes, que si tu es né rom dans un bidonville en France face à un tractopelle qui veut détruire ta cabane, tu as autant de chance de réussir dans la vie que si ton papa est le propriétaire de l’usine de tractopelle, ou encore Manuel Valls, le conducteur du tractopelle. Et, deuxièmement, je crois que la doctrine libérale s’appuie sur notre égoïsme naturel issu de notre cerveau reptilien. Il est plus immédiat pour un petit humain de penser à lui avant les autres. D’où l’intérêt primordial de l’éducation pour lui expliquer que, tout seul, il n’est rien. Mais comme le système éducatif actuel est davantage basé sur la compétition que sur la coopération, comme dirait ma grand-mère trotsko-botaniste : « On n’a pas le cul sorti des ronces. »
Vous avez déclaré : « Quand je vois un truc qui m’énerve dans l’actu, j’en fais une chronique. Je fais des blagues pour me défouler. » Cette fonction cathartique de l’humour et de la satire, de par son coté « défouloir », ne peut-elle pas aussi démobiliser politiquement en désamorçant les colères ?
Peut-être. Mais peut-être est-ce l’exact contraire. Peut-être que l’humour est une porte d’entrée permettant de s’intéresser par la suite, plus en profondeur, à une problématique. Peut-être amorce-t-il donc des colères qui sont saines (oui, je cite du Ségolène Royal dans Ballast. #Provocation). Je trouve d’une manière générale que les luttes sociales manquent d’humour. C’est la raison pour laquelle je suis très enthousiasmé par des mouvements comme la Brigade activiste des clowns, Sauvons les riches ou encore Jeudi noir. De nouvelles formes de luttes sont à inventer. Pour combattre une structure, peut-être est-ce d’abord intéressant de la tourner en dérision en pointant du doigt ses contradictions. Sans cela, les luttes sociales prennent le risque de paraître austères, ringardes, voire invisibles (oui, je cite du Nicolas Sarkozy dans Ballast. #DoubleProvocation). Peut-être me trompé-je. Mais, en tout cas, l’humour est ma manière de réagir. Mon réflexe. Je pense qu’« il vaut mieux en rire que de s’en foutre » (oui, je cite du Didier Super dans Ballast. #SouciDapaisement). L’humour facilite l’accès à un sujet. Il n’est évidemment pas suffisant en lui-même. Mais rien n’est suffisant en soi. Je raisonne davantage en termes de mouvement, de dynamique, que d’actions qui provoqueraient un changement soudain et brutal. Je pense qu’il faut accepter le fait que les mentalités évoluent lentement. L’histoire a prouvé qu’en voulant brusquer les choses, on finit par compter les morts. Et moi, au risque de vous choquer, je suis contre la mort. La mort, c’est nul ! (oui, je cite aussi Miss France).
(Par Stéphane Burlot, pour Ballast)
Vos dernières chroniques semblent parfois moins humoristiques et plus radicales dans la dénonciation de la violence sociale des institutions dominantes. Pourquoi cette évolution ?
Je ne m’en suis pas rendu compte. Ceci dit, je ne considère pas le rire comme un but, mais comme un moyen. Je ne dis pas que la blague du coussin péteur ne me fait pas rire en tant que telle. Je dis qu’elle me fera rire davantage si c’est Nadine de Rothschild qui s’assoit dessus juste après avoir donné une leçon de bonnes manières (donc de manières bourgeoises, les pauvres ayant des mauvaises manières). Dans ce cas précis, cette blague nous rappellera que, même si les Rothschild se la jouent classe supérieure dominante, et malgré leur côté coincé du cul, nous sommes tous égaux face à ce genre de contrainte digestive.
« Toute la journée, on se fait niquer par les communicants des politiques qui nous servent leur soupe. J’essaie de retourner leurs armes contre eux. […] J’adore la joute verbale, je suis fan de Schopenhauer », dites-vous. Saisir les armes du capitalisme et les retourner contre lui : une stratégie révolutionnaire efficace ?
Je ne suis pas dans une logique de révolution. Je suis dans une logique de prise de conscience individuelle. De décryptage. J’aimerais que l’on fasse davantage attention aux signaux, aux messages, en provenance ininterrompue de la publicité, des médias, mais aussi de ce qu’on entend au café du commerce, dans une manif’, dans Ballast ou dans mes chroniques. Qui me dit quoi ? Pourquoi il me le dit ? D’où il parle ? Quel est son intérêt à me dire ça ? Je suis favorable à des cours d’esprit critique dès le primaire. Je veux que les enfants s’interrogent sur celui ou celle qui leur parle. Je voudrais qu’ils remettent en question l’autorité. Cette dernière s’en sortira grandie car une autorité sans légitimité ne repose sur rien d’autre que de la terreur. J’aimerais le dire à Kim Jong Un, mais je suis allergique aux missiles antichars dans les gencives.
Je suis favorable à des cours d’esprit critique dès le primaire. Je veux que les enfants s’interrogent sur celui ou celle qui leur parle.
Qu’est-ce donc que votre mystérieux « aïkido sémantique » ?
J’aime bien accepter la logique de la personne et pousser son raisonnement jusqu’à ce qu’il se casse la gueule de lui même. Je trouve ça plus efficace, et beaucoup plus amusant, que de simplement dire « tu as tort » et de contre-argumenter. D’ailleurs, j’aime aussi, et logiquement, que l’on procède de la même manière avec moi. Même si, selon mes amis, j’ai un sens de la contradiction trop développé. Mais évidemment, c’est archi faux ! Ils se trompent ! Ouais… Bon…
Vous avez déclaré, aussi, que vous adoriez La Boétie et les matérialistes et que « beaucoup s’imaginent que je suis d’extrême gauche, mais je ne suis pas marxiste. […] Je ne suis pas militant mais cohérent : je suis devenu vegan pour lutter contre le CO2 et la souffrance animale, j’ai acheté un Fairphone et j’ai pris une banque coopérative ». La Boétie a théorisé le « secret de toute domination » (faire participer les dominés à leur domination) et Marx est l’un des grands représentants du matérialisme : quelle est la nature de votre « cohérence » ?
Voilà ! Ça, c’est une sorte d’aïkido sémantique. Bien joué, Ballast ! Alors, tout d’abord, petite précision : quand je parle des matérialistes, je pense à Démocrite. On ne va pas faire une bagarre de « grand représentant » mais, pour moi, il est au matérialisme ce que Patrick Balkany est à la fraude fiscale. De plus, il est célèbre pour son rire, ce qui n’est pas pour me déplaire. Ensuite, bien que Marx soit un personnage important dans l’histoire des idées, il y a des choses qui me chagrinent chez lui. Par exemple, j’ai un peu de mal avec la notion de dictature, même quand il s’agit de celle du prolétariat. En revanche, c’est vrai que j’aime beaucoup La Boétie. « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » est une phrase que chacun devrait avoir en tête. Je n’ai jamais pigé comment un être humain pouvait se sentir supérieur ou inférieur à un autre. Pour clarifier ma position, je dirais que je ne me sens pas militant mais j’essaie d’être le plus cohérent possible. « Longue est la route par le précepte, courte et facile par l’exemple non did’jou, ressers-moi un godet ! », comme disait mon grand-père arnarcho-alcoolo quand il citait Sénèque.
(Par Stéphane Burlot, pour Ballast)
Et quid d’un collectif d’humoristes et de chroniqueurs critiques, à la manière des youtubeurs de #OnVautMieuxQueCa ?
Il faut que les gens de bonne volonté soient présents partout. Pas simplement regroupés en un seul lieu. Il en faut dans les médias, la politique, le spectacle, l’entreprise, les syndicats et même chez les stagiaires punks à chiens crypto-staliniens que tu exploites, Ballast !
Dites, quand vous croisez dans les couloirs de Radio France Thomas Legrand ou Brice Couturier, comment cela se passe ?
Comme avec tous les salariés de Radio France. On se salue cordialement et on fait une petite danse dite « de la boiserie en palissandre », en hommage à notre bienfaiteur à tous, Mathieu Gallet.
Toutes les photographies sont © Stéphane Burlot, pour Ballast.
REBONDS
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