Joris Ivens : du rêveur solitaire au filmeur solidaire


Texte paru dans le n° 8 de la revue papier Ballast (septembre 2019)

« Je ne fais pas de l’art pas­sif. Amuser le public ne m’intéresse pas« , disait-il. Né aux Pays-Bas à la toute fin du XIXe siècle, le cinéaste Joris Ivens a dis­pa­ru à la veille de l’effondrement de l’URSS. Entre ces deux points, il a par­cou­ru le monde pour don­ner à voir l’édification du com­mu­nisme — avec tout ce que cela sup­po­sait, alors, de dis­cours offi­ciels et d’idéalisation fau­tive —, le com­bat contre le fas­cisme et les luttes popu­laires menées contre les empires colo­niaux. On le retrou­va ain­si en Espagne, au Viêtnam, en Chine ou encore au Chili, assu­rant en tout lieu prendre le par­ti de la classe ouvrière. Un enga­ge­ment mili­tant qui n’a tou­te­fois pas signi­fié l’abandon com­plet de ses recherches esthé­tiques et poé­tiques de jeu­nesse. ☰ Par Thibauld Weiler


Le cinéaste Joris Ivens, si bien sur­nom­mé le « Hollandais volant », a tra­ver­sé les mers, accos­té de mul­tiples côtes et explo­ré leurs terres inté­rieures, avec le ferme désir de sai­sir, camé­ra en main, les gestes des peuples écri­vant leur his­toire. Pendant plus d’un demi-siècle, des années 1920 au cré­pus­cule des années 1980, ce docu­men­ta­riste s’est don­né pour mis­sion de chro­ni­quer les luttes menées par des êtres dési­reux de faire tom­ber leurs maîtres — mineurs belges en grève et com­bat­tants répu­bli­cains espa­gnols, indé­pen­dan­tistes indo­né­siens ou pay­sans Viêt Cong — et de poser sur pel­li­cule des frag­ments de vécus que nul autre cadreur n’aurait pu obte­nir. Car la démarche d’Ivens l’engageait sur des fronts où per­sonne, ou presque, n’emportait son appa­reil pour y faire des images — du moins pas avec ce temps d’immersion et son effort d’adaptation. Ainsi, ce fil­meur dési­reux de déchi­rer le voile opaque des conflits sans visages était-il autant soli­daire des hommes et des femmes dont il enre­gis­trait les gestes et les paroles que soli­taire dans sa pra­tique. Mais si ses méthodes de réa­li­sa­tion on ne peut plus mar­gi­nales dépo­saient sur des pel­li­cules vierges sa cou­leur poli­tique — un rouge très écar­late —, elles ser­virent éga­le­ment de cadre à des rêve­ries poé­tiques aus­si nom­breuses que fas­ci­nantes, cen­trées sur des villes (À Valparaíso), des fleuves (La Seine a ren­con­tré Paris) et des forces natu­relles (Pour le Mistral à Une Histoire de vent).

« La démarche d’Ivens l’engageait sur des fronts où per­sonne, ou presque, n’emportait son appa­reil pour y faire des images. »

Du poète soli­taire au fil­meur mili­tant, Joris Ivens a donc adop­té deux pos­tures dont l’apparente contra­dic­tion for­mait les volets com­plé­men­taires d’un pro­jet de vie mûri, por­té et accom­pli de bout en bout : la clé de voûte était, sans aucun doute, son vœu de liber­té. Que cet esthète soli­daire ait pro­duit seul ou en groupe, qu’il ait cadré des perles de pluie ou des gouttes de sang, son œuvre aura été ten­due vers un pro­jet dont la fina­li­té est res­tée, quel que fut son prisme — les conflits sans témoins ou les souffles de l’air —, la quête d’un invisible.

Une caméra en position

Mais tout d’abord, avant l’esquisse d’une quel­conque ligne d’horizon, même tra­cée au fusain, avant la pers­pec­tive d’une pen­sée éthique et esthé­tique, il y a cette ques­tion, on ne peut plus concrète, posée par le jeune Ivens : « Que faire pour entrer dans ce métier de ciné­ma1 ? »

[Extrait de La Pluie, 1929]

Question socle dont la base maté­ria­liste sou­tien­drait toutes ses corol­laires, pré­sentes pra­ti­que­ment d’un bout à l’autre de son œuvre. Première ques­tion donc, et, déjà, plu­sieurs réponses sur plu­sieurs plans : la pre­mière, la plus évi­dente, touche à son ori­gine sociale, sa famille, et par­ti­cu­liè­re­ment son père, gérant d’une bou­tique d’objets et de pro­duits pho­to­gra­phiques basée à Amsterdam. De son capi­tal social, éco­no­mique et cultu­rel, Ivens tire­ra la maî­trise, pré­coce, et de ce fait infi­ni­ment pré­cieuse, des outils de prise de vue dont il use­ra sa vie durant. À cet envi­ron­ne­ment s’ajoute sa for­ma­tion : en 1923, il décide de suivre des cours de pho­to­chi­mie à l’université de Berlin avant de faire l’année sui­vante un stage chez le fabri­cant d’objectifs Zeiss. Puis il retourne à Amsterdam et rejoint l’entreprise de son père, la Capi, en tant que direc­teur technique.

« Je vis deux vies — raconte le cinéaste : le jour, les affaires ; le soir, les amis étu­diants, peintres, sculp­teurs et poètes. »

« Je vis deux vies — raconte le cinéaste : le jour, les affaires ; le soir, les amis étu­diants, peintres, sculp­teurs et poètes. À Berlin, j’avais ren­con­tré une pho­to­graphe ; elle est avec moi à Amsterdam. […] Je ne venais pas d’un milieu artis­tique, j’étais un ingé­nieur qui conti­nuait l’affaire de son père. Que faire […] ? Je com­mence par des études, des essais pure­ment esthé­tiques. » Ainsi Ivens réa­lise-t-il, en 1927 et 1928, deux courts mon­tages sur des sujets urbains — des rues pari­siennes et un pont hol­lan­dais — dont il capte les formes et sculpte les flux. Ces études de mou­ve­ments s’opèrent seules et suivent le cours impé­tueux d’une réa­li­té qui se passe bien de scé­na­rio. Le jeune homme, pour­tant, en écrit à chaque fois mais « découvre [rapi­de­ment] qu’il n’est pas pos­sible, dans un tel film d’atmosphère, de res­ter trop près du scé­na­rio, et que ce scé­na­rio ne devait pas être trop détaillé ». Reste que du texte pré­pa­ra­toire aux séances de mon­tage, en pas­sant par les scènes de prises de vue et les périodes de pro­duc­tion (Ivens uti­li­se­ra les fonds de Capi films, l’entreprise fami­liale), il demeu­ra abso­lu­ment seul dans toute cette chaîne de création.

Cette démarche soli­taire culmi­ne­ra dans La Pluie, réa­li­sé en 1929 ; il dépeint la valse des averses, des cra­chins et des bruines sur la ville d’Amsterdam. « Je ne me sépa­rais jamais de ma camé­ra, au bureau, au labo­ra­toire, dans la rue, dans le tram­way. Je vivais avec ma camé­ra et en dor­mant je la gar­dais sur ma table de nuit de façon à pou­voir en dis­po­ser, de la fenêtre de ma chambre, s’il pleu­vait à mon réveil. » Cet appa­reil qu’il tenait de l’affaire de son père et les quelques fonds cen­sés lui per­mettre de fil­mer et de mon­ter ses bobines, le ren­daient tota­le­ment auto­nome. Le jeune homme eut très tôt les res­sources néces­saires pour fil­mer seul, ce qui, dans cette fin des années 1920, rele­vait d’un luxe ines­pé­ré (la fic­tion, qui, en 1927, était deve­nue par­lante, était déjà bien davan­tage finan­cée et dif­fu­sée que le for­mat docu­men­taire2, et les autres grands docu­men­ta­ristes de l’époque, par­mi les­quels Flaherty et Vertov, n’œuvraient jamais avec leurs fonds). La Capi films pro­dui­ra l’ensemble ou presque de ses pro­jets à par­tir de 1967, date à laquelle sa femme Marceline Loridan et lui en devien­dront seuls possesseurs.

[Extrait de Misère au Borinage, 1933]

Cet esthète soli­taire était tou­te­fois poli­ti­sé. Ivens le dit lui-même : ses essais et études vivaient en paral­lèle de son tra­vail mili­tant dont les mul­tiples formes, à la fois théo­riques et empi­riques, l’avaient mené, sur un plan « idéo­lo­gique, […] beau­coup plus loin ». Ces deux aspects de son exis­tence ne se recoupent pas, ou si peu, ou du moins pas encore : il lui fau­dra tour­ner en Belgique, en 1933, dans un bas­sin minier secoué par une vague de grèves pour que ces ensembles se ras­semblent sous le sigle d’un film, Misère au Borinage. Tourné avec Henri Storck, ce film consti­tue dans la vie d’Ivens un « tour­nant à 180° ». « J’ai pris par­ti pour la classe ouvrière. Je pense que cha­cun dans sa vie a un Borinage qui le fait chan­ger. Avant ce film, je m’occupais de recherches esthé­tiques. Et j’ai com­pris que c’était une impasse ; il faut que l’intellectuel ait à faire avec la vie. » Ainsi, ces choses immuables sur les­quelles il posait son regard se virent-elles logi­que­ment rem­pla­cées par des êtres lan­cés dans l’histoire de leur éman­ci­pa­tion et pour les­quels le cinéaste témoi­gnait d’une empa­thie cer­taine. Storck et lui s’installèrent durant plu­sieurs mois avec ces mineurs tor­dus par le froid et la faim, par­ta­geant leur réel pour mieux fil­mer leur quo­ti­dien. Cette sorte d’observation par­ti­ci­pante et les formes de fil­mage qu’elle offrait étaient consi­dé­rées par Ivens comme deux démarches poli­tiques : si elles se tour­naient, certes, vers la réa­li­sa­tion d’un film, elles demeu­raient des gestes concrets et, de fait, utiles aux per­sonnes concer­nées. Le but ? « Établir l’égalité devant et der­rière la camé­ra3. » Le moyen ? « Rencontrer vrai­ment l’homme. Pour gagner la confiance des hommes qui luttent, tu dois — affirme Ivens — leur dire pour­quoi tu fais ce film. À qui tu veux l’adresser. Ils veulent dis­cu­ter avec toi sur ce qu’ils peuvent faire pour cela4. »

« Ces choses immuables sur les­quelles il posait son regard se virent logi­que­ment rem­pla­cées par des êtres lan­cés dans l’histoire de leur émancipation. »

Le par­tage d’une expé­rience com­mune, valable dans le cours d’un quo­ti­dien comme dans le pro­ces­sus de créa­tion, fait donc figure de garant d’une éthique au ser­vice d’un pro­jet poli­tique dont la nature et la por­tée dépassent le seul objet fil­mique. « J’aime être avec les gens qui sont dans le grand mou­ve­ment de leur his­toire, y atta­cher la camé­ra, qu’elle soit dans l’action — et non pas cachée — qu’elle prenne posi­tion. Je ne fais pas de l’art pas­sif. »

Duo, couples, groupes

Le film consti­tue une autre étape dans la car­rière d’Ivens en ce qu’il est cosi­gné et, de fait, cofil­mé. Henri Storck, autre pion­nier du ciné­ma docu­men­taire, prend part, au même titre que son par­te­naire, à toutes les phases de créa­tion ; elles com­prennent entre autres choses les repé­rages, les prises de vue et le mon­tage. Ce par­tage des tâches abou­ti­ra à leur répar­ti­tion lorsqu’Ivens, trois ans plus tard, tour­ne­ra Terre d’Espagne dans les maquis répu­bli­cains avec l’aide d’un cadreur, John Ferno. Les deux hommes suivent au jour le jour la lutte des troupes anti­fran­quistes, chro­ni­quant leurs vic­toires, rela­tant leurs revers, ten­tant autant que pos­sible de faire un film fidèle au cours réel des évè­ne­ments (ten­ta­tive que contre­carre tou­te­fois le com­men­taire d’Hemingway qui, en dépit (ou du fait) de sa puis­sance, tombe par­fois dans l’excès). Ivens explore et Ferno cadre, sans que leurs rôles ne s’inversent jamais. La rai­son d’un tel choix ? Une simple prise de conscience, conçue dans le creu­set d’une réflexion por­tant sur le couple que forment mes­sage et médium, soit sur la signi­fi­ca­tion du film et le sup­port qui la trans­met : « Il y a un moment où j’ai quit­té la camé­ra, parce que j’ai vu qu’il fal­lait deux per­sonnes : une qui a le sou­ci de la tech­nique, et l’autre qui doit réflé­chir au conte­nu, com­po­ser avec le troi­sième œil (un œil dans le viseur, l’autre dans l’entourage concret, et l’autre pour la pen­sée). […] Travailler avec un opé­ra­teur, c’est un mariage. Tu vas voir le matin s’il est fati­gué, s’il a bien dor­mi. Il faut qu’il ait les mêmes rap­ports que toi avec les gens, qu’il voit les mêmes choses que toi. »

[Extrait de Terre d’Espagne, 1937]

À noter que ce ne sont pas des contraintes maté­rielles qui ont for­cé cette col­la­bo­ra­tion qui auraient pu tou­cher au son, par exemple5, mais des choix séman­tiques, propres au contexte de prise de vue et ses mul­tiples lignes de sens. Le cinéaste fini­ra par s’entourer pour l’ensemble de ses films, que ces der­niers aient été tour­nés dans des condi­tions de totale clan­des­ti­ni­té ou de par­faite nor­ma­li­té, affir­mant de manière radi­cale qu’il n’a, à l’exception « peut-être du Pont ou de La Pluie, jamais fait de films seul. [On] tra­vaille par­fois sur l’idée de l’opérateur, de la mon­teuse. J’ai tou­jours essayé, pour la conti­nui­té du film, de pro­vo­quer la réflexion de l’équipe, de main­te­nir une ten­sion lors du mon­tage, de cas­ser les tabous au mixage, de créer un équi­libre entre l’impulsion et la tech­nique ». Ces paires pour­ront prendre la forme d’un couple lorsque sa femme et lui-même com­men­ce­ront à fil­mer ensemble dans les années 1960, et ce jusqu’à sa mort en 1989. Ce tra­vail en équipe culmi­ne­ra dans le film col­lec­tif Loin du Vietnam, orches­tré par Chris Marker en 1967, et dont le géné­rique ne fera nulle men­tion des rôles, mis­sions ou tâches assu­rées par celles et ceux qu’il impliquait.

« Au même titre que Godard, Resnais ou Varda, Ivens fera figure de membre d’un corps com­po­site dont il serait insen­sé — auto­ges­tion oblige — d’isoler l’un des éléments. »

Au même titre que Godard, Resnais ou Varda, Ivens fera figure de membre d’un corps com­po­site dont il serait insen­sé — auto­ges­tion oblige — d’isoler l’un des élé­ments. Le fil­meur soli­taire errant sur des sen­tiers iso­lés s’est mué en mili­tant des grands che­mins (bien que ces posi­tions aient pu — et par­fois dans un même film — exis­ter côte à côte) ; méta­mor­phose qui prend des formes com­pa­rables dans le domaine de la pro­duc­tion : Ivens, qui finan­çait ses pro­jets avec les fonds de l’affaire fami­liale, accep­te­ra assez vite des œuvres de com­mande. Misère au Borinage est pro­duit par Le Club de l’Écran, organe de dif­fu­sion proche des milieux com­mu­nistes belges6, avant que des comi­tés d’intellectuels amé­ri­cains ne pro­duisent, dans le cadre du New Deal, Terre d’Espagne et Les 400 Millions, et que s’organisent, plus tard, à des époques et pour des causes très dif­fé­rentes, des col­lectes et des invi­ta­tions pour le Chili, Cuba ou l’URSS. Si Ivens et sa femme reprennent en 1967 la mai­son de pro­duc­tion Capi films pour en faire l’unique source de finan­ce­ment de leurs pro­jets et reve­nir par là même à une cer­taine indé­pen­dance, leurs films demeu­re­ront soli­de­ment enra­ci­nés dans des cir­cuits de pro­duc­tions et des prin­cipes de mise en scène fai­sant la part belle aux coopé­ra­tions tech­niques et artistiques.

Que reste-t-il alors du jeune esthète et de ses poèmes visuels ? Que reste-t-il de ce fil­meur errant, l’œil dans le viseur, sur un pont hol­lan­dais, sous la pluie d’Amsterdam ou dans les rues irréelles d’un Paris dis­pa­ru ? Rien, serait-on ten­té de répondre. Pourtant, en dépit des nom­breux col­la­bo­ra­teurs qui l’assistèrent, qu’ils furent cadreurs, mon­teurs, mixeurs, pro­duc­teurs ou dis­tri­bu­teurs, Ivens gar­da le regard neuf de cette jeu­nesse qui ques­tion­nait le monde en scru­tant ses poches d’ombres : il fera tou­jours vivre ce désir de contem­pler et de rame­ner à la sur­face du visible des êtres et des choses que ses com­pa­triotes, ou du moins ses contem­po­rains, n’arrivaient pas à voir, ou si peu. L’artiste qui débusque le beau au tour­nant d’une ruelle, et le mili­tant qui filme là où d’autres n’oseraient même pas aller, répondent à un même idéal : car­to­gra­phier les lieux de l’invu7, esquis­ser des contours sur les feuilles vierges du regard et mon­trer ces map­pe­mondes aux yeux neufs des pro­fanes afin que leur ima­gi­naire-même en res­sorte transformé.

[De la gauche vers la droite, John Dos Passos, Joris Ivens, Sydney Franklin et Ernest Hemingway, à Madrid, 1937]

Monter, montrer

Ivens ne peut fil­mer pour lui seul. Sa pos­ture artis­tique et sa quête poli­tique requièrent un ques­tion­ne­ment dont l’horizon n’est autre que le dépas­se­ment de cette pre­mière étape de prise de vue. Ses images doivent être mon­trées. Aussi le cinéaste tra­vailla-t-il très tôt aux moyens de trans­mis­sion d’œuvres qui, sans être les siennes, por­taient des formes esthé­tiques et idéo­lo­giques aux­quelles il adhé­rait. Dès 1924, et bien avant ses pre­miers films, il « trans­por­tait pour le Parti com­mu­niste alle­mand des films inter­dits entre Leipzig et Berlin ». Pour quelles rai­sons ? Parce que c’était « concret ». À son retour aux Pays-Bas, il fonde le pre­mier ciné-club du pays, en 1928, la Film Liga, qui se fera bien­tôt connaître pour ses pro­gram­ma­tions osées et son esprit mutin — esprit qui pro­lon­geait celui du Club des artistes, groupe infor­mel auquel Ivens appar­te­nait, et qui s’était fait connaître par la dif­fu­sion, en 1926, contre un avis de cen­sure, du film du cinéaste sovié­tique Vsevolod Poudovkine La Mère.

« Si le cinéaste découvre quelques inter­stices où pro­je­ter ses films, ces fenêtres de dif­fu­sion demeurent des boîtes à regard de très — trop — modestes dimen­sions pour déclen­cher quoi que ce soit. »

La cen­sure, jus­te­ment, Ivens l’affrontera à de mul­tiples reprises, contraint, pour dif­fu­ser ses films, à trou­ver mille parades et créer autant d’astuces. Dès 1933, Misère au Borinage, inter­dit, connaît une dif­fu­sion clan­des­tine dans des cercles proches du Parti com­mu­niste ; idem pour Nouvelle Terre, réa­li­sé l’année sui­vante : le remon­tage opé­ré quelques mois après sa sor­tie par Ivens en per­sonne ulcé­re­ra ses pro­duc­teurs (en cause : les der­niers plans du film oppo­sant Wall Street et sa quête de pro­fits sans fin à de jeunes pro­lé­taires tra­vaillés par la faim). Mais si le cinéaste découvre quelques inter­stices où pro­je­ter ses films, ces fenêtres de dif­fu­sion demeurent des boîtes à regard de très — trop — modestes dimen­sions pour déclen­cher quoi que ce soit.

Son véri­table fait d’arme en matière de dif­fu­sion se trouve ailleurs, en Indonésie, en 1946. Depuis un an, l’archipel lutte pour la recon­nais­sance de son indé­pen­dance pen­dant que les Pays-Bas tentent d’en reprendre le contrôle, après l’invasion vic­to­rieuse des Japonais pen­dant la Seconde Guerre mon­diale. Ivens, que le gou­ver­ne­ment hol­lan­dais a nom­mé res­pon­sable du ciné­ma indo­né­sien en 1944, a déjà démis­sion­né et s’active depuis lors pour la cause indé­pen­dan­tiste. Si la presse hol­lan­daise le cri­tique vio­lem­ment, il décide de réa­li­ser L’Indonésie appelle, un docu­men­taire sur le boy­cott de navires néer­lan­dais armés voguant vers l’archipel : des dockers aus­tra­liens et des marins de cinq pays ont blo­qué leur départ afin de signi­fier leur soli­da­ri­té envers les insur­gés. Le film est ban­ni du ter­ri­toire aus­tra­lien, avant d’être réin­tro­duit puis inter­dit à l’exportation. Ivens en tire­ra deux copies 16 mil­li­mètres, qu’il ten­te­ra d’infiltrer en Indonésie. « Le gou­ver­ne­ment hol­lan­dais — racon­te­ra-t-il — contrô­lait alors la tota­li­té des eaux autour de l’archipel malais. Mais une copie du film a réus­si à per­cer le blo­cus. Elle est par­ve­nue à Java. À cette époque, les colo­nia­listes hol­lan­dais répé­taient aux Javanais qu’ils étaient seuls et oubliés de tous dans leur lutte pour l’indépendance. Et voi­ci un film qui prouve le contraire : la soli­da­ri­té agis­sante de tra­vailleurs dans de nom­breux pays. On a mon­tré ce simple repor­tage, nuit après nuit, en plein air, à des mil­liers et des mil­liers de Javanais. Et il a ren­for­cé le moral des com­bat­tants et a aidé leur pays à un moment cru­cial de son his­toire8. »

[Extrait de Le 17e parallèle, 1968]

Ivens s’efforcera tou­jours d’atteindre un public aus­si large que pos­sible, d’éviter l’entre-soi mor­ti­fère. Il deman­de­ra et obtien­dra des visas d’exploitation en salle pour des docu­men­taires aus­si divers et dif­fi­ciles que Le Peuple et ses Fusils, tour­né en 1969 en pleine guerre civile lao­tienne, et Le 17e paral­lèle, réa­li­sé en 1967 dans la zone qui cou­pait les Vietnam Nord et Sud. S’il ne fut pas le seul réa­li­sé au nord du pays, ce docu­men­taire fut cer­tai­ne­ment le seul digne de ce nom à avoir été pro­je­té sur des écrans fran­çais et, plus géné­ra­le­ment, dans les salles occi­den­tales. Avec ce film et l’expérience qui le sou­tient — une enquête de ter­rain longue de deux mois dans un vil­lage bom­bar­dé jour et nuit —, Ivens et Marceline Loridan racon­taient, selon les mots du cri­tique Michel Mardore, « les tra­vaux pra­tiques de la sur­vie en plein enfer viet­na­mien9 » et offraient un témoi­gnage « plus sai­sis­sant que toutes les inter­views et preuves sur papier ».

« Le point de vue est assu­mé : à la fois intri­gué et par­ti­san, incré­dule et partial. »

Immersion inédite, décou­verte impro­bable : les spec­ta­teurs ren­con­traient là un Vietnam dont ils n’avaient vu jusqu’ici que le Sud, au moyen des actua­li­tés fil­mées, de repor­tages pho­to­gra­phiques ou de chro­niques télé­vi­sées (rap­pe­lons qu’en 1968, 61,9 % des ménages fran­çais pos­sé­daient une télé­vi­sion) et pou­vaient ain­si mettre des images sur un réel par­fois tra­hi, sou­vent tronqué.

La télé­vi­sion, jus­te­ment, Ivens et Loridan ten­tèrent autant que pos­sible d’y mon­trer leurs films, notam­ment leur monu­men­tal Comment Yukong dépla­ça les mon­tagnes, fresque de douze heures et qua­torze épi­sodes tour­née en Chine, au cré­pus­cule de la Révolution cultu­relle, entre 1971 et 1975. Les sujets sont com­muns : une phar­ma­cie auto­gé­rée, un vil­lage de pêcheurs, un débat dans une classe ; et le point de vue assu­mé : à la fois intri­gué et par­ti­san, incré­dule et par­tial. « Marceline Loridan et moi avons fait ce film à une période de grande igno­rance du large public occi­den­tal à l’égard de la Chine, toutes les idées sur le péril jaune, Les Chinois, masse grise uni­forme, les four­mis bleues sans indi­vi­dua­li­té, étaient des sté­réo­types très forts dans l’esprit des gens. Les quelques repor­tages de télé­vi­sion étaient trop super­fi­ciels et géné­raux et nour­ris­saient une autre sorte de sté­réo­type et en tout cas n’avaient don­né la pos­si­bi­li­té aux Chinois de s’exprimer dans un film. […] Je n’ai jamais eu la pré­ten­tion d’avoir tout dit et tout com­pris sur la Chine, il me semble en tout cas que ce que j’ai mon­tré n’avait jamais été mon­tré. »

[Joris Ivens sur le tournage de Comment Yukong déplaça les montagnes, 1976]

En France, si les trois chaînes qui fai­saient l’offre télé­vi­suelle de l’époque10 accor­daient une place non négli­geable aux pro­duc­tions docu­men­taires, reste qu’un tel film, dans la France gis­car­dienne, n’avait que peu de chances d’obtenir un cré­neau. Lorsque le couple le pré­sen­ta à la pre­mière chaîne, ils se virent répondre : « Non, pas ques­tion de pas­ser quoi que ce soit sur la Chine11 ! » La deuxième chaîne refu­sa à son tour. Mais leurs efforts ne furent pas vains : FR3 accep­ta de pas­ser le tiers des épi­sodes, soit quatre heures sur l’ensemble des douze. À la fin des années 1970, les pro­grammes cultu­rels repré­sen­taient 17 % des grilles et étaient dif­fu­sés en prime time, entre 19 h 30 et 22 h 30, devant, en moyenne, un mil­lion six cent mille per­sonnes. Cette Chine vue et vécue de l’intérieur, ce pays arpen­té en pro­fon­deur, et dont les images res­taient alors des objets rares, purent fran­chir les fron­tières des regards et, avec elles, des consciences en offrant à des mil­lions de spec­ta­teurs le spec­tacle d’un pays qui se don­nait, selon les mots du phi­lo­sophe Michel Foucault, « dans une réa­li­té poli­tique intense qu’aucun dis­cours ne pou­vait retrans­crire : le seul endroit où la vie poli­tique, ce soit l’existence même des gens12 ».

« Ivens l’affirme à demi-mot : un film qu’il espère dif­fu­ser à la télé­vi­sion ne sera pas de même fac­ture qu’une œuvre conçue pour les salles obscures. »

Ivens ira même jusqu’à reven­di­quer l’usage du médium télé­vi­suel, ne voyant nulle « contra­dic­tion » entre son usage et la nature du ciné­ma. « La télé­vi­sion est un moyen de com­mu­ni­ca­tion où je peux élar­gir le contact avec le public (en quan­ti­té, sinon en qua­li­té). Ce n’est pas le for­mat qui compte tel­le­ment, mais le fait que les gens payent pour aller au ciné­ma, tan­dis que le poste de télé­vi­sion est dans la cui­sine, et là le spec­ta­teur est plus libre. […] Je pense tou­jours : qui voit mes films et dans quelles condi­tions ? Pour qui est-ce ? Quand ils sortent, je les suis pour savoir com­ment ils sont reçus. Pour Yukong, Marceline Loridan et moi, nous nous sommes dit : ce film, on va le faire pour un public large, qui ne sait rien de la Chine. De là sort la pen­sée, tout. » Nul sno­bisme pour un objet volon­tiers hon­ni ; tout au contraire, le petit écran sert de relais et de canal au même titre qu’un autre, mais, plus encore, il reste un sup­port pos­sé­dant une iden­ti­té et des carac­té­ris­tiques propres que le cinéaste intègre dès la phase de créa­tion. Ivens l’affirme à demi-mot : un film qu’il espère dif­fu­ser à la télé­vi­sion ne sera pas de même fac­ture qu’une œuvre conçue pour les salles obs­cures. Reste qu’il pense ce médium dans une pers­pec­tive avant tout stra­té­gique. Désir lucide et vœu fécond : ses films seront vus par des mil­liers de per­sonnes et sor­ti­ront des cercles mili­tants aux­quels ses pre­mières œuvres étaient res­treintes — de Misère au Borinage, vu par quelques paires d’yeux rom­pus au spec­tacle de la misère, à Comment Yukong dépla­ça les mon­tagnes, vu dans des mil­lions de foyers dotés d’une culture poli­tique limi­tée, sinon inexistante.

Produire un film… et son réel ?

Qui finance quoi, com­ment, à quelle époque et dans quel cadre ? Questions déjà posées, certes, mais les pistes de réponses esquis­sées jusque-là se brouillent irré­mé­dia­ble­ment dès lors qu’on les regarde, une nou­velle fois, avec les yeux du cinéaste. En effet, s’il affirme que « le docu­men­ta­riste […] et le réa­li­sa­teur révo­lu­tion­naire doivent se rendre […] dans les points chauds de l’Histoire pour y faire des films qui dif­fèrent des ‘‘repor­tages à chauds’’ […] et y décou­vrir la véri­té pro­fonde des choses13 », com­ment être cer­tain que ces pro­jets, aus­si sen­sés et sin­cères soient-ils, soient les reflets effec­tifs d’un réel que le cinéaste, pour d’évidents motifs idéo­lo­giques, aurait mille rai­sons de détour­ner, de trans­for­mer, voire de tra­hir ? Comment être cer­tain que sa très confor­table soli­tude pen­dant les phases de pro­duc­tion n’ait pas sim­ple­ment ouvert les valves d’une dérive pro­pa­gan­diste ou d’un auto-aveu­gle­ment ? Inversement, si com­mandes et col­lectes il y a eu, com­ment le cinéaste s’est-il accom­mo­dé des ordres de ses créan­ciers et, par voie de consé­quence, des condi­tions de tour­nage impo­sés par ses pays hôtes, en par­ti­cu­lier l’URSS ou la Chine ? Impossible de répondre de manière uni­voque : seule une étude — pos­té­rieure, donc for­cé­ment déce­vante — de ses films in situ pour­rait nous per­mettre de juger, au cas par cas, de l’honnêteté de son regard et de l’éthique de sa méthode.

[Joris Ivens sur le tournage de Europort, 1966]

Aussi fau­drait-il prendre la chose à l’envers : qu’est-ce qui, dès le pro­ces­sus de pro­duc­tion, fut sus­cep­tible d’orienter ou de gêner sa démarche ? À cette ques­tion, un film, peut-être plus que les autres, offre des élé­ments de réponse : Les 400 Millions, tour­né en Chine en 1938 lors de la guerre sino-japo­naise, illustre ce pro­blème. Financé par un orga­nisme amé­ri­cain, History Today Inc., dont les acti­vi­tés aidaient notam­ment aux luttes menées outre-Atlantique contre le fas­cisme, le point de vue, a prio­ri pro-chi­nois, fut redou­blé par celui d’un Ivens par­ti­san. Le tra­vail de mise en forme fut un tra­vail de mise en scène, à la limite de la cari­ca­ture : le com­men­taire d’introduction, écrit par le scé­na­riste Dudley Nichols et cau­tion­né par Ivens, parle des « tyrans du Japon, déci­dés à s’emparer de toute la Chine et de se ser­vir de ses res­sources pour assu­jet­tir le monde »…

« Les régions poé­tiques par­cou­rues à ses débuts ne ces­se­ront ain­si d’être des ter­rains fré­quen­tés, défri­chés puis déchiffrés. »

Si le film se concentre sur le mou­ve­ment du front et repré­sente sous des formes à peu près fac­tuelles les situa­tions mili­taire, poli­tique, éco­no­mique et sociale propres à ce temps de guerre, reste que ces pre­miers mots les frappent du sceau du soup­çon. Deux filtres en somme : l’attente d’un pro­duc­teur et l’intention d’un homme ; le pou­voir de l’argent et le poids d’un regard. Ce der­nier est assu­mé, voire reven­di­qué. À la ques­tion « Les films de com­mande n’ont pas entraî­né beau­coup de contraintes ? », Ivens don­ne­ra cette réponse éclai­rante : « J’en ai réa­li­sé peu. La plu­part du temps, c’était mon ini­tia­tive, sur une situa­tion don­née. De toute façon, c’est tou­jours le même homme qui chante. » Le mili­tant accep­tait donc ces risques — pou­vait-il en être autre­ment ? Un regard par­ti­san peut-il se défendre des dérives idéo­lo­giques, des amal­games for­cés et des aveu­gle­ments com­plai­sants que son pro­jet est condam­né à sécré­ter ? Difficilement. Il lui fau­drait, en plus d’une éthique tout ter­rain, un tra­vail d’enquête et d’écoute aus­si pro­lon­gé et appro­fon­di que pos­sible, c’est-à-dire un temps exten­sible dou­blé d’une dis­po­ni­bi­li­té et d’une éner­gie lui per­met­tant de tout voir, de tout com­prendre, aus­si bien d’un point de vue que d’un autre, d’une idée que de son envers — une pré­sence omni­sciente dont le cinéaste était évi­dem­ment privé.

Ce regard et ses errances, Ivens les assu­me­ra tou­jours. S’il fut par­fois pri­son­nier d’un prisme idéo­lo­gique, il n’en contem­pla pas moins avec un œil tou­jours inté­rieur les espaces et les formes dont la sil­houette pou­vait se dépar­tir de leurs grilles de lec­tures. Les régions poé­tiques par­cou­rues à ses débuts ne ces­se­ront ain­si d’être des ter­rains fré­quen­tés, défri­chés puis déchif­frés, trans­for­mant l’espace du dehors en une extase d’un dedans. Citons Le Chant des fleuves, car­to­gra­phie artis­tique des com­bats poli­tiques menés sur les rives du Nil, de la Volga, de l’Amazone, du Mississippi, du Yang-Tsé et du Gange ; citons La Seine a ren­con­tré en Paris, dérive tour­née trois ans plus tard et contée par Prévert ; citons son Mistral, bal­lade por­tée par ce vent en Provence ; citons enfin son heu­reuse conclu­sion, Une his­toire de vent, réa­li­sée un an avant sa mort et refer­mant sur elle-même une paren­thèse ouverte cin­quante plus tôt. Les rêve­ries soli­taires ont conti­nué d’exister et de vivre en bon voi­si­nage (voire, le cas échéant, de coha­bi­ter) avec les films soli­daires. Point de contra­dic­tion ; leur point de contact était un point de ren­contre : le mili­tant comme le poète extirpent du limon des réels négli­gés la matière même d’un autre pen­sable, d’un autre possible.


Illustration de ban­nière : Extrait de À Valparaíso, 1963


  1. Toutes les cita­tions, sauf men­tion, sont extraites du livre de Claire Devarrieux, Joris Ivens : entre­tiens avec Claire Devarrieux, Éditions Albatros, 1979.[]
  2. « Aux États-Unis (EU), le jour­na­lisme était deve­nu un genre lit­té­raire, mais le désir de ren­ta­bi­li­té condui­sait à une recherche de formes en accord avec les goûts sup­po­sés du public. Toute l’histoire du docu­men­taire pour­rait s’écrire au fil de ses efforts de séduc­tion pour concur­ren­cer le ciné­ma roma­nesque » cité dans Le Documentaire : un autre ciné­ma, Guy Gauthier, Armand Colin, 2011, p. 44.[]
  3. Abraham Zalzman, Joris Ivens, Seghers Ligugé, 1963.[]
  4. Ibid.[]
  5. Le son syn­chrone avec l’image, qui arri­ve­ra à la fin des années 1950, deman­de­ra la pré­sence per­ma­nente d’un opé­ra­teur son.[]
  6. Marilyne Brisebois citée dans le texte de Rémy Besson, « Misère au Borinage : de l’origine du scé­na­rio au récit des ori­gines du docu­men­taire belge », 2012.[]
  7. Vieux fran­çais, « qu’on ne voit jamais ».[]
  8. Joris Ivens, inter­ven­tion à la salle Pleyel, 1950, cité dans Joris Ivens, op. cit.[]
  9. Michel Mardore, cité dans « 17e paral­lèle, de Joris Ivens », L’Obs, 2007.[]
  10. En 1974, l’ORTF est dis­soute : naissent TF1, Antenne 2 et Antenne 3.[]
  11. Cité par Joris Ivens dans un article sur la socié­té Capi Films.[]
  12. Monique Sauvage et Isabelle Veyrat-Masson, Histoire de la télé­vi­sion fran­çaise, de 1935 à nos jours, Nouveau Monde édi­tions, 2012.[]
  13. Abraham Zalzman, op. cit., p. 81.[]

REBONDS

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Thibauld Weiler

Preneur d'images, chasseur de sons. Travaux sur www.thibauldweiler.fr.

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