La forêt, l’incendie et la carte


Texte inédit | Ballast

Depuis le début de l’été, chaque jour un nou­veau record de cha­leur est bat­tu. Les pro­jec­tions cli­ma­tiques les plus pes­si­mistes semblent se réa­li­ser sous nos yeux. Tout un lot de catas­trophes les accom­pagne, par­mi les­quelles des incen­dies de plus en plus récur­rents et des­truc­teurs : d‘aucuns parlent désor­mais de « pyro­cène » pour décrire l’histoire récente de l’humanité, à la fois dépen­dante du feu pour sa sur­vie et mena­cée dans sa péren­ni­té par les ravages que les incen­dies entraînent. On en vient à oublier les forêts que les flammes effacent. Le trai­te­ment qu’on leur réserve n’est pour­tant pas pour rien dans le pro­ces­sus qui a conduit à la situa­tion actuelle. Les incen­dies, l’industrialisation des forêts et leur ges­tion par­tagent un outil, une pra­tique : les cartes et la car­to­gra­phie. Nous avons récem­ment ren­con­tré l’artiste et car­to­graphe Agnès Stienne à l’occasion de la paru­tion de son pre­mier livre, Bouts de bois — Des objets aux forêts, aux édi­tions Zones. Les consé­quences de l’exploitation indus­trielle des forêts et, plus lar­ge­ment, des terres, appa­raissent, à l’écouter, comme une évi­dence : une grande sim­pli­fi­ca­tion du monde est en cours. ☰ Par Roméo Bondon


« Il n’y a qu’un plan : éva­cuez le pays », titrait il y a peu et avec iro­nie le jour­nal pro­gres­siste grec Efsyn, las de consta­ter que la seule action du gou­ver­ne­ment face à la récur­rence des feux de forêt était de recou­rir à des éva­cua­tions d’urgence. La Grèce n’a pas de plan natio­nal d’action de pré­ven­tion des feux. Les fonds alloués à cet enjeu sont en qua­si-tota­li­té consa­crés à la lutte sur le ter­rain. Depuis le début de l’été le plus chaud jamais enre­gis­tré sur Terre, le pays est « en guerre », a indi­qué son Premier ministre : l’heure est à la réac­tion bel­li­queuse face à des flammes hors de contrôle. Sous le titre pro­vo­ca­teur dudit jour­nal grec, une pho­to­gra­phie occu­pait la pre­mière page : un pom­pier parle dans un tal­kie-wal­kie sur le toit d’un camion ; der­rière lui, des flammes embrasent une végé­ta­tion indis­tincte et pro­duisent un épais nuage noir qui occupe les deux tiers de l’illustration.

À pre­mière vue, rien ne res­semble autant à un incen­die qu’un autre incen­die : images d’arbres cal­ci­nés, de flammes gigan­tesques, de pom­piers érein­tés et d’habitant·es hagard·es se répètent et donnent l’impression fausse d’un désastre par­tout et tou­jours iden­tique. Il est pour­tant pos­sible de convo­quer un cer­tain nombre d’outils que jour­na­listes, admi­nis­tra­tions spé­cia­li­sées et chercheurs·ses uti­lisent afin de regar­der de plus près, et de manière plus fine, ces grands feux. On peut com­men­cer par énu­mé­rer quelques don­nées pour mieux com­prendre la situa­tion grecque : le nombre de vic­times (5), de départs de feu (90) et d’hectares brû­lés (170 000). On peut ensuite mettre en relief ces don­nées avec celles, plus géné­rales, por­tant sur les forêts du pays (plus de 3 mil­lions d’hectares, soit 25 % du ter­ri­toire, tan­dis que 66 % de celui-ci est sous la res­pon­sa­bi­li­té du ser­vice fores­tier) ou encore avec les incen­dies en cours ailleurs en Méditerranée (des mil­liers d’hectares brûlent en Algérie, France, Espagne, Italie, Portugal et une qua­ran­taine de per­sonnes sont mortes à l’heure qu’il est). Mais les chiffres seuls peinent à faire entendre l’ampleur des dégâts.

Pour s’y retrou­ver, on peut aus­si faire des cartes.

« À pre­mière vue, rien ne res­semble autant à un incen­die qu’un autre incen­die : images d’arbres cal­ci­nés, de flammes gigan­tesques, de pom­piers éreintés. »

D’ailleurs, la plu­part des articles consa­crés aux récents incen­dies en pré­sentent au moins une afin de per­mettre aux lec­teurs et aux lec­trices de les loca­li­ser et de se figu­rer leur inten­si­té. Cette car­to­gra­phie jour­na­lis­tique est désor­mais redou­blée par l’application de géo­lo­ca­li­sa­tion Google Maps. Celle-ci signale en effet les « alertes de crise » : en Grèce, au moment où nous l’avons consul­tée, quatre pic­to­grammes repré­sen­tant une flamme indi­quaient ain­si le dis­trict régio­nal de l’Attique de l’est, le dème [plus petite col­lec­ti­vi­té ter­ri­to­riale grecque, ndlr] de Dervenochoria et celui de Loutrakí, tous trois situés à proxi­mi­té d’Athènes, ain­si que l’île de Rhodes, près des côtes turques, où plus de 30 000 per­sonnes ont été éva­cuées. Les mises à jour sont régu­lières et l’application ne manque pas de ren­voyer aux sources offi­cielles pour com­plé­ter les quelques infor­ma­tions qu’elle délivre.

Poursuivons l’exploration. Changeons d’échelle et de conti­nent pour abor­der le Canada où, au mois de juillet, on comp­tait plus de 10 mil­lions d’hectares de forêt déjà dis­pa­rus cette année, les feux met­tant en péril le mode de vie des membres de la Première nation crie. Des pic­to­grammes indiquent ici aus­si les régions tou­chées, mais éga­le­ment les noms don­nés aux incen­dies et, lorsqu’on passe la fron­tière éta­su­nienne, un pour­cen­tage pour éva­luer à quel point le feu est cir­cons­crit. Ainsi l’incendie de « Gordon Butte », aux confins des États de Washington et de l’Oregon, semble sous contrôle après que deux kilo­mètres car­rés — envi­ron 200 hec­tares — ont brû­lé. La géo­gra­phie peut par­fois s’avérer sar­cas­tique : on est à quelques kilo­mètres de l’une des plus anciennes forêts natio­nales du pays, la Gifford Pinchot National Forest, dont le nom pro­vient du pre­mier chef du Service des forêts des États-Unis et prin­ci­pal arti­san du conser­va­tion­nisme1 au début du siècle der­nier2.

[Extrait de Déforestation, plantation, ZAD, 2018 | Agnès Stienne]

Changeons cette fois d’hémisphère. Des incen­dies sont en cours sur la côte est de l’Australie. Des points rouges l’indiquent. Ils sont nom­breux. De nou­veau, des images et des chiffres nous assaillent. Remontent les sou­ve­nirs des méga­feux des années 2019 et 2020, les plus intenses jamais obser­vés dans la région. Plus de 18 mil­lions d’hectares avaient brû­lé. Selon un rap­port du World Wildlife Fund (WWF), envi­ron 3 mil­liards d’animaux, morts pen­dants la catas­trophes ou voyant leur habi­tat détruit, avaient été affec­tés par les incen­dies. La notion de « méga­feux » s’était alors impo­sée. Elle paraît en effet appro­priée pour décrire des aléas impos­sible à cana­li­ser, maî­tri­ser, contrô­ler, qui sur­viennent à des échelles inédites et dont les consé­quences sont irré­mé­diables pour la faune et la flore3. On pour­suit la navi­ga­tion, on hésite, on s’arrête : rien de plus déses­pé­rant que l’exploration vir­tuelle d’« un monde lit­té­ra­le­ment en flammes », pour reprendre les mots du jour­na­liste Mickaël Correia en ouver­ture d’un récent article. Ses mots résument le chaos cli­ma­tique et poli­tique duquel nous sommes les contemporain·es. Dans Quand la forêt brûle, la phi­lo­sophe Joëlle Zask abonde : « Travailler sur le sujet des très grands feux de forêts est dif­fi­cile, voire dou­lou­reux : d’une part, cela conduit à réa­li­ser que ce qui pas­sait pour une série d’occurrences aléa­toires tend à for­mer un sys­tème à l’échelle de la pla­nète. D’autre part, cette démarche conduit à attri­buer la qua­li­té de catas­trophe à des évé­ne­ments qui n’étaient pas répu­tés l’être, sans qu’il soit pos­sible, ou en tout cas très dif­fi­cile, de vivre avec la catas­trophe. » Elle ajoute que, dans ce contexte, « conser­ver une part d’optimisme [est] une gageure4 ». Dans son livre dédié aux méga­feux, elle rap­pelle cette ter­ri­fiante pro­jec­tion de la Nasa, consi­gnée dans un atlas dédié au phé­no­mène : un incen­die à l’échelle mon­diale que « la proxi­mi­té gran­dis­sante des foyers et l’augmentation constante des risques de méga­feux en rai­son de la faible humi­di­té de l’air, de vents plus forts et de tem­pé­ra­tures esti­vales extrêmes5 » rend pro­bable. Il devien­drait pos­sible de faire cor­res­pondre le ter­ri­toire et sa repré­sen­ta­tion car­to­gra­phique : la flamme d’un bri­quet ferait dis­pa­raître une carte ou un atlas impri­mé à mesure que les forêts mon­diales par­ti­raient en fumée.

Forêt, météo et cartographie

Les cartes sont par­tout et, on com­mence à le voir, les enjeux fores­tiers n’y échappent pas. Utiles pour sim­ple­ment situer un élé­ment dans l’espace ou se situer soi-même comme pour cla­ri­fier et spa­tia­li­ser des situa­tions com­plexes, leur usage dépend lar­ge­ment de choix, conscients ou non, faits par celles et ceux qui les conçoivent, et des inten­tions qui sous-tendent leur pro­duc­tion. Elles peuvent aus­si bien être un outil de contrôle accru — les cartes d’état-major — que per­mettre de révé­ler des dis­pa­ri­tés et d’agir en consé­quence — la contre-car­to­gra­phie mili­tante, dont un exemple à pro­pos des méga­bas­sines a été récem­ment offert par Mediapart et le col­lec­tif Mémoire vive. Cartographier les incen­dies le montre à sa façon : en fonc­tion des figu­rés ou des cou­leurs uti­li­sés, les cartes peuvent ras­su­rer sur l’ampleur de l’événement ou, au contraire, le rendre des plus effrayants, don­ner une illu­sion de contrôle ou, à l’inverse, affi­cher son absence totale. Mais, pour certain·es, la simple mise en images de phé­no­mènes envi­ron­ne­men­taux ou sociaux ne suf­fit plus : il fau­drait que les cartes deviennent per­for­ma­tives. Qu’elles pro­duisent à elles seules un résul­tat béné­fique et immé­diat, per­met­tant ain­si de se pas­ser de pro­po­si­tions poli­tiques allant plus loin.

« La forêt et la car­to­gra­phie ont une longue his­toire com­mune mise au ser­vice des pou­voirs royaux, impé­riaux ou répu­bli­cains pour contrô­ler les pro­vinces rétives, colo­ni­ser et sou­mettre des régions lointaines. »

Un exemple. À l’amorce de l’été, le ministre de la Transition éco­lo­gique Christophe Béchu a pro­fi­té d’un dépla­ce­ment dans la forêt doma­niale de Bercé, en Sarthe, pour van­ter le plan du gou­ver­ne­ment face aux feux de forêt et annon­cer les quelques mesures qu’allait conte­nir la loi « visant à ren­for­cer la pré­ven­tion et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incen­die », pro­mul­guée début juillet. Après la men­tion de l’obligation de débrous­saillage et la dis­tri­bu­tion pro­chaine de deux mil­lions de pros­pec­tus, le ministre s’est féli­ci­té de la mise en œuvre, dès le mois de juin, de la « Météo des forêts ». Grâce à un bul­le­tin jour­na­lier où les risques d’incendies seront indi­qués selon un code cou­leur en fonc­tion de leur inten­si­té, Christophe Béchu entend, lit-on dans la presse, faire entrer le réchauf­fe­ment cli­ma­tique « dans le quo­ti­dien des Français ». Et le ministre d’ajouter que l’État s’apprête à finan­cer dans quelques dépar­te­ments, outre des camé­ras de sur­veillance, « un dis­po­si­tif de car­to­gra­phie embar­quée qui per­met­tra aux pom­piers de pou­voir, sur des tablettes, repé­rer les endroits où ils peuvent trou­ver de l’eau quand ils sont en forêt ». Des gad­gets qui cachent mal les inéga­li­tés de moyens octroyés aux pom­piers entre les dépar­te­ments pour lut­ter effi­ca­ce­ment, sans par­ler des déci­sions com­plè­te­ment contraires à la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique prises par tous les gou­ver­ne­ments qui se sont suc­cé­dé ces der­nières décen­nies. En somme, dés­in­ves­tir, sur­veiller et s’enorgueillir de l’effort.

La forêt, l’incendie, la carte.

Ça n’est pas le titre d’une course d’orientation aux manettes d’un Canadair, pas plus que celui d’un roman à clés apo­ca­lyp­tique : c’est la simple asso­cia­tion d’un milieu, d’un aléa et d’une de leurs repré­sen­ta­tions gra­phiques qui s’invite de plus en plus fré­quem­ment dans les outils à dis­po­si­tion de l’action — et de l’inaction — publique. La forêt et la car­to­gra­phie, on com­mence à le com­prendre, ont une longue his­toire com­mune qui, la plu­part du temps, a été mise au ser­vice des pou­voirs royaux, impé­riaux ou répu­bli­cains pour contrô­ler les pro­vinces rétives, ou colo­ni­ser et sou­mettre des régions loin­taines6. Dans ce cadre, la car­to­gra­phie s’est faite l’auxiliaire d’une mise en ordre répon­dant aux impé­ra­tifs du pou­voir en place. Pour reprendre le titre d’un livre essen­tiel d’Yves Lacoste publié au milieu des années 1970, « la géo­gra­phie, ça sert, d’abord, à faire la guerre7 » ; le trai­te­ment réser­vé aux arbres, aux forêts, n’est pas étran­ger à ce désir de contrôle. Au cours du XVIIIe et du XIXe siècle, en Allemagne puis en France, des corps de fonc­tion­naires et de spé­cia­listes ont été consti­tués afin de ratio­na­li­ser l’action fores­tière publique. Ils inventent la syl­vi­cul­ture moderne. Dans L’Œil de l’État, l’anthropologue éta­su­nien James C. Scott s’appuie sur cet exemple pour décrire la logique uti­li­taire appli­quée à la forêt que plu­sieurs États géné­ra­lisent au XIXe siècle. Filant la méta­phore ocu­laire, il part de l’idée selon laquelle « cer­taines formes de savoir et de contrôle requièrent une réduc­tion du champ de vision » et explore en consé­quence « com­ment sim­pli­fi­ca­tion, lisi­bi­li­té et mani­pu­la­tion [ont été] appli­quées à la ges­tion des forêts8 ».

[Extrait de Dépaysage au Cameroun, 2020 | Agnès Stienne]

On connaît sans trop s’en rendre compte les forêts sim­pli­fiées qui sont le résul­tat de ce pro­ces­sus de ratio­na­li­sa­tion, repris, géné­ra­li­sé et accru par l’industrie du bois et du papier. C’est le mas­sif des Landes et ses allées inter­mi­nables de pins mari­times. Ce sont les taches de sapins de Douglas qui s’étendent sur le Plateau de Millevaches et dans le Morvan. Ce sont les ran­gées de peu­pliers qui par­sèment les val­lées flu­viales pour être régu­liè­re­ment rasées. À moins de tra­ver­ser ces forêts qui sont autant de plan­ta­tions et d’y prê­ter atten­tion, de recon­naître les essences qui y poussent, de com­prendre l’usage du bois exploi­té, il reste dif­fi­cile de se figu­rer le véri­table com­plexe indus­triel dont il est ques­tion. Avec son ouvrage Bouts de bois — Des objets aux forêts, la car­to­graphe et artiste Agnès Stienne a récem­ment entre­pris de mettre en lumière la grande sim­pli­fi­ca­tion des forêts fran­çaises et nous aide à y voir plus clair. Récits, cartes et ins­tal­la­tions artis­tiques s’entremêlent pour remon­ter des pro­duits de l’exploitation fores­tière à leurs condi­tions de pro­duc­tion, aux essences et aux mas­sifs qui cor­res­pondent. Quelques mois après les décla­ra­tions bien pâles du ministre dans le dépar­te­ment de la Sarthe, nous l’avons retrou­vée non loin, à deux pas des grands chênes ses­siles de cette même forêt doma­niale de Bercé. Si l’été incen­diaire n’avait pas encore débu­té, nous ver­rons que les grands feux ne sont pas étran­gers à son tra­vail. Dans son jar­din qu’elle nous fait visi­ter, on a retrou­vé cer­taines essences qu’elle asso­cie à des objets et des pro­ces­sus de pro­duc­tion dans son livre. À l’intérieur, sur les murs du salon, de la cui­sine et de l’atelier, ses com­po­si­tions faites de cagettes et d’éléments récu­pé­rés en forêt se dis­putent la place avec ses cartes et ses tableaux. Là, nous l’avons sui­vie dans une « déam­bu­la­tion qui, par-delà les pro­cé­dés indus­triels et les pra­tiques de la syl­vi­cul­ture, nous mène à tra­vers bois et sen­tiers pour inter­ro­ger notre rap­port à l’arbre et à la forêt9 ».

Plantations partout, diversité nulle part

« Partout ça brûle. La forêt. Partout. Partout, la forêt brûle », lit-on dans Bouts de bois, au détour d’un cha­pitre mys­té­rieu­se­ment inti­tu­lé « La cité côté jar­din ». Plus loin, une série d’illustrations tente d’« asso­cier sym­bo­li­que­ment le pay­sage d’une ville ins­crite dans son envi­ron­ne­ment à un sys­tème poli­tique » — en tout, sept cartes allant de l’anarchisme à l’ultralibéralisme. « Ça com­mence bien et ça finit mal », com­mente en riant leur concep­trice. « La cité anar­chiste est ce qui me paraît le plus vivable pour tout le monde. » Quel rap­port ces com­po­si­tions entre­tiennent-elles avec les incen­dies ? « J’étais par­tie des feux de forêt et d’un des­sin sur le fonc­tion­ne­ment des pare-feux », explique-t-elle. « Je me suis dit que ce que je des­si­nais était tout de même bizarre. C’était très ordon­né. Alors j’ai fait des recherches sur les sys­tèmes poli­tiques dont j’emprunte les éti­quettes. Je suis par­tie du fonc­tion­ne­ment glo­bal d’un sys­tème poli­tique et je l’ai appli­qué sur un ter­ri­toire. On voit qu’avec le sys­tème social-démo­crate, ça com­mence à foutre le camp. » La repré­sen­ta­tion la plus à même de décrire l’époque actuelle, en Europe, serait celle de la cité néo­li­bé­rale. Essayons de la décrire. Plusieurs car­rés sont imbri­qués les uns dans les autres. Autour d’un centre urbain très dense, on trouve des zones com­mer­ciales, quelques cultures bio « pour l’élite », des cultures hors-sol et des cultures indus­trielles. Un peu plus loin de la ville, se trouve l’espace pour les « boîtes à viande et à virus », le four­rage et les indus­tries agroa­li­men­taires. Plus loin encore, des plan­ta­tions indus­trielles d’arbres, des forêts sur­ex­ploi­tées, des parcs natu­rels domes­ti­qués et, enfin, des zones indus­trielles, des quar­tiers délais­sés, des lieux où des espèces dis­pa­raissent, le désert qui avance — un rêve.

« Avec ses cartes, ses gra­phiques et ses tableaux, Agnès Stienne retrace l’histoire fores­tière et agri­cole du capi­ta­lisme jusqu’à son actua­li­sa­tion néolibérale. »

Avec ses cartes, ses gra­phiques et ses tableaux, Agnès Stienne retrace l’histoire fores­tière et agri­cole du capi­ta­lisme jusqu’à son actua­li­sa­tion néo­li­bé­rale. Forte de ses tra­vaux pré­cé­dents sur l’accaparement du fon­cier en Indonésie, au Pérou ou en Éthiopie, elle montre que le modèle colo­nial de la plan­ta­tion s’est dif­fu­sé jusque dans les forêts fran­çaises. « Les plan­ta­tions de forêts en France sont dans la droite ligne de celles qu’on a pu impo­ser dans les colo­nies avant. J’ai décou­vert le terme de plan­ta­tio­no­cène en lisant le bou­quin de Malcom Ferdinand, Une éco­lo­gie déco­lo­niale. Cette notion me parle d’autant mieux que je m’intéresse de près aux usages de la terre, et plus par­ti­cu­liè­re­ment ceux des espaces ruraux. De mon point de vue, le chris­tia­nisme y a joué un rôle majeur puisque selon cette doc­trine, Dieu aurait don­né aux humains le pou­voir de façon­ner les pay­sages et de sou­mettre la nature selon leur gré. Le monde sau­vage doit être domes­ti­qué — et dans sau­vage il faut entendre les popu­la­tions non blanches, les femmes, les ani­maux, les plantes. » Ses cartes deviennent la tra­duc­tion gra­phique du sort fait aux pay­sages dans un monde dont l’un des moteurs, la plan­ta­tion, implique une sim­pli­fi­ca­tion tou­jours plus intense de leurs structures.

Alors qu’on dis­cute cette idée, elle s’interrompt et nous emmène dans son salon. Aux murs, des tableaux faits au pas­tel, qu’elle com­mente. « Ça, c’est la Beauce, autour d’un vil­lage. Il n’y a pas une haie, pas un arbre sur des kilo­mètres. » Au centre de l’œuvre, de la carte, un petit car­ré sym­bo­lise des bâti­ments agri­coles. Ailleurs, une immense par­celle céréa­lière qu’aucun obs­tacle ne contraint. « J’ai com­men­cé ce tra­vail après que le mou­ve­ment Terre de Liens a sor­ti un rap­port sur la dis­pa­ri­tion des agri­cul­teurs qui, du fait d’une très mau­vaise retraite, pré­fèrent vendre leurs terres à des finan­ciers plu­tôt qu’à des gens qui veulent s’installer, parce qu’ils en tirent plus d’argent. Malgré une étape de remem­bre­ment jusque dans les années 1980-1990, on conti­nue de sup­pri­mer des haies, de ras­sem­bler les terres entre elles pour faire des pro­prié­tés de plus en plus grandes, avec des machines de plus en plus grosses… Cette série, c’est une manière de dire On a déjà ça, et ce qui se pro­file c’est sa géné­ra­li­sa­tion sur l’ensemble du ter­ri­toire»

[Extrait de Plantations et cultures vivrières, 2021 | Agnès Stienne]

On songe à la jour­na­liste Lucile Leclair qui, dans un entre­tien, nous expli­quait que « la muta­tion d’une ferme [en] un centre de trans­for­ma­tion lamb­da » se pro­fi­lait par­tout en France. On se dit, peut-être pour se ras­su­rer, que les cartes qui sont sous nos yeux exa­gèrent. Qu’elles gros­sissent le trait. Rien moins. Celles qu’Agnès Stienne décrit ont été réa­li­sées à par­tir de Google Maps. C’est le simple décalque d’une vue aérienne d’un ter­ri­toire qui se trouve à une cen­taine de kilo­mètres du lieu où nous nous tenons, revue et inter­pré­tée par l’artiste-cartographe. Sur un mur voi­sin, une autre réa­li­sa­tion montre « le pays des bas­sines ». Là encore, une carte muette, où ne sub­sistent que les motifs struc­tu­rants du ter­ri­toire. « Ce que pointe ce mini­ma­lisme, c’est la dis­pa­ri­tion de la vita­li­té des cam­pagnes lorsque l’agro-industrie s’accapare des terres et de l’eau. Disparition des haies et des éco­sys­tèmes riches en bio­di­ver­si­té, dis­pa­ri­tion des bos­quets, dis­pa­ri­tion des struc­tures sociales, mort des vil­lages, dis­pa­ri­tion de la vie. C’est ce que j’ai ten­té de mon­trer dans ma série Dépaysage de pal­miers à l’huile et sur celle que j’ai com­men­cée sur le remem­bre­ment en France. » Dépaysage ? Elle pré­cise. « C’est la des­truc­tion de la vita­li­té d’un ter­ri­toire livré à l’uniformisation. C’est la des­truc­tion des pay­sages. Une plan­ta­tion c’est un anti-pay­sage. Quand on a de la mono­cul­ture, il n’y a plus de pay­sage. »

Pour une cartographie radicale

Concentration des terres, acca­pa­re­ment des res­sources, uni­for­mi­sa­tion extrême du ter­ri­toire : les ingré­dients d’un rap­port mar­chand et indus­triel au monde. Ou, pour le dire avec les mots de l’artiste : « Gestion, sim­pli­fi­ca­tion, garde à vous ! » L’assertion pour­rait paraître facile, mais il suf­fit de pen­ser aux car­re­fours en étoile et aux grandes allées rec­ti­lignes issus de l’aménagement des forêts royales pour la chasse à courre ou aux mono­cul­tures de cacao qui dévorent les forêts mixtes de Côte d’Ivoire avant de s’épuiser à leur tour pour se convaincre de sa per­ti­nence. Le tra­vail car­to­gra­phique d’Agnès Stienne rend visible cette grande sim­pli­fi­ca­tion. On a évo­qué leur mini­ma­lisme et leur sché­ma­tisme, il faut ajou­ter qu’elles sont pour la plu­part muettes, c’est-à-dire sans légende ni topo­nymes. Les formes et les struc­tures qu’elles révèlent parlent d’elles-mêmes. Ainsi ne se contentent-elles pas de ser­vir d’illustration. Elles peuvent être affi­chées, expo­sées. Leur autrice s’explique : « J’ai fait beau­coup d’allers-retours entre car­to­gra­phie et art. S’est déve­lop­pée une image entre les deux, qui est une œuvre à part entière. C’est par les arts gra­phiques que je suis venue à la car­to­gra­phie, que j’ai décou­verte avec Philippe Rekacewicz, pas l’inverse. »

« L’évidence a écla­té au grand jour : on ne pro­duit que des choses en fonc­tion des arbres qu’on fait pous­ser, on a une dizaine d’essences pour une dizaine d’objets ! »

La men­tion du géo­graphe, figure du Monde diplo­ma­tique et fervent pro­mo­teur de la contre-car­to­gra­phie et de la car­to­gra­phie radi­cale, semble ins­crire Agnès Stienne dans cette filia­tion. Elle nuance pour­tant : « Ça m’intéresse mais je ne cherche pas spé­ci­fi­que­ment à uti­li­ser ces outils-là. Venant des arts gra­phiques, je ne suis pas for­ma­tée par la géo­gra­phie mais plu­tôt par une repré­sen­ta­tion qui peut être un peu pro­vo­ca­trice, comme pour des affiches — je pense aux affiches mili­tantes ou poli­tiques. Peut-être que c’est pour ça que la car­to­gra­phie radi­cale me parle tout de même : ça reste une image, qui peut être là pour pro­vo­quer ou dénon­cer. » L’historienne de la car­to­gra­phie Nepthys Zwer et Philippe Rekacewicz ne l’auraient sans doute pas contre­dite : l’art et la car­to­gra­phie peuvent faire bon ménage. Dans leur ouvrage com­mun, Cartographie radi­cale — Explorations, un cha­pitre entier est même consa­cré au mariage des deux dis­ci­plines. « La carte radi­cale et l’art tel qu’il est conçu et pra­ti­qué aujourd’hui par­tagent la même nature anti­ci­pa­trice et agi­ta­trice10. » Au cœur de la contre-car­to­gra­phie résident en effet la volon­té de dévoi­ler des méca­nismes invi­si­bi­li­sés par les cartes ins­ti­tu­tion­nelles, le sou­hait de se mettre au ser­vice de l’émancipation et, enfin, la volon­té d’assumer le regard sub­jec­tif, indi­vi­duel ou col­lec­tif, qui sou­tient toute démarche de repré­sen­ta­tion du monde. Comme l’écrit Nepthys Zwer ailleurs, un véri­table « acti­visme car­to­gra­phique » doit prendre une part de plus en plus large dans les luttes contem­po­raines11.

Agnès Stienne pré­fère, elle, par­ler tex­tures et nuances plu­tôt que pro­jec­tions satel­li­taires, his­toire de l’art plu­tôt que sémio­lo­gie gra­phique. « S’il y a un artiste qui a pu m’inspirer, c’est Paul Klee. Il a fait de la car­to­gra­phie en fai­sant de la pein­ture. Sur cer­taines toiles on voit des par­celles… À un moment, j’ai sou­hai­té expli­ci­ter le pro­ces­sus de colo­ni­sa­tion des terres en Afrique et en Amérique latine. Mais je ne vou­lais pas d’organigrammes, de trucs avec des textes, ni d’aplats — donc je ne le fai­sais pas. Pour la énième fois, j’ai feuille­té un cata­logue de Paul Klee. Je suis tom­bée sur une pein­ture où il y a des petits points de cou­leurs sépa­rés d’un trait noir… Je me suis dit qu’il fal­lait que je parte de là, d’un sys­tème de poin­tillés avec une cou­leur par repré­sen­ta­tion. » Le tra­vail de l’artiste alle­mand a ain­si ins­pi­ré un article où, en treize cartes, sont bros­sés « à grands traits et petits car­rés les évé­ne­ments qui ont mar­qué les régimes fon­ciers ruraux des pays affec­tés par […] la concen­tra­tion des terres ». L’espace plan n’est pas tout. Le tra­vail d’Agnès Stienne use aus­si des reliefs, des formes, des objets, et ne se borne pas aux pas­tels et au papier coton. On la suit dans un esca­lier pour rejoindre son petit ate­lier situé à l’étage. Elle tire de sous son éta­bli plu­sieurs caisses et boîtes avec des élé­ments récu­pé­rés en forêt ou ailleurs et soi­gneu­se­ment clas­sés : des rameaux, des glands et des faînes, de l’écorce, du lichen, des mousses ou encore des bou­chons de liège. On com­mence à mieux com­prendre le sous-titre de son ouvrage : Des objets aux forêts.

[Extrait de Dépaysage à Bornéo, Indonésie, 2019 | Agnès Stienne]

Des objets aux forêts

Au milieu de ses trou­vailles, Agnès Stienne revient sur la démarche à l’origine de son livre. « La logique était celle-là : par­tir d’un objet puis trou­ver l’essence et un mas­sif fores­tier qui cor­res­pondent — parce que nous avons des mas­sifs fores­tiers qui sont spé­ci­fiques ! Si on avait des forêts plus mixtes, ça m’aurait posé des pro­blèmes, je n’aurais pas pu faire ce tra­vail comme ça. Mais l’évidence a écla­té au grand jour : on ne pro­duit que des choses en fonc­tion des arbres qu’on fait pous­ser, on a une dizaine d’essences pour une dizaine d’objets ! » Prenons un bou­chon et sui­vons le fil de sa fabri­ca­tion : der­rière se trouvent le chêne liège, les qua­rante années de crois­sance et les trois récoltes suc­ces­sives néces­saires à l’obtention de la qua­li­té requise pour conser­ver des vins consom­més en un rien de temps. Prenons ensuite le papier sur lequel on écrit ou qui efface une tâche sur la table : pour le pro­duire, il a fal­lu abattre des arbres afin qu’ils soient broyés, réduits en bouillie pour ser­vir à la pro­duc­tion des pâtes mar­chandes, méca­niques ou chi­miques. On nomme d’ailleurs les bois en ques­tion en fonc­tion de l’action ser­vant à les trans­for­mer : ce sont des bois de tri­tu­ra­tion. Et il en va ain­si de tous les pro­duits issus de l’exploitation fores­tière : « Au début j’ai fait la cagette, puis j’ai vou­lu faire la palette, parce que ça me sem­blait être un objet majeur de notre époque. Alors on ren­contre l’épicéa, on découvre qu’il y a eu des plan­ta­tions… »

On quitte la mai­son, les cagettes et les palettes pour rega­gner le jar­din. Un train passe non loin de là à faible allure — la gare est toute proche. « Les tra­verses de che­min de fer m’ont ame­née au chêne puis au réseau lui-même. » Elle ne s’est pas conten­tée de faire la géo­gra­phie fran­çaise du chêne pédon­cu­lé, prin­ci­pal pour­voyeur en tra­verses, mais a aus­si car­to­gra­phié l’évolution du réseau fer­ré depuis la fin du XIXe siècle et a déplié le pro­blème de san­té publique cau­sé par la mise en cir­cu­la­tion de tra­verses trai­tées au créo­sote pour que des particulier·es agré­mentent leurs jar­dins. Avec leur « 6 mètres de long, 25 cen­ti­mètres de large et 15 cen­ti­mètres d’épaisseur, pour un poids de 25 kilo­grammes dont 6 kilo­grammes de créo­sote », ces simples « bouts de bois » portent un fais­ceau d’enjeux et une pro­fon­deur his­to­rique qu’on n’aurait pas soupçonnés.

*

« Simplification, uni­for­mi­sa­tion, appau­vris­se­ment bio­lo­gique, éco­sys­té­mique, cultu­rel : ce sont là les résul­tats d’un rap­port stric­te­ment fonc­tion­nel et indus­triel au monde. »

À l’issue de cette déam­bu­la­tion, une conclu­sion s’impose : on adapte les forêts à l’industrie, à ses outils, à ses pro­duits, à ses inté­rêts. Les incen­dies auquel nous fai­sons face en sont, en par­tie, la consé­quence. Selon Joëlle Zask, en effet, « l’industrie fores­tière et les grands feux de forêt forment ain­si un couple insé­pa­rable : l’appauvrissement de la bio­di­ver­si­té que la pre­mière pro­voque pré­pare le ter­rain pour les seconds qui, en rai­son de leur inten­si­té, perdent leur effet poten­tiel­le­ment béné­fiques pour le main­tien de la bio­di­ver­si­té12 ». Simplification, uni­for­mi­sa­tion, mais aus­si appau­vris­se­ment bio­lo­gique, éco­sys­té­mique, cultu­rel : ce sont là les résul­tats d’un rap­port stric­te­ment fonc­tion­nel et indus­triel au monde, à ses milieux natu­rels, aux res­sources dont on fait usage. Rien de sur­pre­nant là-dedans : c’est une his­toire vieille comme le capi­ta­lisme. Prenons un der­nier exemple, hors des bois cette fois. L’historien Theodore Steinberg a révé­lé qu’au cours du XIXe siècle, aux États-Unis, les rives, puis l’eau et sa force motrice ont été peu à peu pri­va­ti­sées afin que « l’eau [réponde] aux besoins en éner­gie des fila­tures13 ». L’eau, jusqu’alors inap­pro­priable en rai­son de son carac­tère mobile, fluide, sans cesse chan­geant, est tom­bée dans les nasses de l’industrie avec l’aide du droit. L’extractivisme se moque des pro­duits exploi­tés : il en va de l’eau comme des forêts, de la force du cou­rant comme des incendies.

Pour répondre à une vora­ci­té qui s’impose jusque dans la catas­trophe, c’est tout un ima­gi­naire fonc­tion­nel qu’il convient de déman­te­ler afin de construire « une authen­tique poli­tique fores­tière ». Celle-ci pour­rait s’inspirer de ce que le phi­lo­sophe Jean-Baptiste Vidalou, auteur du beau Être forêts, nous rap­pe­lait dans un entre­tien : « la forêt est d’emblée plu­rielle, conjonc­tion d’un ensemble de mondes ». Celle-ci « se déploie comme un rhi­zome, avec tous les êtres vivants qui la com­posent : il y a une pro­li­fé­ra­tion de formes de vie. Il n’y a pas un arbre comme un indi­vi­du, plus un autre, qui crée­raient une forêt ». Alors quelle place accor­der à ces réseaux ser­rés de vie pour enfin remettre du désordre dans les bois ? Pour Agnès Stienne, une poli­tique fores­tière adé­quate consis­te­rait à « pri­vi­lé­gier des forêts mixtes, impli­quer les gens et les col­lec­ti­vi­tés locales dans la dyna­mique de la forêt, avoir un arti­sa­nat qui suive ». Des forêts habi­tées, soi­gnées, publiques et com­munes. Elle ajoute que des droits d’usage en fonc­tion des capa­ci­tés et des dési­rs de chacun·e devraient pré­va­loir sur un droit de pro­prié­té abso­lu et exclu­sif. À l’avenir, sans doute conti­nue­ra-t-elle, par ses œuvres, à appuyer dans ce sens, mal­gré un opti­misme allant s’amenuisant. À coup sûr, les cartes auront toute leur place dans la réa­li­sa­tion d’un tel pro­gramme. Mais elles ne seront pas seules : des dizaines de mil­liers de forestier·es, bûcheron·nes, charpentier·es, scieur·ses et menuisier·es porteur·ses d’alternatives fores­tières seront là pour s’en ser­vir — et sau­ront par­fois s’en passer.


Illustration de ban­nière : La forêt, 2021 | Agnès Stienne
Illustration de vignette : Le feu, 2021 | Agnès Stienne


  1. Dans le cadre de ce qu’on a cou­tume de consi­dé­rer comme des poli­tiques de pro­tec­tion de l’environnement, il faut dis­tin­guer entre pré­ser­va­tion­nisme et conser­va­tion­nisme, deux cou­rants nés aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Le pré­ser­va­tion­nisme consi­dère que la nature a une valeur intrin­sèque, qui implique qu’elle doive être pro­té­gée de manière stricte, en excluant autant que pos­sible les acti­vi­tés humaines des sites ciblés. Le conser­va­tion­nisme entend pour sa part pro­té­ger un site tout en pour­sui­vant l’exploitation des res­sources natu­relles qui s’y trouve — les acti­vi­tés humaines en sont pas exclues. Voir l’article de Samuel Depraz, « Notion à la une : pro­té­ger, pré­ser­ver ou conser­ver la nature ? », Géoconfluences, avril 2013.[]
  2. À ce pro­pos, on peut lire Christian Barthod, « Redécouvrir Gifford Pinchot (1865-1946) », Revue fores­tière fran­çaise, vol. 67, n° 1, 2015.[]
  3. Pour une syn­thèse, voir Joëlle Zask, Quand la forêt brûle — Penser la nou­velle catas­trophe éco­lo­giste, Premier Parallèle, 2022.[]
  4. Joëlle Zask, op. cit., p. 15.[]
  5. Joëlle Zask, op. cit., p. 111.[]
  6. Voir entre autres les livres de Bertrand Westphal, Le Monde plau­sible. Espace, lieu, carte, Éditions de Minuit, 2011 et de Jean-Baptiste Vidalou, Être forêts : habi­ter des ter­ri­toires en lutte, Zones, 2017.[]
  7. Yves Lacoste, La Géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, La Découverte, 2014 (1976).[]
  8. James C. Scott, L’Œil de l’État Moderniser, uni­for­mi­ser, détruire, La Découverte, 2021. Le cha­pitre à pro­pos des forêts est dis­po­nible en ligne.[]
  9. Agnès Stienne, Bouts de bois — Des objets aux forêts, Zones, 2023, p. 7.[]
  10. Nepthys Zwer et Philippe Rekacewicz, Cartographie radi­cale — Explorations, La Découverte, 2021, p. 259.[]
  11. Kollektiv Orangotango+ et Nephtys Zwer (dir.), Ceci n’est pas un atlas — La car­to­gra­phie comme outil de luttes, édi­tions du Commun, 2023.[]
  12. Joëlle Zask, op. cit., p. 60.[]
  13. Voir la tra­duc­tion d’un de ses textes, « Les eaux de l’industrie », dans Frédéric Graber et Fabien Locher (dir.), Posséder la nature, Amsterdam, 2022.[]

REBONDS

☰ Lire notre article « Revenir au bois : pour des alter­na­tives fores­tières », Roméo Bondon, juin 2023
☰ Lire notre article « Les forêts, du fan­tasme occi­den­tal à l’émancipation déco­lo­niale », Cyprine et Layé, mai 2022
☰ Lire notre article « Pyrénées : contre une scie­rie indus­trielle, défendre la forêt », Loez, octobre 2020
☰ Lire notre tra­duc­tion « Des graines fugi­tives », Christian Brooks Keeve, juillet 2020
☰ Lire notre entre­tien avec la revue Paysageur : arpen­ter les ter­ri­toires, mai 2020
☰ Lire notre entre­tien avec François-Xavier Drouet : « La forêt est un champ de bataille », octobre 2018


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Roméo Bondon

Doctorant en géographie. Il a récemment coordonné avec Elias Boisjean Cause animale, luttes sociales (Le Passager clandestin, 2021) et publié avec Raphaël Mathevet Sangliers - Géographies d'un animal politique (Actes Sud, 2022).

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