« [L]’importante tradition du socialisme est à remettre fondamentalement en question, car tout ce que cette tradition socialiste a produit dans l’histoire est à condamner« , lançait Michel Foucault au cours d’un entretien paru en décembre 1977. Un an plus tard, celui qui jurait en avoir « totalement fini avec Marx » saluait dans la presse italienne, de retour d’Iran, l’ouverture « dans la politique [d’]une dimension spirituelle » et prédisait qu’« il n’y aura pas de gouvernement de Khomeyni ». Les raisons de tenir le philosophe à distance ne manquent donc pas — c’est du moins la position d’une partie de notre rédaction. Mais d’une partie seulement. Nous avons dès lors questionné son œuvre à plusieurs reprises : en 2014, le sociologue belge Daniel Zamora, coordinateur d’un ouvrage collectif paru à son sujet, lui reprochait son attirance pour le libéralisme économique ; deux ans plus tard, la philosophe marxiste Isabelle Garo saluait dans nos colonnes sa « volonté de compréhension du monde contemporain » ; enfin, nous publiions en 2020 une longue discussion critique avec le professeur de théorie politique Jean-Yves Pranchère, lequel assurait que Foucault « nous laisse l’importante question de l’émancipation individuelle« . « Je crois avoir été localisé tour à tour et parfois simultanément sur la plupart des cases de l’échiquier politique« , confiait, sans le déplorer, le penseur : nous prolongeons la discussion en 26 lettres.
Anormal : « Par pensée médicale, j’entends une façon de percevoir les choses qui s’organise autour de la norme, c’est-à-dire qui essaie de partager ce qui est normal de ce qui est anormal, qui n’est pas tout à fait justement le licite et l’illicite ; la pensée juridique distingue le licite et l’illicite, la pensée médicale distingue le normal et l’anormal ; elle se donne, elle cherche aussi à se donner des moyens de correction qui ne sont pas exactement des moyens de punition, mais des moyens de transformation de l’individu, toute une technologie du comportement de l’être humain qui est liée à cela. » (« Le pouvoir, une bête magnifique », entretien avec M. Osorio, Quadernos para el dialogo, n° 238, 1977, Dits et écrits, II, Gallimard, 1994)
Biopolitique : « Ce pouvoir sur la vie s’est développé depuis le XVIIe siècle sous deux formes principales […]. L’un des pôles, le premier, semble-t-il, à s’être formé, a été centré sur le corps comme machine : son dressage, la majoration de ses aptitudes, l’extorsion de ses forces, la croissance parallèle de son utilité et de sa docilité, son intégration à des systèmes de contrôle efficaces et économiques, tout cela a été assuré par des procédures de pouvoir qui caractérisent les disciplines : anatomo-politique du corps humain. Le second, qui s’est formé un peu plus tard, vers le milieu du XVIIIe siècle, est centré sur le corps-espèce, sur le corps traversé par la mécanique du vivant et servant de support aux processus biologiques : la prolifération, les naissances et la mortalité, le niveau de santé, la durée de vie, la longévité avec toutes les conditions qui peuvent les faire varier ; leur prise en charge s’opère par toute une série d’interventions et de contrôles régulateurs : une bio-politique de la population. Les disciplines du corps et les régulations de la population constituent les deux pôles autour desquels s’est déployée l’organisation du pouvoir sur la vie. » (Histoire de la sexualité — La Volonté de savoir, Gallimard, 1976)
Corps : « Le pouvoir politique, avant même d’agir sur l’idéologie, sur la conscience des personnes, s’exerce de façon beaucoup plus physique sur leur corps. La manière dont on leur impose des gestes, des attitudes, des usages, des répartitions dans l’espace, des modalités de logement, cette distribution physique, spatiale des gens appartient, me semble-t-il, à une technologie politique du corps. » (« Prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir », entretien avec M. D’Eramo, Avanti, n° 53, 1974, Dits et écrits, II, Gallimard, 1994)
Délinquant : « On dit que la prison fabrique des délinquants ; c’est vrai qu’elle reconduit, presque fatalement, devant les tribunaux ceux qui lui ont été confiés. Mais elle les fabrique en cet autre sens qu’elle a introduit dans le jeu de la loi et de l’infraction, du juge et de l’infracteur, du condamné et du bourreau, la réalité incorporelle de la délinquance. » (Surveiller et punir, Gallimard, 1975)
Événement : « Événement : il faut entendre par là non pas une décision, un traité, un règne, ou une bataille, mais un rapport de forces qui s’inverse, un pouvoir confisqué, un vocabulaire repris et retourné contre ses utilisateurs, une domination qui s’affaiblit, se détend, s’empoisonne elle-même, une autre qui fait son entrée, masquée. Les forces qui sont en jeu dans l’histoire n’obéissent ni à une destination ni à une mécanique, mais bien au hasard de la lutte. Elles ne se manifestent pas comme les formes successives d’une intention primordiale ; elles ne prennent pas non plus l’allure d’un résultat. Elles apparaissent toujours dans l’aléa singulier de l’événement. » (« Nietzsche, la généalogie, l’histoire », Hommage à Jean Hyppolite, PUF, 1971, Dits et écrits, I, Gallimard, 1994)
Folie : « Au milieu du monde serein de la maladie mentale, l’homme moderne ne communique plus avec le fou : il y a d’une part l’homme de raison qui délègue vers la folie le médecin, n’autorisant ainsi de rapport qu’à travers l’universalité abstraite de la maladie ; il y a d’autre part l’homme de folie qui ne communique avec l’autre que par l’intermédiaire d’une raison tout aussi abstraite, qui est ordre, contrainte physique et morale, pression anonyme du groupe, exigence de conformité. De langage commun, il n’y en a pas ; ou plutôt il n’y en a plus ; la constitution de la folie comme maladie mentale, à la fin du XVIIIe siècle, dresse le constat d’un dialogue rompu, donne la séparation comme déjà acquise, et enfonce dans l’oubli tous ces mots imparfaits, sans syntaxe fixe, un peu balbutiants, dans lesquels se faisait l’échange de la folie et de la raison. Le langage de la psychiatrie, qui est monologue de la raison sur la folie, n’a pu s’établir que sur un tel silence. » (« Préface », Folie et Déraison — Histoire de la folie à l’âge classique, Plon, 1961)
Gouvernement : « Le terme de conduite
avec son équivoque même est peut-être l’un de ceux qui permettent le mieux de saisir ce qu’il y a de spécifique dans les relations de pouvoir. La conduite
est à la fois l’acte de mener
les autres (selon des mécanismes de coercition plus ou moins stricts) et la manière de se comporter dans un champ plus ou moins ouvert de possibilités. L’exercice du pouvoir consiste à conduire des conduites
et à aménager la probabilité. Le pouvoir, au fond, est moins de l’ordre de l’affrontement entre deux adversaires, ou de l’engagement de l’un à l’égard de l’autre, que de l’ordre du gouvernement
. […] Gouverner, en ce sens, c’est structurer le champ d’action éventuel des autres. » (« Le Sujet et le pouvoir », Dreyfus H. & Rabinow P., Michel Foucault, beyond structuralism and hermeneutics, The University of Chicago Press, 1982, Dits et écrits, II, Gallimard, 1994)
Homosexualité : « L’homosexuel du XIXe siècle est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie ; une morphologie aussi, avec une anatomie indiscrète et peut-être une physiologie mystérieuse. Rien de ce qu’il est au total n’échappe à sa sexualité. Partout en lui, elle est présente : sous-jacente à toutes ses conduites parce qu’elle en est le principe insidieux et indéfiniment actif […]. Il ne faut pas oublier que la catégorie psychologique, psychiatrique, médicale de l’homosexualité s’est constituée du jour où on l’a caractérisée […] moins par un type de relations sexuelles que par une certaine qualité de la sensibilité sexuelle, une certaine manière d’intervertir en soi-même le masculin et le féminin. L’homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l’âme. Le sodomite était un relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce. » (Histoire de la sexualité — La Volonté de savoir, Gallimard 1976)
Identité : « L’histoire, généalogiquement dirigée, n’a pas pour fin de retrouver les racines de notre identité, mais de s’acharner au contraire à la dissiper ; elle n’entreprend pas de repérer le foyer unique d’où nous venons, cette première partie où les métaphysiciens nous promettent que nous ferons retour ; elle entreprend de faire apparaître toutes les discontinuités qui nous traversent. » (« Nietzsche, la généalogie, l’histoire », Hommage à Jean Hyppolite, PUF, 1971, Dits et écrits, I, Gallimard, 1994)
Justice : « La pénalité ne réprimerait
pas purement et simplement les illégalismes ; elle les différencierait
, elle en assurerait l’économie
générale. Et si on peut parler d’une justice de classe ce n’est pas seulement parce que la loi elle-même ou la manière de l’appliquer servent les intérêts d’une classe, c’est que toute la gestion différentielle des illégalismes par l’intermédiaire de la pénalité fait partie de ces mécanismes de domination. » (Surveiller et punir, Gallimard, 1975)
Kant : « Il me semble qu’on peut donner un sens à cette interrogation critique sur le présent et sur nous-mêmes que Kant a formulé en réfléchissant sur l’Aufklärung [nom donné au siècle des Lumières en allemand, ndlr]. Il me semble que c’est même là une façon de philosopher qui n’a pas été sans importance ni efficacité depuis les deux derniers siècles. L’ontologie critique de nous-mêmes, il faut la considérer non certes comme une théorie, une doctrine, ni même un corps permanent de savoir qui s’accumule ; il faut la concevoir comme une attitude, un ethos, une vie philosophique où la critique de ce que nous sommes est à la fois analyse des limites qui nous sont posées et épreuve de leur franchissement possible. » (« Qu’est-ce que les Lumières », The Foucault Reader, Pantheon Books, 1984, Dits et écrits, II, Gallimard, 1994)
Lutte : « Toutes les grandes phases d’évolution du système pénal, du système répressif, sont des façons de répondre à des luttes populaires. L’envers du système répressif, ce n’est pas la délinquance, c’est la lutte populaire, la lutte du peuple contre le pouvoir. » (Théories et institutions pénales — Cours au Collège de France. 1971-1972, Gallimard/Seuil, 2015)
Microphysique : « L’étude de cette microphysique suppose que le pouvoir qui s’y exerce ne soit pas conçu comme une propriété, mais comme une stratégie, que ses effets de domination ne soient pas attribués à une appropriation
, mais à des dispositions, à des manœuvres, à des tactiques, à des techniques, à des fonctionnements ; qu’on déchiffre en lui plutôt un réseau de relations toujours tendues, toujours en activité plutôt qu’un privilège qu’on pourrait détenir ; qu’on lui donne pour modèle la bataille perpétuelle plutôt que le contrat qui opère une cession ou la conquête qui s’empare d’un domaine. Il faut en somme admettre que ce pouvoir s’exerce plutôt qu’il ne se possède, qu’il n’est pas le privilège
acquis ou conservé de la classe dominante, mais l’effet d’ensemble de ses positions stratégiques — effet que manifeste et parfois reconduit la position de ceux qui sont dominés. […] [Ces relations] ne sont pas univoques ; elles définissent des points innombrables d’affrontement, des foyers d’instabilité dont chacun comporte ses risques de conflit, de luttes, et d’inversion au moins transitoire des rapports de forces. » (Surveiller et punir, Gallimard, 1975)
Néolibéralisme : « Dans le néolibéralisme […], l’homo œconomicus, c’est un entrepreneur, et un entrepreneur de lui-même. Et cette chose est si vraie que, pratiquement, ça va être l’enjeu de toutes les analyses que font les néolibéraux, de substituer à chaque instant, à l’homo œconomicus partenaire de l’échange, un homo œconomicus entrepreneur de lui-même, étant à lui-même son propre capital, étant pour lui-même son propre producteur, étant lui-même la source de [ses] revenus. » (Naissance de la biopolitique — Cours au Collège de France. 1978-1979, Gallimard/Seuil, 2004)
Occident : « Il ne faut jamais oublier que la colonisation, avec ses techniques, ses armes politiques et juridiques, a bien sûr transporté des modèles européens sur d’autres continents, mais qu’elle a eu aussi de nombreux effets de retour sur les mécanismes de pouvoir en Occident, sur les appareils, institutions et techniques de pouvoir. Il y a eu toute une série de modèles coloniaux qui ont été rapportés en Occident, et qui a fait que l’Occident a pu pratiquer aussi sur lui-même quelque chose comme une colonisation, un colonialisme interne. » (« Il faut défendre la société », Cours au Collège de France. 1976, Gallimard/Seuil, 1997)
Plèbe : « Il y a bien toujours quelque chose, dans le corps social, dans les classes, dans les groupes, dans les individus eux-mêmes, qui échappe d’une certaine manière aux relations de pouvoir : quelque chose qui est non point la matière première plus ou moins docile ou rétive, mais qui est le mouvement centrifuge, l’énergie inverse, l’échappée. […] Cette part de la plèbe, c’est moins l’extérieur par rapport aux relations de pouvoir que leur limite, leur envers, leur contrecoup ; c’est ce qui répond, à toute avancée du pouvoir, par un mouvement pour s’en dégager ; c’est donc ce qui motive tout nouveau développement des réseaux de pouvoir ». (« Pouvoir et stratégies. Entretien avec Jacques Rancière et Michel Foucault », Les révoltes logiques, n°4, 1977, Dits et écrits, II, Gallimard, 1994)
Quadrillage : « Nul de nous n’est sûr d’échapper à la prison. Aujourd’hui moins que jamais. Sur notre vie de tous les jours, le quadrillage policier se resserre : dans la rue et sur les routes ; autour des étrangers et des jeunes, le délit d’opinion est réapparu : les mesures antidrogue multiplient l’arbitraire. Nous sommes sous le signe de la garde à vue
. On nous dit que la justice est débordée. Nous le voyons bien. Mais si c’était la police qui l’avait débordée ? On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la population qui était suremprisonnée ? » (« Manifeste du G.I.P », 1971, Dits et écrits, I, Gallimard, 1994)
Résistance : « Là où il y a pouvoir, il y a résistance et pourtant, ou plutôt par là même, celle-ci n’est jamais en position d’extériorité par rapport au pouvoir. […] Ces points de résistance sont présents partout dans le réseau de pouvoir. Il n’y a donc pas par rapport au pouvoir un lieu du grand Refus — âme de la révolte, foyer de toutes les rébellions, loi pure du révolutionnaire. Mais des résistances qui sont des cas d’espèces : possibles, nécessaires, improbables, spontanées, sauvages, solitaires, concertées, rampantes, violentes, irréconciliables, promptes à la transaction, intéressées, ou sacrificielles ; par définition, elles ne peuvent exister que dans le champ stratégique des relations de pouvoir. […] Les résistances ne relèvent pas de quelques principes hétérogènes ; mais elles ne sont pas pour autant leurre ou promesse nécessairement déçue. Elles sont l’autre terme, dans les relations de pouvoir ; elles s’y inscrivent comme l’irréductible vis-à-vis. » (Histoire de la sexualité — La Volonté de savoir, Gallimard 1976)
Sexe : « La société qui se développe au XVIIIe siècle — qu’on appellera comme on voudra bourgeoise, capitaliste ou industrielle — n’a pas opposé au sexe un refus fondamental de le reconnaître. Elle a au contraire mis en œuvre tout un appareil pour produire sur lui des discours vrais. Non seulement, elle a beaucoup parlé de lui et contraint chacun à en parler ; mais elle a entrepris d’en formuler la vérité réglée. Comme si elle suspectait en lui un secret capital. Comme si elle avait besoin de cette production de vérité. Comme s’il lui était essentiel que le sexe soit inscrit, non seulement dans une économie du plaisir, mais dans un régime ordonné de savoir. Ainsi, il est devenu peu à peu l’objet du grand soupçon ; le sens général et inquiétant qui traverse malgré nous nos conduites et nos existences ; le point de fragilité par où nous viennent les menaces du mal ; le fragment de nuit que chacun de nous porte en soi. Signification générale, secret universel, cause omniprésente, peur qui ne cesse pas. » (Histoire de la sexualité — La Volonté de savoir, Gallimard, 1976)
Tournevis : « Tous mes livres […] sont, si vous, voulez, des petites boîtes à outils. Si les gens veulent bien les ouvrir, se servir de telle phrase, de telle idée, telle analyse comme d’un tournevis ou d’un desserre-boulon, pour court-circuiter, disqualifier, casser les systèmes de pouvoir, y compris éventuellement ceux-là mêmes dont mes livres sont issus… eh bien c’est tant mieux. » (« Des supplices au cellules », entretien avec R.-P. Droit, Le Monde, 1984, Dits et écrits, I, Gallimard, 1994)
Universaux : « Au lieu de partir des universaux pour en déduire des phénomènes concrets, ou plutôt que de partir des universaux comme grille d’intelligibilité obligatoire pour un certain nombre de pratiques concrètes, je voudrais partir de ces pratiques concrètes et passer en quelque sorte les universaux à la grille de ces pratiques […]. L’historicisme part de l’universel et le passe en quelque sorte à la râpe de l’histoire. Mon problème est tout inverse. Je pars de la décision, à la fois théorique et méthodologique, qui consiste à dire : supposons que les universaux n’existent pas. » (Naissance de la biopolitique — Cours au Collège de France. 1978-1979, Gallimard/Seuil, 2004)
Vérité : « Il faut cesser de toujours décrire les effets de pouvoir en termes négatifs : il exclut
, il réprime
, il refoule
, il censure
, il abstrait
, il masque
, il cache
. En fait le pouvoir produit ; il produit du réel ; il produit des domaines d’objets et des rituels de vérité. » (Surveiller et punir, Gallimard, 1975)
Wirkliche Historie : « Le sens historique échappera à la métaphysique pour devenir l’instrument privilégie de la généalogie s’il ne se repère sur aucun absolu. […] Le sens historique, et c’est en cela qu’il pratique la wirkliche Historie, réintroduit dans le devenir tout ce qu’on avait cru immortel chez l’homme. […] Rien en l’homme — pas même son corps — n’est assez fixe pour comprendre les autres hommes et se reconnaître en eux. […] L’histoire sera effective
dans la mesure où elle introduira le discontinu dans notre être même. Elle divisera nos sentiments ; elle dramatisera nos instincts, elle multipliera notre corps et l’opposera à lui-même. Elle ne laissera rien au-dessous de soi, qui aurait la stabilité rassurante de la vie ou de la nature ; elle ne se laissera porter par aucun entêtement muet, vers une fin millénaire. Elle creusera ce sur quoi on aime à la faire reposer, et s’acharnera contre sa prétendue continuité. » (« Nietzsche, la généalogie, l’histoire », Hommage à Jean Hyppolite, PUF, 1971, Dits et écrits, I, Gallimard, 1994)
XIXe siècle : « L’existence du délit politique, où [le pouvoir] se donne bien comme attaqué en tant que pouvoir, lui permet de faire apparaître par contraste le délit de droit commun, où il défendrait comme étant ce qui a été attaqué comme nature ou intérêt général ou morale. L’opposition politique / droit commun est une pièce politique essentielle dans la pénalité du XIXe siècle. Elle lui permet de masquer que […] le crime se définit par rapport au pouvoir, [que] le champ de la pénalité a été découpé et spécifié par lui, [qu’]il est devenu l’élément déterminant de tout le fonctionnement de ce système pénal » (Théories et institutions pénales — Cours au Collège de France. 1971-1972, Gallimard/Seuil, 2015)
Yeux : « Quant au motif qui m’a poussé, il était fort simple. Aux yeux de certains, j’espère qu’il pourrait par lui-même suffire. C’est la curiosité, — la seule espèce de curiosité, en tout cas, qui vaille la peine d’être pratiquée avec un peu d’obstination : non pas celle qui cherche à s’assimiler ce qu’il convient de connaître, mais celle qui permet de se déprendre de soi-même. Que vaudrait l’acharnement du savoir s’il ne devait assurer que l’acquisition des connaissances, et non pas, d’une certaine façon et autant que faire se peut, l’égarement de celui qui connaît ? » (Histoire de la sexualité — L’Usage des plaisirs, Gallimard 1984)
Zéro : « Le pouvoir, ce n’est pas une propriété, ce n’est pas une puissance ; le pouvoir ce n’est jamais qu’une relation qu’on ne peut, et ne doit, étudier qu’en fonction des termes entre lesquels cette relation joue. On ne peut faire ni l’histoire des rois, ni l’histoire des peuples, mais l’histoire de ce qui constitue, l’un en face de l’autre, ces deux termes, dont l’un n’est jamais l’infini et l’autre n’est jamais le zéro. » (« Il faut défendre la société », Cours au Collège de France. 1976, Gallimard/Seuil, 1997)
Tous les abécédaires sont confectionnés, par nos soins, sur la base des ouvrages, articles et correspondances des auteur·es.
Illustration de bannière : Hariton Pushwagner
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