Les animaux au cœur de l’émancipation


Entretien inédit pour le site de Ballast

La vitrine d’une pois­son­ne­rie bri­sée, des blo­cages d’abattoirs, des camé­ras cachées, des pro­cès tou­jours plus nom­breux, des marches non-vio­lentes de rue, des mani­fes­ta­tions devant les cirques, des Unes dans la presse ou des appels aux forces de l’ordre pour « sécu­ri­ser » les bou­che­ries : por­tée depuis l’Antiquité comme aux quatre coins de la pla­nète, la cause ani­male (aus­si divi­sée soit-elle) occupe une place désor­mais incon­tour­nable dans le débat public — à tel point que l’ani­ma­teur du talk-show le plus popu­laire de France a, la semaine pas­sée, fait état du conflit qui oppose « les spé­cistes et les anti­spé­cistes »1. Rappelons que trois mil­lions d’animaux sont tués chaque jour, en France, dans des abat­toirs. Pour en par­ler, nous inter­ro­geons Yves Bonnardel — cofon­da­teur des Cahiers anti­spé­cistes et coau­teur, en 2018, de l’ouvrage La Révolution anti­spé­ciste et Axelle Playoust-Braure — étu­diante en socio­lo­gie, mili­tante fémi­niste et cofon­da­trice du Collectif anti­spé­ciste pour la soli­da­ri­té ani­male de Montréal. Pourquoi et comment inté­grer la cause ani­male aux luttes sociales et émancipatrices ?


Vous pro­mou­viez en 2015 un « socia­lisme du monde entier » : qu’est-ce à dire ?

C’est un socia­lisme qui com­prend cha­cun, qui est fon­dé sur l’éthique et la volon­té de jus­tice, sur une exi­gence d’universalité. Le géo­graphe anar­chiste Élisée Reclus expri­mait déjà par­fai­te­ment cette idée en 1884 : « Si nous devions réa­li­ser le bon­heur de tous ceux qui portent figure humaine et des­ti­ner à la mort tous nos sem­blables qui portent museau et ne dif­fèrent de nous que par un angle facial moins ouvert, nous n’aurions cer­tai­ne­ment pas réa­li­sé notre idéal. Pour ma part, j’embrasse aus­si les ani­maux dans mon affec­tion de soli­da­ri­té socia­liste. » Un tel socia­lisme, s’il doit res­ter fon­dé sur l’humanisme et son ter­reau natu­ra­liste, n’atteindra cer­tai­ne­ment pas ses objec­tifs. Si l’on veut que le pro­jet socia­liste ne reste pas basé sur la domi­na­tion san­gui­naire actuelle à l’encontre des autres ani­maux et ne se retrouve pas confron­té à des inco­hé­rences indé­fen­dables, il va fal­loir s’attaquer à l’incroyable défi­cit de consi­dé­ra­tion morale et poli­tique dont sont vic­times les autres ani­maux. La ques­tion ani­male doit deve­nir une ques­tion que tout le monde se pose : une ques­tion de socié­té, une ques­tion cru­ciale qui impose de revoir très pro­fon­dé­ment notre concep­tion de l’éthique et notre pra­tique de la politique.

« La ques­tion ani­male doit deve­nir une ques­tion que tout le monde se pose : une ques­tion de socié­té, une ques­tion cruciale. »

Il reste beau­coup de che­min à par­cou­rir. Encore aujourd’hui, la plu­part des forces pro­gres­sistes font preuve de ce qu’on pour­rait appe­ler une spe­cies-blind­ness2 : les consi­dé­ra­tions anti­spé­cistes sont igno­rées ou per­çues comme secon­daires. L’antagonisme d’espèce reste com­plè­te­ment natu­ra­li­sé, exclu des ana­lyses cri­tiques. Pour avoir une idée de cet anthro­po­cen­trisme qui s’ignore, il faut jeter un œil à l’histoire illus­trée parue dans un numé­ro de L’Assiette au beurre en mai 1910. Elle reflète à mer­veille l’imaginaire révo­lu­tion­naire du Grand Soir. On peut y lire : « Aux abat­toirs on ne sacri­fie plus que les ani­maux abso­lu­ment néces­saires à la consom­ma­tion ouvrière et des hôpi­taux […] L’ère de jus­tice, d’amour, de liber­té est enfin réa­li­sée… » Plus d’un siècle plus tard, ce genre de pro­pos aber­rants reste la norme dans bien des milieux mili­tants, en France et ailleurs. On ne veut pas aban­don­ner l’idée qu’en tant qu’humain·e·s, nous avons le droit le plus fon­da­men­tal de (faire) tuer d’autres ani­maux pour nos com­mo­di­tés. Focalisés sur des notions arbi­traires comme l’humanité ou abs­traites comme la digni­té3, ces milieux mili­tants main­tiennent une concep­tion fixiste, réi­fiée et natu­ra­liste des caté­go­ries humanité/animalité : cela les rend inca­pables de réa­li­ser plei­ne­ment l’antagonisme d’espèce qui tra­verse et struc­ture nos socié­tés. On sou­haite conti­nuer à croire à une « infé­rio­ri­té natu­relle » et évi­dente des non-humains, alors que ce qui compte est plu­tôt une infé­rio­ri­sa­tion sociale (Colette Guillaumin parle de situa­tion mino­ri­taire4) poli­ti­que­ment orga­ni­sée et main­te­nue par les ins­ti­tu­tions spé­cistes (l’élevage et la zoo­tech­nie, les lois, les pro­duc­tions cultu­relles, la publi­ci­té, etc.). La notion d’infériorité est aujourd’hui très légi­ti­me­ment refu­sée en ce qui concerne les humains (les com­pa­rai­sons intra-humaines), mais reste très légi­ti­me­ment accep­tée, hélas, en ce qui concerne les ani­maux (les com­pa­rai­sons entre humanité/animalité et entre les espèces). Le prin­cipe de soli­da­ri­té ani­male devrait être au cœur de tout pro­jet socia­liste. Le livre de Sue Donaldson et de Will Kimlycka, Zoopolis, offre des pistes remar­quables pour mettre en place concrè­te­ment une telle soli­da­ri­té sociale et poli­tique — notam­ment avec l’idée d’une citoyen­ne­té ani­male : il montre que les non-humains sont dans une cer­taine mesure sus­cep­tibles d’accepter et de co-créer des règles sociales, des règles du vivre-ensemble.

Quels seraient les contours de cette solidarité ?

Il s’agit d’abolir l’élevage, la pêche et la chasse. Mais aus­si de mettre en place une soli­da­ri­té qui soit active, autre­ment dit qui ne concerne pas seule­ment les non-humains avec les­quels nous sommes en contact quo­ti­dien : les ani­maux dits domes­tiques ou « de rente ». C’est un pro­jet d’une ampleur sans pré­cé­dent. Il implique une refonte géné­rale de notre civi­li­sa­tion. Il implique de revoir tota­le­ment les buts que nous don­nons à nos acti­vi­tés col­lec­tives pour les faire ser­vir dans la mesure du pos­sible au bien-être de tou·te·s sur cette pla­nète. En ce sens, il s’agit d’un élar­gis­se­ment du socia­lisme huma­niste à un socia­lisme ani­ma­liste — le pre­mier res­tant inache­vé sans le second. À tra­vers l’idéologie huma­niste contem­po­raine, nous avons ten­dance à voir le « mal » uni­que­ment là où il y a « sys­tème » et « exploi­ta­tion humaine ». Or dans « la Nature » non plus, la vie n’est idyl­lique pour per­sonne ; elle est même plu­tôt « trash » pour la plu­part. On sait depuis Darwin que la logique propre à la sélec­tion natu­relle n’est pas orien­tée : il s’agit d’un pro­ces­sus aveugle, acci­den­tel, sans plan ni but. Il n’y a aucune fina­li­té ou direc­tion morale dans l’évolution : elle ne se dirige pas vers un mieux, elle ne suit pas une logique de per­fec­tion­ne­ment. Nous sommes tou·te·s confronté·e·s à un uni­vers qui ne nous veut ni du bien ni du mal, qui, selon toute vrai­sem­blance, n’a pas été créé — encore moins pour nous — et ne cor­res­pond donc pas d’emblée à nos inté­rêts en tant qu’individus. « Naturel » n’est pas égal à bon, à agréable, à confor­table, à juste ni à sou­hai­table. Si le monde doit être un jour har­mo­nieux, c’est que nous l’aurons ren­du tel… Nous finis­sons par oublier que nous vivons dans le même monde que les ani­maux, que nous sommes sou­mis aux mêmes lois phy­siques, que le par­tage de la sen­tience crée une com­mu­nau­té de sort. Un socia­lisme du monde entier pour­rait se don­ner pour but la fête sans sacri­fices5, un monde où la fête (les pri­vi­lèges, le confort) des un·e·s ne repose pas sur le sacri­fice des autres. Ce sur quoi nous fon­dons aujourd’hui nos socié­tés, nous devrons l’abolir ; nous avons un nou­vel hori­zon éthique à explo­rer. C’est une tâche col­lec­tive qui ne repose pas uni­que­ment sur les antispécistes.

(DR)

Prenons le phi­lo­sophe Francis Wolff comme cas arché­ty­pique : que révèle-t-il lorsqu’il affirme qu’« au-delà de l’humanité, la pas­sion éga­li­taire est patho­lo­gique » ?

Selon une logique com­mune à de nom­breux autres mou­ve­ments sociaux, les défen­seurs des ani­maux ont fait émer­ger de façon expli­cite les défen­seurs… de la viande ! La végé­pho­bie6 et le néo­car­nisme7 sont des réac­tions face à la menace végé­ta­rienne, à la remise en ques­tion de la légi­ti­mi­té du meurtre ali­men­taire8. La réac­tion de Wolff tient du même réflexe conser­va­teur de patho­lo­gi­sa­tion d’un mou­ve­ment pro­gres­siste que celui qui meut les anti­fé­mi­nistes. Même rhé­to­rique, même peur du chan­ge­ment, même défense des pri­vi­lèges, même manque d’imagination poli­tique. Les reven­di­ca­tions éga­li­ta­ristes sus­citent chez certain·e·s l’appréhension angois­sante (et infon­dée) que « tout le monde se res­semble », que des dis­tinc­tions essen­tielles (pour l’ordre social) soient remises en ques­tion. Leur crainte n’est en fait fon­dée que sur un seul point : l’humanité devra en effet renon­cer à son supré­ma­tisme, à sa volon­té de se pla­cer iden­ti­tai­re­ment au som­met de l’échelle des êtres — elle devra évi­dem­ment renon­cer aux pri­vi­lèges qui y sont asso­ciés et à l’exploitation qu’ils fondent. Ce n’est pas un bien grand mal­heur pour les humain·e·s (il pour­rait même en résul­ter des bien­faits col­la­té­raux impor­tants), mais ce devrait être d’une très grande por­tée pour les autres êtres sen­tients de la pla­nète. Aujourd’hui, les anti­spé­cistes sont des fau­teurs de trouble dans l’ordre hié­rar­chique du monde. L’essayiste Dominique Lestel nous reproche ain­si notre « vision walt­dis­neyenne du monde ». Le recours de Wolff au terme « pas­sion » révèle d’ailleurs le refus de ces intel­lec­tuels huma­nistes de recon­naître la dimen­sion ration­nelle des argu­ments éga­li­ta­ristes. Ces argu­ments n’ont pour­tant jamais été réfu­tés depuis leur expo­si­tion par Peter Singer, dans Animal Liberation, il y a plus de 40 ans. La tac­tique sui­vie par les spé­cistes fran­co­phones consiste sim­ple­ment à ne pas les affronter.

« Les anti­spé­cistes ne s’opposent bien évi­dem­ment pas aux droits fon­da­men­taux humains (beau­coup sont actifs pour les défendre !), mais seule­ment aux pri­vi­lèges injustes obte­nus sur le dos des autres animaux. »

Ce que révèlent éga­le­ment les pro­pos de Wolff, et consorts, c’est que « l’unité du genre humain » se fonde en grande par­tie sur la dis­tinc­tion vis-à-vis des ani­maux. Faire entrer les ani­maux au sein de notre « pas­sion éga­li­taire » repré­sen­te­rait ain­si une menace pour l’identité humaine et le sta­tut par­ti­cu­lier de celle-ci. La dif­fé­rence humanité/animalité a une fonc­tion poli­tique qui doit sur­vivre aux acquis scien­ti­fiques (Darwin, l’éthologie et les neu­ro-sciences contem­po­raines) et aux contes­ta­tions sociales. Notre civi­li­sa­tion a éle­vé l’hmanité au rang d’entité supé­rieure, qua­si divine. Nous sommes deve­nus les Seigneurs de la Terre, régnant sans par­tage sur le monde. Et des tru­blions vou­draient que nous nous sou­cions du bien-être de nos infé­rieurs ; bien pis, que nous leur accor­dions ces droits fon­da­men­taux que nous ne nous octroyons que parce que nous sommes les (infi­ni­ment) supé­rieurs ? Ne serait-ce pas nous rabais­ser, et rabais­ser les rai­sons pour les­quelles nous nous accor­dons les uns les autres ces droits fon­da­men­taux ? Notre huma­ni­té tranche infi­ni­ment avec tout ce que le monde a pu pro­duire d’autre, elle est extra­or­di­naire et n’a pas de prix… Allez, soyons cha­ri­tables ! Considérons que Francis Wolff ne tient pas seule­ment à res­ter le roi de la Création, mais craint sim­ple­ment que la prise en compte des inté­rêts des ani­maux fra­gi­lise les acquis des droits humains, selon un prin­cipe de vases com­mu­ni­cants. Nous pen­sons qu’il se fait bien du sou­ci à tort.

C’est la réplique ultra clas­sique, oui : prendre en compte les ani­maux revien­drait à mépri­ser l’espèce humaine…

C’est que les droits humains reposent aujourd’hui sur un fon­de­ment bien fra­gile, sur cette idéo­lo­gie humaniste/naturaliste que nous évo­quions et que tous les acquis contem­po­rains sont en train de ren­voyer aux pou­belles de l’Histoire. Pourtant, ces mêmes droits peuvent être défen­dus sur une base enfin solide, qui semble même pou­voir résis­ter à toutes les attaques : l’égalité ani­male, la prise en compte des inté­rêts des uns et des autres, non pas parce qu’ils sont humains, mais parce qu’ils sont sen­tients. Cesser de rai­son­ner en termes de supé­rieurs et d’inférieurs per­met­trait enfin d’éloigner cette menace per­ma­nente qui pèse sur tant de caté­go­ries domi­nées d’humain·e·s, du déclas­se­ment vers l’animalité ou la natu­ra­li­té, de la déchéance d’humanité. Les anti­spé­cistes ne s’opposent bien évi­dem­ment pas aux droits fon­da­men­taux humains (beau­coup sont actifs pour les défendre !), mais seule­ment aux pri­vi­lèges injustes obte­nus sur le dos des autres ani­maux. Il n’y a donc fina­le­ment qu’un seul droit humain contre lequel nous nous bat­tons, un droit qui est certes per­çu et défen­du comme fon­da­men­tal mais jamais vrai­ment expli­ci­té comme tel : le droit de vie ou de mort, pour les motifs les plus futiles, que nous nous arro­geons à l’encontre de tous les non-humains.

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Les par­ti­sans de la libé­ra­tion ani­male sont conti­nuel­le­ment accu­sés de « tout mettre sur le même plan », de « tout rela­ti­vi­ser ». Comment l’entendre ?

Reformulons : on nous reproche de brouiller une hié­rar­chie des pro­blé­ma­tiques et des luttes qui serait évi­dente. Bref, de rela­ti­vi­ser ou rabais­ser les luttes dites sociales — c’est-à-dire les luttes huma­no-humaines (comme si les luttes ani­ma­listes n’étaient pas « sociales » et « poli­tiques »…). Ce reproche est cepen­dant tout à fait vrai ! Et nous l’assumons entiè­re­ment. D’un point de vue éthique, nous met­tons sur un même plan inté­rêts humains et non-humains d’importance simi­laire : l’intérêt à ne pas être tor­tu­ré ou tué, par exemple. Et nous ne consi­dé­rons pas qu’il y ait d’autre hié­rar­chie des luttes que, éven­tuel­le­ment, en fonc­tion de l’importance des inté­rêts en jeu9. Mais ce n’est qu’aux yeux de per­sonnes aveu­glées par le spé­cisme que notre posi­tion revient à rabais­ser les luttes sociales. Il faut d’emblée consi­dé­rer qu’il y aurait des luttes nobles et d’autres viles pour en « rabais­ser » cer­taines ! Tout fan­tasme spé­ciste mis à part, mettre sur un même plan ne rela­ti­vise rien. Comparer le mas­sacre des ani­maux avec un géno­cide ne devrait pas pas­ser pour rela­ti­vi­ser le géno­cide en ques­tion : c’est au contraire pour une per­sonne non spé­ciste une façon de réaf­fir­mer l’horreur qu’il repré­sente ; c’est reprendre le fameux « Plus jamais ça ! » en l’actualisant. D’ailleurs, même si c’est fina­le­ment anec­do­tique et ne prouve rien, il n’est pas inin­té­res­sant de savoir que l’une des seules mai­sons d’édition « de gauche » qui ait publié un ouvrage sur l’implication fran­çaise dans le géno­cide rwan­dais et qui ait sou­te­nu la créa­tion de La Nuit rwan­daise, une revue consa­crée à faire la lumière sur les res­pon­sa­bi­li­tés hexa­go­nales dans cette abo­mi­na­tion, est une struc­ture anti­spé­ciste. On attend par contre tou­jours, depuis 30 ans, que la plu­part des mili­tants pro­gres­sistes consacrent un tant soit peu d’énergie à dénon­cer la Françafrique et ses crimes…

En termes de chiffres, les morts ani­males cau­sées par la main des humains dépassent d’ailleurs de loin celles que ces der­niers s’infligent mutuellement.

« Nombre de per­sonnes découvrent le fémi­nisme, la lutte contre le racisme ou la cri­tique du capi­ta­lisme par le biais des luttes animalistes. »

Oui. En France, on tue chaque année de façon abo­mi­nable 1 mil­liard 200 mil­lions de ver­té­brés ter­restres et plus de 15 mil­liards de pois­sons. On pour­rait, à cette aune, ima­gi­ner une prio­ri­sa­tion de la cause ani­male, cou­plée à une dimi­nu­tion de l’intérêt pour les luttes pure­ment huma­no-humaines, per­çues comme néces­sai­re­ment secon­daires. On observe plu­tôt l’inverse ! Il semble que les militant·e·s ani­ma­listes soient très sou­vent impliqué·e·s dans les luttes dites sociales, plus sou­vent en tout cas que la moyenne de la popu­la­tion10. Et nombre de per­sonnes découvrent le fémi­nisme, la lutte contre le racisme ou la cri­tique du capi­ta­lisme par le biais des luttes ani­ma­listes et des idées éga­li­ta­ristes qu’elles mobi­lisent. Bref, le refus de « tout mettre sur un même plan » que nous balancent sou­vent les huma­nistes marque fon­da­men­ta­le­ment le refus de notre éga­li­ta­risme. Tant que ces per­sonnes et les mou­ve­ments pro­gres­sistes qui se réclament aujourd’hui de l’humanisme res­te­ront sur des bases simi­laires, ils feront mal­heu­reu­se­ment par­tie du pro­blème, et non de la solution.

La notion phi­lo­so­phique de « liber­té » revient sans cesse dans ce débat. Pourquoi un atta­che­ment aus­si peu réflé­chi à cette valeur, qui n’est pas en elle-même gage d’émancipation ?

L’attachement à l’idée de liber­té humaine n’est rien d’autre qu’un atta­che­ment à l’idée d’exceptionnalisme humain, de frac­ture radi­cale et défi­ni­tive entre les humain·e·s et les autres ani­maux. Revendiquer une liber­té spé­ci­fique à son espèce per­met de poser l’existence d’une dif­fé­rence de nature. Cette liber­té est une liber­té-pri­vi­lège, intrin­sè­que­ment liée à un sta­tut, à une posi­tion majo­ri­taire dans les rap­ports de pou­voir spé­cistes : c’est la liber­té de celles et ceux qui s’appartiennent en propre, qui se voient recon­naître le sta­tut de pro­prié­taires, qui ne sont donc la pro­prié­té de per­sonne et qui par contre peuvent s’approprier les autres et le monde. Accorder ou refu­ser la recon­nais­sance d’une liber­té (méta­phy­sique) per­met de légi­ti­mer d’un côté la mise sous tutelle et l’appropriation, et de l’autre la sou­ve­rai­ne­té et pos­ses­sion de soi. Les ani­maux se situent bien enten­du du côté des non-pro­prié­taires, des non-libres, c’est-à-dire, des appro­priables : ils appar­tiennent à un pro­prié­taire (éle­veur, maître, etc.), ou bien poten­tiel­le­ment à « tout le monde » lorsqu’ils ne sont pas éle­vés (le sta­tut social de chose appro­priable des ani­maux sau­vages est ancré dans le droit par le sta­tut juri­dique de res nul­lius, « chose de per­sonne »). En tout cas, ils ne s’appartiennent pas à eux-mêmes. La liber­té humaine est valo­ri­sée pour rem­plir un rôle de contraste avec l’absence de liber­té sup­po­sée de ces « êtres de Nature » que sont cen­sés res­ter les animaux.

« Faites ce que vous vou­lez mais lais­sez-moi libre de man­ger ce que je veux » : c’est là l’un des argu­ments cen­traux des oppo­sants à la cause ani­male. La liber­té tous azi­muts est pour­tant, c’est bien connu, celle du plus fort…

La « liber­té de man­ger ce qu’on veut » est un moyen écla­tant de réaf­fir­mer la non-valeur abso­lue des ani­maux concer­nés par cette consom­ma­tion. Ils n’ont tel­le­ment pas de valeur qu’on ne juge pas néces­saire de les prendre en compte dans l’équation morale au sujet de la consom­ma­tion de viande. Cette consom­ma­tion doit res­ter de l’ordre du choix per­son­nel, du pri­vé11. Cette liber­té reven­di­quée fiè­re­ment n’est rien moins que la liber­té du pro­prié­taire, qui peut user et abu­ser libre­ment de son bien. On retrou­vait la même liber­té il y a peu, du mari de cor­ri­ger sa femme, et aujourd’hui tou­jours, des parents de battre leurs enfants. C’était sa femme, ce sont leurs enfants. « C’est notre bouffe. Laissez-nous tranquilles ! »

(DR)

Vous déplo­rez la mise en avant d’un « mou­ve­ment végane » en lieu et place d’un mou­ve­ment social favo­rable à l’égalité, c’est-à-dire anti­spé­ciste : com­ment contrer le seul « mode de vie » individualiste ?

La dis­tinc­tion végane/antispéciste est pro­ba­ble­ment en par­tie sur­faite (comme l’opposition entre abo­li­tion­nisme et néo-wel­fa­risme12), mais elle est utile en ce qu’elle per­met de for­mu­ler des choses impor­tantes. Même s’il n’y a pas d’opposition directe, il y a une grande dif­fé­rence entre s’adresser aux indi­vi­dus direc­te­ment, indi­vi­duel­le­ment, en fai­sant appel à leur conscience morale et en leur deman­dant de faire des efforts (l’appel à la ver­tu), et s’adresser à la socié­té, orga­ni­ser la lutte en tant que mou­ve­ment poli­tique et trou­ver les moyens de sus­ci­ter un débat col­lec­tif avec des mesures struc­tu­relles à la clé (l’exigence de jus­tice). Un agré­gat de gens véganes ne fait pas un pro­jet de socié­té. Bien que le boy­cott soit bel et bien moti­vé par des rai­sons morales et poli­tiques, il ne suf­fit pas d’être beau­coup-cha­cun-dans-son-coin pour faire la dif­fé­rence. Cette dif­fé­rence s’opère lorsqu’un col­lec­tif s’organise en vue d’un but défi­ni, lorsque des stra­té­gies sont éla­bo­rées, qu’une dyna­mique d’opposition, de contes­ta­tion et de contre-pou­voir est lan­cée et régu­liè­re­ment ali­men­tée, qu’une vision à long terme est dis­cu­tée et mise en œuvre, qu’on réus­sit à mobi­li­ser des res­sources impor­tantes, etc. Le véga­nisme, en tant que déci­sion indi­vi­duelle, peut se vivre dans son coin, tan­dis que l’antispécisme se pose comme un pro­jet sociétal.

« Il n’y a pas de rai­son que le véga­nisme soit au centre de notre acti­visme. Ce der­nier n’est pas une ques­tion de pure­té indi­vi­duelle : nous vivons de toute façon dans un monde sale. »

Le refus de contri­buer à l’exploitation ani­male (le véga­nisme) et la volon­té de chan­ger l’ordre social et poli­tique (l’antispécisme) consti­tuent une suite logique. Les deux ont pour ori­gine la révolte face à ce que subissent de notre part les autres ani­maux. De la même façon qu’il semble inco­hé­rent de défendre des prin­cipes anti­spé­cistes sans cher­cher à remettre en ques­tion ses pri­vi­lèges humains (et donc sa consom­ma­tion de viande), il serait étrange de refu­ser de par­ti­ci­per à la grande messe huma­no-car­niste que repré­sente la consom­ma­tion d’animaux sans remettre en cause de façon plus géné­rale l’exploitation ani­male, sans juger qu’elle devrait être remise en ques­tion de façon col­lec­tive, sans cher­cher à éla­bo­rer des stra­té­gies per­ti­nentes pour y mettre fin. Renoncer à la consom­ma­tion de pro­duits d’origine ani­male reste évi­dem­ment extrê­me­ment per­ti­nent — sur­tout lorsque ce renon­ce­ment est reven­di­qué comme un refus de col­la­bo­rer, un choix poli­tique de résis­tance au sys­tème spé­ciste, un geste de soli­da­ri­té ani­male et de rup­ture sym­bo­lique avec l’ordre spé­ciste du monde (comme c’est le cas lors de la marche de la Veggie Pride). On peut donc refu­ser de col­la­bo­rer au meurtre ali­men­taire. Mais gar­dons à l’esprit qu’à l’échelle de l’ordre spé­ciste, il s’agit d’une démarche qua­si sym­bo­lique. Si nous refu­sons de man­ger les ani­maux, ce n’est pas parce que nous pen­sons que c’est par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace pour mettre un terme à ce mas­sacre : ce n’est pas là que se situe la lutte. Reconnaissons le véga­nisme pour ce qu’il est (une condam­na­tion en acte qui a une très forte valeur sym­bo­lique), mais ne le fai­sons pas pas­ser pour ce qu’il n’est pas. Le véga­nisme, uni­que­ment comme « choix de consom­ma­tion » ver­tueux, ne suf­fit pas : une quan­ti­té non négli­geable des per­sonnes se disant végé­ta­riennes ou véganes… ne le sont pas en pra­tique, ou ne le res­tent pas long­temps (sans doute à cause de la pres­sion et de la répres­sion sociales). Il y a plein de sec­teurs sur les­quels notre boy­cott ne peut avoir d’influence : ce que mangent nos voisin·e·s par exemple, tou·te·s celles et ceux qui ne boy­cottent pas !

Le mou­ve­ment consacre trop de temps à essayer de convaincre les indi­vi­dus. La plu­part du temps, ce n’est pas effi­cace : la majo­ri­té ne fonc­tionne pas au bon sens et à l’éthique mais à l’habitude, à l’intégration et à la valo­ri­sa­tion sociale, au moindre effort. Comme le rap­pelle Florence Burgat dans L’Humanité car­ni­vore, la psy­ché humaine n’est pas faite d’un « bois tendre et docile ». Nous devons nous foca­li­ser sur les chan­ge­ments struc­tu­rels. Il est illu­soire de pen­ser qu’un inté­rêt sin­cère pour les ani­maux puisse se géné­ra­li­ser rapi­de­ment dans des socié­tés qui en pêchent et tuent des mil­lions par jour et qui ont fon­dé le cri­tère social d’appartenance fon­da­men­tal sur l’espèce. Il n’y a pas de rai­son que le véga­nisme soit au centre de notre acti­visme. Ce der­nier n’est pas une ques­tion de pure­té indi­vi­duelle : nous vivons de toute façon dans un monde « sale » — le spé­cisme est par­tout… Prêcher une excel­lence végane n’est pas tou­jours la meilleure solu­tion : au contraire, il faut dans une cer­taine mesure se salir les mains, plon­ger dans la com­plexi­té du spé­cisme, de la socié­té. L’exigence poli­tique est pré­fé­rable à l’intransigeance indi­vi­duelle. Il nous faut dépas­ser cet écueil qui a fait que, pen­dant des siècles et mal­gré les très nom­breux détrac­teurs du meurtre ali­men­taire, la ques­tion ani­male est essen­tiel­le­ment res­tée can­ton­née à une ques­tion de conduite indi­vi­duelle ! Ne lais­sons pas pas­ser notre chance, orga­ni­sons-nous à la hau­teur de nos ambi­tions : chan­ger le monde.

(Gerardo Sori)

Qu’on le veuille ou non, le fait de se défi­nir comme véganes réduit consi­dé­ra­ble­ment la por­tée de notre dis­cours, notam­ment face aux médias — et peu importent nos efforts pour qua­li­fier de « poli­tique » notre régime ali­men­taire… Trier les pro­duits et acti­vi­tés entre véga­ne/­non-végane avec un tamis tou­jours plus fin est une perte de temps. Aucun autre mou­ve­ment de lutte sociale n’adopte un com­por­te­ment identitaire/individualisé à ce point ! Nous aurions tout inté­rêt à nous posi­tion­ner davan­tage dans le sillon d’une culture mili­tante proche des autres mou­ve­ments pour l’égalité et la jus­tice sociale. La stra­té­gie véga­niste est fon­dée sur une inter­pré­ta­tion par­ti­cu­lière du prin­cipe « le pri­vé est poli­tique » — une inter­pré­ta­tion qui ne nous semble pas vrai­ment fidèle à la puis­sance du mes­sage ini­tial. Il ne s’agit pas de dire qu’on peut faire la révo­lu­tion en chan­geant le conte­nu de son assiette, mais de sou­li­gner que nos com­por­te­ments et habi­tudes les plus intimes sont le résul­tat de sys­tèmes poli­tiques qui ne vont pas de soi et peuvent être contes­tés. Contester le car­nisme ne suf­fit pas. Demander aux gens pour­quoi ils mangent des cochons mais pas des chiens ne suf­fit pas. Il faut inter­ro­ger le spé­cisme à sa racine. On devrait d’ailleurs a mini­ma mettre en avant le terme « spé­cisme » : il a un poten­tiel tant expli­ca­tif que contes­ta­taire énorme. La réflexion éthique, stra­té­gique et poli­tique est fon­da­men­tale pour le mouvement.

« Je ne veux pas que les gens arrêtent de man­ger de la viande : je veux que la socié­té abo­lisse la viande », avez-vous décla­ré un jour. Mais la socié­té n’est-elle pas cet « agré­gat » de gens, jus­te­ment, seule­ment capables d’agir ou de céder sous la pres­sion d’une frange orga­ni­sée des­dits gens en son sein ?

« Il ne s’agit pas que les gens arrêtent de man­ger de la viande, mais que la viande soit abolie. »

Ça, c’est ce que nous mar­tèle l’idéologie libé­rale actuelle ! Margaret Thatcher disait déjà en 1982 : « There is no such thing as socie­ty. » Il n’existerait que des indi­vi­dus… Pourtant, une socié­té est bien plus qu’un agré­gat d’individus ; elle a une his­toire déter­mi­nante ; elle est struc­tu­rée par des rap­ports sociaux qui s’imposent dans une large mesure aux indi­vi­dus, qui les incor­porent et inter­na­lisent — même si les indi­vi­dus, et plus encore les col­lec­tifs, peuvent en retour, dans une cer­taine mesure, agir sur les struc­tures. Une socié­té, ce sont des ins­ti­tu­tions et les idéo­lo­gies qui les tra­duisent, ce sont des caté­go­ries sociales consti­tuées, éven­tuel­le­ment anta­go­nistes, aux­quelles nous sommes cen­sés appar­te­nir ; ce sont des richesses et des modes de pro­duc­tion et de répar­ti­tion de ces richesses (héri­tage, indus­trie, etc.), ce sont des capi­taux, ou encore le droit, une morale fon­da­men­tale, des mœurs, etc. Notre époque est très indi­vi­dua­liste et libé­rale : cela cor­res­pond très cer­tai­ne­ment au fait que la géné­ra­li­sa­tion des rap­ports mar­chands et des rap­ports sala­riés nous libère des anciennes formes de sujé­tion per­son­nelle (sujé­tion à d’autres indi­vi­dus : la sujé­tion des pay­sans ou des serfs aux sei­gneurs féo­daux, etc.) et nous per­met d’apparaître illu­soi­re­ment comme des indi­vi­dus déliés des appar­te­nances sociales, exis­tant « en soi », par nous-mêmes, indé­pen­dam­ment de la socié­té. C’est bien enten­du faux13.

Lorsque l’on parle de spé­cisme, d’abolition de la viande ou de fer­me­ture des abat­toirs, on met l’accent sur le fait que l’exploitation ani­male est une ques­tion de socié­té : une ques­tion idéo­lo­gique, socié­tale, poli­tique, éco­no­mique, juri­dique14… Lorsqu’il est dit qu’il ne s’agit pas que les gens arrêtent de man­ger de la viande, mais que la viande soit abo­lie, cela sou­ligne non seule­ment que la ques­tion n’est pas sim­ple­ment indi­vi­duelle, qui res­sor­ti­rait de notre vie pri­vée, mais aus­si et sur­tout que notre but est que la socié­té dans son ensemble accepte le débat et, pre­nant acte des argu­men­taires éthiques logiques, prenne posi­tion et décrète la fin de la consom­ma­tion de viande — comme à d’autres époques elle a su décré­ter la fin de la féo­da­li­té et de l’Ancien Régime ou celle de la traite transatlantique.

(DR)

À qui pro­fite cette dépolitisation ?

Aux struc­tures spé­cistes en place. Elle par­ti­cipe du main­tien de l’ordre des choses exis­tant. On peut en trou­ver une belle illus­tra­tion récente dans un article qui explique com­ment les amen­de­ments (plus ou moins) inté­res­sants de la loi agri­cul­ture et ali­men­ta­tion ont été reje­tés par les dépu­tés. Le rap­por­teur de la com­mis­sion des finances reje­tait ain­si la pro­po­si­tion d’interdiction de la cas­tra­tion à vif des por­ce­lets : « De toute façon, le plus effi­cace c’est le choix du consom­ma­teur, que le consom­ma­teur mette en adé­qua­tion ses actes d’achats avec ses demandes. Et en fonc­tion de ça, ces filières pren­dront en compte ces attentes socié­tales. » Il fal­lait oser. Le plus effi­cace, pour ce qui est de lut­ter contre une pra­tique, ne serait plus de légi­fé­rer pour l’interdire pure­ment et sim­ple­ment, mais de lais­ser l’ensemble des consom­ma­teurs opé­rer un choix rapide, aver­ti, éthique, ration­nel et res­pon­sable ? On serait tenté·e·s d’en tirer la conclu­sion que l’État et ses com­mis consi­dèrent bien plu­tôt la simple « consomm’action » comme une inac­tion qui n’est pas prête de nuire aux inté­rêts mis en cause.

Dans une bro­chure coécrite en 1989, Nous ne man­geons pas de viande pour ne pas tuer d’animaux, s’adresser aux pou­voirs publics était vu comme « du temps per­du ». Diriez-vous la même chose aujourd’hui ? Ne faut-il donc pas, à terme, viser l’instauration d’une loi — par l’État, fus­siez-vous liber­taires — visant à inter­dire d’exploiter les ani­maux et de les consommer ?

« C’est lorsque au niveau cultu­rel, l’abolition sera une idée acquise, évi­dente pour la majo­ri­té, allant de soi d’un point de vue moral, qu’elle pour­ra abou­tir à des lois d’interdiction, de prohibition. »

Entre-temps… les temps ont chan­gé. Et nous aus­si ! Les rejets répé­tés par les dépu­tés d’amendements pro­po­sés pour un meilleur « bien-être ani­mal » pour­raient pour­tant nous don­ner rai­son. La stra­té­gie déployée par L214, jusqu’à très récem­ment, consis­tait plu­tôt à s’adresser aux enseignes de la grande dis­tri­bu­tion qu’à l’État pour ten­ter d’obtenir des chan­ge­ments — concer­nant la com­mer­cia­li­sa­tion des œufs issus de poules de bat­te­rie, par exemple. C’est que l’État, en France, est lié de façon inex­tri­cable aux filières agri­coles et à l’industrie agro-ali­men­taire, et cela depuis la fin de la Seconde Guerre mon­diale. Il ne faut rien en attendre sans un rap­port de force qui relè­ve­rait du bras de fer — dont on n’a pas les moyens. Mais ten­ter d’obtenir des chan­ge­ments légis­la­tifs nous paraît néan­moins aujourd’hui une très bonne stra­té­gie à mettre en œuvre. Tout der­niè­re­ment, le refus des élus d’entériner des amen­de­ments pour­tant bien déri­soires, mais qui avaient la sym­pa­thie de l’opinion publique et des médias, a per­mis aux asso­cia­tions de sou­li­gner que la ques­tion ani­male était por­tée par la popu­la­tion et tra­hie par les poli­ti­ciens, ce qui ne peut que favo­ri­ser une adhé­sion accrue de la « socié­té civile » à la ques­tion animale.

Contrairement à ce qu’on croit sou­vent, des reven­di­ca­tions comme l’installation de camé­ras dans les abat­toirs ne viennent pas des asso­cia­tions ani­ma­listes. Le dépu­té Falorni, tout par­ti­cu­liè­re­ment, en a fait son che­val de bataille, alors que les asso­cia­tions étaient pour le moins réser­vées quant à l’utilité et l’opportunité d’un tel pro­jet. Mais du fait que les autres dépu­tés aient refu­sé d’avaliser leur ins­tal­la­tion, on voit bien qu’ils pré­fèrent défendre l’exploitation ani­male et l’industrie de l’élevage/abattage que prendre en compte l’évolution des sen­si­bi­li­tés (humaines) concer­nant l’exploitation ani­male. Ça ne peut que radi­ca­li­ser les per­sonnes déjà sen­si­bi­li­sées, et pous­ser les hésitant·e·s à s’engager. Si l’installation de ces camé­ras doit tout de même un jour être votée, ce sera une bonne chose éga­le­ment : ce sera un geste poli­tique et socié­tal sym­bo­lique comme quoi le « bien-être ani­mal » compte un tant soit peu. Et cela per­met­tra très concrè­te­ment de dif­fu­ser de nou­velles vidéos d’abattoir démon­trant que ces camé­ras ne résolvent aucun pro­blème et qu’un abat­tage « humain » et contrô­lé est une chi­mère… C’est déjà ce qu’a fait L214 en pro­dui­sant des images sor­dides de l’abattoir de Houdan, en sou­li­gnant bien qu’il s’agissait pour­tant d’un abat­toir qui s’est doté de camé­ras en interne.

(Kevin Horan)

Lorsque nous esti­mions autre­fois que s’adresser aux pou­voirs publics était « du temps per­du » et que cette ques­tion n’était pas d’ordre juri­dique, nous vou­lions sim­ple­ment dire : le per­son­nel poli­ti­cien ne pren­dra pas d’initiatives allant à l’encontre de l’avis de la popu­la­tion sur un sujet pareil. Les pre­miers concer­nés, ceux qui passent sous le cou­teau, ne votent pas (et, de toute façon, ceux qui votent ne sont pas beau­coup pris en compte non plus : ils ne financent pas…). La ques­tion ani­male est d’abord une ques­tion à abor­der de façon cultu­relle et idéo­lo­gique, en s’adressant à l’ensemble de la popu­la­tion, avant de pen­ser l’aborder juri­di­que­ment et poli­ti­que­ment. Lorsque nous par­lons d’abolition de la viande, ou de l’exploitation ani­male, nous pen­sons d’abord à une abo­li­tion socié­tale avant d’être légale : c’est lorsque au niveau cultu­rel, l’abolition sera une idée acquise, évi­dente pour la majo­ri­té, allant de soi d’un point de vue moral, sou­te­nue de façon déter­mi­née par des forces impor­tantes dans la socié­té, qu’elle pour­ra abou­tir à des lois d’interdiction, de pro­hi­bi­tion. L’abolition « socié­tale » va bien plus loin que l’abolition légale, même si cette der­nière l’ancre dans la durée et la conso­lide sym­bo­li­que­ment. L’abolition de l’esclavage, ou de la féo­da­li­té, va bien au-delà de leur inter­dic­tion : c’est l’idée même de mettre d’autres humain·e·s en escla­vage ou en ser­vage qui nous paraît aujourd’hui pro­fon­dé­ment révol­tante et la res­tau­ra­tion de ces rap­ports sociaux nous semble désor­mais tota­le­ment inen­vi­sa­geable (même si le sala­riat, lui, n’est hélas guère cri­ti­qué !). L’abolition que nous devons viser concer­nant l’exploitation ani­male doit être du même ordre : c’est l’idée même de rap­ports d’appropriation et d’oppression des non-humains par les humain·e·s qui doit deve­nir scandaleuse.

« Le racisme et le spé­cisme sont des idéo­lo­gies étroi­te­ment imbri­quées », pou­vait-on lire dans la revue Informations et Réflexions Libertaires au début des années 1990. Quels sont les liens à vos yeux évi­dents et pour­quoi, s’ils le sont à ce point, ne sont-ils pas per­çus par nombre de mili­tants bel et bien anti­ra­cistes et féministes ?

« La méta­phore popu­laire la plus uti­li­sée et la plus puis­sante pour expri­mer un état de sujé­tion est celle qui fait réfé­rence au fait d’être traité·e comme du bétail, comme de la viande, c’est-à-dire comme un ani­mal sou­mis aux rap­ports d’élevage. »

La démarche maté­ria­liste offre beau­coup d’outils pour remettre en ques­tion le spé­cisme : elle est anti-natu­ra­liste et adopte le par­ti pris théo­rique de par­tir de l’oppression. Les fémi­nistes maté­ria­listes fran­çaises ont contri­bué par leurs tra­vaux à une théo­rie géné­rale de l’exploitation, qui dépasse de loin l’analyse des rap­ports sociaux de sexe. La socio­logue Christine Delphy annonce ain­si, dans L’Ennemi prin­ci­pal : « Je pense et j’espère que le démon­tage des blocs du Lego de l’oppression des femmes, jus­te­ment parce qu’ils ne sont pas spé­ci­fiques de l’oppression des femmes, peut et doit ser­vir à d’autres groupes domi­nés. » Colette Guillaumin a ana­ly­sé l’existence de rap­ports de pou­voir spé­ci­fiques, mais com­pa­rables : les rap­ports d’appropriation, par les­quels une caté­go­rie sociale (les hommes, les adultes, les nobles, les Blancs, les humains…) s’approprie les membres d’une autre classe (les femmes, les enfants, les vilains ou les serfs, les Noirs, les ani­maux…), en fait sa pro­prié­té15. Les apports épis­té­mo­lo­giques de Nicole-Claude Mathieu sur l’andro­cen­trisme sont eux aus­si per­ti­nents pour défi­nir les contours de l’anthropocentrisme dans la pen­sée et les luttes sociales : his­to­ri­que­ment, les savoirs ont été pro­duits d’un point de vue mas­cu­lin qui s’est tou­jours igno­ré comme domi­nant. Elle fait de la variable sexe une variable cri­tique, qu’elle éloigne de la concep­tion bio­lo­gique pour abou­tir à une appré­hen­sion pure­ment socio­lo­gique. Le même type de tra­vail sur la notion d’espèce pour­rait beau­coup appor­ter au mouvement.

Comme avec les classes de sexe (et donc les iden­ti­tés gen­rées, mas­cu­line et fémi­nine), on a affaire à une construc­tion dia­lec­tique entre huma­ni­té et ani­ma­li­té : à la fois oppo­si­tion et lien per­ma­nent (Christine Delphy parle de com­plé­men­ta­ri­té néga­tive). L’un des groupes (le domi­nant) se défi­nit par rap­port et en oppo­si­tion à l’autre (qu’il défi­nit), et tire de cette défi­ni­tion sa haute valeur onto­lo­gique, exis­ten­tielle, iden­ti­taire… Mais il y a quelque chose de désta­bi­li­sant à lire les fémi­nistes maté­ria­listes : leur spé­cisme inques­tion­né et latent est (quasi)contradictoire avec leurs thèses anti-natu­ra­listes. La plu­part d’entre elles ont recours à nou­veau à l’idée de nature (de façon impli­cite) lorsqu’elles abordent le sujet des ani­maux et jus­ti­fient ce prin­cipe ban­cal par le lieu com­mun de la sépa­ra­tion du monde entre le « natu­rel » et le social. Peut-on être anti-natu­ra­liste à moi­tié ? Le fémi­nisme maté­ria­liste n’a certes pas (encore) inté­gré la cri­tique du spé­cisme, mais exploi­ter cette lignée théo­rique reste extrê­me­ment per­ti­nent. Nous aurions tort de nous pas­ser des « ver­tus de l’analogie ». Delphy s’est ins­pi­rée entre autres de Marx pour pen­ser les rap­ports sociaux de sexe et théo­ri­ser le fémi­nisme maté­ria­liste, mais elle opère aus­si une rup­ture avec cette pen­sée mar­xiste pro­fon­dé­ment lacu­naire dans sa prise en compte des rap­ports entre les sexes. À nous de nous appro­prier les tra­vaux des fémi­nistes maté­ria­listes, de les cri­ti­quer et enri­chir par nos ana­lyses antispécistes.

(RmPhotography)

Au sein de la gauche, on trouve une injonc­tion latente à la subor­di­na­tion de la lutte anti­spé­ciste à toutes les autres luttes (c’est-à-dire aux luttes huma­nistes). L’identité humaine étant en large par­tie construite par oppo­si­tion à « l’animalité », les ani­maux font bien sou­vent figure de repous­soir. La méta­phore popu­laire la plus uti­li­sée et la plus puis­sante pour expri­mer un état de sujé­tion est celle qui fait réfé­rence au fait d’être traité·e comme du bétail, comme de la viande, c’est-à-dire comme un ani­mal sou­mis aux rap­ports d’élevage. Il n’y a qu’à voir l’empressement qu’ont les mou­ve­ments sociaux à employer des for­mules telles que « On n’est pas du bétail », « On est tous humains » ! Cette rhé­to­rique huma­niste n’évoque la situa­tion d’élevage avec indi­gna­tion qu’à sens unique, que lorsqu’elle traite d’humain·e·s. Delphy avait déjà repé­ré ce type de rhé­to­rique, mais appli­quée aux femmes. Dans un article, elle écrit : « L’un des héros du film Exodus, for­cé de révé­ler la pire indi­gni­té que les nazis lui ont fait subir, s’écroule en san­glo­tant : ils m’ont trai­té comme une femme ! » En mobi­li­sant la condi­tion ani­male comme repous­soir, les luttes huma­nistes recon­naissent mal­gré elles que le sort que nous leur réser­vons est hyper violent et fon­da­men­ta­le­ment injuste. Sans quoi, la réfé­rence à la condi­tion ani­male per­drait son sens. Le rap­pro­che­ment entre mino­ri­tés humaines et ani­maux paraît indé­cent, outra­geu­se­ment pro­vo­ca­teur et dan­ge­reux pour le sta­tut social de ces humains « por­teurs de digni­té ». L’humanisme sou­tient impli­ci­te­ment qu’on ne pour­rait envi­sa­ger une fra­ter­ni­té humaine sans cadavre animaux.

Cette cri­tique radi­cale de l’humanisme est inau­dible, pour une grande par­tie de la gauche !

« L’idée que les ani­maux sont faits pour être uti­li­sés et man­gés relève de la même concep­tion hié­rar­chi­sée du monde qui sou­tient que les femmes sont faites pour enfan­ter et res­ter à la maison. »

Pourtant, l’humanisme n’offre para­doxa­le­ment qu’une faible garan­tie de pro­tec­tion aux humain·e·s, dans la mesure où il consti­tue en lui-même un modèle éli­tiste et hié­rar­chique qui laisse tou­jours une porte ouverte à l’exclusion. Bien plus : qui met en place les moyens de cette exclu­sion et le mépris qui l’accompagne. L’humanisme est une arnaque éthique, une super­che­rie. Bien que cette notion soit asso­ciée à l’égalité, à la tolé­rance, au pro­grès, il n’en est rien. De plus en plus de recherches en psy­cho­lo­gie viennent confir­mer ce que les anti­spé­cistes avaient d’emblée pres­sen­ti : il existe des liens étroits entre l’idéologie spé­ciste, raciste et sexiste — et avec les valeurs conservatrices/hiérarchiques/autoritaires de façon plus géné­rale. L’idée que les ani­maux sont faits pour être uti­li­sés et man­gés relève de la même concep­tion hié­rar­chi­sée du monde qui sou­tient que les femmes sont faites pour enfan­ter et res­ter à la mai­son s’occuper de la famille, ou que les Noir·e·s sont des corps vigou­reux faits pour le labeur ou les tau­dis. Il s’agit dans les trois cas d’un même type de rap­port au monde. Mais pour­quoi la gauche se fonde-t-elle autant sur le rejet de l’animalisation ? Pourquoi l’exclusion sociale passe-t-elle par l’animalisation ? L’humanisme de la gauche enté­rine l’oppression des ani­maux et, donc, l’oppression tout court. La fron­tière d’espèce est fra­gile, puisqu’il s’agit d’une fron­tière construite à des fins poli­tiques : les lignes peuvent bou­ger en fonc­tion de l’évolution de ces fins poli­tiques. Ce n’est donc pas en essayant déses­pé­ré­ment d’« huma­ni­ser » les groupes mar­gi­na­li­sés que nous aurons des chances de com­battre effec­ti­ve­ment les sys­tèmes de domi­na­tion ; il faut plu­tôt s’interroger sur les fon­de­ments mêmes de cette dicho­to­mie humanité/animalité pour se don­ner les chances de pou­voir la désa­mor­cer. Pourquoi enten­dons-nous que les femmes sont de la viande, les Noirs des ani­maux, les Juifs de la ver­mine et les ouvriers du bétail ? Si la gauche veut pré­tendre désa­mor­cer ce genre de rabais­se­ment social, il faut qu’elle s’intéresse au spé­cisme : elle n’a pas le choix.

Si ces liens ne sont pas per­çus par certain·e·s militant·e·s anti­ra­cistes ou fémi­nistes, c’est que ces per­sonnes ne sont pas sim­ple­ment anti­ra­cistes ou fémi­nistes : elles sont aus­si humain·e·s, c’est-à-dire béné­fi­ciaires directes du sys­tème spé­ciste. Et au-delà de ce niveau indi­vi­duel et de la réti­cence per­son­nelle de certain·e·s à renon­cer à un ordre qui leur béné­fi­cie, on trouve éga­le­ment des rai­sons plus struc­tu­relles : les prin­cipes et assises mêmes des luttes pro­gres­sistes sont impré­gnées d’humanisme. Pour ne prendre qu’un exemple : l’idée que la lutte contre l’oppression doit être l’œuvre des opprimé·e·s elles/eux-mêmes. Voilà un prin­cipe qui ne peut se véri­fier dans le cas de la lutte contre le spé­cisme ! Quelle conclu­sion en tirer ? Que les ani­maux ne peuvent donc être qua­li­fiés d’opprimés, que le spé­cisme n’est pas vrai­ment une oppres­sion ? Que les anti­spé­cistes sont des bobos dés­œu­vrés qui s’inventent des luttes ? Ne doit-on pas en conclure, au contraire, que l’universalité de ce prin­cipe doit être sérieu­se­ment remise en ques­tion ? La solu­tion à ces ten­sions inter-luttes est « simple », sur le papier : le mou­ve­ment de refus du spé­cisme doit gagner en indé­pen­dance théo­rique et en puis­sance poli­tique. Les anti­spé­cistes sont sou­vent bien prompts à faire un pas en arrière face aux cri­tiques du reste de la gauche. Il faut res­ter cam­per sur les ana­lyses et posi­tions poli­tiques que nous trou­vons justes.


  1. Rappelons que la notion de spé­cisme désigne l’idéologie qui — à l’instar du racisme ou du sexisme — prône la hié­rar­chi­sa­tion sys­té­mique des indi­vi­dus ou des groupes ; celle, dans le cas pré­sent, des espèces au pro­fit de l’une d’entre elles, l’Homo sapiens.[]
  2. Construite simi­lai­re­ment au color-blind­ness — une posi­tion qui refuse d’intégrer la spé­ci­fi­ci­té raciale en matière d’oppression —, le spe­cies-blind­ness fait fi des dis­cri­mi­na­tions liées à l’espèce.[]
  3. Nda : Ce terme n’a sou­vent de rai­son d’être que lorsqu’il est exclu­sif, c’est-à-dire qu’il ne s’applique qu’aux humain·e·s. Il n’y a de digni­té humaine qu’en tant qu’elle per­met de nous dis­tin­guer des ani­maux, des non-humains, des sous-humains, des moins qu’humains (celles et ceux qui s’éloignent du modèle domi­nant). Censée reflé­ter la valeur toute par­ti­cu­lière de notre espèce, cette digni­té n’est en fait rien de moins qu’un outil idéo­lo­gique per­met­tant de tenir en res­pect celles et ceux à qui l’on refuse toute consi­dé­ra­tion morale : les membres des groupes mino­ri­taires, alté­ri­sés, celles et ceux qu’on appelle les Autres, les différent.e.s.[]
  4. Nda : « Les groupes [alté­ri­sés] se trouvent être tous des groupes mino­ri­taires, c’est-à-dire des groupes qui sont socio­lo­gi­que­ment en situa­tion de dépen­dance ou d’infériorité », Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste — Genèse et lan­gage actuel, Mouton. Voir aus­si Colette Guillaumin, « Sur la notion de mino­ri­té », L’Homme et la socié­té, n ° 77-78.[]
  5. Nda : Voir « L’autre moi­tié. Le mani­feste de Loen », Les Cahiers Antispécistes n° 22, 2003.[]
  6. La végé­pho­bie se carac­té­rise par un rejet et un mépris envers les végé­ta­riens, végé­ta­liens, véganes. Voir le livret Végéphobie, qui pré­sente un état des lieux et des ana­lyses.[]
  7. Le terme de néo­car­nisme nous vient de Mélanie Joy et désigne la réponse défen­sive (le back­lash) des pro­duc­teurs et défen­seurs de la viande, sus­ci­tée par la mon­tée en puis­sance des reven­di­ca­tions ani­ma­listes.[]
  8. L’expression « meurtre ali­men­taire » se trouve sous la plume de Pythagore, Plutarque et Porphyre.[]
  9. Nda : Ce qui n’est pas une rai­son pour repro­cher aux gens de choi­sir de pri­vi­lé­gier telle ou telle lutte en fonc­tion de consi­dé­ra­tions qui leur sont propres.[]
  10. Nda : De nom­breuses études de psy­cho­lo­gie sociale confirment que sta­tis­ti­que­ment, plus les per­sonnes sont sen­sibles à la ques­tion ani­male, plus elles risquent d’être sen­sibles aux ques­tions de jus­tice intra-humaines. À l’inverse, le mépris pour les ani­maux est for­te­ment cor­ré­lé à un mépris pour diverses caté­go­ries d’humain·e·s. Voir notam­ment les nom­breux tra­vaux de Kimberly Costello, Kristof Dhont, Gordon Hodson, et Cara MacInnis (par exemple : « Social domi­nance orien­ta­tion connects pre­ju­di­cial human–human and human–animal rela­tions », Personality and Individual Differences, Volumes 61-62, 2014), ou bien encore de Jonathan Fernandez (« Spécisme, sexisme et racisme. Idéologie natu­ra­liste et méca­nismes dis­cri­mi­na­toires », Nouvelles Questions Féministes, 34/1, Dossier « Imbrication des rap­ports de pou­voir », juin 2015).[]
  11. Nda : Voir Paola Cavalieri, « Principe de liber­té, ou prin­cipe de dom­mage envers autrui ? », Les Cahiers Antispécistes n°1, 1991.[]
  12. L’abolitionnisme est une approche dans laquelle l’utilisation des ani­maux — comme matière pre­mière ou pour leur pro­duc­tion — est pro­blé­ma­tique en soi. Celle-ci est consi­dé­rée comme une oppres­sion, une exploi­ta­tion qu’il convient de faire ces­ser. Le wel­fa­rism se sou­cie du bien-être ani­mal sans remettre en cause leur exploi­ta­tion sys­té­mique. Le néo-wel­fa­rism sou­hai­ter amé­lio­rer le bien-être ani­mal par des réformes suc­ces­sives, et consi­dère que c’est par ces étapes pro­gres­sives que l’idéal abo­li­tion­niste pour­ra être atteint.[]
  13. Nous sommes tous et toutes construits de part en part par les rap­ports sociaux qui nous consti­tuent (en tant qu’humain·e·s, hommes ou femmes, enfants ou adultes, blanc·he·s ou racisé·e·s, pro­prié­taires ou non de nos moyens de pro­duc­tion, etc.).[]
  14. Nda : On trouve ain­si dans une bro­chure dédiée à rap­pe­ler cette évi­dence, inti­tu­lée jus­te­ment « L’exploitation ani­male est une ques­tion de socié­té », dans l’article « La ques­tion de la viande est un pro­blème de socié­té » (notez l’insistance !) : « Nos socié­tés sont fon­dées sur l’exploitation ani­male. Celle-ci forme sys­tème. Système social, sys­tème poli­tique. Tout comme par exemple le patriar­cat ou l’esclavage forment des struc­tures sociales et poli­tiques éla­bo­rées, l’exploitation ani­male implique un sys­tème orga­ni­sé d’appropriation sociale des ani­maux et de leurs pro­duc­tions. Du simple fait qu’ils ne sont pas humains, ils sont des biens, des mar­chan­dises, acqué­rables soit par cap­ture ou meurtre, soit par achat, échange ou don. Ce sys­tème d’appropriation et d’exploitation, sys­tème poli­tique, nous l’appelons selon ses par­ti­cu­la­ri­tés : éle­vage, chasse, pêche, en tant que ce sont des pra­tiques défi­nies socia­le­ment, enca­drées juri­di­que­ment et défen­dues idéo­lo­gi­que­ment. L’exploitation ani­male, comme toute autre forme d’exploitation, implique l’existence d’un sys­tème idéo­lo­gique com­plexe qui vise à la rendre accep­table mora­le­ment : à la bana­li­ser, à la jus­ti­fier, à l’entériner, et enfin à empê­cher sa remise en ques­tion. Cette idéo­lo­gie, nous l’appelons spé­ciste. […] Il s’agit d’une autre façon de nom­mer l’idéologie fon­da­men­tale de nos socié­tés contem­po­raines : l’humanisme. Ce sys­tème, spé­ciste ou huma­niste, est le sys­tème dans lequel nous bai­gnons dès notre nais­sance, à tel point qu’il nous appa­raît nor­mal, natu­rel, évident, logique, sain. »[]
  15. Nda : Cela fonc­tionne à tra­vers des rap­ports spé­ci­fiques : de ser­vage, d’esclavage, ceux qu’elle appelle de sexage (les rap­ports de classe hommes/femmes), mais aus­si ceux de parentage/éducation (concer­nant les dits « mineurs »), et ceux d’élevage, etc. Ces rap­ports d’appropriation pro­duisent dans chaque cas une idéo­lo­gie natu­ra­liste (sexisme, racisme, âgisme… spé­cisme).[]

REBONDS

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