CARTE BLANCHE
Début mai, l’interview par une équipe de TF1 de Colombe, conseillère en insertion professionnelle vivant du RSA et rencontrée dans un meeting du Rassemblement national à Perpignan a fait le tour des réseaux sociaux. Alors qu’elle répond aux questions du journaliste, elle éclate en sanglots après avoir évoqué ses conditions de vie difficile. Très vite, des politiciens de tout bord se sont précipités à son chevet. À droite, on trie le bon grain de l’ivraie entre celles et ceux qui mériteraient une revalorisation de leurs allocations et les autres qui, forcément, en profiteraient allègrement. À gauche, on invoque, dans l’espoir de les convaincre, les « fâchés pas fachos ». Mais est-ce que des conditions de vie précaire peuvent justifier un engagement à l’extrême droite ? Un billet de Gwenn Rouxel.
« Toutes les Colombe du pays, nous ne devons pas les mépriser, mais les entendre, les comprendre », twittait François Ruffin début mai 2024 en réaction à la diffusion sur les réseaux sociaux de l’interview de Colombe. Celle-ci, conseillère en insertion professionnelle, sans emploi, bénévole aux Restos du cœur et soutien de longue date du parti de Marine Le Pen, participait à un rassemblement de ce dernier. Ses larmes au moment d’évoquer sa situation ont ému le député de la Somme.
Et pourtant, François — permets-moi de t’appeler par ton prénom, comme tu le fais toi-même si souvent. Les Colombe, on est largement en droit de les mépriser et on n’a pas toujours le privilège de pouvoir les comprendre. La pauvreté et la précarité n’ont jamais justifié le racisme. En disant qu’il faut « comprendre » les Colombe, François, tu retombes dans un travers courant chez celles et ceux qui croient connaître les classes laborieuses blanches et adaptent leur discours à ce qu’ils pensent qu’elles veulent entendre. Erreur commise également par le Roussellien Léon Deffontaines, candidat du PCF aux élections européennes, qui a sombré pour de bon en écrivant une lettre à Colombe publiée sur le site du Figaro.
Tu ne t’en rends peut-être pas compte, cher François, mais ta phrase est méprisante à deux titres. D’abord pour Colombe : en justifiant par ses conditions de vie son engagement politique à l’extrême droite, tu la dépossèdes de sa capacité d’agir et de faire ses choix en toute conscience. On lit dans Le Monde que Colombe est une « fidèle depuis Jean-Marie Le Pen », le tortionnaire d’Algérie, le négationniste antisémite, ce que nul ne peut ignorer. On voit mal, à ce compte-là, comment son soutien continu au parti des enfants de Pétain pourrait être un simple geste de colère. Colombe a fait un choix politique assumé. Et le seul respect qu’on puisse avoir pour elle, c’est de la prendre au sérieux dans ce choix et de la combattre, elle et ses semblables, pour ce qu’ils sont : des racistes nostalgiques de Vichy.
Mépris aussi pour toutes celles et ceux des classes laborieuses qui n’ont jamais versé dans la haine de l’autre au prétexte de leur condition sociale. À Colombe, j’opposerais Jean-Marie. Ouvrier manutentionnaire toute sa vie dans l’agro-alimentaire, à peine sa retraite entamée, Jean-Marie est devenu bénévole, lui aussi, pour les Restos du cœur. Lui qui n’a pas fait d’études, qui a commencé à trimer à 16 ans, lui peu causant, quelques mois après la quille, a accepté l’invitation d’un ami d’enfance à participer aux cours de français dispensés gratuitement par l’association aux exilé·es des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) environnants. D’abord pour faire la conversation. Puis, progressivement, lui qui depuis bien longtemps avait quitté les bancs de l’école, a ouvert le Bescherelle de ses enfants désormais grands pour enseigner la conjugaison et la grammaire. François, tu veux faire de Colombe un exemple ? N’oublie pas non plus les Jean-Marie, nombreuses et nombreux — mais qui ne rentrent pas dans l’image qu’ont les médias des ouvriers blancs.
« La pauvreté et la précarité n’ont jamais justifié le racisme. »
Beaucoup se sont émus de l’engagement de Colombe dans les Restos du cœur. Pourtant, ne vois-tu pas le danger, François ? Avec les convictions politiques qui l’habitent, qui nous dit que Colombe n’applique pas les mécanismes de la préférence nationale qu’elle défend, au sein de son engagement associatif ? BFM-TV publiait il y a quelques jours un reportage sur les maraudes sélectives de l’extrême droite. Les Restos du cœur ont eu bien raison de lui conseiller de démissionner — même si, sous la pression médiatique, ils ont fait marche arrière. Il n’y a pas de frontistes inoffensifs, guère de différence entre les cogneurs de rue et les encravatés au Parlement. L’empathie pour les fachos est un luxe que ne peuvent pas se permettre celles et ceux qui sont dans leur ligne de mire. Tous les militants du parti doivent être combattus avec la même ardeur. La mise au ban social doit être leur lot. Dans la rue, au travail, dans les assos, à aucun endroit les soutiens de l’extrême droite ne doivent se sentir à l’aise. On ne peut que saluer le courage de cette femme qui l’a rappelé haut et fort face au cortège de cinquante nuances de brun — une seule odeur par contre, celle du purin — qui a défilé dans Paris le 9 mai dernier : les amis de Colombe, François, membres de toute l’extrême droite française.
L’arrivée d’un gouvernement d’extrême droite en France n’est plus une simple hypothèse, puisque le gouvernement macroniste lui déroule un tapis rouge en mettant lui-même en place bon nombre de ses réformes. Les fachos ne (se) combattent pas dans la nuance — laissons celle-ci aux chercheurs qui produisent des analyses certes indispensables sur les moyen et long termes, mais pas toujours utiles à la lutte concrète et immédiate.
Is it really ok to punch nazis ? Yes, of course.
Les appels à construire un front antifasciste large se multiplient. Il ne devra pas oublier d’être antiraciste et aura à se battre sur plusieurs terrains : celui des idées et du langage, battus en brèche par sept années de Macronie autoritaire. Celui de la rue, qu’il est hors de question de laisser aux fachos. Celui du peuple. C’est là peut-être que je te rejoins tout de même, François, quand tu dis avoir passé 15 ans « à écouter les peines comme les fiertés, à lutter à leurs côtés » et à regagner « la confiance des nôtres, des vies brisées par les délocalisations en série ». Oui, la gauche, toute la gauche, doit réinvestir le terrain et aller parler aux gens, pied à pied. Mais sans concessions et avec un discours clair : nous n’accepterons jamais le racisme dans nos luttes, nous vomissons la préférence nationale et nous conchions le chauvinisme patriarcal des nostalgiques du IIIe Reich, de Vichy ou des Bourbons. Sans oublier parmi eux une partie importante des forces de l’ordre et des militaires, dont 60 % prévoyaient de voter pour la candidate du RN en 2022 — il serait bien naïf de croire, François, que ceux-ci laissent leurs convictions à la porte en enfilant leur uniforme. Les violences policières qui s’abattent contre les habitant·es des quartiers et des colonies — les « territoires d’outre-mer » —, tout comme contre tout ce qui se bat pour une société et un monde plus justes, de la Kanaky à la Seine-Saint-Denis, des gilets jaunes à la Palestine, des exilé·es aux syndicalistes, le montrent bien.
Repopularisons l’antifascisme. Partout, tout le temps, combattons l’extrême droite. Et plutôt qu’aux Colombe, donnons la parole à toutes celles et ceux qui agissent quotidiennement, dans l’ombre, à créer, entretenir et renforcer les liens que s’acharnent à détruire les fachos.
REBONDS
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