Traduction d’un article de New Lines Magazine
Il y a 60 ans, Malcolm X était assassiné. « Une grande tragédie […] privant le monde d’un grand leader potentiel », commentera Martin Luther King, qui n’avait jamais ménagé ses critiques, autant idéologiques que stratégiques, à son endroit. Celui qui était jusqu’alors reconnu comme un militant de la cause nationale noire aux États-Unis venait de quitter l’organisation suprémaciste Nation of Islam. Son dessein, dès lors : construire une alliance avec les luttes anticoloniales en Afrique et au Moyen-Orient. Une tournée l’avait ainsi mené, entre autres lieux, à La Mecque, au Ghana, en Égypte, au Kenya. Les prémisses d’une internationale anti-impérialiste ou la mise en évidence de son impossibilité ? C’est ce qu’analyse le chercheur Alex White dans cet article publié dans New Lines Magazine, que nous traduisons.
Aujourd’hui, on se souvient surtout de Malcolm X pour les luttes qu’il a menées aux États-Unis. Alors que le mouvement pour les droits civiques se divise au début des années 1960, il s’impose comme un critique intransigeant de la suprématie blanche et comme le champion du militantisme noir. Dans ses prêches religieux charismatiques, il exhorte les Noirs américains à rejeter le christianisme, considéré comme une « religion de colonisateur », et à revenir à l’islam de leurs ancêtres africains. Dans son travail d’organisation politique à Harlem, la « Mecque noire » de New York, il rejette les compromis du mouvement pour les droits civiques et affirme que les communautés noires doivent se libérer par « tous les moyens nécessaires », de la désobéissance civile à la résistance violente.
« Malcolm X exhorte les Noirs américains à rejeter le christianisme, considéré comme une
religion de colonisateur, et à revenir à l’islam de leurs ancêtres africains. »
Au cours de la dernière année de sa vie, Malcolm X délaisse toutefois les États-Unis pour s’intéresser aux luttes anticoloniales à travers le monde. Entre avril et novembre 1964, il s’engage dans un voyage de vingt-trois semaines en Afrique et au Moyen-Orient — une tournée qui le mène de l’Algérie au Koweït, du Sénégal au Kenya. Cette expérience s’avérera déterminante. À La Mecque, il effectue le Hajj [pèlerinage, ndlr] et se convertit à l’islam sunnite. À travers l’Afrique, il côtoie des prédicateurs, des présidents et des militants anticolonialistes dans le cadre d’une grande campagne de diplomatie personnelle visant à sensibiliser sur la question du racisme aux États-Unis. Toutefois, les projets ambitieux de Malcolm X visant à créer un front uni entre Africains et Noirs américains n’ont bien souvent pas tenu compte des intérêts politiques de ses hôtes. Sa parole radicale s’est parfois avérée controversée dans les pays qui l’invitaient. Son manque d’expérience en matière de politique internationale l’a par moments plongé, sans le vouloir, dans une lutte d’influence complexe au sein même du mouvement postcolonial.
L’intérêt de Malcolm X pour les luttes anticoloniales ne date pas de 1964. Dans les années 1920, ses parents avaient tous deux travaillé pour l’Universal Negro Improvement Association de Marcus Garvey, une organisation politique radicale qui exhortait ses membres à « retourner en Afrique » et à libérer le continent de la domination coloniale. En 1952, il poursuit cette tradition séparatiste noire en rejoignant Nation of Islam, un mouvement politique et religieux qui enseigne que les Blancs sont des « démons » et encourage ses adeptes à créer une république noire indépendante au sein des États-Unis. Il est également profondément influencé par la conférence de Bandung d’avril 1955, qui rassemble des représentants de 29 États africains et asiatiques. Lors de cette conférence, des délégués radicaux tels que le président égyptien Gamal Abdel Nasser et le président indonésien Sukarno plaident en faveur d’un front uni contre le colonialisme et la domination économique, dont Malcolm X pense qu’il pourrait servir de modèle aux luttes antiracistes menées aux États-Unis. À Harlem, il commence donc à utiliser son statut de prédicateur de la Nation of Islam pour informer ses disciples des luttes anti-impérialistes menées du Ghana jusqu’au Congo. « Si les Africains obtiennent leur liberté, déclare-il en avril 1959, alors vingt millions de Noirs ici, aux États-Unis, devraient étudier les méthodes utilisées par nos frères plus noirs. »
[U Nu, Nehru et Ali Sastroamidjojo durant la conférence de Bandung | Howard Sochurek]
En réalité, la structure autoritaire de la Nation of Islam empêche Malcolm X de poursuivre ses échanges. Lors de son premier voyage en Afrique et au Moyen-Orient, en juillet 1959, il doit décliner une invitation à rencontrer Nasser et à accomplir le Hajj à La Mecque — il aurait été mal vu de le faire avant le leader de la Nation of Islam, Elijah Muhammad. Mais au fur et à mesure que Malcolm X devient une figure publique importante au début des années 1960, sa relation étroite avec Muhammad se transforme en une rivalité personnelle acerbe. En novembre 1963, Malcolm X fait une série de commentaires désobligeants sur l’assassinat de John F. Kennedy, affirmant que le président a « récolté ce qu’il a semé » en participant à déstabiliser le tiers-monde. Elijah Muhammad saisit alors l’occasion pour sanctionner son ancien disciple, lui interdisant toute apparition publique et le chassant quasiment de la Nation of Islam. Frustré, isolé de sa communauté, Malcolm X se met à la recherche d’une nouvelle orientation politique et religieuse. Ce faisant, il se tourne à nouveau vers la lutte contre l’Empire en Asie et en Afrique.
La priorité de Malcolm X est alors d’accomplir le Hajj. Empruntant de l’argent à sa sœur Ella Collins, il s’envole pour l’Égypte puis l’Arabie saoudite en avril 1964. Il était depuis longtemps curieux des communautés musulmanes traditionnelles, ayant été initié à l’islam sunnite par sa sœur Ella et par l’universitaire égyptien Mohamed Shawarbi. Sa correspondance avec des amis musulmans indique qu’il commençait déjà à avoir des doutes sur la théologie de la Nation of Islam. Comme l’ont souligné des juristes sunnites, la croyance de la Nation of Islam en la supériorité inhérente des Noirs et son affirmation selon laquelle son fondateur Wallace Fard Muhammad était une incarnation d’Allah étaient particulièrement choquantes pour les communautés musulmanes du monde entier.
« Au cours de ce pèlerinage, ce que j’ai vu et vécu m’a forcé à réorganiser une grande partie de mes schémas de pensée et à mettre de côté certaines de mes convictions passées. »
C’est au cours du Hajj que Malcolm X abandonne finalement ses croyances radicales pour se convertir à l’islam sunnite. « Jamais auparavant je n’ai vu de fraternité sincère et véritable pratiquée ensemble par toutes les races, quelle que soit leur origine », explique-t-il dans une lettre depuis La Mecque. « Vous serez peut-être choqués par ces mots venant de moi. Mais au cours de ce pèlerinage, ce que j’ai vu et vécu m’a forcé à réorganiser une grande partie de mes schémas de pensée et à mettre de côté certaines de mes convictions passées. »
Fort de cette nouvelle vision religieuse, Malcolm X se met à la recherche de nouveaux modèles d’action politique radicale. Il se rend d’abord au Liban, où il est impressionné par les islamistes des Frères musulmans. Il retourne ensuite en Égypte, où il est inspiré par le soutien du gouvernement à l’industrialisation du pays et par son système de parti unique. « Aucune nation africaine, note-t-il dans son journal, n’a besoin d’un système politique qui autorise la division et les querelles alors qu’elle tente de se décoloniser. » Il s’envole ensuite pour le Nigeria et le Ghana, où il passe du temps avec des politiciens nationalistes et se passionne pour leurs luttes mémorables contre l’impérialisme britannique.
[Arrivée à New York après son voyage au Moten-Orient, 1964 | New Lines Magazine]
Au fil du temps, cette tournée informative permet également à Malcolm X de s’adresser directement à de nouveaux publics africains. Il accorde de nombreuses interviews à la presse du Nigeria et du Ghana, et ses cours à l’université sont diffusés par les radios nationales. Sa priorité est de saper la propagande de l’U.S. Information Agency qui, selon lui, aurait utilisé la popularité de Kennedy en Afrique et la promesse de la loi sur les droits civiques pour présenter les États-Unis comme une puissance mondiale progressiste et responsable. Avec l’humour noir qui le caractérise, Malcolm X affirme que ses discours et ses interviews ont « criblé de balles l’image de JFK » à travers tout le continent. Il déclare que les Africains apprendront bientôt à se méfier des « agents d’information » qui prétendent que les États-Unis ont abandonné leur passé raciste.
Cette tournée se révèle aussi source de divisions. Au Ghana, la rhétorique anti-impérialiste de Malcolm X s’aligne étroitement avec la propagande du régime en place. Le Ghana a été le premier pays au sud du Sahara à obtenir son indépendance et son président charismatique, Kwame Nkrumah, a longtemps plaidé pour que les Africains s’unissent contre la domination européenne. À Accra, Malcolm X découvre que ses notes d’hôtel ont été payées à l’avance par les rédacteurs en chef de journaux G.T. Amin, T.D. Baffoe et Kofi Batsa — un signe clair de sa valeur aux yeux de la presse nationaliste. La visite est également très appréciée par la petite communauté noire de la gauche américaine au Ghana, qui avait abandonné les États-Unis pour avoir une chance d’échapper au régime raciste et de contribuer au développement d’un état d’Afrique noire. En 1964, cette communauté comprend notamment l’écrivain Julian Mayfield, la sociologue Sylvia Boone et la poétesse Maya Angelou. Cependant, au Ghana, des facteurs politiques moins évidents conduisent à ce que la politique incendiaire de Malcolm X ne soit pas accueillie favorablement par tout le monde. Nkrumah refuse d’abord de rencontrer Malcolm X, ayant été averti que tout soutien politique aux radicaux noirs américains pourrait compromettre la promesse des États-Unis de financer son ambitieux projet de barrage sur la Volta. Il finit par lui accorder une entrevue, mais celle-ci est de courte durée, et Mayfield rapporte que ce n’était « pas le grand amour » entre les deux hommes.
« Au Ghana, la rhétorique anti-impérialiste de Malcolm X s’aligne étroitement avec la propagande du régime en place. »
Après le départ de Malcolm X pour le Sénégal, le journaliste marxiste et conseiller présidentiel Hyman Basner écrit une chronique dans le Ghanaian Times qui critique vivement l’obsession de Malcolm X pour la race, affirmant qu’il ignore « les motivations économiques et la fonction de classe de toute oppression raciale ». Julian Mayfield s’empresse de prendre la défense de Malcolm X, écrivant que ces critiques ne reconnaissent pas la portée unique de la race aux États-Unis et suggérant que Basner est « tellement à côté de la plaque qu’il ne pourrait pas atteindre la porte d’une grange avec un fusil de chasse ». Basner répond que Malcolm X lui-même a récemment abandonné ses idées intransigeantes sur la race, mais la controverse est rapidement étouffée à la demande de Nkrumah.
Malgré ces difficultés, Malcolm X rentre aux États-Unis d’humeur optimiste. Fin mai 1964, de retour à New York, il commence à réfléchir à une nouvelle structure politique pour une organisation qui pourrait adopter la structure et les tactiques des organisations anticoloniales africaines. En juin, ces idées se concrétisent sous la forme de l’Organization of Afro-American Unity (OAAU), un nouveau mouvement destiné à créer une « cohésion de travail » entre les groupes antiracistes sous la direction personnelle de Malcolm X. L’influence de son séjour en Afrique et au Moyen-Orient est évidente. Le mouvement tire son nom de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), association intergouvernementale d’états fondée en Éthiopie en 1963. La charte de l’OAAU est en fait une version légèrement modifiée de la charte de l’OUA, remplaçant les références aux « États africains » par « les personnes de descendance africaine dans la sphère occidentale » et ajoutant un engagement à créer un « programme non sectaire et constructif » pour les droits humains aux États-Unis. La charte de l’OUA stipule que l’organisation visera à terme à lutter contre les violences policières, à construire des communautés noires résistantes et à mener une « révolution culturelle » pour rapprocher les Noirs américains de leurs ancêtres africains.
[Rencontre avec Fayçal ben Abdelaziz Al Saoud | DR]
La première mission de l’OAAU sera toutefois de soulever, dans les forums internationaux, les questions relatives aux Noirs américains — ce qui implique de retourner au Caire pour intervenir lors de la conférence au sommet de l’OUA. Arrivé en Égypte en juillet 1964, Malcolm X a l’intention d’y prononcer un discours, dont le texte exhorte les dirigeants africains à s’engager dans la lutte de leurs « frères et sœurs depuis longtemps disparus » et leur demande de soutenir une résolution des Nations Unies condamnant le racisme aux États-Unis. « Puisque les vingt-deux millions [de Noirs américains] étaient à l’origine des Africains, écrit-il, nous croyons fermement que les problèmes africains sont nos problèmes et que nos problèmes sont des problèmes africains. » Cependant, comme au Ghana, Malcolm X ne ne parvient pas à anticiper la façon dont sa parole radicale sera accueillie par les principaux leaders nationalistes. Ses mises en garde contre les dangers du « dollarisme américain1 » et ses menaces de « représailles maximales » contre le racisme se révèlent impopulaires auprès des dirigeants proches des États-Unis ou tributaires des liens économiques avec l’Europe. Il n’est finalement autorisé à participer à la conférence qu’en tant qu’observateur et reçoit pour instruction de faire circuler son discours sous forme de texte plutôt que de le prononcer directement.
La conférence adopte finalement une résolution dénonçant « les manifestations persistantes d’intolérance raciale » aux États-Unis, mais salue également l’adoption de la loi sur les droits civils et appelle le gouvernement à « intensifier ses efforts pour garantir l’élimination totale de toutes les formes de discrimination » à l’avenir. En public, Malcolm X affirme que son initiative a été un succès. Mais en privé, il émet des doutes. « La science de la diplomatie et des manœuvres politiques au niveau international est bien différente et plus délicate que de monter sur une caisse de savon à Harlem », écrit-il à sa femme, Betty, à la fin du mois. « J’ai bénéficié d’une expérience inestimable en participant à cette conférence au sommet. »
« La science de la diplomatie et des manœuvres politiques au niveau international est bien différente et plus délicate que de monter sur une caisse de savon à Harlem. »
Sa méconnaissance des politiques africaines et asiatiques le plonge également dans de complexes luttes d’influence régionales. En août, le gouvernement égyptien lui offre vingt bourses pour permettre à ses disciples d’étudier à la prestigieuse Université Al-Azhar — une manœuvre que le gouvernement Nasser avait déjà utilisée pour s’attirer les faveurs des groupes anticolonialistes de toute l’Afrique. Malcolm X comprend l’attribution de ces bourses comme un attentat politique contre la Nation of Islam. Comme il l’explique à Betty, « le fait qu’Elijah Muhammad n’ait pu envoyer qu’un seul étudiant ici en trente-quatre ans, et que nous puissions en envoyer vingt d’un coup, est le meilleur indicateur pour mesurer cette formidable faveur ».
Cependant, le cadeau attire également l’attention de l’Arabie Saoudite, la rivale de longue date de l’Égypte dans la guerre froide arabe. Le prince Fayçal, qui avait accueilli Malcolm X à La Mecque, craint que le gouvernement Nasser n’utilise le leader nationaliste noir pour attirer les musulmans américains vers sa propre sphère politique. En réponse, les Saoudiens préparent une dotation pour assurer leur propre influence : quinze bourses d’études pour l’Université islamique de Médine. Lorsque le Conseil suprême des affaires islamiques d’Égypte décerne à Malcolm X le titre de « daiy » (missionnaire), en reconnaissance de ses efforts pour répandre l’islam aux États-Unis, le gouvernement saoudien veille à ce qu’il soit agréé par sa propre Ligue mondiale musulmane. Inconscient des aspects politiques et économiques qui alimentent la rivalité des deux pays et obsédé par l’idée d’unité politique, Malcolm X nourrit le rêve idéaliste de pouvoir réunir les deux camps. « Mon cœur est au Caire », promet-il à ses contacts au sein du Conseil suprême des affaires islamiques, mais il pourrait mieux servir leurs intérêts « en me rapprochant également des forces plus modérées ou conservatrices qui ont leur siège à La Mecque ». Une campagne visant à trouver des alliés progressistes l’attire par mégarde dans l’orbite d’une dangereuse rivalité politique.
[Betty Shabazz aux funérailles de Malcolm X | Moneta Sleet Jr.]
Malcolm X passe les trois mois suivants à voyager à travers l’Afrique — un voyage qui lui permet de faire du tourisme en Égypte, de se rendre pour la première fois au Kenya, en Tanzanie, au Liberia, en Éthiopie et en Guinée, et de retourner au Nigeria et au Ghana. Comme au cours du premier semestre 1964, l’objectif de cette tournée est une ambitieuse campagne de diplomatie personnelle visant à obtenir un soutien et de la visibilité pour ses propres causes politiques. Au cours de ses déplacements, il est interviewé par l’Arab Observer, l’Egyptian Gazette, Al Gomhuria, le New York Times et Xinhua et passe à la radio à Nairobi, Dar es Salaam, Monrovia et Addis Abeba. Au Ghana, il recrute également Maya Angelou et Sylvia Boone pour l’OAAU en tant que « représentantes officielles en Afrique ». Parallèlement, il devient de plus en plus clair que Malcolm X est en fuite. Depuis qu’il a embrassé l’islam sunnite en avril, il reçoit des menaces de mort qu’il soupçonne provenir de la Nation of Islam. Ses amis et sa famille l’exhortent à rester en Afrique pour sa propre sécurité. En novembre, il se voit offrir l’asile au Ghana, en Éthiopie et en Arabie saoudite, et les services de renseignement américains font état de rumeurs selon lesquelles il se serait vu proposer « des emplois de propagandiste de haut niveau au Ghana et en Égypte ».
Toutefois, il craint de plus en plus que le fait de passer autant de temps à l’étranger ne l’éloigne de la lutte aux États-Unis et de toute chance d’y créer un changement politique significatif. L’installation définitive de sa famille en Afrique serait « bénéfique sur le plan personnel », résume-t-il dans son journal, « mais néfaste sur le plan politique ». Cela est d’autant plus vrai que la violence s’intensifie à New York. « Je me rends compte que beaucoup de gens aux États-Unis peuvent penser que je me soustrais à mes devoirs de dirigeant », écrit-il à Betty depuis Le Caire en juillet, « en restant ici alors qu’il y a tant de problèmes là-bas ». En novembre 1964, Malcolm X quitte l’Afrique à contrecœur, à la poursuite d’un avenir politique incertain.
*
Après l’assassinat de Malcolm en février 1965, l’OAAU tombe dans l’oubli. « Avant la mort [de Malcolm], il nous semblait que nous avions tout notre temps », écrit Sylvia Boone depuis Accra. « Sa mort nous a montré que nous en disposions de peu ; sa disparition nous a montré à quel point nous étions mal préparés. » En fin de compte, la vision de Malcolm X d’un front uni entre les radicaux africains et noirs américains ne s’est jamais réalisée. Après sa rupture avec la Nation of Islam, il s’est tourné vers les nouvelles communautés d’Asie et d’Afrique dans une tentative ambitieuse de reconfigurer la politique internationale. S’inspirant de victoires contre l’impérialisme, il a imaginé une vaste stratégie combinant des politiques électorales et révolutionnaires avec une campagne audacieuse de diplomatie internationale. Cependant, il s’est vite rendu compte que la scène politique dans laquelle il était entré était bien plus complexe qu’il ne l’avait imaginée. En réalité, son militantisme radical se heurtait à une politique pragmatique. Il a également dû naviguer dans un monde mouvant d’influence et de clientélisme dans lequel il était utile tant qu’il pouvait servir les grands intérêts des états postcoloniaux. En définitive, l’odyssée de Malcolm X à travers l’Afrique et le Moyen-Orient a montré les vastes perspectives de solidarité qui existaient dans le monde postcolonial, mais aussi ses limites concrètes et politiques.
Traduit de l’anglais par la rédaction de Ballast | Alex White, « Malcolm X and the Difficulties of Diplomacy », New Lines Magazine, 19 juillet 2024
Photographie de vignette : Malcolm X à New-York, 1963 | Richard Avedon
Photographie de bannière : Malcolm X durant son pèlerinage à La Mecque | DR
- C’est-à-dire de l’achat d’influence [ndlr].[↩]
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