Magnolia


Texte paru dans le n° 4 de la revue papier Ballast, printemps 2016

États-Unis, fin des années 1960. La ségré­ga­tion vient d’être abo­lie « de jure » mais une femme noire n’en est pas moins agres­sée, en atten­dant son bus, dans la capi­tale du pays. Elle s’engagerait bien­tôt avec son com­pa­gnon au sein du Black Panther Party. Un demi-siècle plus tard, son fils, fouillant dans sa mémoire et inter­ro­geant celle de son entou­rage, écrit ces quelques pages sur sa mère, depuis dis­pa­rue. Et une chan­son de Billie Holiday, racontant ces « étranges fruits » pen­dus aux arbres dans l’odeur des magno­lias au prin­temps, de se fau­fi­ler entre ses lignes. ☰ Par Oskar Vaughn


Station Greyhound, péri­phé­rie de Washington D.C., 1967.

Le bus avait du retard, tout comme ses règles depuis main­te­nant six semaines. Tout avait l’odeur du magno­lia, et elle détes­tait l’odeur du magno­lia. C’était une femme de cou­leur, une femme du Sud, et elle n’ignorait rien du peu de ten­dresse de ce magno­lia que les habi­tants de son Sud sur­nom­maient « la grande dame du Sud ». Le folk­lore de son enfance était riche en détails colo­rés — des corps de nègres pen­dus au milieu de ces jolies fleurs roses. C’était cet arbre qu’elle visua­li­sait à chaque fois qu’elle écou­tait le mor­ceau popu­laire « Strange fruit ». Son amer­tume était aus­si grande que le spec­tacle de cet arbre au plus fort de sa flo­rai­son. Pour elle, le magno­lia n’était rien d’autre que la méta­phore de l’« hypo­cri­sie blanche »… Mais à cette époque, l’air de Washington D.C. sen­tait encore la gelée et les magno­lias ne fleu­rissent pas si tôt et si loin dans le nord. Il n’y avait même pas une tige en vue. C’était une sorte de cruelle iro­nie qui vou­lait qu’à cha­cune de ses cinq gros­sesses, et uni­que­ment alors, Mama fût si for­te­ment écœu­rée par l’odeur du magno­lia. Elle en flai­rait les indices les plus loin­tains, en détec­tait par­fois là où il ne pou­vait y en avoir, haïs­sant le moindre de ses relents.

Mais ça n’était ce jour-là que sa pre­mière gros­sesse, et l’épaisse couche d’humour noir qui allait lui ser­vir plus tard à lut­ter contre ses nau­sées som­meillait encore. La ségré­ga­tion dans le Sud venait tout juste de prendre fin et une cer­taine agi­ta­tion poli­tique régnait tou­jours. Mama n’était pas d’humeur à avoir affaire à des idiots lorsqu’un groupe, ou une paire (selon qui conte cette his­toire), de mâles blancs d’une ving­taine d’années qui s’ennuyaient vinrent l’aborder.

Les évé­ne­ments de cette soi­rée varient un peu en fonc­tion du nar­ra­teur. Mais toutes les ver­sions s’accordent sur ce point : quelqu’un avait oublié de reti­rer le pan­neau « Gens de cou­leur » de l’une des portes des toi­lettes de cet arrêt de bus — bien que la loi sur l’interdiction de la ségré­ga­tion raciale dans les lieux publics était « effec­tive » depuis 1964. Alors que ces deux gent­le­men se trou­vaient à court de sujet de conver­sa­tion, l’un d’eux déci­da d’élargir leur palette en y incluant Mama et son amie. Il choi­sit d’attirer leur atten­tion sur le pan­neau ter­ni — ce à quoi Mama répon­dit en lui indi­quant le calen­drier, datant de 1967, qui se trou­vait au gui­chet de vente. Le gent­le­man déci­da de sur­en­ché­rir en évo­quant le récent assas­si­nat de Martin Luther King ; Mama l’honora d’une salve digne des ghet­tos de Baltimore Est ; il choi­sit d’y répondre avec la pointe de ses bottes.

Des heures plus tard, Mama cra­chait encore des insultes raciales à tra­vers les quatre dents qui lui man­quaient, au centre com­mu­nau­taire du Black Panther Party de Baltimore Est, rue Eager street, alors qu’un groupe de cama­rades femmes la soi­gnait. En ce qui concerne le fait que Mama dut attendre plu­sieurs heures avant d’obtenir des soins médi­caux, c’est un sujet qui fait débat : selon Madame B, l’une de ses plus vieilles amies, Mama aurait caté­go­ri­que­ment refu­sé d’entrer dans l’ambulance — sur laquelle était écrit « Mieux vaut tard que jamais » — parce que tous les soi­gnants qui s’y trou­vaient étaient blancs. Elle aurait choi­si d’attendre les trois heures que prit mon père pour enfreindre toutes les limi­ta­tions de vitesse de la I-95 Sud, entre New York et D.C., afin de l’emmener au centre com­mu­nau­taire noir le plus proche.

[Romare Bearden]

Mais Mama avan­çait une tout autre ver­sion ! Elle assu­rait qu’il s’agissait d’une ques­tion légale. L’ambulance (qui, selon elle, aurait tout autant pu être envoyée hors de New York du fait des délais d’attente à l’hôpital) n’était pas arri­vée accom­pa­gnée de la police, seule à même de prendre sa dépo­si­tion pour coups et bles­sures. Elle rap­pe­lait éga­le­ment qu’ils n’avaient pas été très réac­tifs à sa demande expli­cite de dépo­ser une plainte — elle accu­sa d’ailleurs les infir­miers d’avoir traî­né suf­fi­sam­ment pour que le bus en retard ait le temps d’arriver et d’embarquer ses agres­seurs. De plus, elle sou­te­nait que mon père avait déjà appe­lé un col­lègue d’école de Baltimore et qu’elle pré­fé­rait être soi­gnée par « un des siens ». À la ques­tion de savoir com­ment mon père finit cette nuit par avoir le bras cas­sé, le mys­tère sub­siste… Trois jours plus tard, sous les soins de sa mère, Mama fit une fausse couche. Une par­tie de moi soup­çonne qu’elle n’ait jamais vrai­ment fait le deuil de cette perte.

Les parents cherchent sou­vent à pro­té­ger leurs enfants des véri­tés dan­ge­reuses et, en consé­quence, les enfants per­çoivent leurs parents à tra­vers un prisme biai­sé. Trois choses res­tent cer­taines à pro­pos des évé­ne­ments de cette soi­rée : ils creu­sèrent un ravin dans lequel l’activité poli­tique de mes parents allait cou­ler pour le reste de leurs vies ; ils for­gèrent en eux une pro­fonde affi­ni­té avec le Black Panther Party ; chez Mama, s’ensuivit une inex­pli­cable obses­sion pour l’hygiène buccale.

Baltimore, début des années 1990.

Si Mama était une femme du Sud, grand-mère était le Sud. Elle fron­çait les sour­cils face à tout ce qui venait du nord de Mason Dixon et, bien qu’elle ait vécu à Baltimore durant plus de qua­rante ans, refu­sait de consi­dé­rer cela autre­ment qu’un séjour tem­po­raire. Elle atten­dait avec impa­tience le jour où elle allait retour­ner s’installer dans le « vrai Sud ». Elle était née et avait gran­di dans le Sud pro­fond à l’époque où ce n’était pas une bonne idée pour les filles noires de naître et de gran­dir dans le Sud pro­fond, mais comme elle aimait ce coin ! Bien sûr, nous pen­sions tous qu’elle était folle, assu­ré­ment folle, mais ça, cela fai­sait par­tie des grands moments de nos séjours ! Ça et les heures sans fin que je pas­sais dans le gre­nier, pen­ché sur les vieux albums pho­tos de famille et les vieilles cou­pures de presse pous­sié­reuses. On y voyait grand-mère l’air digne aux côtés de grand-père, qui affi­chait quant à lui quelque air las (ou peut-être était-il trop ivre pour faire un effort ?). Il y avait aus­si tante H avec son pre­mier… ou, non, son troi­sième mari ? Il y avait aus­si oncle D, juste avant qu’il ne tro­quât volon­tiers ce qui res­tait de sa misé­rable vie pour celle, tout aus­si glo­rieuse, qui régnait dans le port de Baltimore. Et il y avait une pho­to de Mama très jeune, assise sur les marches du per­ron d’une jolie mai­son d’un quar­tier de classe moyenne res­pec­table. Lorsque, plus tard, grand-mère m’apprit — d’un ton exa­gé­ré­ment tra­gique — qu’il s’agissait de la même mai­son que celle où nous nous trou­vions, là, à Baltimore Est (elle et le quar­tier avaient mani­fes­te­ment connu des jours meilleurs), je com­pris les rai­sons de son envie, des plus pres­santes, de la quit­ter… Ce n’était pas seule­ment la char­mante pelouse bien entre­te­nue de la pho­to­gra­phie qui man­quait ; il y avait quelque chose de fan­to­ma­tique dans ce cli­ché, comme ce quelque chose dans le sou­rire de Mama qui n’existait plus, quelque chose de vivant et sans nom.

[Romare Bearden]

Brooklyn New York, été 1995.

Ce devait être une forte fièvre. Quarante degrés, au moins, sans quoi Mama n’aurait pas sacri­fié une nuit entière. Quelques degrés de moins et tout aurait pu être pres­crit, du haus­se­ment d’épaules au com­pri­mé de Nyquil — huit années pas­sées à vivre dans les zones rurales sud-saha­riennes avaient désen­si­bi­li­sé ma mère contre les petits caprices occi­den­taux (du type : une forte fièvre). En me réveillant dans le lit de mes parents, trem­pé de sueur, je me suis sou­ve­nu avoir per­du connais­sance dans les esca­liers. La veille… ou peut-être le jour d’avant. Ça sem­blait remon­ter à long­temps. Depuis un coin de l’appartement, Mama chan­ton­nait « House of the rising sun » ; c’était le signe clair qu’elle était pré­oc­cu­pée. On pou­vait pré­ci­sé­ment prendre la tem­pé­ra­ture de son humeur en se fiant — comme à un ther­mo­mètre — aux chan­sons qu’elle se fre­don­nait à elle-même. Nina Simone lorsqu’elle était défiante (face à un mal­heur immi­nent, comme une noti­fi­ca­tion d’expulsion ou n’importe quelle échéance de fac­ture men­tion­nant son nom) ; Billie lorsqu’elle était triste ; Curtis Mayfield lorsque les fac­tures en ques­tion étaient réglées — et ain­si de suite…

Je scru­tais l’obscurité envi­ron­nante en effec­tuant l’inventaire de la vie de mes parents ; je trou­vais du récon­fort dans les bana­li­tés fami­lières de leurs modestes pos­ses­sions et me sen­tis beau­coup mieux. En ten­tant de me lever, je me suis trou­vé trop fra­gile pour ache­ver cette tâche : j’abandonnai. Je suis tom­bé à nou­veau et, dans ma chute, faillis ren­ver­ser un verre d’eau sur la table de nuit. Je suis res­té allon­gé à regar­der fixe­ment ledit verre, sim­ple­ment parce que j’étais trop faible pour faire quoi que ce soit d’autre. Le conte­nu du verre a com­men­cé à appa­raître de la même manière que les molé­cules le fai­saient au micro­scope de Mademoiselle Lawlor durant le cours de bio­lo­gie : il y avait autre chose que de l’eau dans ce verre. Une sorte de fruit. Rose et blanc, comme si quelqu’un avait cro­qué un bon mor­ceau de goyave et avait jeté le reste dans le verre. Mais qui pou­vait se pro­cu­rer de la goyave à Brooklyn ? Plus je m’en appro­chais et plus le monde minia­ture dans le verre d’eau sem­blait sur­réel. C’était d’abord un pam­ple­mousse, puis une créa­ture des mers, avant de finir par res­sem­bler aux quatre dents du haut et à la gen­cive d’une taille adulte. Je fixais impuis­sant cette scène, accu­sant la fièvre de pareille vision psy­ché­dé­lique. J’attendais que la scène change mais l’image avait l’intention de res­ter, morne et com­plète comme un puzzle où l’on voit d’abord l’image assem­blée mais qu’il fau­drait ensuite s’efforcer de cas­ser en dou­zaines de petits mor­ceaux pour le com­prendre. Le sou­ci, c’est que je ne savais guère par où com­men­cer. Ma famille avait la meilleure hygiène buc­cale que le den­ti­frice Arm and Hammer pou­vait per­mettre ; Mama savait impro­vi­ser sur le tas des récits san­glants de villes entières débor­dantes d’ados qui aspi­raient leurs bur­gers mixés à la paille parce qu’ils avaient per­du pré­ma­tu­ré­ment leurs dents — tout ceci du fait de leur pauvre hygiène orale. En 1995, j’avais une den­ti­tion par­faite et je n’avais même jamais enten­du par­ler des bridges dentaires.

Nous avions sou­vent le droit de poser des ques­tions sur l’activisme poli­tique pas­sé de nos parents, mais la plu­part de nos ten­ta­tives pour en savoir plus s’avéraient sans délai réglées par un stoïque « Ça, c’était à l’époque ». Sujet clos. À l’évidence, nous connais­sions des petits suc­cès de temps à autre, mais ils n’avaient que peu d’intérêt. Parfois, un vieil ami de « l’époque » les appe­lait lorsqu’il se trou­vait en ville. Mama pré­pa­rait la meilleure queue de bœuf au cur­ry de ce côté-là du Mississippi et mon père fai­sait une excep­tion, en buvant une bière (ou six). Supposant que nous nous étions cou­chés, leur conver­sa­tion déri­vait vers « l’époque ». « J’ai croi­sé frère A sur la baie le mois der­nier, il était allé rendre visite à frère B. Il est tom­bé pour une his­toire minable, mais ils ont déter­ré un vieux truc de l’époque. Ils l’ont envoyé pour trente ans à per­pet’ en Angola », lan­çait l’invité. « Ouais, frère X me l’a racon­té quand il est pas­sé à la fac », répon­dait mon père. « Pauvre sœur Y ! Et les enfants ? », deman­dait Mama… C’est en écou­tant en cachette mes parents que je décou­vris le pro­gramme de contre-espion­nage COINTELPRO1 du FBI et appris qu’Emory Douglas2 était l’auteur des affiches de la cui­sine et de la chambre de mes parents.

[Romare Bearden]

En dehors de ces rares aper­çus, ces années-là étaient soli­de­ment tues et bien gar­dées. À la nais­sance de leur troi­sième enfant, mes parents avaient rom­pu la plu­part des liens avec leur jeu­nesse de vio­lence poli­tique. Tout ce qui res­tait du com­bat, chez Mama, se résu­mait à ses infa­ti­gables col­lectes de dons pour la radio com­mu­nau­taire. Certains des détails les plus ter­ribles de leurs jours au Black Panther Party auraient été bien plus dif­fi­ciles à croire si je n’avais pas, à cer­taines occa­sions, vu la vieille pan­thère au fond de Mama. Un quart de siècle de vie civile et de mater­ni­té ne l’avait pas entiè­re­ment débar­ras­sée de son pen­chant pour le car­nage et rien ne pro­vo­quait en elle plus de rage que la menace de la vio­lence phy­sique mas­cu­line à l’endroit des femmes.

Une nuit d’hiver, Madame B, qui vivait juste au-des­sus de chez nous, vint mar­te­ler à notre porte, hors d’haleine, en pous­sant une femme afri­caine venue des anciennes colo­nies fran­çaises, ter­ro­ri­sée, la veste d’un gar­çon sur les épaules. Tout en la condui­sant vers la cui­sine, Madame B deman­dait : « Où est ton minot ? Il parle fran­çais ? Quelqu’un doit tra­duire tout ça à cette petite ! Cet homme va la tuer ! » Réalisant que per­sonne à la mai­son ne par­lait le fran­çais, Madame B par­tit à la recherche d’un tra­duc­teur dans l’immeuble. À chaque fois qu’elle essayait de cal­mer ses nerfs, Mama se met­tait à repas­ser. La planche avait été sor­tie le jour où ma sœur aînée, A, avait annon­cé qu’elle était enceinte de quatre mois — et c’est aus­si vers cette planche que ma mère s’était diri­gée lorsqu’elle apprit la mort de grand-mère. Cela sem­blait plu­tôt bizarre de se mettre à repas­ser à ce moment pré­cis, mais c’est exac­te­ment ce que Mama fit.

Elle me dit « Va cher­cher les che­mises de ton père sur l’escalier de secours » et elle ins­tal­la la planche et le fer à repas­ser, tout en se met­tant à fre­don­ner « Four Women » de Nina Simone. On com­men­çait à se deman­der où en était la mis­sion de Madame B quand on enten­dit des pas très lourds qui venaient du cou­loir. S’attendant à voir appa­raître Madame B accom­pa­gnée d’un tra­duc­teur fran­co­phone, ma sœur cou­rut à la porte ; quelques secondes plus tard, on enten­dit la voix éner­vée d’un homme qui jurait sur le pas de la porte en ques­tion tout en deman­dant « Où est-elle ? ».

Au son de cette voix, un regard ter­ro­ri­sé appa­rut une nou­velle fois sur le visage de la petite femme afri­caine qui recu­lait en direc­tion de la cui­sine. Un bref coup d’œil sur l’homme et l’on com­pre­nait tout de suite pour­quoi : c’était un géant, dont on per­ce­vait aus­si­tôt le poten­tiel de vio­lence et de dan­ge­ro­si­té. Mais l’aspect le plus effrayant de cette nuit ne rési­dait ni dans la ter­reur des yeux de cette femme, ni dans le sang de ceux de son agres­seur : ce fut la réac­tion de Mama à cette scène qui, aujourd’hui encore, me donne des fris­sons : dans un calme imper­tur­bable, elle sai­sit fer­me­ment le fer brû­lant qu’elle avait en main et se diri­gea silen­cieu­se­ment vers l’homme à la porte…

[Romare Bearden]

J’étais donc res­té immo­bile sur le lit de mes parents durant un long moment, obsé­dé par cet étrange objet flot­tant dans son cocon liquide. Je n’ai pas enten­du Mama entrer dans la chambre mais elle a du attendre là un moment, à en juger par son regard mor­ti­fié. Nos yeux se fixèrent et je lui adres­sai un sou­rire tenace. Puis, dou­ce­ment, sa honte s’est dis­soute et son visage s’est éclai­ré du sou­rire le plus frap­pant qui pût être — révé­lant un large trou dans la ran­gée du des­sus de ses dents. De ce genre de sou­rire ren­for­cé par une étin­celle au coin des yeux, celle qui révèle la malice chez les enfants. Et, l’espace de cet ins­tant, je me suis retrou­vé face à face avec la fille de la pho­to­gra­phie à la pelouse bien entre­te­nue. « Tu veux que je te raconte une his­toire ? », dit-elle en s’asseyant sur le bord du lit…

Quelques années plus tard, Mama envoyait sa plus jeune fille à l’université. Je pas­sais par la vieille mai­son afin de l’aider à ran­ger et à peindre « À louer » sur une pan­carte à fixer à la fenêtre, pour la chambre nou­vel­le­ment vacante — elle avait déci­dé de prendre un loca­taire afin de l’aider à payer les fac­tures. Nous sommes res­tés assis dans cet appar­te­ment vide, à ne rien faire de plus que regar­der la pein­ture sécher. La mai­son était étran­ge­ment calme et silen­cieuse. J’ai sen­ti qu’aucune couche de plâtre ou de pein­ture ne sau­rait recou­vrir les sou­ve­nirs que ces murs por­taient. Mama mar­chait de long en large ; elle res­sem­blait, en tout point, à une vieille pan­thère qui vient tout juste de vider son nid de son der­nier petit… Et, comme si elle lisait dans mes pen­sées, elle s’arrêta net, me regar­da, fit un geste et fina­le­ment mur­mu­ra : « Tu sais le pire ? Cette sata­née odeur de magno­lia me manque ! »


Traduit de l’anglais par Cihan Gunes.
Illustration de ban­nière : Romare Bearden


  1. Programme de contre-espion­nage du FBI visant à sur­veiller et per­tur­ber les orga­ni­sa­tions poli­tiques dis­si­dentes aux États-Unis, sous la direc­tion de J. Edgar Hoover.[]
  2. Il fut, en tant que des­si­na­teur, le ministre de la Culture du Black Panther Party.[]

REBONDS

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Oskar Vaughn

A grandi aux États-Unis dans les années 1980.

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