En mai 2023, la bande de Gaza a subi une nouvelle offensive militaire israélienne. Pendant cinq jours, les forces israéliennes ont bombardé des maisons, déplaçant plus de 1 200 personnes et en tuant 34. Selon l’organisation de défense des droits humains Al Mezan, 109 maisons ont été détruites au cours de l’opération et 640 partiellement endommagées. Pour Amnesty International, ces destructions d’habitations constituent « une forme de sanction collective infligée à la population civile ». Dans certains cas, les autorités israéliennes ont prévenu les habitants et les habitantes des maisons ciblées, leur ordonnant d’évacuer sur-le-champ ; dans d’autres, les bombardements avaient pour but de tuer des membres du Jihad islamique, quand bien même ceux-ci étaient entourés de leurs proches. Les journalistes qui couvrent ces destructions omettent trop souvent un élément crucial : 70 % des habitants et des habitantes de la bande de Gaza sont des personnes réfugiées des villes et des villages ethniquement nettoyés de la Palestine historique au moment de la création de l’État Israël. Parmi les familles qui ont perdu leur maison lors de cette dernière offensive se trouvent ainsi des personnes réfugiées. Cette nouvelle perte n’est donc qu’une petite partie de leur histoire de dépossession, d’expulsion et d’oppression : elle dure depuis la Nakba de 1948 (la catastrophe, en arabe), au cours de laquelle 700 000 Palestiniens ont été expulsés de leurs terres et plus de 500 villages nettoyés. À ce jour, Israël interdit le retour de millions de personnes réfugiées. Pour elles, le lien entre le passé et le présent est évident : il s’agit d’une Nakba continue. Ces bombardements doivent également être appréhendés dans un contexte de siège de la bande de Gaza, qui dure depuis seize ans, et de répétition de grandes offensives militaires — six depuis 2008. Avec pour conséquence une population exsangue et des générations traumatisées, ceci en toute impunité : Israël continue d’exporter ses armes et ses technologies de surveillance dans le monde, testées en « réel » sur une population captive. Un photoreportage signé Anne Paq.
Zuhair Ibrahim Mohammed Abu Khater et son épouse Sabah Ali Abdelaziz Abu Khater, réfugié·es du village de Yibna, se tiennent devant leur maison détruite à Beit Hanoun. Dix personnes de la famille Abu Khater y vivaient, représentant trois générations, dont deux enfants. D’autres maisons à proximité ont également été gravement endommagées, provoquant le déplacement d’un plus grand nombre de familles. Le jour de l’attaque, de nombreux membres de la famille élargie étaient présents chez eux car, le lendemain, ils devaient rendre visite à la famille de la fiancée de leur fils. L’argent et l’or étaient prêts à être remis à la famille de la mariée ; ils se trouvent désormais perdus sous les décombres.
Le minaret d’une ancienne mosquée du village dépeuplé de Yibna, près de Ramla, où vivait la famille Abu Khater. Les villes israéliennes de Yavné et de Beyt Rabban ont été construites sur les terres de Yibna ; il ne reste que quelques bâtiments de l’ancien village palestinien, dépeuplé en 1948 par les milices sionistes pendant la Nakba.
Les ruines de la maison de la famille Abu Khater à Beit Hanoun, au nord de la Bande de Gaza. « Depuis la Nakba, ils [les Israéliens] nous ont attaqués et nous ont déplacés. Nous sommes arrivés à Gaza impuissants et nous pensions que nous vivrions en sécurité, mais nous ne sommes jamais en sécurité. Nous sommes déplacés depuis le premier jour, nos maisons sont détruites, à Yibna et à Gaza. […] Nous, les réfugiés palestiniens, sommes invisibles au monde entier, nous ne sommes pas vus, nous ne sommes pas entendus », déclare Abou Khater, assis à quelques mètres de sa maison détruite.
Des enfants passent en revenant de l’école dans les ruines de la maison de la famille Masri, située à Beit Lahiya, au nord de la bande de Gaza. La maison à deux étages ciblée par un bombardement israélien a été complètement détruite et un certain nombre de maisons voisines, ainsi que le siège de l’association de développement de Beit Lahiya, ont été partiellement endommagées.
Intisar Ibrahim Harb Mohanna, âgée de 93 ans, plonge dans ses souvenirs dans la maison de sa fille, chez qui elle a trouvé refuge. Avant leur exil en 1948, sa famille avait une place prédominante dans le village d’Al-Masmiyya. Son père étant le mukhtar (chef local), possédait une grande maison (diwan) et beaucoup de terres cultivées. Alors qu’elle avait 18 ans et qu’Intisar était sur le point de se marier, elle a été témoin de l’arrivée des milices sionistes et de la destruction de la maison dans laquelle elle allait emménager avec son fiancé. Après l’assassinat de son frère, Jamal, par ces forces armées, la famille a fui vers Gaza, perdant toutes ses richesses. Des décennies plus tard, elle est à nouveau témoin de la destruction de sa maison. Elle a été réveillée au milieu de la nuit par son petit-fils puis emmenée sans comprendre ce qui se passait. Ce n’est que quelques jours plus tard que sa famille lui a annoncé la destruction de la maison de quatre étages, qu’elle avait aidé à construire avec l’argent de son or reçu lors de son mariage. Celle-ci abritait toute la famille, quatre générations.
Itaf Khalil Banat, 50 ans, est assise au milieu de son salon détruit, à Beit Lahiya, dans le nord de la bande de Gaza. Sa maison a été détruite quatre jours auparavant après que la maison adjacente d’un autre membre de la famille Banat a été ciblée par les forces israéliennes. « Nous n’avons rien pu prendre. Nous pensions que nous étions dans une zone sûre. Aujourd’hui seulement, j’arrive à me calmer un peu et à dormir, les jours précédents je n’y suis pas parvenue », explique Itaf. Une quarantaine de personnes ont été déplacées par cette attaque. Des dégâts matériels importants ont été causés aux maisons environnantes, ainsi qu’à la mosquée al-Shikh Saad et au cimetière voisin.
Mohammed Amar Banat, 25 ans, se tient au milieu des ruines de son tout nouvel appartement où il voulait emménager avec sa femme enceinte, à Beit Lahiya. Son épouse avait vendu son or pour permettre l’achat. Leur rêve a été brisé lors du bombardement de la maison adjacente.
Les ruines de la maison de la famille Nabhan à Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza. La maison, dans laquelle habitaient quarante-deux personnes de la famille élargie, a été bombardée le 13 mai. Quatre membres de la famille ont des besoins spéciaux ; la frappe aérienne les a laissés sans fauteuil roulant, ni béquilles et équipement médical nécessaires pour se déplacer et pour leurs soins. Après l’appel des forces israéliennes leur ordonnant d’évacuer, la famille n’a pas eu le temps de prendre quoi que ce soit. L’or et l’argent qui avait été économisés pour les fiançailles de l’un des fils sont également perdus sous les décombres.
Rahma Nabhan tient sa fille Djoury, âgée de quatre mois, devant les ruines de leur maison. Dans la panique de l’évacuation, Rahma a pensé que son mari avait pris le bébé. Lorsque le couple a réalisé que Djoury était toujours dans la maison, son mari s’est précipité pour la récupérer. Dans de nombreux cas d’appels par les autorités israéliennes, les familles n’ont que quelques minutes pour évacuer avant l’attaque.
Un salon détruit dans une maison voisine de la famille Abu Obaid à Deir Al Balah, dans le centre de la bande de Gaza. Celle de la famille Abu Obaid a été bombardée le 13 mai, provoquant d’énormes dégâts dans les habitations environnantes et le déplacement de dizaines de personnes.
Yahia Kamel Salem Abu Obaid, 55 ans, se tient devant les ruines de sa maison à Deir Al Balah. On y lit « Sauvez Gaza ». Abu Obaid déclare qu’il n’a pas d’économies. Rien n’a pu être sauvé du logement lors de l’évacuation précipitée, après le coup de fil d’avertissement. Il reste pour l’instant chez ses proches. « La Nakba continue. Cette maison bombardée en est la preuve. Je ne m’attendais pas à ça, nous sommes sortis comme vous nous voyez », déclare Abou Obaid.
Des membres de la famille Nabhan se rassemblent la nuit autour des ruines de leur maison à Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza. Certain·es dorment dans les habitations voisines, dans l’abri qui servait pour leur âne, ou encore à même le sol sur des matelas donnés par des organisations.
Les restes d’un vieil olivier détruit se dresse dans les ruines de la maison de la famille Tafeesh, dans le district d’Az Zaitoun, dans la ville de Gaza. Celle-ci abritait douze personnes. Elle a été complètement détruite par un bombardement, lequel a également causé d’importants dégâts aux alentours. L’habitation voisine de la famille Abu Soreya, réfugiée, a été entièrement pulvérisée. Environ 400 poulets élevés par la famille Tafeesh ont été tués lors de l’attaque.
Un membre de la famille Tafeesh montre la vidéo du bombardement de la maison de ses proches. Habitant en face, son appartement a subi des dommages importants. Les autorités israéliennes ont prévenu la famille avant le bombardement, mais cela n’a pas été le cas lors des premières frappes, le 9 mai, visant à tuer trois commandants du Jihad islamique. Dix personnes civiles ont alors perdu la vie.
Des Palestinien·nes commencent à réparer les dégâts dans une maison adjacente à la maison de la famille Tafeesh. Les dommages des maisons détruites et endommagées sont estimés à plusieurs millions de dollars.
Mohammed (7 ans), Mahmoud (9 ans) et Ahmad (5 ans) Yussef Awadadallah se tiennent dans leur chambre ravagée, à Beit Hanoun. Leur domicile est situé à côté de la maison de la famille Abu Khater, prise pour cible le 11 mai. La famille est réfugiée de Hulayqat. « Ils sont traumatisés et me collent tout le temps. Je fais de mon mieux pour les soutenir et pour prendre soin d’eux. Durant le bombardement, mon plus jeune fils, Ahmad, a eu une crise de panique. Il ne pouvait plus respirer et son cœur s’est presque arrêté. J’ai dû lui faire du bouche à bouche pour le réanimer. La nuit, Ahmad se réveille plusieurs fois et il vient dormir avec nous. Nous sommes pour l’instant dans une maison louée ailleurs », dit leur père Yussef Sukeh Awadallah.
Des roses et un drapeau palestinien ont été posés dans les ruines de la maison de la famille Masri, à Beit Lahiya.
Anne Paq est une photographe, réalisatrice et autrice française primée, membre du collectif photo Activestills depuis 2006. Elle a passé plus de deux décennies à couvrir de nombreux sujets en Palestine, notamment dans la bande de Gaza.
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