Traduction d’un photoreportage d’El Salto pour Ballast
Fin janvier, un sondage indiquait que 83 % des Péruviens et Péruviennes ne se sentaient pas représentés par la nouvelle présidente Dina Boluarte. Celle-ci a remplacé Pedro Castillo en décembre dernier, destitué par le Parlement et l’armée. Parmi les opposants se trouvent, surtout, les populations andines, historiquement marginalisées. C’est là, au sud du pays, que la contestation est la plus massive. Que la répression est la plus violente. Dans la région du Puno, frontalière avec la Bolivie, la mobilisation ne faiblit pas depuis un mois. À Juliaca, la capitale de la région, les manifestations sont quotidiennes. Au cours de l’une d’elles, il y a un mois, 18 personnes ont été tuées par la police. Jeudi dernier, une cinquantaine de manifestants ont de nouveau été blessés lors d’une marche commémorant les victimes. « Combien de morts voulez-vous pour vous faire démissionner ? » demandait un slogan. Ailleurs dans la région, sur les routes, les barrages filtrant sont nombreux. L’armée a été dépêchée pour rétablir l’ordre, ce qui ne manque pas d’alimenter les tensions. Reportage en images. ☰ Par Mauricio Morales
« Ici à Juliaca, nous sommes en lutte », déclare une manifestante dans le centre de cette ville de la province du Puno. Les rues sont toujours fermées dans le centre de la ville. Depuis l’assassinat de 18 personnes le 9 janvier dernier, alors que les manifestant·es avaient essayé de prendre l’aéroport de la ville subissant la riposte par balles de la police péruvienne, les marches — pacifiques — se poursuivent à travers la ville.
Pendant les mobilisations quotidiennes, les magasins sont fermés. Ils ouvrent lorsque les manifestations se terminent, en fin d’après-midi.
« Les policiers nous appellent indios serranos [au Pérou, « indios » et « serranos » sont synonymes et comportent une forte connotation négative, ndlr]. Si nous sommes des indios serranos, eux, d’où viennent-ils ? » demande une autre manifestante dans les rues du centre de la ville de Juliaca, où est réuni un groupe de Quechuas et d’Aymaras.
Dans le Puno, la tension monte : arrivée des soldats et installation de zones militaires dans des villages comme celui de Laraqueri, barrages entre les habitants de la province de Puno et le reste du pays, fermeture des commerces.
Les blocages s’amplifient : le passage n’est permis que de manière restreinte entre 16 heures et 22 heures. Aucun bus ne fait la jonction entre les différentes municipalités de la province, ni avec Arequipa, l’une des villes la plus proche du Puno, où se trouve un aéroport, tandis que le seul de la province, à Juliaca, est fermé.
Des minibus effectuent des trajets de nuit vers et depuis Arequipa, sur des sentiers traversant les montagnes andines. Ils facturent trois fois le prix d’un billet. Pour beaucoup, c’est le seul moyen de se rendre à un aéroport.
« Au Puno, on nous regarde de haut. Mais le Puno a des richesses : il a du lithium, il a de l’or, il a des fermes, il y a toutes les denrées alimentaires, même du pétrole » déclare un manifestant lors d’un blocage sur la route Puno-Laraqueri. Le gouvernement et les décisions politiques nationales ont toujours été centralisés à Lima. « Le Puno a toujours été oublié et le Puno a toujours voulu un changement dans la Constitution. » Le changement de la Constitution est l’une des demandes ; elles restent inchangées : les manifestant·es veulent aussi la démission de la présidente Boluarte, la fermeture du Congrès, de nouvelles élections cette année et une assemblée constituante.
Lors d’un nouveau vote le 1er février dernier, le Congrès a refusé la possibilité d’une élection cette année. Sur la route qui conduit à Laraqueri, différents barrages ont été levés. Mais le mécontentement et la colère restent les mêmes, jusque dans le bourg où un contingent de soldats a été installé dans le centre. « En tant que paysanne, je vais lutter jusqu’à ce qu’ils s’en aillent », affirme une manifestante à Laraqueri en indiquant l’endroit où se trouvent les militaires, dans les arènes de la ville.
À 50 kilomètres de la ville de Puno. Un groupe de militaires avec des véhicules blindés se sont installés dans les arènes. Un soldat prévient qu’ils sont arrivés pour dégager les routes quand ils en recevront l’ordre. Comme la plupart des hommes qui sont en charge de la nouvelle « zone militaire », il est cagoulé et son uniforme ne porte pas de nom.
« Pourquoi vous êtes-vous emparés de cette partie du village ? », demande un des habitants à un militaire. L’officier répond que c’est la Constitution qui leur donne la permission de déclarer le site comme une « zone militaire », où il n’est permis ni de s’approcher, ni de prendre des photos, ni de filmer.
Des pierres sur la route, des barricades en terre et des câbles traversent les routes qui mènent à la ville de Puno. Les blocages s’intensifient. Pendant ce temps, le groupe de militaires et de policiers stationnés à Laraqueri attend l’ordre de Lima pour libérer les routes.
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