QUE FAIRE ? • 1/5 • Sylvaine Bulle et Alessandro Stella : construire l’autonomie


Dossier « Que faire ? » | Entretien inédit pour le site de Ballast

On croise, de nos jours, le mou­ve­ment auto­nome fran­çais en tête des cor­tèges de mani­fes­ta­tion, sur les murs des villes ou les étals des librai­ries, dans les squats ou au cœur des ZAD, dans les appels au blo­cage, à l’insurrection, à la séces­sion ou à la des­ti­tu­tion. Dans la revue lun­di­ma­tin, noyau dur des théo­ries auto­nomes, on peut lire : « L’autonomie est la forme d’anti-gouvernement qui per­met à la fois le sur­gis­se­ment révo­lu­tion­naire anti-ver­ti­cal et l’inscription hori­zon­tale d’une forme de vie com­mune qui dure« . Dos aux élec­tions, aux par­tis, aux syn­di­cats et à l’État, l’autonomie refuse toute « nou­velle dis­tri­bu­tion des organes d’exercice du pou­voir, même réfor­més, même démo­cra­ti­sés, même réap­pro­priés, mêmes éga­li­sés » : c’est l’affranchissement ici et main­te­nant qu’elle vise ; c’est n’être jamais gou­ver­né. La socio­logue Sylvaine Bulle a publié Irréductibles — Enquête sur des milieux de vie auto­nomes ; l’historien Alessandro Stella, ancien mili­tant de l’Autonomie ouvrière exi­lé en France depuis le début des années 1980, est l’auteur d’Années de rêves et de plomb : des grèves à la lutte armée en Italie. Dans le cadre de ce dos­sier entiè­re­ment consa­cré aux dif­fé­rentes stra­té­gies de rup­ture avec l’ordre domi­nant, nous sommes allés à leur rencontre.


[lire l’introduction]


On a pu consta­ter l’essor du mou­ve­ment auto­nome dans les années 2010 en France. Après avoir abon­dam­ment irri­gué l’imaginaire ou les pra­tiques de la gauche radi­cale, l’autonomie ne serait-elle pas en perte de vitesse ?

Alessandro Stella : Pas du tout. La revue lun­di­ma­tin et les gens qui gra­vitent autour, qu’ont-ils fait depuis vingt ans en France ? Ils se sont ins­pi­rés des idées de l’autonomie ita­lienne des années 1970, ils les ont déve­lop­pées et les ont retra­vaillées par-delà l’approche mar­xiste-léni­niste tra­di­tion­nelle. Mais l’autonomie ouvrière, comme concept et pra­tique, vient de loin — et a un bel ave­nir. Il suf­fit de voir les évé­ne­ments aux­quels on assiste depuis quelques années, en plu­sieurs endroits du monde : en France avec notam­ment les gilets jaunes, au Chili, en Équateur, aux États-Unis, en Syrie… Autant de mou­ve­ments qui refusent toute auto­ri­té. L’autonomie ouvrière a com­men­cé à la fin du XIXe siècle. Il s’agissait de l’autonomie par rap­port au capi­tal, de l’indépendance des ouvriers vis-à-vis de l’argent des patrons. Puis le concept a évo­lué, comme il conti­nue de le faire aujourd’hui — jusqu’à inté­grer, désor­mais, l’écologie. En Italie, ces idées étaient por­tées dans les années 1960 par Mario Tronti, Romano Alquati, Asor Rosa ou encore la revue Quaderni Rossi : autant de per­sonnes cri­tiques à l’endroit du Parti com­mu­niste ita­lien. Elles deman­daient à reve­nir au sujet même de la lutte des classes : les ouvriers. L’autonomie ouvrière ita­lienne vient de groupes extra-par­le­men­taires, après 1968 — Il Manifesto, Potere Operaio… Ils étaient auto­nomes vis-à-vis des par­tis et des syn­di­cats. Puis l’autonomie est allée plus loin et les groupes se sont dis­sous : dis­per­sion, auto-orga­ni­sa­tion locale, construc­tion de situa­tions1… Parallèlement, des chan­ge­ments struc­tu­rels sont sur­ve­nus : on est pas­sés de l’ouvrier spé­cia­li­sé à l’ouvrier-masse. Je me sou­viens être allé dis­tri­buer des tracts dans une usine, il y avait dix mille ouvriers là-bas ! Des ouvriers inter­chan­geables. On n’avait plus besoin de spé­cia­li­sa­tion ; la méca­ni­sa­tion s’était impo­sée… La com­po­si­tion de classe a ain­si chan­gé par­tout en Occident. Toni Negri a dési­gné ce phé­no­mène par la for­mule d’« ouvrier social », qu’on pour­rait dire « dis­per­sé », « pré­ca­ri­sé »… C’est sur ces pré­caires que l’autonomie ouvrière s’est appuyée en Italie.

Depuis, un chan­ge­ment s’est opé­ré dans la socio­lo­gie des mili­tants auto­nomes. Les ouvriers ne sont plus du tout en son cœur.

« L’autonomie est une onto­lo­gie, une manière de pen­ser sa vie plus ou moins en dehors des cadres, avec des règles et un ima­gi­naire qui montrent que la socié­té peut s’auto-instituer. [Sylvaine Bulle] »

Sylvaine Bulle : L’autonomie actuelle est plus proche de la pre­mière auto­no­mie ouvrière du XIXe siècle, au sens qua­si­ment prou­dho­nien de scis­sion et de cir­cu­la­tion des savoirs ouvriers. L’opéraïsme2, par contre, a repré­sen­té un moment char­nière dans la mesure où l’on a posé la ques­tion de la cen­tra­li­té ouvrière, où l’usine est deve­nue un lieu de réap­pro­pria­tion du corps ouvrier. Mais on trou­vait dans l’autonomie ita­lienne la forme-par­ti extrê­me­ment ver­ti­cale, orga­ni­sée, avec une vel­léi­té d’hégémonie cultu­relle de classe — ce qui ne serait pas pos­sible aujourd’hui.

Alessandro Stella : Il n’y avait pas seule­ment cette ver­ti­ca­li­té, et pas partout !

Sylvaine Bulle : C’est vrai, c’était très hété­ro­gène. Aujourd’hui, il y a des traces de l’autonomie ita­lienne dans cette volon­té d’occuper des lieux, de se les réap­pro­prier, de mon­trer qu’il peut y avoir une rela­tion entre résis­tance et exploi­ta­tion. Ce qu’ont per­mis l’autonomie his­to­rique ouvrière et l’autonomie ita­lienne, c’est ce rap­port extrê­me­ment fort, parce que conflic­tuel, entre insur­rec­tion et ins­ti­tu­tion — rap­port qui pour­rait être, s’il faut en don­ner une, la défi­ni­tion de l’autonomie. Effectivement, on ne peut plus par­ler d’ouvrier-masse ou de pro­lé­ta­riat désor­mais. On est face à un sala­riat pré­ca­ri­sé et, sur­tout depuis 1990, soit la fin du post-for­disme, on assiste à une mon­tée géné­ra­li­sée des sub­jec­ti­vi­tés : pré­ca­riat, mino­ri­tés racia­li­sées, femmes… C’est peut-être par là, comme avec l’écologie ensuite, que l’autonomie s’est recom­po­sée. À par­tir du moment où des sub­jec­ti­vi­tés qui n’étaient pas conglo­mé­rées dans le pro­lé­ta­riat se sont croi­sées, elles ont pu trou­ver des lieux de réso­nance. L’autonomie ita­lienne arti­cu­lait ce que le phi­lo­sophe Tronti appe­lait la « com­po­si­tion de classe ». Maintenant, ça n’est plus pos­sible : on a une auto­no­mie rela­tion­nelle — il s’agit de pen­ser la rela­tion entre les sub­jec­ti­vi­tés. Contrairement à ce que tu sug­gé­rais, Alessandro, je ne crois pas qu’on gagne à faire tendre ces héri­tages vers les luttes actuelles, à voir l’autonomie dans les gilets jaunes. Ce qui sou­tient l’autonomie, c’est une pen­sée de l’auto-organisation, au sens qu’en donne Castoriadis : un ima­gi­naire et des espaces-temps qui sont ceux de socié­tés qui se pensent elles-mêmes, dans un lien très dis­ten­du avec l’hétéronomie — ce que ne font pas les gilets jaunes. L’autonomie n’est pas une cause : c’est une onto­lo­gie, une manière de pen­ser sa vie plus ou moins en dehors des cadres, avec des règles et un ima­gi­naire qui montrent que la socié­té peut s’auto-réguler, s’auto-rythmer, s’auto-instituer.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Alessandro Stella : L’autonomie ouvrière que j’ai vécue en Italie, dans les années 1970, est née à l’écart des par­tis et des syn­di­cats. Puis elle a mué en une mul­ti­tude de formes. Ceux qui ont fait 19773, ce sont des gens comme moi : les petits frères de ceux qui ont fait 1968, de Toni Negri, Oreste Scalzone, Franco Piperno… Des petits frères qui se sont répon­du et qui ont refu­sé la forme-par­ti, l’autonomie ouvrière orga­ni­sée — quoi qu’il en dise, Toni Negri est tou­jours res­té un peu léni­niste. Le som­met de l’autonomie ouvrière, ça a été les mil­liers de per­sonnes dans la rue : les ouvriers, les fémi­nistes, les homo­sexuels… Il faut par­ler d’autonomies au plu­riel : chez les jeunes acti­vistes, aujourd’hui, les ques­tions de genre, par exemple, sont fon­da­men­tales. L’autonomie se construit de plus en plus par rap­port à toute forme d’autorité, quelle qu’elle soit. En France, d’abord, autour du col­lec­tif et du jour­nal Marge, puis en Italie, est né dans les années 1970 ce qu’on a appe­lé l’« auto­no­mie dési­rante ». Un mou­ve­ment ins­pi­ré par Guattari, Deleuze, l’antipsychatrie, le désir comme moteur de l’humanité. Des ponts ont été jetés avec les cou­rants contes­ta­taires venant des situa­tion­nistes, des sur­réa­listes — c’est cette auto­no­mie-là qui a gagné, notam­ment dans la langue. Prenez lun­di­ma­tin et le Comité invi­sible : on met la poé­sie à l’ordre du jour et on arrête avec les pavés bien concen­trés et dog­ma­tiques ! Du mou­ve­ment des squats, dans les années 1990, aux ZAD fran­çaises, on prône désor­mais la séces­sion. En Italie, après la débâcle des mou­ve­ments insur­rec­tion­na­listes au milieu des années 1980, l’autonomie s’est dépor­tée dans les centres sociaux créés une décen­nie plus tôt.

Qu’est-ce qui se jouait, dans ces centres ?

« En face, tu as l’État : depuis trente ans, il mène la guerre aux squats. Faire séces­sion, c’est un beau concept : mais on nous en empêche. [Alessandro Stella] »

Alessandro Stella : Il s’agissait d’occuper des espaces et de vivre d’une autre façon : s’autogérer, vivre en coopé­ra­tive, se débrouiller. Un exemple : le centre social Forte Prenestino, créé à Rome dans un ancien fort en 1986, au milieu des années de plomb, lorsque la répres­sion était très forte, bru­tale, totale. Le slo­gan de la pre­mière occu­pa­tion, le 1er mai 1986, était le sui­vant : « On fête le refus du tra­vail ! » Ce slo­gan reprend com­plè­te­ment les idées des mou­ve­ments auto­nomes des années 1970. C’est comme ça que, pen­dant vingt ans, sous forme de squats et d’occupation, l’autonomie s’est recons­truite. Le pro­blème, c’est que ces acteurs anta­go­nistes ne jouent pas seul. En face, tu as l’État : depuis trente ans, il mène la guerre aux squats. Aujourd’hui, en ville, c’est deve­nu très com­pli­qué d’en ouvrir. Faire séces­sion, c’est un beau concept, mais on nous empêche de le réaliser.

Sylvaine Bulle : Les traces des auto­no­mies aujourd’hui, ita­liennes en par­ti­cu­lier, se trouvent dans la cri­tique artis­tique, sociale, lan­ga­gière, post-situa­tion­niste ; c’est la ques­tion des appro­pria­tions, comme dans les usines ou squats. Sauf que les lieux ont chan­gé. C’est sa prin­ci­pale évo­lu­tion : là où la nou­velle auto­no­mie s’exprime, c’est dans l’appropriation de la terre. Ces traces, aus­si, sont la marque d’un cer­tain désen­chan­te­ment. La séces­sion ne peut plus don­ner lieu à un pro­jet révo­lu­tion­naire, mes­sia­nique, téléo­lo­gique, comme le por­taient le Comité invi­sible et la revue Tiqqun avant lui. Par ailleurs, l’État n’est plus à conqué­rir, tan­dis que l’autonomie ita­lienne, elle, l’a sou­hai­té : elle a vou­lu poser une hégé­mo­nie, il y avait des stra­té­gies. Aujourd’hui on n’a plus de stra­té­gie ; on a des tac­tiques. Ce qui a énor­mé­ment chan­gé, c’est l’essor de ce que Luc Boltanski a appe­lé avec Ève Chiapello le « nou­vel esprit du capi­ta­lisme4 ». Les nou­veaux auto­nomes en ont bien conscience : le capi­ta­lisme avale ou intègre jusqu’aux capa­ci­tés de résis­tance. Un « bon anar » ou « un bon punk » et même les « uto­pies » sont entrés dans le capi­ta­lisme, ils y sont même tout à fait solubles. Negri, Deleuze et Tiqqun l’ont mis en avant : nous sommes deve­nus des entre­prises numé­raires, sans visage… Ce « nou­vel esprit du capi­ta­lisme » intro­duit à la fois une défaite du mou­ve­ment auto­nome et un réar­me­ment de celui-ci. Un réar­me­ment moins dans l’usine et l’antagonisme avec l’État que dans quelque chose de rela­tion­nel, par des regrou­pe­ments affi­ni­taires en fonc­tion de sub­jec­ti­vi­tés, d’où émerge une nou­velle cri­tique sociale beau­coup plus radi­cale. On peut le dater de Tiqqun et du Comité invi­sible et, sur­tout, des années 2009-2010, des nou­velles grèves, des mou­ve­ments des sans-papiers et des réoc­cu­pa­tions. C’est ce que j’ai vou­lu mon­trer théo­ri­que­ment et socio­lo­gi­que­ment avec ce que j’ai appe­lé la « forme-occu­pa­tion », dans mon livre Irréductibles : il y a à la fois une hori­zon­ta­li­té et une ver­ti­ca­li­té de la cri­tique par les nou­veaux auto­nomes. Pas la ver­ti­ca­li­té de Mario Tronti — tout le monde unis der­rière le pro­lé­ta­riat à la conquête de l’État — mais une ver­ti­ca­li­té qui s’appelle la cri­tique radi­cale : por­ter une cri­tique des ins­ti­tu­tions en exté­rio­ri­té, la reprendre de l’extérieur du sys­tème. C’est en cela qu’il y a une relance de l’autonomie. Un cer­tain nombre de mili­tants com­prennent que ça n’est pas avec des petits mou­ve­ments sociaux alter­na­tifs qu’ils pour­ront faire scis­sion ou cri­ti­quer le capi­ta­lisme. Le capi­ta­lisme peut englo­ber tous les mou­ve­ments sociaux alter­na­tifs — on le voit avec Alternatiba. Si on peut par­ler d’autonomie, c’est d’abord en rap­pe­lant cette trace his­to­rique, soit l’idée de pen­ser une auto-orga­ni­sa­tion qui irrigue toutes les sphères de l’existence ; c’est, aus­si, en mon­trant qu’il faut cri­ti­quer en étant tota­le­ment à l’extérieur de la cri­tique sociale « clas­sique », de la cri­tique réfor­miste et, évi­dem­ment, des par­tis de gauche.

Alessandro Stella : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi, notam­ment sur les gilets jaunes. Je pense qu’ils ont expri­mé ça : l’auto-organisation sur les ronds-points, sur Internet, le refus de tout, des syn­di­cats comme des par­tis. C’est, sans le savoir, une reprise des idées de l’autonomie par les pro­lé­taires. Ils n’ont pas lu Mario Tronti, Toni Negri ni Julien Coupat, ni que dalle en fait, mais pour­tant ils sont auto­nomes ! De manière com­po­site, certes : il y a eu de tout. Mais les gilets jaunes demeurent l’expression d’un flux de classe. Je suis allé à 90 % des mani­fes­ta­tions depuis trois ans, celles des gilets jaunes, celles contre le pass sani­taire — du bon côté, avec les gau­chistes. À chaque fois, ça met en grosse dif­fi­cul­té l’État fran­çais, pour ne pas dire en crise. Mais le pro­blème, tu l’as dit, c’est la réab­sorp­tion de la révolte par le sys­tème. Je pense au mou­ve­ment tech­no, sur lequel j’ai diri­gé une thèse. C’est par­ti des ouvriers licen­ciés de Détroit après 1968, puis ça s’est répan­du aux États-Unis, en Angleterre et en France sous une forme liber­taire, de refus : on est tous artistes, on danse, on s’embrasse, on nique les gen­darmes. Ça a été récu­pé­ré. Le sys­tème a cette hor­rible capa­ci­té de récu­pé­ra­tion et je ne sais pas com­ment on fait pour ne pas se faire aspirer…

[Stéphane Burlot | Ballast]

Sylvaine Bulle : On ne gagne pas à mettre dans le même panier dif­fé­rents mou­ve­ments. Les gilets jaunes n’ont jamais été anti-éta­tistes. Ils veulent l’État social, une réor­ga­ni­sa­tion de l’État. Cela a com­men­cé avec des bons d’essence, ça s’est pour­sui­vi avec des cahiers de doléances : c’est avant tout un mou­ve­ment pour la démo­cra­tie. Tu parles de récu­pé­ra­tion : les gilets jaunes ont ter­mi­né dans le grand débat avec Emmanuel Macron ! Ce qui est com­mun avec les auto­nomes, c’est que le socle des gilets jaunes est fait de nou­veaux pro­lé­taires, issus du pré­ca­riat. Mais ils n’ont pas les mêmes demandes poli­tiques. Un auto­nome veut l’auto-organisation contre l’État, contre les ins­ti­tu­tions de pou­voir ; les gilets jaunes n’ont jamais dit qu’ils étaient contre l’organisation de la jus­tice, de l’école, des trans­ports. Ils ont deman­dé la réor­ga­ni­sa­tion de la démo­cra­tie, des moyens à dis­po­si­tion de l’État social et, enfin, une démo­cra­tie beau­coup plus fra­ter­nelle, rela­tion­nelle. À l’inverse, une ZAD reprend cet ethos auto­nome. Il y a des indi­vi­dus venant du pré­ca­riat, dotés d’une culture poli­tique et sou­hai­tant vivre en auto­ges­tion, voire en auto­no­mie selon la défi­ni­tion de Castoriadis — ins­tau­rer ses propres normes d’existence. Mais ils ne pensent plus les occu­pa­tions d’usine, ni même de ronds-points ; il s’agit de se mettre à l’écart et d’entrer dans une rela­tion anta­go­niste avec le sys­tème par la réap­pro­pria­tion de la terre. C’est la marque de l’autonomie au XXIe siècle : là où les gilets jaunes sont une forme de doléance pour amé­lio­rer la démo­cra­tie, une zone occu­pée pose comme préa­lable un anti-éta­tisme, un anti-auto­ri­ta­risme et un anti­fas­cisme. Chacune de ces formes reven­dique la non-domi­na­tion. À par­tir d’un petit pro­blème, on repense l’ensemble des modes de domi­na­tion — éco­no­mie, patriar­cat, genre, rela­tion enfants-adultes, école, jus­tice… Le retour de cet anti-auto­ri­ta­risme, très fort dans l’autonomie actuelle, ne l’était pas autant chez les gilets jaunes.

« Il s’agit de se mettre à l’écart et d’entrer dans une rela­tion anta­go­niste avec le sys­tème par la réap­pro­pria­tion de la terre. C’est la marque de l’autonomie au XXIe siècle. [Sylvaine Bulle] »

Alessandro Stella : Les gilets jaunes sont des auto­nomes dans la pra­tique, à défaut de l’être dans les réfé­rences — contrai­re­ment aux zadistes, oui. Même les gilets jaunes les plus gau­chistes ont eu des carences par rap­port au patriar­cat, par exemple, ce qui n’est pas sans poser pro­blème. Ça fait des années, aus­si, que je fré­quente les jeunes auto­nomes et j’ai vu les dif­fi­cul­tés que peut cau­ser l’actuelle pré­do­mi­nance des ques­tions de genre. Ça fait par­tie des contra­dic­tions qu’il faut appré­hen­der. C’est même pri­mor­dial. Les fémi­nistes auto­nomes en Italie sont nées de la même manière, en réac­tion à la domi­na­tion des hommes dans les groupes révo­lu­tion­naires. Depuis quelques années, la contes­ta­tion à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), ce sont les filles qui la tirent ; les mecs sont derrière.

L’autonomie « dési­rante » a gagné, donc. Et la ZAD a rem­pla­cé l’usine, le monde ouvrier et salarié ?

Sylvaine Bulle : Le sta­tut de la jeune géné­ra­tion auto­nome va dans le sens de l’autonomie dési­rante, c’est cer­tain. Mais on a des réar­me­ments cri­tiques très forts. Surtout, ce qu’il ne faut pas négli­ger, je le répète, c’est la reprise de la terre comme lieu d’émancipation ; la sou­ve­rai­ne­té sur la pro­prié­té ; le lien entre éco­lo­gie et auto­no­mie — en ce sens, je par­le­rais désor­mais volon­tiers d’autonomie pay­sanne. Théoriquement, Gorz et Castoriadis se rejoignent. La pre­mière ZAD à Notre-Dame-des-Landes a réus­si à mon­trer qu’on peut à la fois ins­ti­tuer des espaces-temps auto­nomes et les faire irri­guer dans toutes les sphères d’existence. Là où je pense à Gorz, c’est sur la redé­fi­ni­tion de l’écologie qu’il per­met : assu­mer sa propre vitesse de vie, par­ve­nir à un ralen­tis­se­ment à l’échelle indi­vi­duelle et à celle de tout ce qui nous entoure. La ZAD — la pre­mière, en tout cas jusqu’en 2018 — com­bine à mon sens par­fai­te­ment auto­no­mie et écologie.

Alessandro Stella : Pendant dix ans, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes était le cœur d’où par­taient les idées auto­nomes qui ont irri­gué le reste de la France. L’idée est de pro­po­ser d’autres formes de vie. Est-ce qu’au lieu de tra­vailler 40 heures, on ne pour­rait pas tra­vailler 20 heures et faire autre chose ? Ce sont bien d’autres formes de rela­tions sociales ou sexuelles qui sont inven­tées dans les ZAD. Et c’est tout ce qui compte : l’État, les par­tis, on s’en fout ! Mais il est vrai que les zadistes ont dû accep­ter un bail indi­vi­duel avec l’État oppres­sif5. Il ne serait pas pos­sible d’exiger un bail col­lec­tif alors même qu’il y a tou­jours eu des com­mu­naux, que du point du vue juri­dique il est pos­sible d’avoir des pro­prié­tés col­lec­tives ! Les copains et les copines de Notre-Dame-des-Landes ont dû accep­ter ; ils ont ins­ti­tu­tion­na­li­sé des conquêtes, oui, mais ce sont tout de même des conquêtes ! Bon an mal an, les cama­rades de la ZAD se sont adap­tés, mais ça conti­nue de fonc­tion­ner. Pour avan­cer dans la conquête du sys­tème il faut avoir des bases, des lieux où se ren­con­trer. Si tu es dis­per­sé c’est impos­sible, et c’est pour ça que le sys­tème gagne. Les usines per­met­taient ça ; la ZAD le per­met d’une cer­taine manière. Aujourd’hui, com­ment orga­ni­ser, par exemple, une grève de livreurs à vélo ?

[Stéphane Burlot | Ballast]

En dehors de la ZAD, quels autres cas d’autonomie avez-vous obser­vés en France ?

Sylvaine Bulle : Il y a des col­lec­tifs auto­nomes dans le 93, avec les­quels je tra­vaille. Dans un réseau de petits squats, on arrive à cette auto­no­mie tac­ti­cienne qui ouvre des fronts, qui ne lâche pas grand-chose sur les grands prin­cipes — auto-ins­ti­tu­tion, indé­pen­dance à l’égard des struc­tures de pou­voir — et qui essaie de mieux pen­ser la ques­tion sociale. Comment, par exemple, pen­ser l’autonomie ali­men­taire ? la reprise des terres en tant que col­lec­tif orga­ni­sé ? com­ment ins­tau­rer une dis­cus­sion sur ce que sont les mino­ri­tés ? sur ce qu’est, aujourd’hui, la pré­ca­ri­té ? Ce sont des col­lec­tifs qui partent de la res­source pay­sanne et ali­men­taire, par l’écologie et par un autre rap­port à la socié­té. Ils sont dans une tra­di­tion prou­dho­nienne : tou­jours dans la dis­cus­sion, le conflit, le rap­port au com­mun. Mais en s’inscrivant éga­le­ment dans la décrois­sance : ne pas seule­ment vivre en dehors du capi­ta­lisme, mais dire que l’écologie est, jus­te­ment, le contraire du capi­ta­lisme. C’est une jonc­tion qu’on n’avait pas, évi­dem­ment, dans les années 1960, dans l’autonomie his­to­rique. Au fond, il s’agit de pen­ser que l’écologie, c’est l’autonomie, et que le contraire est éga­le­ment vrai.

« Évidemment, le com­mu­nisme a été tra­hi par tous les PC du monde. Mais je ne vois pas d’autre idéal pos­sible ou dési­rable que d’être tous égaux. [Alessandro Stella] »

Alessandro Stella : Mais il faut voir de quelle éco­lo­gie on parle. Un ancien cama­rade, membre de Potere Operaio, est deve­nu dépu­té Vert ; des copains anar­chistes espa­gnols sont deve­nus éco­lo­gistes : il y a eu une évo­lu­tion dans cette géné­ra­tion. Oui, il y a désor­mais un mélange entre éco­lo­gie et idéal com­mu­niste. Mais l’écologisme comme idéo­lo­gie est deve­nu consen­suel dans tout l’Occident. C’est une idéo­lo­gie de cita­dins avant tout : un para­doxe com­plè­te­ment aberrant !

Sylvaine Bulle : On ne parle pas des « rabhistes » ou des « coli­bris », c’est évident. Ce qu’on peut rete­nir de l’autonomie aujourd’hui, c’est cette sorte de révo­lu­tion « écou­mè­nale » : l’écoumène, soit la part habi­tée de la Terre, et la crise cli­ma­tique changent les condi­tions d’existence de tout le monde, mais éga­le­ment celle des groupes radi­caux. L’écologie telle qu’on l’entend dans ces groupes est une façon de renouer avec des milieux, de retrou­ver des condi­tions de vie accep­tables, démo­né­ta­ri­sées, et ce dans toutes les sphères de l’existence. C’est une éco­lo­gie qui peut être sociale — mais pas au sens idéo­lo­gique qui, par­fois, fait montre de beau­coup de clas­sisme ; c’est une nou­velle appré­hen­sion du ter­ri­toire, de l’alimentation, de la pro­prié­té ; c’est une nou­velle com­po­si­tion des mondes humains et non-humains, qui ne fait tou­te­fois pas l’impasse sur les rap­ports de pro­duc­tion et de repro­duc­tion — pas ce que l’on voit chez les auteurs à la mode du tour­nant non humain et du vivant, qui pensent avant tout une cri­tique esthé­tique, de la même manière que l’« uto­pie » tend à le deve­nir. Penser l’écologie ain­si c’est, comme dit Gorz, avan­cer qu’elle est un anti­ca­pi­ta­lisme qui affecte toutes nos sphères de vie. C’est un pro­jet d’émancipation col­lec­tive et indi­vi­duelle à l’échelle d’une col­lec­ti­vi­té. Là où de nos jours il y a une pro­messe pour l’autonomie, c’est que l’écologie per­met de pen­ser les com­mu­nau­tés affi­ni­taires, comme en Italie dans les années 1970, en accep­tant de se répandre et de s’ouvrir, en ayant autant de fronts offen­sifs que de bases de repli, en pen­sant les ques­tions sociales — je pense aux bri­gades de soli­da­ri­té en Seine-Saint-Denis.

Alessandro Stella : Les groupes auto­nomes qui animent les luttes ont ce même esprit de soli­da­ri­té, de faire com­mu­nau­té, qu’il y a cin­quante ans. Souvent, dans des squats, l’enjeu est sim­ple­ment de faire ensemble, de construire dans l’action. Je pense par exemple à des copains et des copines qui ont par­ti­ci­pé au Fouquet’s le 16 mars 2019 [incen­die de la bras­se­rie de luxe durant un « acte » des gilets jaunes, ndlr]. Certains peuvent être zadistes ou « buriens6 », dans les Black Blocs, mais beau­coup sont aus­si ani­ma­teurs de can­tines popu­laires à des­ti­na­tion des pauvres pen­dant les confi­ne­ments. Ce sont des per­sonnes qui réa­lisent l’esprit de base du com­mu­nisme. Et pour moi, l’avenir de l’humanité, c’est le com­mu­nisme. Évidemment, le com­mu­nisme a été tra­hi par tous les PC du monde. Mais je ne vois pas d’autre idéal pos­sible ou dési­rable que d’être tous égaux. Ces trente der­nières années, les idées — évi­dem­ment et heu­reu­se­ment — ont évo­lué. Avant, c’était « pas de patron », main­te­nant c’est « pas de patriarche » : ça reste un idéal communiste.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Ne pour­rait-on pas ima­gi­ner une alliance entre auto­no­mie locale et chan­ge­ment révo­lu­tion­naire macro­sco­pique, natio­nal ? Au Chili, le MIR se situait à la gauche d’Allende et, tout en menant des expé­riences radi­cales, il a appuyé l’Unité popu­laire

Alessandro Stella : J’ai pris les armes après le coup d’État de Pinochet au Chili. Je pen­sais qu’on ne pou­vait pas prendre le pou­voir par les urnes. Allende, lui, l’a fait, et ça a été le coup d’État. Les armes sem­blaient pré­fé­rables aux urnes, alors s’il fal­lait prendre les armes, je les pre­nais. Depuis, j’ai aban­don­né cette idée.

Pourquoi ?

Alessandro Stella : C’est une voie impos­sible, main­te­nant que l’État est sur-armé. Il n’y a pas d’avenir pos­sible ni par les urnes, ni par la révo­lu­tion de type bol­che­vik : tout ça, c’est fini. Le seul ave­nir pos­sible, c’est d’auto-construire des situa­tions d’autonomie où l’on vit de façon dif­fé­rente, avec d’autres rythmes, d’autre formes de rela­tions. Même dans les États les plus pauvres du monde, la révo­lu­tion armée est deve­nue impos­sible. En 1960, on pou­vait encore prendre le pou­voir, comme à Cuba ; c’est fini. Donc que faire ? Développer une culture d’autonomie — ce qui est facile dans les cam­pagnes, mais plus com­pli­qué en ville…

« Les occu­pa­tions (Notre-Dame-des-Landes, Bure), ce sont des ten­ta­tives d’auto-institution, mais aus­si une façon de se désen­cas­trer com­plè­te­ment du sys­tème mar­chand. [Sylvaine Bulle] »

Sylvaine Bulle : Ce n’est pas pos­sible en ville, pour la rai­son qu’il y a alié­na­tion fon­cière. En ville, il y a des contre-cultures mais ce qui se pro­duit de déter­mi­nant, au niveau poli­tique, se fait en dehors des métro­poles. Des formes d’autonomie com­pactes en métro­pole sont impos­sibles car c’est dans ces espaces que l’État est le plus fort, le plus pré­sent et le plus alié­nant. En termes de stra­té­gie, ou plu­tôt de tac­tique, on a inté­rêt à aller à l’écart. C’était, semble-t-il, la stra­té­gie des « néo­ru­raux » du pla­teau de Millevaches dès le début : trou­ver des îlots-refuges où il soit pos­sible de réar­mer des formes de cri­tiques, d’actions, qui ne sont plus pos­sibles en ville. Il est dif­fi­cile de tenir un squat plus de trois jours et il est impos­sible d’échapper aux lois sur l’état d’urgence ou le Covid… Dans des col­lec­tifs en Ariège, par exemple, avec qui nous sommes en contact, il n’y a pas ce même maillage coer­ci­tif du sys­tème mar­chand et poli­tique qu’on a en ville. Aussi, il est impor­tant de voir com­ment la crise cli­ma­tique crée des affects par­ti­cu­liers chez les auto­nomes, dans les nou­veaux col­lec­tifs s’organisant — mais pas seule­ment —, les­quels impliquent un redi­men­sion­ne­ment de l’action poli­tique. Des per­sonnes qui étaient peu ou pas poli­ti­sées sentent la néces­si­té de faire autre­ment, de se délier du sys­tème mar­chand dans toutes les sphères de l’existence. L’autonomie per­met d’articuler à la fois agri­cul­ture, pro­duc­tion, san­té, soin, etc. Si l’on prend le cas de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, en 2012, nous n’étions pas dans le sché­ma actuel : il y avait quelques anar­cho-auto­nomes et liber­taires qui n’étaient pas vrai­ment tour­nés vers l’écologie, mais ils ont vu dans l’opposition à un grand pro­jet inutile l’occasion d’inventer de nou­velles choses. Si la réap­pro­pria­tion de ce qui a été dégra­dé par la tech­nique, par le capi­ta­lisme est au cœur de l’autonomie, c’est parce qu’elle per­met ensuite de déployer des praxis, des formes d’occupation — parce que ça implique d’aller très loin dans la non-domi­na­tion, en pen­sant tou­jours le rap­port indi­vi­du-col­lec­tif. C’est une chose qui est au cœur de la pen­sée de Gorz : qu’est-ce qui béné­fi­cie aux autres lorsque je décide de ne plus tra­vailler ? com­ment je redis­tri­bue mes acquis ? com­ment je pense pro­duc­tion et pas seule­ment repro­duc­tion ? Au fond, les occu­pa­tions (Notre-Dame-des-Landes, Bure), ce sont des ten­ta­tives d’auto-institution, mais aus­si une façon de se désen­cas­trer com­plè­te­ment du sys­tème mar­chand. C’est cela qu’on appelle « écologie ».

Alessandro Stella : Ceci dit, la séces­sion et le fait de prendre pos­ses­sion d’une terre ou d’un lieu, ce n’est pas nou­veau. Ça a été pra­ti­qué par les serfs qui fuyaient les sei­gneurs, au Moyen Âge, ou par les esclaves qui fuyaient les plan­ta­tions en Amérique. Mais il y a eu des esclaves qui se sont ren­dus et des serfs rat­tra­pés : pour faire séces­sion d’une socié­té escla­va­giste, pour cou­per avec les plan­ta­tions, les esclaves mar­rons se réfu­giaient dans les mon­tagnes, où la vie est dif­fi­cile. Certaines com­mu­nau­tés se sont ren­dues aux auto­ri­tés parce qu’elles ne par­ve­naient plus à y vivre. Donc la notion de refuge ou d’îlot-refuge est com­pli­quée ; elle ne fonc­tionne pas si on est sur des terres arides ou dans les mon­tagnes. D’où le pro­blème de la séces­sion, qui implique que le pou­voir et le sys­tème res­tent à leur place.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Sylvaine Bulle : Il ne faut pas être obsé­dé par la séces­sion. Je par­le­rais plu­tôt de déser­tion onto­lo­gique, parce que, oui, c’est extrê­me­ment dif­fi­cile de faire séces­sion. Quant à l’État, on n’en a pas for­cé­ment besoin.

Alessandro Stella : Vraiment pas ! On n’a besoin ni d’État, ni de gou­ver­ne­ment ! En Italie, depuis l’après-guerre, aucun gou­ver­ne­ment n’a duré plus d’un an et demi.

Sylvaine Bulle : Il ne faut pas sous-esti­mer la fra­gi­li­té de l’État. Ne pas sous-esti­mer la pos­si­bi­li­té, sur un cer­tain nombre de ques­tions (par exemple les com­muns), d’ouvrir des brèches depuis l’intérieur de l’État — notam­ment sur les ques­tions de droit, de pro­prié­té. Reste à savoir ensuite s’il est pos­sible de conqué­rir ces petits espaces pour qu’ils ne se referment pas immé­dia­te­ment et ne deviennent pas un pré­texte pour une nou­velle gou­ver­nance éco­no­mique urbaine, à l’image de la ville de Paris. L’État macro­nien est capable d’absorber un cer­tain nombre de dis­po­si­tifs, mais d’autres (les com­mu­naux, le droit d’affouage7) peuvent être péren­ni­sés et conduire à une sor­tie momen­ta­née de l’État. En ce sens, les gilets jaunes sont beau­coup trop liés à l’État, à l’État social, pour avoir une pérennité.

Quel regard por­tez-vous sur l’expérience com­mu­na­liste qui se mène au Rojava, sur fond de com­pro­mis avec l’État ?

« Le Rojava et le Chiapas sont l’une des mani­fes­ta­tions de ces nou­velles cultures auto­nomes. Dans le monde entier on se réfère à ces zones de libé­ra­tion. [Alessandro Stella] »

Alessandro Stella : Le Rojava et le Chiapas sont l’une des mani­fes­ta­tions de ces nou­velles cultures auto­nomes. Dans le monde entier on se réfère à ces zones de libé­ra­tion, de construc­tion de modes de vie, d’administration dif­fé­rents. Le Rojava est un exemple magni­fique de zones où les femmes sont en pre­mière ligne, où elles sont beau­coup plus res­pec­tées et ont plus de liber­té qu’ailleurs. Le Chiapas aus­si, évi­dem­ment. Mais com­ment faire en sorte que ces foyers de résis­tance ou de révo­lu­tion puissent faire tache d’huile et se déve­loppent ? Tu as rai­son Sylvaine, et ces exemples le montrent : comme disait Mao, l’État est un châ­teau de cartes, il peut tom­ber d’un jour à l’autre — en témoigne l’État sovié­tique qu’on pen­sait dur comme fer. Certes, il n’y a plus d’usines en Occident, mais en Chine il y a cinq cents mil­lions d’ouvriers ; dans cer­taines usines il y a encore des mil­liers d’ouvriers à la chaîne. Et même si on ne le per­çoit pas ici, il y a des mil­liers de grèves et de lutte ouvrières, comme dans les années 1950, 60, 70 en Europe. L’État le plus tota­li­taire au monde, l’État chi­nois, pour­rait tom­ber comme un châ­teau de cartes.

Sylvaine Bulle : Il faut faire atten­tion à ne pas fan­tas­mer le Rojava et le Chiapas. Ce sont des contextes géo­po­li­tiques et contre-natio­na­listes très par­ti­cu­liers. Nous n’avons pas du tout cette tra­di­tion en France. Mais, tra­vaillant de plus en plus dans le milieu rural, je crois beau­coup à la force des ter­ri­toires, à une forme de bio­ré­gio­na­lisme, où on retrouve une somme de dimen­sions qui s’articulent : les res­sources natu­relles, les assem­blées citoyennes, le refus de la divi­sion du tra­vail, l’autosuffisance, les com­mu­nau­tés qui vivent non plus fer­mées sur elles-mêmes mais redis­tri­buent, des com­mu­nau­tés qui se maillent entre elles de façon anti-léniniste.

Pourquoi pré­fé­rez-vous par­ler de « tac­tiques » plu­tôt que de « stratégie » ?

Sylvaine Bulle : James C. Scott ou Michel de Certeau ont fait une dif­fé­rence entre stra­té­gie et tac­tique. La stra­té­gie, c’était l’autonomie ita­lienne : la volon­té de conquête d’une hégé­mo­nie. La tac­tique, c’est la petite chose qui n’amène pas à un plan d’organisation géné­ral, qui relève du bri­co­lage, de l’opacité, qui pri­vi­lé­gie les moyens sur les fins. Il y a une imma­nence dans cette forme d’autonomie de la tac­tique, sans plan de conquête ver­ti­cale ou orga­ni­sa­tion qua­si mili­taire. L’erreur de ceux et celles qui portent un idéal de séces­sion, c’est de pen­ser que l’autonomie est contre l’hétéronomie. C’est absurde de pen­ser les deux en oppo­si­tion. Même au Rojava, on est tou­jours englo­bé par quelque chose d’autre. Il y a tou­jours de l’hétéronomie. Même à la ZAD pre­mière ver­sion il y a une hété­ro­no­mie rela­tive — le droit d’avoir une boîte aux lettres, le droit à la Sécurité sociale, le RSA, etc. La ques­tion est de faire en sorte que cette hété­ro­no­mie ne devienne pas rap­port de force. C’est là où on retrouve les tac­tiques et l’opacité, ce qu’a su faire magni­fi­que­ment la pre­mière ZAD — alors qu’aujourd’hui, les ins­ti­tu­tions exté­rieures sont plus pré­sentes. Quand, dans une petite ZAD, vous avez la Chambre d’agriculture, la FNSEA, la pré­fète ou le pré­fet, le Conseil géné­ral, on ne peut pré­tendre être stra­tège. Un cer­tain nombre de terres de la ZAD sont en voie d’être régu­la­ri­sées, c’est bien la preuve que face à un État-stra­tège, il faut inven­ter d’autres modes d’action. Il y a des ins­ti­tu­tions du social qui sont légi­times (l’école, l’hôpital) en tant que forme de recon­nais­sance du col­lec­tif exté­rieur — l’autonomie, c’est aus­si faire par­tie d’une socié­té. Et il y a des ins­ti­tu­tions qui peuvent être créées.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Alessandro Stella : Je pense qu’il vaut mieux évi­ter de rai­son­ner en stra­tège. La plu­part du temps, ça foire. Je vois mal com­ment on peut se libé­rer des contra­dic­tions que tous les auto­nomes ont : ceux qui ont occu­pé ou fré­quen­té la ZAD depuis plus de dix ans étaient au RSA tout en étant contre l’État. Je suis prof de fac et c’est avec mon salaire que j’arrive à être contes­ta­taire. C’est com­pli­qué d’être abso­lu­ment en dehors du sys­tème. Ou alors on devient ermite.

Sylvaine Bulle : Il y a une chose sur laquelle il faut insis­ter quand on parle d’autonomie : l’autonomie part de l’expérience (Gorz aurait dit « du monde vécu »), mais il faut faire atten­tion à ne pas affir­mer qu’on peut main­te­nir un niveau cri­tique dans sa pra­tique alors qu’on est déjà absor­bé par l’État et par le capi­ta­lisme. On peut avoir un cer­tain nombre de petites ZAD ou de col­lec­tifs qui pensent œuvrer pour l’écologie, ou être radi­caux poli­ti­que­ment, mais qui, en fait, ont déjà été plus ou moins « absor­bés », ou ne savent pas mon­trer la dif­fé­rence entre ce qu’ils font et ce que fait le sys­tème mar­chand. Ça vaut pour le green­wa­shing, pour des jar­dins col­lec­tifs, voire dans cer­tains cas pour les assem­blées muni­ci­pales. On pour­rait citer plein d’exemples de pro­jets qui se disent auto­gé­rés, qui pensent qu’ils sont deve­nus le sym­bole de l’autonomie poli­tique, alors que ce ne sont que des petites alter­na­tives sans effet cri­tique. Donc l’expérience, oui, bien sûr, mais ce que demande l’autonomie c’est la réflexi­vi­té. Ça a été le tra­vail de la ZAD : tou­jours réar­mer, savoir ce qu’est le droit, ce qu’est la pro­prié­té et ce qu’elle signi­fie éco­no­mi­que­ment, phi­lo­so­phi­que­ment, savoir ce qu’est une armée, ce qu’est la police, ce qu’est le capi­ta­lisme néo-libé­ral. L’autonomie ita­lienne aura appe­lé cela « un front ver­ti­cal ». Suivant Luc Boltanski, on appelle cela une « cri­tique en exté­rio­ri­té » : on ne peut plus se satis­faire d’une cri­tique en inté­rio­ri­té (un petit jar­din par-ci, une petite assem­blée par là) qui, au fond, n’est que de la gou­ver­nance urbaine.

« On peut avoir un cer­tain nombre de petites ZAD ou de col­lec­tifs qui pensent œuvrer pour l’écologie, ou être radi­caux poli­ti­que­ment, mais qui ont déjà été plus ou moins absor­bés. [Sylvaine Bulle] »

Alessandro Stella : Il faut s’attaquer aux gros mor­ceaux des ins­ti­tu­tions d’oppression : la police, l’armée, la prison.

Sylvaine Bulle : Il faut savoir les nom­mer. Les juristes spé­cia­li­sés sur l’environnement le font, à leur manière. Ils posent des ques­tions comme : que veut dire l’État aujourd’hui ? qu’est-ce qu’on remet en cause ? la pro­prié­té, l’appropriation, l’aliénation ? Ce qui amène à pen­ser les moyens de pro­duc­tion et de repro­duc­tion, etc. Outre l’expérience, c’est ce réar­me­ment théo­rique qui est impor­tant pour savoir ce que sont l’hétéronomie et le pou­voir. Surtout pour l’écologie. Il y a un gros tra­vail à faire sur ce que veut dire la propriété.

Alessandro Stella : Et qu’est-ce que sont les com­mu­naux ? Après la chute du mur de Berlin, on a par­lé non plus de com­mu­nisme mais de « com­mu­naux ». Sauf que aujourd’hui, on désigne comme « com­mu­naux » chaque pota­ger ou jar­din urbain ! C’est un peu pauvre… On a oublié qu’il y a cin­quante ans, un cer­tain nombre de biens qui, aujourd’hui, sont pri­va­ti­sés et font la for­tune des grands capi­ta­listes étaient consi­dé­rés comme des biens com­muns : le télé­phone, l’électricité, l’eau. Si tu veux faire une révo­lu­tion demain, alors décrète que les éner­gies, la télé­pho­nie, Internet sont des biens com­muns gérés de façon col­lec­tive. En fai­sant ça, tu niques tous les capi­ta­listes du monde.

Parlons des syn­di­cats, qu’on a évo­qués tout à l’heure. On a tous et toutes à l’esprit l’image d’un mou­ve­ment auto­nome en franche oppo­si­tion avec eux : tout com­pa­gnon­nage est impossible ?

Alessandro Stella : Le constat, c’est que dans l’Italie des années 1960 et 70, l’autonomie ouvrière s’est construite par rap­port aux par­tis et aux syn­di­cats. Peu de gens le savent, mais l’historien Arnaud Dolidier a clai­re­ment mis en lumière la prise de dis­tance d’avec les syn­di­cats en Espagne aus­si, et notam­ment avec le Comisiones obre­ras, le syn­di­cat d’affiliation com­mu­niste. Parce que, sous le fran­quisme, le Comisiones obre­ras avait joué le jeu et pac­ti­sé en envi­sa­geant le syn­di­cat comme une pro­tec­tion sociale qui, par exemple, gère la mutuelle. On a alors assis­té à la for­ma­tion d’assemblées ouvrières auto­nomes. Cette auto­no­mie vis-à-vis des syn­di­cats, c’était fon­da­men­tal. Aujourd’hui, ça s’exprime dans les manifs. Je me sou­viens d’une manif de ren­trée de syn­di­cats : on a réus­si à for­mer un cor­tège de tête qui, immé­dia­te­ment, a été empê­ché par le ser­vice d’ordre de la CGT. C’est incroyable que les cégé­tistes jouent les pom­piers par rap­port aux mou­ve­ments sociaux ! En Italie et en Espagne, il y avait des assem­blées ouvrières dans les années 1970, des Conseils ouvriers qui fai­saient contre­poids aux syn­di­cats. Aujourd’hui il n’y a plus ça. Ceci posé, j’apprécie que SUD et Solidaires existent car ils sont véri­ta­ble­ment des syn­di­cats de lutte. J’apprécie qu’il y ait des groupes locaux CGT qui soient contes­ta­taires. Mais si on s’en tient à la Centrale… Il n’y a mal­heu­reu­se­ment pas de Conseils ouvriers.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Mais com­ment ima­gi­ner une trans­for­ma­tion éman­ci­pa­trice, révo­lu­tion­naire, sans liens étroits avec le monde du tra­vail, lar­ge­ment majoritaire ?

Alessandro Stella : C’est vrai, et c’est ter­rible. En 2018, il y avait l’occupation des uni­ver­si­tés, de Tolbiac, et les che­mi­nots bou­geaient aus­si. Mais c’est res­té une mobi­li­sa­tion syn­di­cale : il n’y a pas eu la for­ma­tion de Conseils d’usine indé­pen­dants. Les meilleurs, c’était SUD-Rail, mais ça res­tait un syndicat.

Sylvaine Bulle : Il y a un vrai talon d’Achille des nou­velles formes d’autonomie, qui est de ne pas prendre en compte l’histoire des caisses ouvrières, des caisses de soli­da­ri­té, de la soli­da­ri­té prou­dho­nienne, et d’en être res­té, en termes de tac­tique, à « cor­tège de tête, tête de cor­tège ». C’est oublier qu’il y a une his­toire des Conseils ouvriers, des formes d’associationnisme ouvrier qui est très impor­tante. En même temps, l’époque n’est plus la même. SUD a par exemple beau­coup de mal à prendre en compte une socio­lo­gie des nou­veaux sala­riats, de la flexi­bi­li­té. Ils le font, mais ce n’est pas encore aus­si abou­ti que lorsque l’autonomie ita­lienne par­ve­nait à arti­cu­ler une forme de com­po­si­tion­nisme8. Aujourd’hui, il y a le fan­tasme de l’insurrection à tra­vers les Black Blocs, très esthé­tique, qui frag­mente l’unité syn­di­cale. Mais les enjeux sont de pen­ser une conflic­tua­li­té avec les syn­di­cats qui ne soit pas seule­ment anta­go­nique. Il s’agit de savoir s’il peut y avoir un nou­veau com­po­si­tion­nisme, de nou­velles formes de ren­contres entre les indi­vi­dus qui ne soient pas seule­ment issues du ter­ri­toire, de la ZAD, du local, mais qui soient aus­si liées aux nou­velles formes de tra­vail (le tra­vail ubé­ri­sé, notam­ment). Si on prend les livreurs Uber, sans avoir une culture poli­tique auto­nome, ils s’auto-organisent pour cer­tains en dehors des syn­di­cats. C’est assez proche des petits par­tis liber­taires qui posaient la ques­tion des moyens de sur­vie, de l’auto-organisation. Voilà l’écueil qu’on peut per­ce­voir dans le mou­ve­ment des col­lec­tifs auto­nomes : par­ti des usines et des condi­tions de tra­vail, il se retrouve aujourd’hui très loin de ces ques­tions. Même si le sala­riat est beau­coup plus flexible, il y a tou­jours des formes de tra­vail enca­drées par des syn­di­cats, et la jonc­tion ne se fait pas avec celles-ci.

« Il serait sou­hai­table de voir sur­gir des pro­po­si­tions de créa­tion de Soviets dans tous les lieux de tra­vail. C’est un concept fon­da­men­tal. C’est à remettre sur la table. [Alessandro Stella] »

Alessandro Stella : Il serait en effet sou­hai­table de voir sur­gir des pro­po­si­tions de créa­tion de Soviets dans tous les lieux de tra­vail, qu’ils soient concen­trés ou dis­per­sés. C’est un concept fon­da­men­tal. C’est à remettre sur la table. Mais avec la restruc­tu­ra­tion, la dis­per­sion du tra­vail d’usine, la pré­ca­ri­sa­tion à outrance des tra­vailleurs, c’est de plus en plus dif­fi­cile de réunir les gens. Restent Internet et ses liens, qui per­mettent de se rac­cro­cher aux réseaux d’amitié, affinitaires.

Sylvaine Bulle : Attac a bien com­pris la néces­si­té d’articuler ce qu’on pour­rait appe­ler de « nou­veaux Conseils d’usine à l’ère de la glo­ba­li­sa­tion ». L’altermondialisme fait qu’il y a énor­mé­ment de petits col­lec­tifs de sala­riés « flexibles » qui sont invi­si­bi­li­sés. Ils com­mencent à s’organiser mais n’ont pas encore pu mon­ter en géné­ra­li­té. Attac le prend en compte — en vou­lant, bien sûr, ras­sem­bler toutes ces popu­la­tions der­rière la ban­nière d’un par­ti. Mais à l’ère des GAFAM, com­ment peut-on envi­sa­ger que de tels modes d’organisation soient pos­sibles ? Attac a bien per­çu qu’il y a une nou­velle classe flexible, un nou­veau pro­lé­ta­riat numé­rique, mais cela ne dit rien de la façon de s’organiser. Cette idée de Conseils ouvriers est une vraie source de réflexion.

Alessandro Stella : Au XXe siècle, les patrons capi­ta­listes ne pen­saient pas que les ouvriers allaient se révol­ter. Aujourd’hui, on ne pense pas que les tra­vailleurs des GAFAM puissent le faire. Mais que ce soit un infor­ma­ti­cien dans la Silicon Valley ou un manu­ten­tion­naire dans un han­gar Amazon en région pari­sienne, s’ils ont un jour envie de se révol­ter, ils se révol­te­ront. Dans quelques années, on pour­rait ima­gi­ner une déser­ti­fi­ca­tion de La Défense, qui a pour­tant seule­ment cin­quante ans, avec la géné­ra­li­sa­tion du télé­tra­vail. On ne sait pas où la révo­lu­tion peut surgir.


[lire le deuxième volet | Anasse Kazib et Laura Varlet : « Affronter et dépos­sé­der le système »]


Photographies de ban­nière et de vignette : Stéphane Burlot | Ballast 


  1. Référence à la pro­po­si­tion de Guy Debord, à l’origine de l’Internationale situa­tion­niste : construire des situa­tions, c’est « la construc­tion concrète d’ambiances momen­ta­nées de la vie, et leur trans­for­ma­tion en une qua­li­té pas­sion­nelle supé­rieure » (Guy Debord, Rapport sur la construc­tion de situa­tions, 1957).[]
  2. Courant mar­xien hété­ro­doxe né dans les années 1960 en Italie, autour de la revue Quaderni Rossi. L’opéraïsme, de ope­raio (ouvrier), met en avant la cen­tra­li­té de la classe ouvrière dans le déve­lop­pe­ment capi­ta­liste, condui­sant à reven­di­quer le refus du tra­vail et non plus seule­ment sa réap­pro­pria­tion par les tra­vailleurs et tra­vailleuses. Structurellement, le sujet révo­lu­tion­naire passe de l’ouvrier spé­cia­li­sé à l’ouvrier-masse, sou­vent contraint à émi­grer à l’intérieur du pays pour trou­ver du tra­vail. Enfin, la stra­té­gie mise en avant est l’autonomie à l’égard des orga­ni­sa­tions repré­sen­ta­tives, notam­ment syn­di­cales. La créa­tion de comi­tés ou Conseils ouvriers auto­nomes est encou­ra­gée.[]
  3. Mouvement poli­tique spon­ta­né né, d’une part, hors des par­tis et syn­di­cats et, d’autre part, hors des orga­ni­sa­tions extra-par­le­men­taires qui ani­maient la contes­ta­tion depuis 1968. Les com­po­santes fémi­nistes et homo­sexuelles du mou­ve­ment s’affirment, cer­tains groupes choi­sissent la lutte armée, plu­sieurs villes font l’objet de mani­fes­ta­tions et d’émeutes de grande ampleur.[]
  4. Le Nouvel Esprit du capi­ta­lisme est un ouvrage des socio­logues Luc Boltanski et Ève Chiapello qui met en évi­dence, notam­ment, une neu­tra­li­sa­tion de la cri­tique tra­di­tion­nelle du capi­ta­lisme en rai­son d’un redé­ploie­ment de celui-ci. Par « esprit », il faut entendre une « idéo­lo­gie qui jus­ti­fie l’engagement dans le capi­ta­lisme », idéo­lo­gie qui a connu plu­sieurs formes jusqu’à celle qui domine aujourd’hui, cen­trée sur la sécu­ri­té et l’autonomie.[]
  5. Après la répres­sion qui a fait suite à l’échec du pro­jet d’aéroport, en 2018, des concer­ta­tions ont été menées par cer­tains mili­tants et mili­tantes avec l’administration et les repré­sen­tants syn­di­caux des agri­cul­teurs. Une régu­la­ri­sa­tion de la pro­prié­té des terres occu­pées a été deman­dée, débou­chant sur l’octroi de baux pré­caires, puis de baux ruraux, à une par­tie des actuels habi­tants et habi­tantes de l’ancienne ZAD.[]
  6. Militants et mili­tantes mobi­li­sés à Bure contre le pro­jet Cigéo qui pro­jette d’enfouir des déchets nucléaires.[]
  7. Droit de pré­le­ver du bois en forêt com­mu­nale après un tirage au sort et l’attribution d’une quan­ti­té à cou­per.[]
  8. Terme employé par une par­tie des théo­ri­ciens de l’opéraïsme. Ainsi que l’a expli­qué Gigi Romero dans la revue Période : « Regarder vers la com­po­si­tion de classe, co-recher­cher et agir à l’intérieur d’elle pour la plier vers une direc­tion anta­go­niste, signi­fie cen­trer conti­nuel­le­ment l’initiative poli­tique sur le rap­port entre pro­ces­sus et sujet. » Il s’agit de faire place aux sub­jec­ti­vi­tés à l’intérieur du sujet révo­lu­tion­naire que serait le pro­lé­ta­riat.[]

REBONDS

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☰ Lire notre article « L’Espagne après Franco : le mou­ve­ment ouvrier pen­dant la tran­si­tion démo­cra­tique », Arnaud Dolidier, octobre 2020
☰ Lire notre entre­tien avec Anne Steiner : « Ce qui m’intéresse, ce sont les vies minus­cules », octobre 2020
☰ Lire les bonnes feuilles de L’Hypothèse auto­nome, Julien Allavena, sep­tembre 2020
☰ Lire notre article « La sou­ve­rai­ne­té contre l’autonomie », Édouard Jourdain, juin 2020
☰ Lire notre repor­tage « Vendée : une ZAD contre un port de plai­sance », Roméo Bondon et Léon Mazas, octobre 2019


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