L’accord de Sotchi, conclu le 22 octobre entre la Turquie et la Russie après 13 jours de combats, ratifie l’annexion d’une part importante du territoire du Rojava. Si Erdoğan a suspendu son offensive meurtrière, ses auxiliaires de l’Armée nationale syrienne continuent de frapper les combattants et les civils de l’Administration autonome. La jeune révolution confédéraliste et communaliste, lourdement amputée, sera-t-elle en mesure de survivre à la désintégration que Damas envisage, en outre, tôt ou tard ? Elham Ahmed, coprésidente du Conseil démocratique syrien au Rojava, ne semble pas désarmer : « [Le régime d’Assad va] probablement essayer de nous miner et d’arrêter les dirigeants de notre région, mais nous avons confiance dans notre force », vient-elle de déclarer à la presse étasunienne. Deux de nos auteurs, sur place, livrent ici quelques images d’un Rojava endeuillé : la population fuit ou met en terre ses maquisards. ☰ Par Laurent Perpigna Iban et Sylvain Mercadier
Le 9 octobre 2019, Erdoğan a lancé l'opération "Source de paix" : l'invasion d'une partie de la Syrie aux côtés de l'armée rebelle de l'opposition au régime de Bachar el-Assad, l'ANS. Son objectif ? Détruire l'expérience révolutionnaire de l'Administration autonome du Nord et de l'Est de la Syrie (ou Rojava) et vider le territoire de sa population kurde, dont il juge la présence "inappropriée". Le 16 octobre, plusieurs centaines de réfugiés, majoritairement kurdes, traversent la frontière entre la Syrie et l'Irak.
Les réfugiés sont pris en charge par l'OIM (Organisation internationale pour les migrations) et conduits, en car, vers le camp de Bardarash, dans le Kurdistan irakien voisin.
De nombreux enfants patientent à l'intérieur des véhicules ; des femmes et des personnes âgées, aussi. C'est environ 300 000 civils que l'invasion jettera sur les routes. Seulement une poignée d'entre eux parviendront à entrer en Irak.
En Irak, une première vague de réfugiés rejoint le camp de Domiz, déjà saturé depuis la guerre contre Daech.
Le 21 octobre, des milliers de personnes viennent assister aux obsèques de six combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition essentiellement kurde, arabe et assyrienne. Tous ont été tués lors de l’offensive turco-rebelle, dans le district de Serê Kaniyê (Ras al-Ayn, en arabe), au nord du pays. Les trois couleurs de l'Administration autonome battent au vent.
Sous les applaudissements d’une foule compacte, les familles et les proches des combattants s'avancent.
« Nos drames sont également une fierté. Il n’y a pas de liberté sans sacrifices », témoigne un habitant de la région de Dêrik (Al-Malikiyah, en arabe).
Les cercueils vont être mis en terre.
L'Administration autonome a fait état, le 17 octobre, de 218 civils assassinés par les envahisseurs depuis le début de l'opération. Cinq jours plus tard, l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) comptabilisera au moins 275 morts du côté des FDS.
Seule, à quelques mètres de la cérémonie d'enterrement, une jeune femme se recueille en silence devant la tombe de son compagnon, membre des FDS. Il a été tué quelques jours plus tôt.
Presque chaque famille kurde compte des martyrs. Dans le village de Jarudiyah, une femme nous reçoit dans le salon de sa maison puis nous montre le portrait de sa fille, tuée au front contre Daech. Le village se trouve à quelques centaines de mètres de la frontière avec la Turquie : le chemin qui y mène est périlleux, proximité avec les positions turques oblige.
« Nous sommes complètement désemparés face aux frappes aériennes comme celles qui ont déjà frappé le village », reconnaît Mohamad Khalil, un habitant de Jarudiyah qui nous accueille avec sa compagne. « Mais les forces du village sont prêtes à réagir et le comité de surveillance est opérationnel jour et nuit. »
Tous deux, originaires d’un village arabe situé non loin de Baghouz, ont fui Daech voilà bientôt deux ans. « Nous ne savons pas ce que nous allons faire si la situation se dégrade encore », confient-ils.
À quelques kilomètres de Dêrik, des femmes kurdes, montant la garde, promettent de ne pas arrêter le combat.
Photographies : Laurent Perpigna Iban | Hans Lucas ; légendes : Sylvain Mercadier
Journaliste indépendant ayant vécu dans plusieurs pays du Moyen-Orient. En privilégiant l'immersion dans ces sociétés souvent incomprises, il essaie de donner un visage nuancé et désorientalisé de la réalité des hommes et femmes qui y vivent.
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