Au milieu des années 1970, le Front Polisario proclamait l’indépendance de la République arabe sahraouie démocratique et, partant, l’autodétermination du peuple sahraoui. Le Maroc, qui occupe la majorité du Sahara occidental depuis le départ de l’État espagnol, n’a eu de cesse de combattre la jeune république. En 1991, un cessez-le-feu était conclu entre les deux parties. Après trente ans de gel d’un conflit qui a fini par sombrer dans les limbes diplomatiques et médiatiques, les combats ont repris fin 2020. Le Front Polisario dénonce aujourd’hui « le mutisme de la communauté internationale et de ses instances à leur tête, l’ONU, face aux exactions répétées de l’occupant marocain« . Rosa Moussaoui, grand reporter à L’Humanité, en revient : un photoreportage parmi les combattants et la population civile.
Aux abords de la muraille de sable — érigée sur 2 700 kilomètres par le Maroc pour isoler les territoires du Sahara occidental qu’il occupe depuis 1975 —, les combats ont repris voilà un an.
Depuis les territoires libres de l’ancienne colonie espagnole, aux portes de l’Algérie, les combattants du Front Polisario déploient pour stratégie la guérilla. Ils tentent ainsi d’ouvrir une issue politique à ce conflit de décolonisation oublié, gelé depuis le cessez-le feu de 1991.
Un combat à armes inégales, une guerre asymétrique : d’un côté, une armée mobilisant jusqu’à 100 000 hommes, équipée de radars, d’avions, de drones de reconnaissance ou de combat de fabrication turque ou israélienne ; de l’autre, des petites unités très mobiles, constituées de combattants volontaires, équipées de matériel antédiluvien.
Avec la reprise des combats — après que le cessez-le feu a volé en éclats le 13 novembre 2020 à Guerguerat, près de la frontière mauritanienne, quand Rabat a déployé son armée contre des civils sahraouis —, les anciens ont repris du service. Ils forment l’essentiel du commandement de l’armée de libération sahraouie. Leurs anciennes blessures leur tiennent lieu de trophées et de galons. Ils forment les combattants plus jeunes ; des trentenaires, pour la plupart. Au front, dans les opérations, ils font régner une implacable discipline ; dans la vie quotidienne des campements, de veillées en repas partagés, la hiérarchie s’estompe en revanche. Les gradés prennent part à toutes les tâches ; les logiques militaires laissent place à l’idéal de vie égalitaire de ces hommes du désert.
Depuis 1976, trois générations sont nées dans les camps de réfugiés dressés en territoire algérien, dans la région de Tindouf, où vivent aujourd’hui plus de 170 000 personnes. Après le départ des colons espagnols, en 1975, l’ONU et la Cour internationale de justice ont reconnu le droit à l’autodétermination des tribus sahraouis. Décision contestée par le roi du Maroc, Hassan II, qui a vu dans l’occupation de ces territoire une aubaine pour colmater les fissures d’une monarchie alors menacée par sa propre armée et noyer, dans un élan de chauvinisme, toute contestation politique interne. Avec la « Marche verte », à l’appel du despote royal, des dizaines de milliers de Marocains entrèrent au Sahara occidental au nom de l’unification supposée du territoire chérifien. À la guérilla des nationalistes sahraouis soutenus par le voisin algérien, le Palais répondit par des arrestations de masse, des bombardements au napalm et au phosphore blanc ; les populations civiles, visées, ont été contraintes de fuir. Depuis quarante-cinq ans, des familles entières vivent dès lors séparées, avec certains de leurs membres dans les camps, les autreslivrés à la répression dans les territoires occupés.
La plupart des sociétés sahariennes conservent des empreintes des anciennes traditions matriarcales, désarticulées par la colonisation européenne1.
Dans la société très organisée que forment les Sahraouis dans les camps de réfugiés gérés par le Front Polisario, les femmes jouent un rôle social et politique prépondérant : elles étudient, prennent des responsabilités (occupant des fonctions de gouverneures de wilaya [autorité administrant chacun des camps, ndlr] ou de maires), supervisent la distribution de l’aide alimentaire dont dépend la majorité de la population ou rejoignent les rangs de l’armée (pour l’instant à des postes administratifs).
Certaines d’entre elles jettent les bases de coopératives qui leur permettent de conquérir une autonomie économique.
Les difficiles conditions de vie de l’inhospitalière hamada de Tindouf, un désert de rocaille stérile, affectent tout particulièrement les enfants, qui souffrent des carences alimentaires dues au manque d’eau et de produits frais. Un réfugié sahraoui consomme moins de 20 litres d’eau par jour, le seuil de survie, quand un Européen en consomme 200 : les enfants sont particulièrement exposés aux maladies hydriques. Parmi les moins de 5 ans, près d’un enfant sur cinq accuse un retard de croissance, tandis que l’anémie touche plus d’un enfant sur trois et 45 % des femmes.
Dans un tel environnement, la scolarité est elle aussi un défi. Près de 40 000 filles et garçons sont inscrits dans les trente-et-un jardins d’enfants, vingt-six écoles primaires et dix collèges des camps. Les infrastructures sont vétustes et les moyens pédagogiques limités.
Il n’existe dans les camps de réfugiés qu’un seul lycée, ce qui contraint les adolescents poursuivant des études à s’exiler en Algérie, en Europe ou ailleurs dans le monde.
Dans les camps, tout le monde applaudit à la reprise des armes, après trente ans d’un statu quo entre guerre et paix, sans avancée vers la résolution du conflit. Les accords de 1991 prévoyaient la tenue d’un référendum d’autodétermination sous l’égide des Nations Unies. Une force onusienne, la Minurso, a même été créée pour en superviser l’organisation. Mais le pouvoir marocain n’en a jamais voulu : il a fini par contester le gel du corps électoral sur la base du recensement espagnol de 1974, repoussant l’issue politique du conflit dans les limbes.
Avec le soutien de Paris, qui se fait son porte-voix au Conseil de sécurité de l’ONU, le roi Mohammed VI défend contre les résolutions de la communauté internationale un « plan d’autonomie » dont le Front Polisario ne veut pas. Avant de quitter la Maison blanche, l’ex-président étasunien Donald Trump lui a offert un obscur marchandage : la reconnaissance étasunienne de la souveraineté de Rabat sur le Sahara occidental contre la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. Ambiguë, l’administration Biden n’est pas formellement revenue sur ce « deal ».
« Nous voulons la paix, mais s’il faut en passer par la guerre pour vivre libres et récupérer notre terre, nous l’assumons, nous confie Lamira, une habitante du camp de Boujdour. Nous sommes restés trop longtemps la bouche fermée, seule une guerre peut changer les choses. » Dans une région où le conflit larvé entre le Maroc et l’Algérie fait planer la menace d’un embrasement, au bonheur des marchands d’armes européens, turcs, israéliens, russes et chinois, le dernier conflit de décolonisation sur le continent africain est une dangereuse bombe à retardement.
Voir sur l’exemple spécifique des sociétés touarègues Heide Goettner-Abendroth, LesSociétés matriarcales. Recherchessurles cultures autochtones à travers le monde, Éditions des femmes, 2019.[↩]
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