Texte inédit pour Ballast | Série « Au quotidien le sport »
« Le sport n’est pas ce que je croyais », écrivait l’an passé l’ancien joueur de tennis Valentin Sansonetti. Il s’oppose dans cet article à l’idée répandue selon laquelle sport et activité physique seraient synonymes. Les dissocier met en évidence que le développement du sport valoriserait la compétition, le culte de la performance individuelle et sa quantification — autant d’éléments communs avec l’idéologie capitaliste. Que le sport adopte les mêmes réactions face aux critiques politiques n’est donc pas surprenant : depuis quelques années, les institutions sportives savent repeindre en vert les dégâts écologiques qu’elles provoquent. Peu importe que les derniers mondiaux de football se soient tenus en plein désert, que les prochains Jeux olympiques impliquent des chantiers dévastateurs en Île-de-France : la pollution sera contrôlée, réduite et compensée. Pourtant, personne n’est dupe : les terrains de sport sont donc aussi ceux des luttes écologiques. Pour se faire entendre, faudrait-il carrément en finir avec le sport ? « Au quotidien le sport », septième volet de notre série.
Avec d’autres, le président de la République ne manque pas de le rappeler : le sport doit être laissé en dehors de toute considération politique. Pourtant, en fin d’année dernière, de nombreuses polémiques ont indiqué le contraire. Parmi celles-ci, la dégradation environnementale causée par les compétitions sportives internationales, dont la dernière Coupe du monde au Qatar, est revenue fréquemment. Quelques semaines avant le coup d’envoi de cette compétition, la réaction de l’attaquant du Paris Saint-Germain (PSG) Kylian Mbappé et de son entraîneur Christophe Galtier quant au déplacement de leur équipe en jet privé, avait provoqué l’indignation d’une partie de la population. Si l’on ajoute à cela la perspective des Jeux Olympiques qui se dérouleront à Paris en 2024, les institutions sportives sont contraintes de réagir. Comment celles-ci font-elles face à la critique écologiste ? Quelle(s) rhétorique(s) utilisent-elles ? Quelles actions mettent-elles en place pour se « verdir » ? Autant de questions qui servent de tremplin à une interrogation plus profonde : le sport est-il structurellement compatible avec l’impératif écologique qui est le nôtre ?
Le sport : tentative de définition
Le sport tel que nous le connaissons aujourd’hui sous sa forme économique et institutionnelle est un fait social particulier, récent, historiquement construit : il est né entre le XVIIIe et le XIXe siècle en Grande-Bretagne, en pleine phase d’industrialisation du capitalisme. Il est notamment apparu dans les écoles élitistes, nommées public school. À l’origine, c’est donc une pratique essentiellement bourgeoise. Au XIXe siècle, la Grande-Bretagne est la première puissance mondiale, notamment en raison de l’exploitation de ses colonies. Le sport s’est donc rapidement répandu sur l’ensemble des continents. Son apparition à ce moment de l’histoire n’est pas anodine : en prenant le pas sur l’aristocratie, la classe bourgeoise a fondé un nouvel ordre social. De fait, elle se doit de légitimer sa domination sur le reste de la société. Contrairement à l’aristocratie, qui prétendait tirer son pouvoir de l’inné, du sang, la bourgeoisie promeut l’idée de mérite. Le sport est donc un phénomène social particulièrement réglementé. Cet ensemble de règles est censé préserver une « égalité des chances » sur la ligne de départ. C’est aussi un puissant promoteur de l’idéologie capitaliste : performance sans fin, survalorisation de l’effort, concurrence féroce, dictature du chiffre et compétition généralisée.
« Le sport aussi un puissant promoteur de l’idéologie capitaliste : performance sans fin, survalorisation de l’effort, concurrence féroce, dictature du chiffre et compétition généralisée. »
Le sens commun que nous attribuons au mot « sport », c’est-à-dire tout ce qui a trait de près ou de loin à la transpiration et à l’effort, ne correspond pas à sa définition conceptuelle : le sport est une activité motrice, codifiée, institutionnalisée, compétitive. Selon ce cadre, le footing ne serait pas du sport, pas plus que de jouer au football ou au basketball sur les terrains publics. C’est une distinction que nous ne parvenons pas à faire spontanément. Pourtant, nous faisons face dans notre scolarité ou dans les études supérieures à des situations où le sport et l’activité physique sont clairement dissociés : l’EPS (l’éducation physique et sportive), et la faculté de STAPS (science et technique de l’activité physique et sportive), sont les preuves que nous pourrions recevoir une éducation physique qui n’obéissent pas à des logiques sportives. Si les premières civilisations humaines ont probablement pratiqué des formes variées d’activité physique, des jeux divers, organisé des cérémonies religieuses au cours desquelles on accomplissait des épreuves physiques, ces manifestations ne correspondaient en aucun cas au sport moderne. Le sport est donc une organisation particulière des jeux et de l’activité physique, de même que le capitalisme est une organisation spécifique du travail et des rapports de production. La comparaison mérite d’être avancée car les institutions sportives portent la même idéologie et sont entièrement fondues dans celles du capital. Bien sûr, cela est davantage visible au PSG que dans les clubs municipaux des petites villes par exemple. Pour autant, s’il ne s’agit pas de la même échelle et de la même organisation, le socle idéologique sportif demeure : sélection des individus selon leur performance, compétition entre membres de la même équipe et contre les adversaires du week-end, injonction aux progrès, etc1.
Sport, écologie et capitalisme
Si la critique écologiste ne s’articule pas systématiquement autour de la catégorie « capitalisme », ce qui explique en partie qu’elle ait pu être dévoyée et dépolitisée par la bourgeoisie pour défendre ses intérêts2, elle s’est néanmoins intensifiée. En guise d’état des lieux, retenons un récent syllogisme proposé par Frédéric Lordon :
1. Il y a un écocide.
2. Cet écocide est capitaliste.
3. Il n’y a pas de solution capitaliste à l’écocide capitaliste.
4. Pour faire face à l’écocide, il nous faut donc renverser le capitalisme.
La troisième étape de ce syllogisme précise-t-il, est la plus décisive. En effet, le capitalisme prétend pouvoir nous sortir du désastre dans lequel il nous a plongé·es. Une des caractéristiques du capitalisme est sa capacité à faire face à la critique, voire à se la réapproprier : il la vide de sa substance et parvient à la rendre inoffensive3. Un des outils à sa disposition n’est autre que le langage : l’hégémonie capitaliste, en particulier sous sa forme néolibérale, a produit sa propre langue. Elle cadre donc le débat au prisme de ses mots et c’est par eux que nous pensons4. Quand nous parlons du « climat » ou de « l’environnement », nous évoquons en réalité la destruction des conditions d’habitabilité de tous les êtres vivants sur la planète : autrement dit, un écocide. Pourtant, nous sommes contraint·es d’y songer en termes de problème, de solution, de responsabilité individuelle, de sensibilisation, de pédagogie, de sobriété, de transition énergétique, d’écogestes, d’adaptation, de défis et de mesures à prendre.
Il est donc d’autant plus facile pour le capitalisme d’absorber les attaques qui lui sont adressées puis de s’en réapproprier les termes afin d’en tirer profit5. Le capitalisme s’efforce de prétendre qu’il peut réparer les dégâts qu’il cause, tout en criminalisant les comportements prétendument « irresponsables » de la classe laborieuse. Les institutions sportives obéissent à la même logique. Le sport engendre des saccages environnementaux alarmants ? Aucune inquiétude, il sait s’adapter ! Sur le site officiel de la coupe du monde au Qatar on peut lire : « Sustainaibility has been at the heart of the FIFA World Qatar 2022tm from the very start. » Traduction : « le développement durable a été au cœur de la coupe du monde de la FIFA6 2022 au Qatar dès son commencement. » L’organisation a même annoncé que la compétition serait neutre en carbone, tout en construisant de gigantesques nouvelles infrastructures, en organisant des navettes aériennes quotidiennes vers les pays voisins et en climatisant les stades dans en plein désert. Une belle performance !
Capitalisme vert : le sport comme idéal type
En septembre 2022, la première édition de « Demain le Sport » s’est tenue à la Maison de la radio, à Paris. Cet événement était organisé par plusieurs médias (l’Équipe, Radiofrance, Franceinfo, France télévision) et quelques « partenaires » (Matmut, Agefiph, Enedis, et Bridgestone). L’environnement a été un des thèmes abordés lors de plusieurs « tables rondes ». La co-présidente du groupe n° 1 du GIEC et membre du Haut conseil pour le climat, Valérie Masson-Delmotte, a ouvert le bal : « Finalement, la question de fond pour moi c’est : qu’est-ce que le sport glorifie ? Plus loin, plus haut… (rires), etc., ou est-ce que ça n’est pas : plus léger, plus propre, plus agile ? » La logique intrinsèque du sport serait d’être à ce point malléable que, même si la devise des Jeux olympiques devait changer, la performance n’en demeurerait pas moins le fondement. Et, contrairement au vivant détruit pour parvenir au meilleur, la performance est infinie : le record quoi qu’il en coûte. Valérie Masson-Delmotte ajoute : « Derrière cette question-là, il y a aussi les valeurs du sport […] : le respect, le respect des règles, le respect des autres, le respect de soi, de son corps. Pour moi le respect de l’environnement devrait intimement faire partie des valeurs du sport. » La rhétorique des « valeurs du sport » est une rengaine infatigable, mais elle ne correspond à rien de factuel. Il n’y a probablement pas plus irrespectueux pour le corps que le sport de haut niveau : il n’y a qu’à voir le nombre de traumatismes et de blessures à répétition chez les athlètes. Pourquoi le sport disposerait de son propre champ médical (psychologue du sport, médecin du sport, kinésithérapeute du sport, etc.) s’il était bon pour la santé ? Ajouter le « respect de l’environnement » à la liste des valeurs supposément intrinsèques au sport ne fait qu’exacerber la supercherie7. Dans sa présentation, la climatologue ne cesse d’évoquer les « secteurs d’activité » dont le sport serait l’un des maillons. L’objectif étant que chaque secteur d’activité puisse « faire sa part » pour pallier au réchauffement climatique.
« La rhétorique des
valeurs du sportest une rengaine infatigable, mais elle ne correspond à rien de factuel. Ajouter lerespect de l’environnementà la liste des valeurs supposément intrinsèques au sport ne fait qu’exacerber la supercherie. »
Quelques minutes plus tard, l’expert indépendant Maël Besson a enfoncé le clou. Il a tenu à rassurer tout le monde concernant les prochains JO de Paris : « Toute la candidature a été basée sur la sobriété et c’est à saluer. » À ses côtés, Georgina Grenon, directrice de la section « Excellence environnementale » des JO à venir a rappelé que ceux de Londres et Rio représentaient environ 3,5 millions de tonnes d’émissions de carbone chacun, tandis que l’objectif de Paris 2024, lui, est fixé à 1,5 millions de tonnes. Champagne ! Qu’il n’y ait aucune certitude quant à la réalisation de cet objectif n’atténue pas son enthousiasme. En réalité, les JO de Paris 2024 sont avant tout synonymes de chantiers dévastateurs en Île-de-France, d’une pollution accrue, de la gentrification de quartiers populaires, ou encore de processus manipulateurs et antidémocratiques pour imposer la mutation de l’espace aux habitant·es. Il faut d’ailleurs saluer le courage et le remarquable travail des militant·es de « Saccage 2024 ». Ces dernier·es ont mené des luttes physiques (et judiciaires), dont la plus emblématique s’est déroulée aux jardins ouvriers d’Aubervilliers, mais ont également fourni un travail d’informations important sur la réalité des JO. Maël Besson a tout de même nuancé son propos quelques instants plus tard : « Attention, nous dit-il, que le sport ne devienne pas le symbole d’une injustice sociale face au dérèglement climatique, où on aurait certains sportifs, certaines disciplines qui auraient le droit de consommer des ressources sous tension là où le citoyen n’y a plus droit ». Kyllian Mbappé est hilare — à nouveau. D’ailleurs, son coéquipier en club et récent champion du monde Lionel Messi, a emprunté cinquante fois son jet privé entre juin et août 2022, rejetant 1 502 tonnes de CO2 (l’équivalent d’un·e français·e moyen·ne en 150 ans). Il faut admettre que cela ne donne pas envie de trier ses déchets.
Qu’en est-il des sports automobiles ? On comprend aisément que ces derniers soient pointés du doigt quand il s’agit de protection de l’environnement. Mais, ce n’est pas l’avis de Pierre Fillon, président de l’Automobile club de l’ouest, organisateur des 24h du Mans. Dans une rencontre intitulée « L’hydrogène, le salut du sport automobile ? », il s’explique : « Le sport automobile et en particulier l’endurance et les 24h du Mans, non seulement respectent l’environnement, mais ont participé depuis toujours à la défense de l’environnement. » Le Gorafi ne l’aurait pas mieux dit. Pierre Fillon a même préparé une petite mise en scène pour appuyer son propos. Il dispose de plusieurs accessoires : une fiole d’eau issue de la voiture de course exposée à l’entrée du bâtiment, dont il boit quelques gouttes avant de reprendre, une grappe de raisin, un citron et de l’huile de tournesol. La voiture de course qu’il est venu présenter roule à l’hydrogène — vert, cela va sans dire. Cette voiture, baptisée « Mission H24 » (pour Hydrogène et 24h du Mans, le pôle communication a travaillé d’arrache-pied), ne rejette que de l’eau. Mais, ce n’est pas sa seule qualité : elle arbore également un magnifique logo TotalEnergies ! En effet, l’entreprise fabrique un biocarburant à partir de résidus viticoles, d’où la grappe de raisins sur l’estrade. Une voiture « écologique », sponsorisée par l’un des plus gros pollueurs au monde.
Mais ce n’est pas tout. Pierre Fillon a plus d’un tour dans sa boîte à gants : l’entreprise Michelin, autre compagnie qui prend la question écologique très à cœur et dont le logo figure également sur la voiture, réalise des pneumatiques composés à 53 % de matériaux recyclables pour les courses. Un peu de recyclage dans une gomme qui s’effrite à 300 km/h : voilà la solution à la pollution du sport automobile. Il faut attendre la fin de l’interview pour que la réalité resurgisse : l’invité confesse que chaque édition des 24h du Mans, « c’est à peu près 36 000 tonnes de CO2 ». C‘est colossal, l’équivalent cette fois de la consommation de mille français·es moyen·nes pendant 36 ans. Il s’empresse de préciser que la piste ne représente que 2,5 % de ces émissions. En réalité, ce sont les spectateurs et spectatrices (parfois venu·es de loin), qui polluent le plus : ils et elles représentent 60 % de ces émissions. Il serait évidemment honteux de criminaliser Pierre Fillon, Total ou Michelin. Les coupables sont bien les personnes venues assister aux courses…
Cet argument n’est pourtant pas anodin : il témoigne d’une réelle stratégie qui cherche à faire croire que les fans de sport (expression qu’on pourrait remplacer par « les citoyen·nes ») sont tout autant responsables que les institutions sportives (qu’on pourrait remplacer par « les structures capitalistes »), de la destruction de la planète. En tant qu’« expert carbone », Alexis Lepage a abondé également dans ce sens, lors d’une conférence intitulée « Football, climat et bien commun », organisée par l’Université du bien commun en novembre dernier. Être expert carbone, c’est travailler pour une plateforme (en l’occurrence Sami), qui aide les entreprises à réaliser leur bilan carbone afin de proposer des alternatives pour le réduire le plus possible. Après avoir exposé quelques chiffres concernant le bilan carbone du ballon rond, Alexis Lepage a listé un certain nombre de solutions : covoiturer pour aller au stade grâce à l’application « Stadiumgo », programmer les matchs en journée afin d’amoindrir la dépense énergétique dans les stades (rarement raccordés au réseau électrique, ils sont éclairés par des groupes électrogènes très polluants), mutualiser les stades (c’est le cas du Milan AC et de l’Inter Milan qui partagent la même enceinte) afin d’éviter la bétonisation, réduire le nombre de maillots par saison (le Real Madrid, par exemple sort quatre modèles de maillot par an), ou encore « se détacher des sponsors les plus polluants ». Personne n’y avait pensé. Il suffit de demander aux actionnaires du Paris Saint Germain s’ils sont d’accord pour renoncer à Fly Emirates. Puis, nous irons discuter poliment avec celles et ceux de Manchester United pour leur parler de cette histoire de maillots. Le club en a vendu 1,8 millions en 2021. On peut parier qu’ils et elles accepteront aisément de se passer des dividendes que cette vente génère.
« Après avoir franchi la ligne d’arrivée, les athlètes ont reçu une médaille avec des graines à planter. »
Mais ces préconisations ne se cantonnent pas au monde du football. Lors d’une autre conférence intitulée « Sport et environnement : faut-il siffler la fin de la partie ? », organisée par l’Institut national de l’audiovisuel (INA), Tarek Ben Mansour, éducateur sportif, speaker international et organisateur d’événements sportifs, s’est également réjoui du nombre de mesures mises en place par l’organisation du semi-marathon Marseille-Cassis auquel il a participé. L’entreprise Hyundai y a fait la promotion de la voiture électrique, les inscrit·es ont pu signer la charte de « l’éco-coureur », le tri des déchets y était très bien organisé, les dossards des coureurs et des coureuses étaient recyclables — la MAIF a même récupéré les vêtements des participant·es qui n’en voulaient plus afin de leur donner une seconde vie. Après avoir franchi la ligne d’arrivée, les athlètes ont reçu une médaille avec des graines à planter.
L’impossible sport vert
Tous ces exemples composent un panorama du « solutionnisme vert » que l’on voit s’appliquer à l’ensemble des institutions et des disciplines sportives. Mais, ce n’est rien d’autre qu’une escroquerie, un greenwashing décomplexé : les compétitions sportives sont uniquement permises par le financement des plus grandes multinationales au monde. C’est par elles que ces événements existent. Depuis plusieurs années, ils sont même de plus en plus nombreux à porter leurs noms : le « Rolex Paris Master » (tennis), la « Ligue 1 Uber Eats » (football), La « coupe Louis Vuitton » (voile), l’« Amundi Evian championship » (golf), le « Red Bull infinite lines » (ski), etc. Ces multinationales détruisent le monde, mais se rachètent une image en finançant des événements sportifs, une variante de la « compensation carbone », la « compensation spectacle ». Roland-Garros par exemple (comme beaucoup d’autres tournois de tennis) est en grande partie permis par le financement de BNP Paribas, l’une des banques qui investit le plus dans les énergies fossiles. Elle détruit donc le monde d’une main, mais nous offre un joli divertissement — voué à être éphémère — de l’autre. Un sport plus humain, plus vert ou plus léger ne saurait exister. Le capitalisme ne se verdit pas, pas plus qu’il ne s’humanise : c’est une force impérialiste qui conquiert ou qui est renversée.
Aujourd’hui en France, les canicules tuent, l’air pollué tue, l’eau est accaparée par un petit nombre au détriment des autres et des activistes climat sont présenté·es comme « écoterroristes ». Dans le même temps, les compétitions sportives sont de plus en plus indécentes : les JO d’hiver de 2022 en Chine se sont déroulés sans un flocon de neige naturel, la coupe du monde 2022 s’est déroulée en plein désert qatari dans des stades climatisés, la suivante se jouera dans trois pays différents (Mexique, Canada et États-Unis) et les jeux asiatiques d’hiver de 2029 se dérouleront eux aussi dans un désert : en Arabie Saoudite. Ce ne sont pas les trois dossards réutilisés, les ballons recyclés, et les gourdes fournies aux athlètes qui pèseront face à de tels saccages. La question qui mérite donc d’être posée est la suivante : faut-il en finir avec le sport ? La réponse est oui. Il y a des choses dont nous devons nous passer et il faut les dire pour nous y préparer : le sport, en tant que « compétition-spectacle-internationale-sponsorisée », en fait partie. Renverser le sport ne veut pas dire qu’on ne fera plus de football, de tennis, de handball, de judo, de basket-ball ou de natation (ou qu’on ne regardera plus les autres en faire), mais tout le cadre institutionnel aura radicalement changé. Cela ne sera plus du sport et c’est une très bonne nouvelle ! Notre aliénation face au phénomène sportif (dans les stades, ou devant notre téléviseur) nous empêche de voir que d’autres émotions nous attendent dans la pratique physique libre, loin du désastre sportif. À l’heure où le pouvoir intensifie la répression concernant les perturbations d’événements sportifs, la contestation devra aussi se faire en interne. Les athlètes auront donc un rôle-clé à jouer dans ce scénario : une partie d’entre elles et eux devra abandonner ses privilèges, et surtout renoncer à ce pour quoi ils et elles se sont entrainé·es toute leur vie. Ce ne sera pas aisé, mais c’est un impératif vital. Certain·es ont déjà commencé à le faire ici, là, ou encore là, d’autres lanceurs et lanceuses d’alerte viendront. Le plus tôt sera le mieux.
[lire le huitième et dernier volet | Le sport populaire : oxymore ou idéal ?]
Photographie de bannière : Tobias Abel
- Je l’ai moi même constaté durant mon enfance et adolescence : être inscrit dans des petits clubs de football et de tennis de la campagne en Seine-et-Marne (Guérard, Faremoutiers, Mouroux, Coulommiers et Saint Germain sur Morin) ne m’a pas empêché d’être soumis aux lois du sport. Évidemment, on trouvera toujours des entraineur·es ou des clubs qui font exception — et qui confirment la règle.[↩]
- Voir Jean-Baptiste Comby, La question climatique : Genèse et dépolitisation d’un problème public, Raisons d’agir, 2015.[↩]
- Voir Luc Boltansky et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Galimard, 1999.[↩]
- Voir Éric Hazan, LQR, La propagande du quotidien, Raisons d’agir, 2005. Sandra Lucbert, Personne ne sort les fusils, Seuil, 2019 et Le ministère des contes publics, Verdier, 2021. Sélim Derkaoui et Nicolas Framont, La guerre des mots, Le passager clandestin, 2020.[↩]
- Voir Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande, La Découverte, 2021.[↩]
- Fédération internationale de football association.[↩]
- Voir Michel Caillat, L’idéal sportif : l’imposture absolue, Cavalier bleu, 2014.[↩]
REBONDS
☰ Lire notre entretien avec Frédéric Lordon : « La multitude mobilisée en masse est l’unique solution », novembre 2021
☰ Lire notre article « Boxer contre les stéréotypes de genre », Yann Renoult, février 2020
☰ Lire notre entretien avec Mickaël Correia : « Le football : un instrument d’émancipation », avril 2018